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 N° 509
 
 
 
     30 juillet 2007
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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La question de la pluridisciplinarité  

Photo de l'auteur Docteur Françoise Dencuff lui écrire

Le domaine de la santé se réveille enfin à une notion qui pourtant parait essentielle à la prise en charge du malade : la pluridisciplinarité. Entre les grands discours empreints des meilleures intentions du monde, les nouvelles lois concernant le dossier médical partagé, le dispositif d’annonce en cancérologie et la mise en place des réseaux de soins, la prise de conscience de la mise en commun des savoirs commence à déranger l’individualisme des soignants. Sans compter les jeux de pouvoir toujours prêts à faire voler en éclat les tentatives de consensus.
Quoi qu’il en soit ce qui restait du domaine de la relation « amicale » devient une obligation avec évaluation. Mais qu’est ce donc que la pluridisciplinarité ?

retrouver la confiance

Pour la première fois j’aurai voulu que l’ordre rituel des chapitres de cette LEM fût différent. Il est en effet difficile de restaurer la confiance dans cet échange de savoirs sans acquérir ces savoirs, c’est à dire sans renforcer nos compétences. En l’occurrence une définition et une analyse de ce concept de pluridisciplinarité.
Une rapide interrogation au libre service de la toile m’a dirigée vers une conférence particulièrement bienvenue d’André Bourguignon, médecin psychiatre mort en 1996. Cet exposé a été inclus aux documents de synthèse du Congrès de Locarno en mai 1997 (organisateur CIRET-UNESCO). Son titre m’a intriguée : de la pluridisciplinarité à la transdisciplinarité. Y aurait-il donc plus complet, plus agissant pour aborder la connaissance ? Cette pluridisciplinarité si complexe à mettre en œuvre ne serait-elle pas la panacée ?
Pour le Pr. Bourguignon, dans la pluridisciplinarité plusieurs disciplines s'associent pour étudier un objet commun dont aucune ne peut observer tous les aspects avec les seules techniques dont elle dispose. L’objectif de la pluridisciplinarité est donc simplement l’étude d’un objet. Plus large et plus ambitieuse, la notion d’interdisciplinarité : dans l’interdisciplinarité se manifeste la nécessité d'établir une coopération entre des disciplines autonomes en vue d'élargir la compréhension d'un domaine particulier ou d'atteindre un objectif commun.
Cette dernière définition me parait convenir déjà mieux à l’objectif commun qui serait de soigner une personne.

restaurer la conscience

Si je m’essaie à une interprétation, je dirais que la pluridisciplinarité permet de mettre en commun les outils et les savoirs en vue d’un diagnostic : un cancer du foie ou une maladie de parkinson…
L’interdisciplinarité, quant à elle, permettrait d’avancer dans la recherche des traitements par exemple.
Rien de bien difficile à première vue et pourtant ces deux niveaux de mise en commun de savoirs et de compétences, bien qu’utilisés tous les jours, sont encore le terrain privilégié de toutes les compétitions. A qui reviendra le privilège de voir son nom à la fin d’un article dans une revue scientifique ? Pour les patients il est peut-être utile de préciser que les publications sont une part indispensable dans la course aux postes de professeurs ou à la distribution plus ou moins généreuses de subventions. Autrement dit, qu’elles soient pluri ou inter, les nombreuses disciplines qui entrent dans la prise en charge d’une maladie ont pour objectif son diagnostic ou sa découverte et celle des traitements.
[Curieux ce terme de discipline. Son origine étymologie (docte) a donné tout à la fois les mots liés à l’enseignement, à celui qui enseigne (y compris docteur), à celui qui apprend et à l’action de punir (discipliner)…]
Pour A. Bourguignon, si la pluri et l'interdisciplinarité représentent un progrès dans la mesure où elles mettent au jour les liens qui unissent les disciplines et où elles enrichissent et unifient la connaissance, il n'en reste pas moins qu'elles ne modifient pas fondamentalement l'attitude de l'Homme face à la recherche et au savoir.

