EXMED.org Lire toutes les LEM
La Lettre d'Expression Médicale
Exmed.org

retour sommaire
 
 
 
 
 
 
 
 N° 632
 
 
 
      21 décembre 2009  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
      Pour s'inscrire 
 
     
     toutes les lem depuis 1997

Traitement ici et ailleurs des délinquants sexuels

photo de Nicole Bétrencourt Nicole Bétrencourt, psychologue, lui écrire

xxx   Les séquelles psychiques de la violence sexuelle faite aux femmes et aux enfants ne sont plus à démontrer. De nombreux soignants ont choisi d’aider les victimes de violences sexuelles à se reconstruire. Faire preuve d’empathie et de bienveillance envers les victimes est moralement plus acceptable que de se mettre dans la tête d’un violeur, d’un pédophile ou d'un parent incestueux. La prise en charge médicale et psychologique des déviants sexuels est un sujet quasi tabou.

retrouver la confiance

xxxAu fil des faits divers, la question de la récidive des délinquants et des criminels les plus dangereux relève du champ politico-judiciaire. La répression pénale est indispensable pour que ne flambent pas la délinquance et la criminalité sexuelle, mais elle n’est qu’une facette du problème de la récidive. Car la répression n’est pas thérapeutique en soi. Parmi les détenus, 20 % des condamnés sont des auteurs de délits sexuels mais avec des distinctions à faire entre eux. Tous ne sont pas des déviants sexuels sévères comme les pédophiles. On sait que la durée d’incarcération ne modifie en rien les pulsions sexuelles chez certains profils de pédophiles. En France, la psychiatrie en général est une spécialité sinistrée, et il n’est alors pas donné à la médecine carcérale de vrais moyens pour prendre en charge globalement les troubles psychiques des détenus. Lorsqu’il s’agit des délinquants et criminels sexuels, de violeurs d’enfants multirécidivistes, c’est tomber de Charybde en Scylla. Très peu de psychiatres sont formés à cette question, et les équipes médico-psychologiques qui les prennent en charge sont rares. Si l’on veut améliorer la prévention, diminuer le risque de récidive des prédateurs sexuels afin de protéger des victimes potentielles, ce sujet sensible doit être cerné en l’état actuel des connaissances comme n’importe quel sujet de santé mentale.

Les premiers travaux sur les agresseurs datent des années 1960. À cette époque, on croyait qu’une préférence sexuelle déviante telle que celle envers les enfants expliquait à elle seule le comportement des violeurs ou des pédophiles. Aujourd’hui, on prend en compte une multiplicité de facteurs tels que les troubles du comportement, l’histoire familiale, la maltraitance durant l’enfance, les actes de délinquance non sexuels et encore bien d’autres. Celui des distorsions cognitives (idées fausses que se fait le délinquant sexuel sur les signaux de communication envoyés par l’enfant à l’adulte) requiert l’attention des spécialistes. Malgré ces avancées sur la connaissance des agresseurs sexuels, de nombreuses questions restent en suspend. Quels sont les traitements dont on dispose actuellement pour éviter le risque de récidive ?

restaurer la conscience

xxx  Dans notre pays et en Europe, on évoque surtout la nécessité d'un traitement médical agissant sur la libido. Il est vulgarisé sous le nom de castration chimique. Selon certaines sources, la diminution de la libido par hormonothérapie serait efficace à 90 pour cent. Dans la loi française, à l’heure actuelle, elle nécessite le consentement du sujet. Si le législateur renforce l’injonction thérapeutique de déviants sexuels sévères en sanctionnant ceux qui refusent de se faire soigner, il ne faut pas croire que le risque de récidives disparaîtra par enchantement. Certains spécialistes estiment que l’hormonothérapie est insuffisante car elle ne supprime pas les pulsions déviantes et la violence qui contribuent au passage à l’acte. Pour garantir l’observance, les injections intramusculaires mensuelles seraient déjà préférables à la voie orale. La HAS a établi un avis sur l’un des agonistes de la LHRT qui constitue « un progrès thérapeutique mineur pour les hommes atteints de déviances sexuelles sévères. »
Autre type d’acte agissant sur la libido : la castration physique. Cette opération chirurgicale se pratique en Allemagne (sur la base du volontariat), aux États-Unis, au Canada, en Suisse et en république tchèque. L’efficacité de cette intervention est discutable car elle n’agit pas non plus sur les pulsions déviantes. Elle est également dénoncée par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme interdisant la torture et les traitements inhumains et dégradants. « Elle ne peut pas être considérée comme une nécessité médicale pour le traitement des délinquants sexuels » rapporte en 2008 le Comité de prévention de la torture, organe du Conseil de l’Europe.
En Europe, le traitement médical est généralement combiné à la psychothérapie. Force est de constater que cette dernière est un terme global qui n’a pas été évalué en terme d’efficacité. Pour lutter contre la récidive, notre pays privilégie pour l’instant les groupes de parole réservés aux délinquants sexuels. S’exprimant sur leur bien-fondé, le Dr Roland Coutanceau estime que « c’est une révolution dans le monde pénitentier. » Le premier groupe de parole, attenant au service pénitentier, a démarré à Besançon en 2007. Et depuis 2008, cette expérience s’est étendue à d’autres villes. Mais est-ce suffisant pour prendre en charge les délinquants sexuels ? On peut s’interroger lorsque la presse se fait l’écho de cas de récidive de pédophiles qui assistaient régulièrement à un groupe de parole.

