EXMED.org Lire toutes les LEM
La Lettre d'Expression Médicale
Exmed.org

retour sommaire
 
 
 
 
 
 
 
 N° 626
 
 
 
       9 novembre 2009  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
      Pour s'inscrire 
 
     
     toutes les lem depuis 1997

Dossier pénal et dossier médical

Dr Philippe Deharvengt Docteur Philippe Deharvengt lui écrire

xxxUne nouvelle fois, les feux de l'actualité sont braqués sur les "poubelles de la République". Comment un violeur d'enfants multirécidiviste a-t-il pu quitter la prison muni d'une ordonnance du médicament le plus connu de l’ insuffisance érectile ( citrate de sildénafil ) , rédigée et signée par le médecin de l'établissement ? Ce confrère s'est justifié ( notamment devant les médias NDLR) en disant qu'il n'avait pas eu connaissance du dossier pénal.
    Loin de moi l'idée d'émettre un quelconque jugement sur la recevabilité de cet argument ; qu'on me permette seulement de remuer quelques vieux souvenirs de médecine pénitentiaire.

retrouver la confiance

xxxPremièrement, il faut savoir que le dossier pénal n'est pas déposé au greffe de la prison, mais au greffe du tribunal. Dans la pratique, voici quel fut mon vécu en la matière.
Chaque matin, en prenant son service, l'infirmière passait au greffe de la prison se faire remettre les clefs de l'Unité Médicale et la liste des entrants avec le motif de l'incarcération, les éventuels traitements en cours, la mention éventuelle d'une intervention médicale ou psychiatrique en urgence, etc... Ces éléments d'information ne sont-ils pas largement suffisants ? Lors de la visite médicale systématique et obligatoire des arrivants, l'infirmière me signalait les motifs d'incarcération pour les détenus dont elle estimait que je devais les connaître, ce qui m'évitait d'avoir à poser moi-même la délicate question au détenu.
    Mais cette pratique, certes nécessaire et suffisante, soulève la question du partage d'informations confidentielles entre le personnel pénitentiaire et le personnel médical. Je me dois ici de rendre hommage aux infirmières travaillant en milieu pénitentiaire. En matière de relations entre le médical et le carcéral, elles jouent admirablement un rôle subtil et délicat d'interface et de filtre. Car les rapports entre ces deux milieux contraints de cohabiter et de collaborer dans un lieu par définition fermé sont extrêmement complexes, voire ambigus. Ce n'est pas l'effet du hasard si je ne parle ici que des infirmières, et pas des infirmiers ; c'est que la féminité est un atout essentiel pour assumer ce rôle, de même que dans la relation avec les détenu(e)s. J'ai eu pendant quelques mois affaire à un infirmier, par ailleurs très compétent et dévoué ; je n'ai pas regretté qu'il soit remplacé par une femme. N'y voyez aucune discrimination sexiste, mais un simple constat.  

restaurer la conscience

xxx  Les relations entre la Pénitentiaire et le service médical de la prison sont dominées par le secret médical. Ce secret, il est bien difficile à faire admettre et accepter par le personnel de surveillance. Quelques exemples : la distribution biquotidienne des médicaments se fait, comme celle des repas, de cellule en cellule. L'infirmière est accompagnée par un ou deux surveillants qui assurent sa sécurité ; cette distribution est l'occasion pour chaque détenu d'avoir un contact avec "le médical", de parler à l'infirmière... mais hélas en présence d'un surveillant qui n'a pas toujours la délicatesse et la discrétion de s'éloigner. Autre exemple : j'avais obtenu la création d'une consultation bimensuelle par un praticien hospitalier spécialiste en infectiologie pour le suivi clinique et biologique des séropositifs ; comment cacher aux surveillants que les détenus qui s'inscrivaient à cette consultation étaient porteurs du VIH ( virus du Sida NDLR) ? Idem pour les détenus potentiellement contagieux : il existe théoriquement un quartier d'isolement sanitaire, mais chaque fois que j'ai demandé un placement à ce quartier, il m'a été bien difficile de ne pas indiquer le diagnostic motivant ma demande, surtout quand ce placement devait s'accompagner de mesures de préventions sanitaires pour le personnel, comme le port de masques ( j'ai eu notamment à gérer plusieurs cas de tuberculose ). On le voit, malgré tous les efforts déployés pour le préserver, le secret médical en détention est souvent un secret de Polichinelle. 

renforcer la compétence

xxxx   Pourquoi toutes ces digressions ? Juste pour expliquer combien est complexe et délicate la relation entre les personnels de surveillance et les personnels soignants. Le secret médical est mal perçu par ces agents dont le métier comporte la mission de côtoyer au quotidien des détenus atteints de pathologies diverses, de les accompagner à l'infirmerie, de les escorter pour des extractions à l'hôpital, etc... Pour ma part, au fil des quinze années de notre collaboration, je suis devenu le médecin de famille de bon nombre de "matons", et de leurs supérieurs hiérarchiques ( chefs de détention, agents administratifs, y compris au plus haut niveau !...). Cette preuve de confiance et d'estime réciproques me facilita grandement l'exercice de cette médecine derrière les barreaux.
 
    Et pour terminer, un petit rappel historique. Depuis 1996 la santé carcérale, jusqu'alors dépendante de l'Administration Pénitentiaire, est désormais sous la tutelle de l'Administration Hospitalière, via les UCSA ( unités de consultations et de soins ambulatoires ). Les personnels, médecins et infirmières, sont donc maintenant des hospitaliers, totalement indépendants de la Pénitentiaire. Au prix d'un certain alourdissement administratif, cette réforme de la santé carcérale a constitué une incontestable avancée. Les UCSA disposent de tous les moyens hospitaliers, puisqu'elles sont un service hospitalier. Ainsi en est-il du dossier médical, qui est aujourd'hui géré et archivé comme les dossiers des patients libres. La préservation du secret médical y a trouvé son compte.
 
    On l'aura compris, les relations entre ces deux mondes ne peuvent qu'être ambiguës, mais elles se doivent impérativement d'être bonnes, dans l'intérêt de tous.
 
    Alors, cette prescription de médicament de l’insuffisance érectile à un pédophile ? Manifestement le résultat d'un regrettable dysfonctionnement entre le médical et le carcéral...

Pour en savoir plus :
 
http://www.prison.eu.org



NDLR : Cette lettre illustre les articles 7, 8, 9 de notre Charte d’Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :

- 7°/ je reconnaîtrai l'autonomie de la personne et respecterai sa volonté et ses croyances en faisant abstraction de mes propres convictions culturelles, idéologiques, philosophiques ou religieuses, et de toute appartenance à une catégorie sociale ou à un groupe
  - 8°/ je ne renoncerai pas à protéger les personnes affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou dans leur dignité
 
 - 9°/ je ne divulguerai pas de renseignements concernant le patient et sa famille, ou d'informations rapportées, qui pourraient leur nuire

 


Os court :<< L'avantage des médecins, c'est que lorsqu'ils commettent une erreur, ils l'enterrent tout de suite... >>
Alphonse Allais


Recherche sur le site Exmed.org par mot clé :

______________________

Lire la LEM 625 Associations de malades, ligues de santé - Cécile Bour

Lire la LEM 624 Joyeux anniversaire ; quatre-vingts ans - Jacques Grieu

Lire la LEM 623
Bravo les lycéens - François-Marie Michaut

Lire la LEM 622 Bienvenue au pays de la défiance - Tony Lambert

Lire la LEM 621
L'humour médecin - Cécile Bour