EXMED.org Lire toutes les LEM
La Lettre d'Expression Médicale
Exmed.org

retour sommaire
 
 
 
 
 
 
 
 N° 448
 
 
 
     15 mai 2006
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
      Pour s'inscrire 
 
     
     toutes les lem depuis 1997

A la ligne ou au chalut

Docteur François-Marie Michaut Lui écrire

La vie a fait que je n’ai jamais connu de médecin dans mon entourage familial. L’enfant que j’étais se souvient fort bien s’être posé la question du fonctionnement du médecin de la famille. Comment faisait-il donc pour deviner ainsi la nature de ces maladies pas très rassurantes ? Par quel prodige de la nature se souvenait-il de tant de noms barbares et jonglait-il avec des noms de remèdes aussi nombreux ? Vraiment, quand la vulgarisation médicale n’existait pas encore, c’était , à mes yeux d’enfant, aussi admirable que merveilleux, et ... mystérieux.

retrouver la confiance

En vérité, devenu médecin, je n’ai guère cessé de m’interroger sur l’étrange alchimie mentale qui conduisait en quelques brèves minutes à la prescription de quelques remèdes censés améliorer, ou guérir nos multiples maladies. A moins qu’un héroïque bistouri chirurgical ne vienne trancher dans le vif du sujet, décidément bien patient. Si l’on en croit les préceptes de l’enseignement médical, c’est la recherche patiente et surtout méthodique de tous les symptômes. Et une fois, dûment consignés par écrit dans ce que nous appelions jadis une observation médicale, tous ces signes sont censés permettre de retenir et de formuler un certain nombre d’hypothèses sur l’origine des troubles pathologiques du patient. A ce moment là, et à ce moment seulement, des investigations dites complémentaires devraient permettre de passer d’un diagnostic probable à un diagnostic de certitude. Telle est la tradition, je pense encore rapidement évoquée actuellement, de l’enseignement de la médecine.

restaurer la conscience

Dans la pratique, les choses se passent bien autrement. Le jeune médecin en formation dans les services hospitaliers constate immédiatement que la façon de procéder de ses aînés est aux antipodes de ce qui lui a été enseigné. On n’écoute guère le malade, et le temps consacré à son examen succinct , quand même il existe, est des plus limité et ressemble d’avantage à un rite qu’à une activité menée avec conscience . Notre carabin découvre que le malheureux humain qui franchit les portes de l’hôpital est devenu une sorte de marchandise inerte et anonyme. Il doit immédiatement être “bilanté”, horrible expression pour désigner la batterie d’examens systématiques qui est devenue la règle dès l’entrée. L’observation dont nous parlions a disparu, comme dans un ministère ou un tribunal, il n’est plus question que de dossier. Oui, le malade de chair et de sang est devenu un dossier de papier, d’images, de graphiques et d’écrans numériques. Passons rapidement sur le coût financier faramineux de cette multitudes d’examens, qui ne sont la plupart du temps pas prescrits en fonction des symptômes que présente le patient, mais pratiqué à titre systématique. De cette masse d’information ramassée par ce que nous pouvons nommer un véritable chalut : vaste filet de pêche en mer tracté de longues heures par de puissants bateau, on va de temps en temps extraire un diagnostic médical. Or, ce type de trouvaille est bien souvent totalement étranger aux troubles qui ont conduit le patient, et son médecin traitant, vers le monde hospitalier. Comment s’étonner de la déception de chacun quand le système est incapable de répondre à la demande du patient et des médecins, en se contentant de donner une réponse à côté ? Énorme, ruineux et désespérant quiproquo pour les “usagers”. Ouverture de fait vers de dangereuses voies de soins alternatifs, remplies de charlatans et d’illuminés de tout poil.

renforcer la compétence

Nous en sommes arrivés, quelque soit le jugement qu’on puisse formuler, à une médecine de papier. On détecte les maladies avec la technique aveugle des chalutiers. Se lamenter sur le recul des manières de travailler de jadis, par nécessité technique et scientifique plus que par vertu fondées sur la seule clinique, ne sert à rien. Par contre avoir clairement à l’esprit qu’il existe une autre façon de penser la pratique médicale que celle qui domine demeure une nécessité pour notre santé de demain à tous. La pêche à la ligne, qui nécessite certes beaucoup de temps ( ce temps médical qu’on veut toujours réduire car il coûterait trop cher ), beaucoup de patience, beaucoup de savoir-faire, beaucoup d’engagement personnel, demeure une technique irremplaçable. En médecine clinique comme sur la mer. La qualité des “prises”, qu’on nous pardonne cette métaphore, n’est tout simplement pas comparable en qualité. Pour finir sur une note gustative, déguster un bar de ligne et se nourrir d’un bar pêché au filet n’ont tout simplement rien à voir.
Car, finalement, et contrairement à ce que nos puissants disent en permanence, ce ne sont pas eux qui décideront de la médecine de demain. Ce ne sera pas non plus les médecins et les soignants, bien trop empêtrés dans leurs intérêts immédiats. Ce seront les citoyens. Si toutefois ils cessent un peu de se laisser berner par des manipulateurs d’opinion pour, enfin, juger et décider par eux-mêmes.


NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal pour le faire, il ne faut vraiment pas s'en priver, ami lecteur. Si ce texte vous touche, vous plaît, vous déplaît ou vous semble mériter telle ou telle réponse, d'un simple clic sur le lien "Lui écrire" en haut de page, un courrier électronique de votre part parviendra à l'auteur.
FMM, webmestre.

 


Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html




Os court :« Écrire, c'est une façon de parler sans être interrompu. »
Daniel Prévost ( transmis par Ph.D.)


Recherche sur le site Exmed.org par mot clé :

______________________
Lire la LEM 447 Faut-il avaler cette pilule ? de Nicole Bétrencourt

Lire la LEM 446 Le carré des cliniciens perdus de François-Marie Michaut

Lire la LEM 445 Résister de Françoise Dencuff