renforcer la compétence

xxx   Actuellement, c’est le Canada qui est le chef de file de la prise en charge des déviants sexuels. Depuis 1992, l’étude de 550 agresseurs sexuels incarcérés a permis de bâtir une théorie de l’agression sexuelle en essayant de comprendre ce qui se passe dans la tête des déviants sexuels. Depuis 2001, le Québec a énoncé des orientations gouvernementales en matière d’agression sexuelle en faisant collaborer des professionnels de la psychologie et de la criminalité, le GRAS (Groupe de Recherche sur les Agresseurs Sexuels) avec le Service correctionnel canadien. Le GRAS dispose d’un laboratoire de pléthysmographie pour mesurer l’efficacité de ses méthodes. Des programmes médico-psychologiques sont proposés à des agresseurs incarcérés. Pour des raisons politico-financières, les subventions ne sont accordées qu’aux organismes liés aux prisons fédérales. C’est une avancée de trouver des solutions thérapeutiques pour les déviants sexuels incarcérés, mais il faut noter que les résultats ne sont pas transférables à l’ensemble des déviants sexuels sévères. Tous ne sont pas condamnés et répertoriés comme tels, et comme le fait remarquer la criminologue canadienne Arlène Gaudreau, 90 % des actes de pédophile restent secrets.
Au Québec, le premier service pour délinquants sexuels date de 1979. L’institut Pinel abrite un service psychiatrique sécuritaire réservé aux pédophiles et aux violeurs. C’est un autre regard qui est porté sur le délinquant sexuel. « Leur sort n’est pas différent de celui des alcooliques » estime le Dr Jocelyn About, fondateur de l’unité pilote.
Pendant un an, 9 déviants sexuels suivent un programme expérimental. Sur ces 9 résidents, 2 suivent une hormonothérapie. Après ce séjour, ils retournent en détention purger leur peine. Les délinquants vivent dans un décor décrit par des journalistes « comme une résidence de vacances. » Derrière la décontraction apparente d’une vie éloignée des conditions carcérales que l’on serait en droit d’attendre pour des violeurs, des pédophiles et des pères incestueux, un suivi thérapeutique innovant y est effectué pour modifier le comportement de déviants sexuels. À défaut de guérir leurs déviances, les spécialistes de l’institut Pinel apprennent aux patients à les contrôler. Cette approche combine la TCC, l’approche psychodynamique et l’hormonothérapie. Les délinquants apprennent à vivre en communauté, ce que la plupart d’entre eux avaient oublié ou n'avaient jamais connu durant leur enfance ou leur adolescence.
Des groupes de parole dirigés par un psychologue, des cours d’éducation sexuelle font partie du programme. Patrice Renaud, chercheur en psychologie, expérimente sur les cas les plus lourds les technologies médiatiques. Il a mis au point des jeux de rôle utilisant la réalité virtuelle. Un patient coiffé d’un visio-casque va rentrer dans une réalité virtuelle en 3D pour apprendre à s’autocontrôler en laboratoire pour préparer sa sortie de prison. Ces jeux de rôle proposent aux déviants sexuels des rencontres virtuelles avec des enfants pour tester leurs réactions lorsqu'ils sont confrontés aux situations (toujours en 3D) qui les ont conduits au passage à l’acte.
En dehors de l’organe extrapénitentiaire de l’Institut Pinel, le service correctionnel canadien a mis en place des programmes sur l’approche behavioriste comme cela se pratique dans l’établissement de la Macaza. Leur objectif est la modification des comportements sexuels déviants. Certains contempteurs reprochent l’absence du psychiatre dans la conduite de ces programmes reposant uniquement sur la finalité scientifique du behaviorisme.
Ces différents programmes sont évalués. Les évaluations prennent en compte les motivations des agresseurs à les suivre, la manière dont ils les perçoivent, et jusqu’à quel point cette prise en charge est positive pour eux. Les études montrent que le succès d’un programme n’est pas fondé sur les seules techniques. La qualité des liens qui se nouent entre les délinquants et les personnes qui les prennent en charge est essentielle. Le déviant sexuel est un délinquant comme un autre qui doit décortiquer son processus cognitif, ses émotions pour maîtriser ses pulsions sexuelles. Après avoir suivi un tel programme, avant de sortir de prison, les déviants sexuels subissent une évaluation détaillée de leur risque de récidive, passent par le laboratoire de pléthysmographie, et poursuivent un traitement adapté à la gravité de leurs troubles.
Les programmes diminuent de façon conséquente le taux de récidive (le risque zéro de récidive n’existant pas). Le taux de récidive serait passé de 17 % à 12 %. Il est pour l’instant impossible de généraliser sur l’efficacité de ces programmes pour pédophiles et autres déviants sexuels sévères. Seules 43 études uniquement anglo-saxonnes portant sur 9454 délinquants sexuels ont été publiées dans le monde. Insuffisant pour en tirer des conclusions définitives. Il reste encore beaucoup à faire pour éviter la récidive des déviants sexuels indépendamment de la répression pénale !

