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 N° 434
 
 
 
    6 février 2006
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Conte du Kanem (*)

Docteur François-Marie Michaut Lui écrire

Sous la case à palabres de ce village poussiéreux au milieu des sables plats du Sahel, les langues vont bon train. Les anciens sont tous là, accroupis sur quelques nattes en lambeaux. On n’est pas n’importe où ici. Juste à quelques heures de méhari de ce que nous pensons être le nombril de notre humanité. Là où nos chercheurs découvrirent les restes d’un certain Toumaï, qui vécut, dit-on, il y a la bagatelle de 7 millions d’années. Aucun doute, n’en déplaise à nos racistes et ségrégationnistes ordinaires, nous sommes chez nos frères. Que se passe-t-il donc d’extraordinaire ?

retrouver la confiance

Un mal jusqu’alors inconnu touche les jeunes adultes. Oui, filles et garçons, sans distinction, paient un lourd tribu à ce qui ressemble à une malédiction. Elle est étrangement limitée à ce que les Blancs - ici on dit les Nazaras - qui ont l’étrange habitude de tout compter, y compris les hommes et les années d’une vie, nommeraient des jeunes gens entre 18 et 25 ans. Dans les temps d’avant, il y a bien longtemps qu’initiés, ils seraient devenus des membres à part entière de la communauté villageoise, bergers, marchands, musiciens, éleveurs, forgerons, guerriers ou caravaniers.

restaurer la conscience

L’instituteur aux impressionnantes lunettes noires, interrogé par le chef de tribu, est formel. Comme paralysés par des forces supérieures invisibles, un sur cinq de ces jeunes passe ses journées assis, sans avoir la force de faire quoi que ce soit. Tous ces bras qui ne servent à rien, toutes ces bouches à qui il faut bien fournir la ration quotidienne de boule de mil ! Cela ne va pas sans commentaires et imprécations des plus anciens qui n’ont jamais vu cela, ni même entendu parler d’une telle épidémie. Que se passe-t-il donc pour que la tradition ne fonctionne plus ? Un premier marabout est consulté. Il reste un bon moment silencieux, puis sort de sa poche un gri-gri qui contient un verset du Coran ainsi qu’une mystérieuse poudre rouge : “ Que chacun des jeunes atteints mette à son cou jour et nuit ce porte-bonheur , et absorbe un peu de cette poudre au coucher du soleil”. Sommé d’en dire plus, il ne sait pas formuler autre chose que : “ Faites ce que je dis, il n’y a pas d’autre possibilité” .
On interroge aussitôt un second marabout. Celui-ci, en échange traditionnel du don d’un poulet, va parler. “ Les esprits de nos morts sont très fâchés contre les esprits des marchands d’au delà de la grande mer. C’est pourquoi nos enfants sont ensorcelés - Mais, alors que pouvons-nous faire ? “ demandent les sages. “ On ne peut rien faire que d’attendre que les esprits aient fini leur guerre “.

renforcer la compétence

Et voilà nos anciens dans le plus grand embarras. Quelle peut être la meilleure formule pour le village ? Le premier remède, il est certain qu’ils n’en connaissent pas l’efficacité, personne, à leur connaissance, ne l’a jamais utilisé. La seconde attitude proposée, celle de ne rien faire pour tenter de lutter contre le mal mystérieux, ne manque pas de partisans. Surtout , disent-ils haut et fort, respectons l’héritage de nos ancêtres, ne touchons pas à la tradition. Ce serait la mettre en danger.
Le clan des indécis réfléchit. Si l’on tente un remède, ou, au mieux il sera efficace et, au pire, il n’aura aucun effet. Si au contraire, l’option est prise de ne prendre le risque d’aucun traitement contre cette maladie, le résultat est garanti. Elle continuera à frapper les jeunes gens, et le village où la vie est déjà si difficile a toutes les chances de disparaître.
Maintenant que vous avez en main toutes les cartes de ce conte, choisissez vous-même, ami lecteur, la façon dont les choses vont évoluer là-bas. Il est temps de nous retirer sur la pointe des pieds pour respecter la liberté de nos amis Kanembous et revenir ici.
Toute ressemblance avec le curieux débat qui se déroule en France autour du projet gouvernemental de “ contrat de première embauche ( CPE)” n’est pas fortuit. Que dans un pays comme le notre de 20 à 40% ( selon leur niveau de qualification) des jeunes de 18 à 24 ans soient sans emploi est, hélas, le symptôme d’une bien mauvaise santé de notre société. Nous n’oublions pas que la santé est notre seul sujet ici. Pour chacun, être dans les meilleures conditions pour bien se porter, c’est pour une grande part parvenir à un statut d’adulte. Faute d’initiations traditionnelles (comme dans les tribus africaines, ou avec l’ancien service militaire), c’est l’accès au monde du travail, avec son apprentissage de la vie en société, avec les revenus financiers personnels qui en découlent, qui en tient lieu.
La question dépasse infiniment les simples problèmes de police des explosions juvéniles à grand spectacle, elle va beaucoup plus loin que les comptes d’apothicaires des économistes et des gestionnaires des protections sociales. Les préoccupations électorales n’en sont qu’une vulgaire tentative de récupération. Cette question de la liberté de pouvoir travailler touche tout simplement au respect de chaque humain. Jamais avant nous, aucune société aussi primitive, barbare, dictatoriale ait-elle pu être, et jusqu’au fond des prisons, des galères et des camps, n’avait encore osé mettre ou laisser croupir certains des siens dans l’impossibilité de travailler.

(*) NDA : Le royaume du Kanem a occupé un vaste territoire à l’est du Lac Tchad. Fondé au 9ème siècle après JC par des Toubous venus de leur Tibesti, son roi se nommait le maï. De la conjonction de ces deux mots est probablement né celui de notre vénérable Toumaï. Au XIème siècle, le maï se convertit à l’Islam. L’empire atteignit son apogée au 13ème siècle. Mao la minuscule capitale actuelle du Kanem est encore le siège d’un sultanat totalement ruiné.

NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal pour le faire, il ne faut vraiment pas s'en priver, ami lecteur. Si ce texte vous touche, vous plaît, vous déplaît ou vous semble mériter telle ou telle réponse, d'un simple clic sur le lien "Lui écrire" en haut de page, un courrier électronique de votre part parviendra à l'auteur.
FMM, webmestre.

 


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