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 N° 567
 
 
 
    22 septembre 2008
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Tête par dessus cul

Photo de l'auteur Docteur François-Marie Michaut lui écrire

Cul par dessus tête, ainsi parle-t-on avec une verdeur médiévale depuis le XVème siècle de ce que notre pruderie actuelle a aseptisé en sens dessus dessous. Ce que j’avoue avoir longtemps cru être sans dessus (ni) dessous ! Pourquoi donc inverser ici l’ordre anatomique de cette expression ?
Une fois encore, c’est du système de soins de santé tel qu’il existe, qu’il s’agit ici. A la française, il est construit sur un modèle rigoureusement pyramidal. Au sommet, pour ne pas dire à la tête, règne le pouvoir politique fortement centralisé. C’est lui qui édicte les règles, détermine les orientations à privilégier et celles qui sont négligeables, qui a la charge des enseignements et des formations, du contenu et de la valeur scientifique et pratiques des diplômes et des conditions d’exercice.

retrouver la confiance

Les luttes contre les grands fléaux infectieux d’antan, comme la syphilis, le choléra et la tuberculose, avec le triomphe de l’hygiène et des vaccinations ont beaucoup contribué à la confiance que le public a accordé à la puissance publique pour prendre en charge notre santé collective. Que la loi régisse aussi bien le monopole de l’exercice de la médecine aux seuls docteurs en médecines que les vaccinations obligatoires a inscrit dans les esprits l’importance majeure des politiques de santé votées par nos élus. Puis vinrent de terribles événements qui ont conduit à ce que la presse a nommé en 1985 le scandale du sang contaminé. Point ultime de toute une dérive de collusions occultes entre différents pouvoirs politiques, médicaux, scientifiques, économiques et industriels.
Depuis, la confiance que nous avions dans la direction nationale de notre système de santé a été pulvérisée, et rien, malgré tous les efforts effectués depuis des dizaines d’années par les gouvernements successifs, n’a permis de la rétablir. Oh, personne ne le dit ouvertement, et chacun semble croire poliment aux promesses d’avenir idéal pour notre santé à tous dont nous sommes abreuvés.
Le sommet théorique de notre pyramide s’est disqualifié lui-même. Alors que nous reste-t-il pour diriger le système ?

restaurer la conscience

A ce niveau intermédiaire de notre système de santé, la lutte pour le pouvoir est féroce. Car plusieurs institutions majeures souhaitent faire prévaloir leur domination sur toutes les autres. Pour schématiser ce propos, regroupons-les en trois secteurs.
- Celui des assureurs, avec en tête la sécurité sociale obligatoire, dont le budget est supérieur à celui de l’Etat. De quoi aiguiser des appétits, n’est-ce pas ?
-Celui des pouvoirs financiers et industriels, industrie pharmaceutique en poupe, qui ont fort bien compris la gigantesque importance économique du secteur de la santé pour l’avenir.
-Et, enfin, celui des professions de la santé, avec toutes leurs variétés, leurs systèmes scientifiques, de formation, de défense professionnelle, leurs hiérarchies internes multiples, avec toutes les querelles et divisions que cela implique.
Pour compliquer encore un peu le tableau, le jeu des alliances entre ces différents pôles, au gré des intérêts du moment des uns et des autres, et des besoins du moment des politiques, rend opaque aux yeux des citoyens le fonctionnement de notre système et la direction même de notre prétendue politique de santé.
Au ras du sol, nous retrouvons les citoyens, comme vous et moi, simples mortels dont la santé est toujours si problématique. C’est, bien entendu, en notre nom à tous, et la main sur le coeur pour nous convaincre de leur volonté de nous soigner au mieux, que tous les pouvoirs énumérés ci-dessus lancent toutes leurs initiatives, leurs plans, leurs réformes, leurs lois et leurs règlements.
Mais, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour observer que nous sommes de plus en plus nombreux à avoir une conscience aiguë que la confiance ne règne plus entre les différents éléments de ce grand système.

renforcer la compétence

Alors, continuer à se gargariser de nouveaux plans de réforme pour corriger tout ce qui ne va pas dans le monde de la santé ? Ça ne marche pas, et continuer à vouloir faire toujours plus de la même chose, selon la formule de Watzlawick, est un moyen garanti de ne parvenir à rien. Que faut-il alors changer ? L’idée est tellement simple qu’elle peut faire sourire les esprits forts.
Retournons notre pyramide. En haut, au sommet, plaçons les utilisateurs du système de soins. C’est à eux, à eux seuls, de faire savoir ce qu’ils attendent de leurs soignants, de décider la quantité d’argent qu’ils sont disposés à consacrer pour cela, de dire leurs priorités et ce dont ils ne veulent pas ou ne veulent plus.
Ce n’est pas techniquement infaisable à l’heure de l’informatique, ces sortes de cahiers des doléances comme ceux des États Généraux de 1789.
Bien entendu, des débats publics naîtraient. Il va de soi que tout n’est pas possible techniquement, scientifiquement, économiquement, humainement. Il est certain l’on ne peut pas vivre éternellement, que la maladie, l’infirmité, la souffrance physique et psychologique, les inégalités culturelles, intellectuelles et sociales, le malheur sont nos compagnons inévitables. Et que la médecine ne peut pas, et ne doit pas, régler tous nos tracas.
C’est aux différentes institutions concernées de répondre clairement et honnêtement aux citoyens sur nos possibilités de répondre à ses attentes. A elles d’oser dialoguer, écouter et échanger. Et dire non quand il le faut.
Et à partir de là, c’est à chaque institution de faire son travail pour construire le système de santé vraiment adapté à sa mission première : donner les meilleurs soins possible, tant curatifs que préventifs, aux hommes de notre société telle qu’elle est, et non telle que nos hommes de cabinet, de chiffres et d’écrans l’imaginent à notre place.
Ainsi, et seulement ainsi, peut être enfin mis en ordre - et pas remis, notez-le bien - un système de santé digne d’un pays aux multiples ressources. La tête bien sur les épaules, et les pieds solidement ancrés dans la réalité de notre humaine condition. Autrement dit, et pour revenir à notre titre gentiment provocateur : tête par dessus cul.

 


Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

 


Os court : <<Le cul est la chose du monde la mieux partagée.>>
Antoine Blondin


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