EXMED.org Lire toutes les LEM
La Lettre d'Expression Médicale
Exmed.org

retour sommaire
 
 
 
 
 
 
 
 N° 524
 
 
 
    12 novembre 2007

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
      Pour s'inscrire 
 
     
     toutes les lem depuis 1997

La Bérezina du dossier médical du patient (DMP)

Photo de l'auteur G. Nahmani et F-M Michaut photo fmm leur écrire

Le magazine Le Point du 1er novembre se fait l’écho d’un rapport signé de l’inspection générale des affaires sociales, de celle des finances ainsi que du conseil général des techniques de l’information. En ligne de mire, se trouve ce fameux dossier informatisé inclus dans la verte carte Vitale dont la généralisation à toute la population de France a été décidée par Douste-Blazy en 2004.

retrouver la confiance

Comme bien souvent, l’idée était généreuse : il s’agissait de rationaliser un peu plus les soins de santé, et ainsi d’en diminuer le coût. Les concepteurs de ce DMP avaient même tellement confiance dans leurs calculs qu’ils nous avaient promis une économie de 3,5 milliards d’euros par an, voire plus. La date de mise en place avait été fixée au 1er juillet 2007. Or, nous n’avons rien vu venir du tout. Nos inspecteurs sont allés plus loin : ils ont chiffré les investissement nécessaires à la mise en place de ce DMP. Cela représente la bagatelle de 1,1 milliard d’euros par an sur 5 ans, sans aucune garantie sur la possibilité de réaliser des économies. En un mot, les experts n’ont absolument aucune confiance dans le projet de DMP.

restaurer la conscience

Les méthodes utilisées pour mener ce projet de DMP font l’objet des plus vives critiques. Voici l’une des remarques des auteurs : « Les modalités de lancement de ce projet , en font un antimodèle de gestion publique, le parfait exemple de tout ce qu´il faut faire pour conduire à l´échec d´un projet de portée nationale ». Depuis, le début, et déjà mis en garde par toutes les dérives que nous avons pu voir sur Internet, nous n’avons cessé d’affirmer qu’il était impossible d’assurer la confidentialité des données de la vie de chacun avec de tels systèmes informatisés. Les citoyens doivent avoir pleinement conscience de l’importance du respect absolu du secret médical. C’est un des fondements majeurs de nos libertés démocratiques. Nul doute que la commission nationale informatique et liberté (CNIL) ne se contentera pas de déclarations d’intention de nos gouvernants pour autoriser la mis en place de ce DMP. Déjà en refusant en janvier 2007 que le numéro d’assuré social soit utilisé pour identifier ce DMP, la CNIL a frappé un coup de semonce sévère.
On est visiblement dans une impasse. Ce projet est une erreur, c’est tout. Pour un médecin, l’erreur fait partie de son exercice quotidien : il ne sait pas tout, il ne peut pas tout, et il lui arrive de se tromper.
Alors nos inspecteurs concluent-ils à l’urgence d’arrêter la mise en œuvre du DMP ?
Oui, ce serait simplement logique. Mais, ils disent finalement qu’il faut continuer. Continuer pour le bien des malades, pour la qualité des soins de santé, ou même, rêvons un peu, pour que les soignants puisent exercer plus sereinement leur travail ?
Vous n’y êtes pas du tout. Pour eux, interrompre le projet conduirait à « ruiner la crédibilité de l´État ».

