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 N° 445
 
 
 
    24 avril 2006
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Résister

Docteur Françoise Dencuff Lui écrire

Il est parfois étrange de constater les synchronisations dans le temps. Un député, inconnu du grand public, ancien berger, engage sa vie et sa santé dans une résistance acharnée aux violences faites à ses administrés par le totalitarisme financier. Dans le même temps, je termine un ouvrage exceptionnel qui, s’il arrive à vaincre le politiquement et intellectuellement correct ambiant, est et sera une œuvre de référence : Un si fragile vernis d’humanité, Banalité du mal, banalité du bien , Michel Terstchenko aux éditions La Découverte.

retrouver la confiance

Depuis des décennies nous nous trouvons enfermés dans un débat sans fin entre les tenants de l’égoïsme psychologique et les partisans de l’altruisme sacrificiel. Pour faire simple entre les salauds et les saints.
Le paradigme égoïste soutenu par Hobbes ou La Rochefoucauld veut que les conduites véritablement altruistes n’existent pas ou du moins ne peuvent jamais être prouvées, tant les ressorts intimes de la motivation risquent de se révéler tôt ou tard de nature intéressée.
Alors comment comprendre les conduites effectives des millions de bénévoles et de donateurs… Les individus normaux et compatissants que nous sommes ne sont pas prêts au sacrifice absolu pour venir en aide à leur voisin. Pourtant des milliers d’actions généreuses et désintéressées sont mise en acte chaque jour.
De plus s’il est facile de montrer qu’il existe bel et bien un « sens moral » qui ne se réduit pas à la poursuite de ce qui est avantageux ou profitable… il reste à expliquer comment ces sentiments sont si peu capables, en certaines circonstances, d’opposer une résistance à des conduites humaines de destructivité qui, loin d’être le fait de psychopathes, sont le plus souvent le fait d’hommes ordinaires, nullement démunis d’un appareillage éthique susceptible de leur faire comprendre la nature criminelle de leurs actes…
On ne peut pas mettre les comportements destructeurs simplement sur le compte de l’égoïsme. Ce n’est pas la propension, la tendance naturelle à promouvoir ses intérêts, son plaisir ou son bonheur qui peut être ici le facteur explicatif pertinent mais une toute autre tendance et qui fait l’objet de manipulations multiples : la propension en certaines circonstances – cette nuance est capitale - à la docilité, à la servilité, à l’obéissance aveugle aux ordres, aux imprécations de l’idéologie, la propension à se conformer aux comportements du groupe et aux rôles qu’une institution totalitaire attend que vous jouiez. (cf. : La Soumission à l’autorité de Stanley Milgram et ses expériences sur l’obéissance passive à faire souffrir d’autres hommes).
Cette passivité prend d’ailleurs deux formes, l’une active d’obéissance aux ordres (ce que soutiennent toujours les tortionnaires pour leur défense… par exemple les soldats mis en cause à Abou Ghraib ou lors du procès de Nuremberg), l’autre : forme passive du témoin inactif.

restaurer la conscience

Selon que nous sommes salauds (égoïste ou soumis) ou saints (prêts à tous les sacrifices) nous serions donc soit prêts à tout pour garder notre intégrité physique ou mentale dans le premier cas (L’homme ne saurait pourtant, sans répudier son essence, se réduire à n’être qu’un simple « être là », une existence qui ne vise qu’à se conserver) soit dans un désintéressement absolu dans le second.
C’est là que toute la thèse de Michel Terstchenko bouleverse les théories existantes.
Pour lui, l’altruisme n’exige pas la déprise, l’anéantissement, la dépossession de soi, le désintéressement sacrificiel qui s’abandonne à une altérité radicale (Dieu, la loi morale ou autrui). L’abandon, la déprise de soi est au contraire l’un des chemins qui mène le plus sûrement l’individu à la soumission, l’obéissance aveugle et la servilité.
Seul celui qui s’estime et s’assume pleinement comme un soi autonome peut résister aux ordres et à l’autorité établie, prendre sur lui le poids de la douleur et de la détresse d’autrui et lorsque les circonstances l’exigent assumer les périls parfois mortels que ses engagements les plus intimement impérieux lui font courir…L’altruisme comme relation bienveillante envers autrui qui résulte de la présence à soi, de la fidélité à soi, de l’obligation éprouvée au plus intime de soi, d’accorder ses actes avec ses convictions (philosophiques, éthiques ou religieuses), parfois même, plus simplement encore, d’agir en accord avec l’image de soi indépendamment de tout regard ou jugement d’autrui, de tout désir social de reconnaissance.
Autrement dit la « fidélité à soi » est le moteur indispensable à toute forme de résistance aux totalitarismes, qu’ils soient étatiques ou hiérarchiques.

renforcer la compétence

Quel rapport avec notre quotidien peuvent avoir les expériences de Milgram ou de la prison de Stanford de Zimbardo, le recueil des témoignages de Justes ou de nazis après la guerre de 39-45, quelle importance pour notre futur que la compréhension des ressorts intimes de la résistance ?
Il est à craindre que la dynamique sociale actuelle ne soit du côté de la conservation de soi et de ses acquis…à tout prix.
Peut-on imaginer que l’éducation actuelle, les stars ac’ multiples, le désenchantement général donnent aux jeunes générations cette confiance, cette fidélité à soi, à ses valeurs dont l’auteur nous parle ?
Peut-on penser que les plans visant à l’économie de la santé donnent aux soignants la « liberté d’être » indispensable à la prise en charge de la souffrance de l’autre ?
Trouvera-t-on le courage, cette « présence à soi », de refuser les diktats financiers ou politiques ?
Le plus grand paradoxe de notre époque restant que, jamais, l’estime de soi n’a été autant mise en avant et recherchée… comme si la recherche d’un sens à sa vie n’était finalement utilisée que pour se trouver mieux d’être… soumis !
Nous laisserons à l’auteur le mot de la fin :
La capacité humaine de faire le bien tout comme celle de faire le mal ne sont pas prédéterminées par une quelconque « nature » : toutes deux renvoient à des potentialités enfouies en chacun de nous, qu’il s’agit pour la première de favoriser et, s’agissant de la seconde, contre laquelle il convient de se prémunir, aussi bien individuellement que collectivement. Telle est peut-être la finalité a plus haute de l’éducation… L’altruisme est peut-être dans certaines circonstances, un fait d’exception ; mais rien n’interdit d’espérer que les hommes, prenant conscience de leur vulnérabilité, se dressent à l’avenir avec plus de résistances contre les facteurs qui les poussent ordinairement à la soumission et à l’avilissement.


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FMM, webmestre.

 


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