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La Lettre d'Expression Médicale
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 N° 621
 
 
 
       5 octobre 2009  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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L'humour médecin

Dr Cécile Bour Docteur Cécile Bour lui écrire

xxxNous n'avons pas la même égalité des chances devant l'humour. Sa finalité, nous la connaissons, il sert à faire passer des idées, à nous rendre populaires vis à vis d'un auditoire, à avouer plus facilement une bévue, à conquérir l'âme soeur... Mais qui pratique l'humour, le vrai, pas le comique genre entartage ou grimaceries funèsiennes ? L'humour passe généralement par le verbe, et il comporte de façon plus ou moins prononcée la contestation, la rebellion.

retrouver la confiance

xxxQui sont les vrais, les grands humoristes, qui nous amusent tant ? Souvent des personnes qui ont la capacité de se distancier de la réalité pour mieux l'observer. Ces gens-là possèdent un fond de "dépression désabusée" dans leur regard sur leur temps et leurs concitoyens , et une aptitude à transformer leurs angoisses , leurs déceptions, leurs phobies , bref leur souffrance, en une dérision salutaire, qui leur permet, à notre plus grand plaisir, de se gausser de ces choses déplaisantes, façon aussi pour eux de les surmonter. C'est pour cela que fréquemment les humoristes, en privé, sont décrits comme des personnes difficiles à vivre et traversant de graves crises existentielles. On peut donc conclure que les gens les plus dénués d'humour seraient ceux qui ne se posent jamais de question, sont toujours en accord avec eux-mêmes, et qu'il est préférable de posséder un stock d'angoisses, de dépressions et d'être mal dans sa peau pour faire rigoler.

restaurer la conscience

xx   Sans être mal dans sa peau, on peut prétendre à juste titre que le médecin, régulièrement confronté à la maladie et à la mort, côtoie et enregistre tout au long de ses études, puis de son exercice, son lot de destins frappés par la maladie, et de malheurs en tous genres. Lui aussi a des angoisses à gérer, les siennes et celles des autres. Lui aussi est dans un état de rebellion, de contestation face à un corps qui fait faillite, face à ses propres limites et sa lutte dérisoire à combattre l’issue finale de son patient. Ses phobies, ses déceptions, ses échecs, il les transforme de la même façon en dérision, pour mieux les surmonter.
Le mot humour a une connotation différente selon les latitudes, chez les Italiens « umorismo » fait référence à des facéties et des boutades divertissantes, chez les Anglais, « humour » constitue plutôt un sens subtil de la compréhension humaine, presque cynique, de façon désinvolte et avec une moquerie blasée. Le médecin peut utiliser l’humour, s’il a la chance d’en être pourvu, tout simplement pour détendre l’atmosphère. L’humour permet de dédramatiser et d’atténuer la charge mélancolique et aussi anxiogène liée à la maladie, ressentie par le médecin comme on l’a vu plus haut, mais aussi et surtout par le malade. Finalement le médecin est humain, tout comme le malade, et l’humour, bien dosé, évidemment, et employé à propos, rassemble dans une communauté humaine les deux protagonistes. La connivence qui en résulte conduit à une mise en confiance du patient, par le fait qu’il sent l’empathie du médecin par rapport à son sort. L’empathie étant la capacité de partager les sentiments et les souffrances d’une autre personne, il est évident que le médecin , tout comme n’importe quel autre humain, ne possède pas une « réserve émotionnelle » suffisante à éponger toutes les peines de sa patientèle. Il le fait dans certaines limites ; l’humour constitue une « soupape de sécurité », peut-être un subtil trait d’union entre la souffrance du malade et la position prééminente du médecin. Dans ce clin d’œil, cette ironie exprimée, malade et médecin sont sur un même plan, et partagent fugacement le même sort, ils sont frères momentanément dans leur vulnérabilité physique et psychique.
L’utilisation de l’humour présuppose néanmoins une bonne capacité de jugement de la part du médecin vis à vis de la personne qui est en face de lui. Le malade peut en être dépourvu, ou ne pas être, le jour de l’entretien, « sur la bonne longueur d’ondes ».
Qui est raillé ? Le malade, le médecin et la mort elle-même sont des sujets de l’humour médical.
Pour comprendre pourquoi l’humour médical existe, il faut d'abord comprendre ce qui provoque le rire. Le rire apparaît lorsqu'une faille intervient dans un état de choses établi. La transformation d'une chose sacrée en un objet profane, périssable, humain, par l'intervention d'un défaut, nous semble ainsi ridicule. Par exemple, la vue d'un monsieur très sérieux , bien vêtu, solennel, représentant l'ordre, en train de glisser sur une peau de banane nous apparaît spectacle parfaitement hilarant. Le caricaturiste ou plus généralement l’humoriste réalise un "portrait-charge" qui a pour but de faire descendre son modèle du haut d'un piédestal qui lui conférait une éternité intouchable. On ne rit donc pas des mêmes choses selon les époques, cela dépend de la vision du monde, de ce que l'on considère comme ordre divin. Ainsi dans l'Antiquité la difformité fait rire; puisque la beauté du corps est sacrée, divine, sa désacralisation est comique. L'homme du Moyen-Age était confronté à une rudesse de vie qui lui faisait redouter la mort. La Mort devient divinité, ainsi tout ce qui y touche est sacré, et la médecine qui s'y oppose semble ridiculement présomptueuse, elle constitue cette faille qui fait rire de par sa prétention, son outrecuidance à vouloir vaincre l'inéluctable, et aussi de par son attachement au corps, cette enveloppe charnelle qui n'est que vanité.
La mort cesse d'être chose divine, ou chose sacrée avec l'évolution de la science. Le savoir transforme la vision du monde, mais si la nouvelle divinité est la Science, le scientifique , lui, est bel est bien accessible aux sarcasmes. C'est lui qui est faillible à présent, on glisse ainsi à travers les époques du corps sacré à la médecine sacrée et c'est le médecin, profane de par ses propres maladies, ses propres erreurs , qui sera désormais et jusqu'à nos jours à l'honneur dans la raillerie, opposé à la divine science de par ce qu'il est précisément un humain.