renforcer la compétence

Quelle attitude permettrait alors de tenir compte que dans toute observation les résultats sont obligatoirement influencés par l’observateur ? Dans le cas qui nous occupe, le médecin, le contexte, l’histoire des protagonistes, etc. entrent forcément en jeu dans la prise en charge de la maladie et surtout du malade.
C’est à Piaget, en 1970, que nous devons l’arrivée en scène de la notion de transdisciplinarité : à l'étape des relations interdisciplinaires, on peut espérer voir succéder une étape supérieure qui serait " transdisciplinaire ", qui ne se contenterait pas d'atteindre des interactions ou réciprocités entre recherches spécialisées, mais situerait ces liaisons à l'intérieur d'un système total sans frontières stables entre les disciplines.
En novembre 1994, le 1er congrès mondial de la transdisciplinarité a adopté une charte dont A. Bourguignon nous résume les principaux articles :
La transdisciplinarité est incompatible avec une réduction de l'Homme à une structure formelle et à une réduction de la réalité à un seul niveau et à une seule logique.
La transdisciplinarité offre une nouvelle vision de la Nature, en ouvrant les disciplines à ce qui les traverse et les dépasse. Elle va au-delà du domaine des sciences exactes qu'elle doit réconcilier avec les sciences de l'Homme.
La transdisciplinarité situe l'Homme dans l'Univers. Elle postule que l'économie doit être au service de l'Homme. Elle dialogue avec toutes les idéologies humanistes et non totalitaires.
Cette notion de transdisciplinarité a émergé avec les recherches en physique quantique et la notion de niveaux de réalité ainsi que l’exprime Niels Bohr dans un article en 1955 : " Le problème de l'unité de la connaissance est intimement lié à notre quête d'une compréhension universelle, destinée à élever la culture humaine. "
Dans la perspective de l'histoire de l'Univers, telle qu'elle est représentée dans le modèle standard de la cosmologie, il est permis d'avancer que plusieurs niveaux de réalité ont émergé successivement et se sont superposés les uns aux autres depuis le big bang jusqu'à l'apparition de l'Homme moderne : niveau quantique, niveau physique classique, niveau biologique, niveaux psychiques et autres)
A la simple énumération des niveaux de réalité, force est de constater que chacun a ses lois et propriétés spécifiques, bien que dépendantes de celles des niveaux sous-jacents. Comme ces lois et propriétés peuvent être définies - mais non pas expliquées - sans prendre en compte celles des niveaux sous-jacents, chaque niveau donne l'impression de transcender ceux dont il dépend. Ainsi, la psychologie est capable, dans certaines limites, de se développer en discipline autonome sans avoir à connaître de la neurobiologie, jusqu'au jour où la connaissance de celle-ci permet seule d'expliquer certains phénomènes.
Nous devons à Descartes la « parcellisation » des savoirs dans un souci d’efficacité.
Mais pour A. Bourguignon ce clivage entre sciences et techniques et les autres domaines de la culture a aussi entraîné un clivage à l’intérieur même des individus .
Quant à l'individu, égaré devant un savoir immense et morcelé, entraîné par le culte de l'efficacité à tout prix, il s'est trouvé détourné de sa vie intérieure. Pour lui, la vie n'a plus eu d'autre sens que de jouir des facilités de la société de consommation, et le monde est devenu un monde privé de sens dont l'évolution semble vouée aux contraintes du hasard et de la nécessité.
Si chaque discipline, en s'approfondissant, révèle toujours davantage de la complexité des structures et des processus, la transdisciplinarité, elle, révèle un autre aspect de la complexité, celui des échanges et des interactions entre les constituants de l'Univers, de la Terre et de l'Homme.Cette notion de transdisciplinarité n’est-elle pas l’essence même de la médecine ?Un rêve ?, une utopie ?, une exigence ! Ne nous contentons pas d’un échange parcimonieux de savoirs ou de moyens.
On nous rebat les oreilles avec une intention en forme de slogan : mettre le malade au centre du système de soins. Pour l’instant un voeux pieux et incomplet. C’est la personne, le sujet comme diraient nos amis psychanalystes, qui doit être au centre, pas seulement le malade comme si son identité changeait du fait de la maladie.
Cette notion de transdisciplinarité fait écho à un thème fréquent abordé sur ce site : la systémique. Sachons être généreux dans nos objectifs, osons aller vers l’intégration systémique pas uniquement vers la pluridisciplinarité.
Et A. Bourguignon de conclure : Face au développement accéléré et envahissant des techno sciences, elle [la transdisciplinarité] voit dans l'application de l'esprit transdisciplinaire à toutes les dimensions de la vie humaine un moyen de changer l'orientation de notre civilisation. Il s'agirait en somme de retourner le projet cartésien en unifiant le savoir morcelé et en substituant à l'efficacité et à la maîtrise des techniques la poursuite du développement de l'Homme.
En forme de clin d’œil à l’un de nos rédacteurs, n’est-ce pas à Louis Pasteur que nous devons la réflexion suivante : un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science y ramène… ?

PS : pour les curieux (ses) : http://nicol.club.fr/ciret/index.htm
Toutes les phrases en italiques sont celles de la conférence d’A. Bourguignon. http://nicol.club.fr/ciret/locarno/loca5c1.htm

 


Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html




Os court :«La santé, c’est d’avoir mal tous les jours à un endroit différent. »
Michel Chrestien


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