renforcer la compétence

La crédibilité de l’Etat, dites-vous ? Parlons-en, et avec un guide averti (1 ).
Nous nous souvenons que depuis 1974, nous avons connu 20 plans de réforme de la sécurité sociale. Pas un seul n’a réussi. Et pourtant, rien qu’entre 1974 et 1980, pas moins de 17 rapports et expertises sur le déficit de la sécurité sociale sont parvenus sur les bureaux ministériels.
Que deviendrait un chirurgien qui, au bout de 20 opérations chez un patient ( ô combien ) ne serait pas parvenu à traiter sa maladie ? Qu’en serait-il de sa crédibilité ? Ne l’aurait-on pas, et depuis longtemps, interdit définitivement de soigner des malades ? Crédibilité zéro garantie et chômage inévitable.
En 1994, ont été lancés à grand bruit les carnets de santé bleu et jaune. Une bagatelle de 42 millions de ces petits livrets de papier ont été envoyés aux assurés sociaux. Alain Juppé n’hésitait pas à parler d’un “ formidable outil”. Nos responsables de l’Etat n’ont pas reculé devant les injonctions autoritaires. Obligation fut faite de présenter son carnet à tout médecin consulté pour les assurés, et obligation à chaque praticien de l’exiger de son patient. Que se passa-t-il alors ? Personne ou presque n’obéit à ces ordres, et le carnet passa vite à la poubelle. Le résultat fut que nos cotisations d’assurés sociaux ont payé, en pure perte, 38 millions d’euros pour ce “formidable outil”.
Le DMP, même si on le qualifie pompeusement de “mémoire médicale de tout assuré “ n’est que la réédition du carnet de santé 1994 qui a été un échec absolu. Il n’y aucune raison que le fait de moderniser le support prévu change quoi que ce soit à la méfiance énorme que suscite chez tous ce genre d’outil de contrôle de ce qu’il y a de plus intime dans notre vie.
Quant au fonctionnement du DMP, il nous coûterait la bagatelle “ sans doute d’un milliard d’euros par an “ selon les spécialistes de l’informatique de santé. A condition encore qu’on parvienne à pouvoir faire dialoguer entre eux les quelques 141 logiciels qu’utilisent les médecins dans leurs cabinets. Passons sur les autres aspects techniques et éthiques non résolus.
Quand on pense que ce DMP est présenté comme l’un des deux piliers principaux de la réforme de 2004 de la sécurité sociale, confiance, conscience et compétence ne sont hélas pas du tout au rendez-vous. Il serait important que chacun comprenne bien qu’aucun de nous, malade passé-présent-à venir ne peut accepter de voir sa réalité unique n’être réduite qu'à un dossier ( aussi sophistiqué soit-il). Chacun, même s’il n’en a pas clairement conscience, comprend que c’est ainsi son humanité qu’on réduit de cette façon. Chacun comprendra rapidement que contraindre les soignants à devenir les serviteurs et les esclaves de cette médecine sacrifiant tout au dieu dossier, c’est les pousser vers une négation de tout humanisme dans les soins. Nous entendons par là que ce n’est plus l’homme en difficulté qui est au centre de tout, mais sa pâle et caricaturale image numérisée bien enfermée dans une immense machinerie anonyme. Plus que jamais, la question de qui doit dominer quand il s’agit de notre santé, la machine ou l’homme se trouve posée.
Alors, lorsque notre ministre Roselyne Bachelot, en réponse au rapport de l’IGAS cité plus haut, repousse à 2018 la mise en œuvre du système, on se croit encore sur un stade de rugby. Pour éviter un carton rouge, on botte en touche ... loin devant. Mais, attention, nos dirigeants, nous avons de la mémoire, nous les citoyens, et le temps aboli des sujets des rois ne fait pas de nous des assujettis aveugles et muets.

(1) G. Bardy, Le livre noir de la santé, éditions L’Archipel, 2007.

 


Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html




Os court :« Même quand j’aurai un pied dans la tombe, je flanquerai l’autre au derrière de ce crétin.»
Georges Clémenceau, médecin et homme politique


Recherche sur le site Exmed.org par mot clé :

______________________

Lire La LEM 523 Effets et ... bienfaits de la cigarette au travail - Bruno Blaive

Lire La LEM 522
Chasseurs de têtes ... médicales - François-Marie Michaut

Lire La LEM 521 Les médecins vous font-ils peur ? Françoise Dencuff