renforcer la compétence

 xxx   C'est l'avènement du christianisme qui a changé la vision sur le malade, et sur l’infirme. Il est malvenu de se moquer d'autrui, la commisération et la charité sont des valeurs morales placées au-dessus de tout. La douleur d'autrui cesse d'être comique, hormis peut-être la douleur dentaire, inspirant délicieusement les artistes à travers les époques, peut-être en raison de la disproportion entre la petitesse de l'organe et l'immensité de la douleur qu'il occasionne. Bientôt on remarque une régression de la caricature des patients au profit de celle des médecins, de la Renaissance jusqu'au temps de Molière où là, bien sûr, on s'en donne à coeur joie. Le médecin, son attirail, son jargon, sa vêture, ses outils, tout est prétexte à des écrits sarcastiques, dessins, caricatures etc...
Le rire est donc un médecin, un guérisseur des affres moraux, des angoisses charnelles, aussi bien du malade, que du médecin aussi, qui est parfois un malade qui s’ignore plus ou moins volontairement. Le meilleur exemple de la vertu thérapeutique du rire, ce sont les clowns à l’hôpital, ces comédiens drôles officiant dans les services d’hospitalisation d’enfants. Leur rôle est plus important qu’il n’y paraît, ils interviennent dans la sphère du petit malade pour repousser les chaînes virtuelles de la maladie, pour percer la bulle de souffrance qui entoure l’enfant en sachant capter l’humeur et la tension de leur spectateur. Au-delà de la simple distraction, ces docteurs au nez rouge redonnent la place à la vraie vie dans l’enceinte de la maladie, celle ou la désinvolture, la joie, le rêve et l’imagination ont leur place, pour faire un pied de nez, même transitoirement, à la détresse, la souffrance et la solitude.
Alors, à quand la consultation chez un généraliste aux chaussures géantes, et quand verra-t on le spécialiste vous accueillir au cabinet avec un jet d’eau propulsée à travers une petite fleur agrafée à sa blouse ? Allez Mesdames Messieurs les doctissimes, un petit effort d’humour, ou d’  << umorismo >>, que diable !


NDLR : Cette lettre illustre l’article 8 de notre Charte d’Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :

- 8°) Je ne renoncerai pas à protéger les personnes affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou dans leur dignité.



Os court :<< Il vaut mieux ne rien avoir que d'avoir des choses qui ne servent à rien. >>
Pierre Dac


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