Notes :
La pédophilie commence souvent à l’adolescence. La pédophilie, en tant que préférence sexuelle, n’est ni un crime ni un délit, c’est le passage à l’acte qui l’est. C’est lors d’un passage à l’acte qu’un pédophile est amené à consulter un psychiatre.
Les pédophiles attirés par les garçons sont les moins nombreux, mais ils représentent le plus fort risque de récidive. Ils sont obsédés par leur désir sexuel qui est la recherche permanente de victimes potentielles. Le nombre de victimes par sujet pédophile est de 30 à 40.
La question qui se pose pour les spécialistes en neurosciences est de savoir s’il y a un cerveau pédophile.
Sans qu’il y ait un consensus, il y aurait des bases cérébrales (sans que cela signifie un fondement génétique). Une étude met en évidence une anomalie de la substance blanche des pédophiles et parents incestueux différentes de celles d’autres délinquants non sexuels. Cette étude est discutable selon certains spécialistes qui privilégient d’autres travaux comparant également des groupes de pédophiles et de délinquants non sexuels, mettant en évidence les modifications de l’amygdale droite, qui est une zone du cerveau qui participe à la motivation sexuelle, et dont l’activation dépendrait des expériences sexuelles passées.

Sources et documents :
- Synthèse d’avis de la commission de transparence de la Haute Autorité de Santé
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2009-06/synthese_davis_salvacyl_-_ct-6221.pdf

- Site Santé Romande certifié Hon et HAS
http://www.santeromande.ch/TSR36_9/20080409_1.html

- Québec: L’hôpital pilote
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/l-hopital-pilote_474115.html

- Service Correctionnel du Canada
http://www.csc-scc.gc.ca/text/rsrch/regional/smmry/summary0171-fra.shtml
http://www.csc-scc.gc.ca/text/rsrch/regional/smmry/summary0178-fra.shtml

ACFAS ( Association francophone pour le savoir )
http://www.acfas.ca/decouvrir/enligne/recherche/236_violeurs.html



Cette lettre illustre l’article 7 de notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html


- 7°) Je reconnaîtrai l’autonomie de  la personne  et respecterai sa volonté et ses croyances en faisant abstraction de mes propres convictions culturelles , idéologiques, philosophiques ou religieuses, et de toute appartenance à une catégorie sociale ou à un groupe. 


Os court :<< C’est affreux de connaître le secret dun autre et de ne pas pouvoir l’aider. >>
Anton Tcheckov


Recherche sur le site Exmed.org par mot clé :

______________________

Lire la LEM 631 On en crève de cette surmédicalisation - François-Marie Michaut

Lire la LEM 630
La poutre maîtresse de tous les soins - François-Marie Michaut

Lire la LEM 629 Les génériques, c'est tout automatique - Cécile Bour

Lire la LEM 628
Main-mise étatique sur les soins - Bruno Blaive

Lire la LEM 627 Voyage au Centre de la douleur - Odette Taltavull