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 N° 461
 
 
 
    28 août 2006
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Systémiquement parlant (3)

Docteur François-Marie Michaut Lui écrire

Dans les deux premières LEM n° 453 et 455 consacrées à une tentative d’introduction à ce que nous avons nommé une systémique médicale, quelques notions théoriques élémentaires ont été fournies. Certes, elles ont été accueillies sans entraîner une avalanche de propos hostiles ou indignés. Mais, le silence qui s’en est suivi est particulièrement digne d’intérêt et de réflexion. Tout se passe comme si nos confrères se sentaient particulièrement mal à l’aise, et même avaient franchement peur d’élargir leur horizon professionnel bien au delà de ce que leurs études leur avaient enseigné. Qu’est-ce qui fait donc tellement obstacle à l’adoption par les médecins du corps d’une analyse systémique des situations pathologiques bien classiques qu’ils soignent à longueur de journée dans leurs cabinets ? L’aspect purement théorique ? Certainement pas, nos lecteurs nous l’ont démontré ici, tout comme je l’ai vécu il y a déjà de nombreuses années quand j’avais organisé et animé un stage de formation continue avec une quinzaine de médecins de la région. Lorsque j’avais répondu à l’appel d’offres d’actions conventionnelles rémunérées ( et oui) par l’Assurance Maladie, mon projet de formation systémique avait été accueilli avec le plus grand intérêt par le Fond d’Action Formation.

retrouver la confiance

Pourquoi donc, nous les médecins avons-nous tant de mal à passer à l’acte de l’analyse systémique au cours de nos pratiques ? Il me semble, chacun a parfaitement le droit de ne pas partager cette idée, que la raison est la suivante. S’il veut placer sa façon de voir les choses de la maladie sur le plan des systèmes en oeuvre, le praticien doit effectuer une double gymnastique personnelle. Selon la formule bien classique de Balint, en parlant de tout autre chose, le thérapeute doit procéder à un changement limité mais considérable de sa personnalité professionnelle. En fait, le médecin doit prendre clairement conscience qu’il lui faut renoncer à s’ériger en juge. Certes, le serment d’Hippocrate, tout comme la tradition psychiatrique nous disent bien que nous n’avons pas à juger, à dire où est le bien et le mal. Mais ... la pression sociale est tellement forte, on attend tellement des médecins qu’on ne cesse de nous demander de dire ce qui est droit, comme ce qui est tordu, si on veut bien me pardonner ce jeu sur le sens des mots. Alors, quand nous sommes immergés - pas moyen d’y échapper - dans le jeu des interactions entre les différentes personnes, nous laisser aller à parler, et même à penser, comme un juge du sain et du malsain, quand il ne s’’agit pas même du bien et du mal d’une relation humaine, c’est nous priver de toute possibilité de compréhension des différentes forces en jeu dans la relation. Jusque là, il me semble qu’un nombre non négligeable de soignants, du moins ceux qui ont eu la possibilité de bénéficier d’une formation approfondie, peut comprendre cette façon de voir les choses.

restaurer la conscience

 Là où cela se corse, c’est quand on va plus loin. La “neutralité bienveillante” dans la relation de soins, même si elle demeure de fait un idéal, est, hélas, encore insuffisante. Car le médecin, pour tout ce qui concerne sa relation avec les patients et leur entourage doit encore se tenir soigneusement à l’écart d’un autre rôle dans lequel tout le monde veut le faire aller, celui de conseiller. Attendez, ne sautez pas au plafond trop vite, s’il vous plaît. Nous sommes bien d’accord que la formation des thérapeutes, et toute leur expérience personnelle leur permet, et même leur impose souvent de donner des conseils dans le domaine bien limité de leurs connaissances professionnelles. Il n’y a pas si longtemps que cela, au temps où le médecin composait lui-même ses remèdes, sous forme de prescription magistrale, que le pharmacien était chargé de préparer dans son officine, une formule rituelle figurait en tête de l’ordonnance. C’était la suivante : Je conseille. Le médecin n’est pas en position d’imposer quoi que ce soit à qui que ce soit, et heureusement.

renforcer la compétence

Il doit parvenir à convaincre le malade que ce qu’il propose pour améliorer sa santé, comme au non malade pour éviter de le devenir est pertinent et conforme aux connaissances médicales reconnues du moment. Que la tentation de la manipulation, soit pour le bien du patient, soit pour le bénéfice personnel du soignant, demeure toujours présente ne peut surprendre personne. Là où la position de “conseiller” devient anti-thérapeutique, n’ayons pas peur de le dire, c’est quand le professionnel se laisse aller à donner des avis sur des choses qui sont hors de sa compétence médicale ( ou psychologique, cela va de soi). Quand, par exemple, un soignant se permet de recommander à telle ou telle personne de prendre ou ne pas prendre telle décision dans sa vie ( par exemple adopter un enfant, partir en vacances ou divorcer), il se disqualifie définitivement pour comprendre comment fonctionne le système des interactions de son patient. Il s’est fait aspirer et est devenu un acteur comme les autres du système.
La formulation de ces deux écueils courants de la pratique médicale est déjà complexe, peut-être même incompréhensible, voir scandaleuse pour un grand nombre. Parvenir à ce que les jeunes médecins puissent éviter de tomber dans ces pièges, dangereux avant tout pour les patients, et la qualité de la relation thérapeutique, donc des soins, ne semble, hélas, pas encore envisageable. Il y a tellement à apprendre dans nos métiers que la façon dont nous mettons en oeuvre ces connaissances ne semble pas prise en compte par nos systèmes universitaire et hospitalier. La compétence médicale technique, certes, c’est indispensable, c’est nécessaire mais ... c’est très insuffisant.
Toutes les tentatives de standardisation, de guides de bonnes pratiques, d’arbres de décision, de contrôle sont des illusions de planificateurs en chambres. Elles sont vouées à l’échec parce qu’elles passent à côté de l’essentiel. Ce sont de véritables enseignants de médecine clinique - en particulier de médecine générale- dont nous avons besoin. Des hommes qui puissent aider au cas par cas, pas de façon globale, leurs confrères à se poser les questions les plus importantes sur la pertinence de leur attitude relationnelle avec leurs patients et ... leur entourage. Personne n’entend actuellement ce point de vue ? C’est possible, mais nous le répéterons aussi longtemps que nous, et bien d’autres, le pourront.
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FMM, webmestre.

 


Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

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