EXMED.org Lire toutes les LEM
La Lettre d'Expression Médicale
Exmed.org

retour sommaire
 
 
 
 
 
 
 
 N° 558
 
 
 
    21 juillet 2008
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
      Pour s'inscrire 
 
     
     toutes les lem depuis 1997

Le courrier confraternel

Photo de l'auteur Docteur François-Marie Michaut lui écrire

Bien souvent, le déroulement d’une consultation médicale est ponctué par la lecture d’une lettre écrite par un autre médecin. Le malade, ayant plus ou moins résisté à l’envie d’en lire le contenu à l’avance, peut l’exhiber fièrement dès le début de la rencontre, ou elle peut être parvenue par courrier électronique ou postal sur le bureau du praticien.

retrouver la confiance

Pendant bien longtemps, je dois avouer que je me suis régulièrement précipité sur la prose confraternelle, tout en écoutant d’une oreille distraite ( comment ne l’eût-elle pas été ? ) ce que le patient souhaitait alors me dire. Il m’a fallu bien des années avec des patients particulièrement difficiles, et de multiples désillusions, pour remettre en question ma façon de faire.
Commencer la consultation en prenant d’abord en compte l’avis d’un confrère, c’est signifier deux choses à son patient.
D’abord, qu’il existe une alliance forte entre les médecins. La croyance, totalement fausse, qu’il existe une solidarité automatique entre les praticiens, a encore la vie dure dans l’imaginaire populaire. La lettre isole ainsi un patient face à une alliance de deux médecins. Quel déséquilibre dans la relation !
D’autre part, c’est une façon de signifier qu’il y a deux paroles pour le médecin. Celle du confrère, qui est visiblement prioritaire, puisque c’est celle dont on prend d’abord connaissance et celle du patient, de valeur secondaire, puisqu’elle ne peut survenir qu’ensuite ou en distraite surimpression.
Autrement dit, en déchiffrant immédiatement les mots médicaux, pas toujours bien écrits, ni au niveau de la graphie, ni au niveau de la syntaxe ou de la pertinence, je donne un bon coup de couteau à l’établissement ou au maintien d’une relation de confiance.
Faire confiance à mon patient, et lui faire sentir qu’il en est ainsi, c’est d’abord l’écouter lui.

restaurer la conscience

Pourquoi est-il venu en consultation ? Même si c’est simplement pour renouveler le traitement d’une affection chronique ou pour effectuer un contrôle de routine, il est très important que le patient formule, dans la stricte mesure de ses moyens et capacités d’expression ( et non en singeant le jargon médical), ce qu’il attend de son médecin. Comme je l’ai souvent expérimenté, le praticien a souvent intérêt a reformuler la demande du patient, lui laissant ainsi la porte ouverte pour dire ce qu’il n’avait pas osé exprimer d’emblée. Ainsi en est-il, par exemple des problèmes sexuels, d’addictions ou psychologiques camouflés derrière des motifs plus facilement abordables.
Si cette écoute initiale est soigneuse, et cela demande toujours un investissement personnel important du soignant, et un entraînement qui ne se trouve dans aucun livre ou cours, le sentiment pour le patient d’être pris en compte comme il le souhaite est au rendez-vous. Les mensonges, omissions et autres tentatives de manipulation d’un côté ou d’un autre, n’ont plus alors aucune raison d’être. Ou ils ont été mis à jour. Alors, et alors seulement, peut et doit survenir un examen clinique qui a un sens, qui n’est pas une sorte de rite désincarné et systématique qui fait du patient un objet. Ce qui veut dire qu’il est au cours de son exécution commenté et expliqué au patient, même très brièvement.

renforcer la compétence

Et, c’est seulement quand le médecin s’est fait sa propre opinion sur la situation qui pose problème à son patient que devrait survenir la lecture de ce que les autres médecins ont eux-mêmes détectés, et les solutions qu’ils ont envisagé. Là encore, savoir commenter ces renseignements médicaux complémentaires est une bonne stratégie.
En évitant de tenter de démontrer que, vraiment, on est un bien meilleur médecin que les autres. Critiquer un confrère, mettre en cause sa compétence est une attitude de médecin immature, car, avec le temps, on apprend qu’en agissant ainsi avec les patients, c’est soi-même dont on déconsidère la crédibilité. Donc aucun altruisme dans cette attitude ; un solide et bien pensé égoïsme, tout simplement.
L’expression médicale est un art. Au sens premier et fort du terme d’art, un véritable métier. De sa qualité dépend directement la qualité des actes médicaux fournis. Infiniment plus que de la qualité technique ou scientifique, qui est, très généralement, d’un niveau moyen de bonne qualité.
Alors, qu’enfin on ose, cette expression médicale, la cultiver ouvertement, dire sans cesse, et même dans les disciplines les plus “techniques” de l’enseignement, son importance, donner aux soignants la possibilité d’avoir assez de temps, de disponibilité et de possibilité de gagner correctement leur vie en s’y investissant sans que ce soit considéré comme une perte de temps, et donc d’argent. Mais, bien au contraire, comme la seule façon logique de travailler proprement ... donc, par voie de conséquence, économiquement (1).
Tout le monde a tout à y gagner. Patients, soignants et organisateurs des rouages de notre système de santé. Notre modernité perdra-t-elle assez ses oeillères habituelles pour en comprendre l’urgence : enfin des médecins qui au lieu d’être dégoûtés de ce qu’on a fait de leur métier unique retrouveraient le plaisir et la fierté légitime d’être de vrais médecins. Des médecins heureux, vous vous rendez compte de la façon dont soigneraient beaucoup mieux les hommes qui ont besoin d’eux ?

(1) Au lieu, comme nos gouvernants le font depuis des dizaines d’années, de partir de la position inverse qui est d’imposer des dispositifs techniques et ou réglementaires censés par eux-mêmes - bien à tort - générer des dépenses moindres.



Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html




Os court :<< Beaucoup de gens se plaignent de l’immoralité de notre temps, mais qui empêche les gens qui veulent être moraux de l’être ?>>
Johan Wolfgang von Goethe ( 1749-1832 )


Recherche sur le site Exmed.org par mot clé :

______________________
Lire la LEM 557 Pour une Renaissance médicale - Gabriel Nahmani

Lire la LEM 556 Le foin du Diable - François-Marie Michaut

Lire la LEM 555 Plaidoyer - Françoise Dencuff