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La Lettre d'Expression Médicale
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 N° 640
 
 
      15 février 2010  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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L’être-médecin, l’être humain et Exmed

Photo auteur Docteur Philippe Deharvengt, lui écrire

xxx  Pourquoi cet étrange trio ? Pourquoi L'être-médecin ne serait-il pas tout simplement un être humain ? Un être souffrant des maux de notre époque ? Et pourquoi l'existence même d'Exmed, qui se veut un lieu d'échanges de qualité entre professionnels et non-professionnels de santé sur la << méta-médecine >>, c'est-à-dire sur les maux de la médecine ? Pourquoi les maux de la médecine ? De quoi la médecine est-elle malade ? 
    << De qui souffrez-vous ? >>, c'est le titre du bouquin d'un certain Dr François-Marie Michaut ( éditions de Santé, 1992 et en ligne sur le site).
A un autre niveau que celui de la relation thérapeutique, une des vocations d'Exmed est de répondre à la question : de quoi souffre la médecine ; question dont un des corollaires est : de quoi, de qui, souffrent les médecins ?
    Essayons, très modestement, de chercher des réponses à cette angoissante question. En remontant à la racine du mal, en se posant la question des rapports entre notre médecine et la société dans laquelle nous vivons, une société dont la médecine doit, idéalement, être le serviteur dévoué sans pour autant être son esclave méprisé.


retrouver la confiance

xxxRetrouver la confiance suppose qu'on l'a perdue. Mais de quelle confiance parlons-nous ? La confiance que les médecins ont en la médecine ? La confiance que les patients accordent à leur médecin ? La confiance que les médecins ont en eux, et avec leurs collègues ? La confiance entre les médecins et les pouvoirs publics et institutionnels qui ne rêvent que de les diriger ?
 
    Les médecins ont-ils confiance en leur médecine, celle qu'on leur a enseignée et celle que les nécessités et contraintes actuelles les obligent à exercer ?
 
        - la médecine qu'on leur a enseignée : les apprentis-médecins ont été recrutés sur des critères de connaissances exclusivement scientifiques ( bac scientifique avec mention "bien" ou "très bien" ). Leur première année d'études est uniquement axée sur des notions techniques ; le contrôle de leurs connaissance se fait par QCM ( questions à choix multiples ), excluant toute appréciation nuancée sur l'aptitude du candidat à s'engager plus loin dans son cursus, sur ses capacités d'empathie, et même sur l'authenticité de son désir de soigner. Ils doivent attendre leurs premiers stages en CHU pour avoir un contact avec les malades, souvent dans des groupes pléthoriques, agglutinés au sein d'une cohorte de carabins dans le sillage d'un chef de service plus ou moins doué pour la pédagogie.
 
        -la médecine qu'ils sont contraints d'exercer : que ce soit en secteur libéral ( de plus en plus délaissé ) ou en secteur public, les contraintes administratives et les critères de rentabilité sont une entrave au libre exercice. C'est ainsi qu'à l'hôpital, la qualité du médecin est évaluée à l'aune de sa rentabilité, donc au nombre d'actes techniques prescrits, jamais au temps consacré à l'entretien et à l'examen clinique ; on voit se multiplier les demandes d'examens biologiques, d'imagerie médicale et autres actes spécialisés, avant tout contact humain avec le patient ( le contact verbal que sont l'entretien initial et l'interrogatoire ; le contact physique qu'est l'examen clinique ). Il faut bien le reconnaître, à l'hôpital un bon médecin est un médecin qui remplit les lit, amortit les investissements et donc rentabilise le service. Quant au secteur privé, comment nier que les médecins libéraux soient confrontés à des impératifs économiques contraignants, qu'un cabinet médical se gère aujourd'hui comme une PME ? Sans parler du fardeau administratif qui détourne le praticien de ses tâches nobles.
 
    Quelle confiance les patients accordent-ils encore à leur médecin ?   L'hyper-technicité ayant par son prestige populaire supplanté la relation duale, le patient fait confiance à la technique, dont il pense ( à tort ) qu'elle ne se trompe jamais. De ce fait, il voit en son médecin un prescripteur d'examens qui excluront automatiquement tout risque d'erreur. De même pour les traitements : la technique ayant établi le diagnostic, il s'en suivra ipso facto la thérapeutique la plus adéquate. L'être médecin est alors aux abonnés absents, robotisé, déshumanisé.
 
    Ce qui pause la question de la responsabilité médicale. Quand le médecin examinait son patient avec ses seuls cinq sens, on admettait qu'il puisse se tromper ; errare humanum est, << seuls ceux qui ne font rien ne se trompent jamais >>... Ces adages étaient communément admis.

Aujourd'hui, l'erreur n'est plus tolérée ; grâce aux progrès de la science, elle ne doit plus exister. Bien courte vue de ce qu'est vraiment la science et son mouvement perpétuel de remises en question de ce qui semblait solidement établi. Et c'est ainsi, par ignorance, qu'on est passé de la notion d'erreur médicale à celle de "faute médicale", soigneusement entretenue par les journalistes, ceux qui, dit-on à tort ou à raison, font l'opinion. L'erreur est excusable, la faute est impardonnable et doit être sanctionnée. Elle doit aussi ouvrir droit à réparation ; d'où cette dérive sémantique de l'erreur à la faute.


restaurer la conscience

xxx Restaurer la conscience, c'est retrouver le respect mutuel dans la relation soignant-soigné. Le respect, cette notion devenue tellement obsolète... Le médecin, au service de la société, est totalement immergé en elle ; il vit dans ce siècle, il en éprouve toutes les avanies. La notion de droit s'est substituée à la notion de devoir, l'hédonisme prime le labeur, l'argent est déifié. Le bouleversement des valeurs a profondément altéré la relation médecin-malade.
Respect de soi et respect de l'autre, c'est la condition sine qua non de la restauration de la conscience dans cette relation. Retrouver la valeur du dialogue, sans tomber dans le piège de la démagogie ; expliquer sans infantiliser ; se mettre à la portée sans s'abaisser.

Se respecter pour montrer qu'on respecte le patient, cela commence par l'apparence ; le "look" affiché par trop d'internes de nos hôpitaux en est un navrant exemple : la blouse déboutonnée ouverte sur un torse hirsute et un jean délavé, une barbe mal taillée porteuse de germes nosocomiaux, ce n'est pas exactement ce qu'attendent les patients, même ( et surtout ) si eux-mêmes n'ont pas la politesse de se présenter dans une tenue vestimentaire correcte. Il n'est pas bon que le soignant ressemble à son patient. Le meilleur moyen d'éviter la confusion des rôles n'est-il pas d'affirmer sa différence ? Idem pour le langage ; le médecin ne sera pas mieux compris s'il emploie un vocabulaire vulgaire, s'il use d'un parler grossier. C'est ainsi que naît l'irrespect, et  l'irrespect fait le nid de l'agressivité, ce mal de notre société ; ce mal que l'on retrouve dans nos hôpitaux et dans nos cabinets médicaux.


renforcer la compétence

XXXRenforcer la compétence, c'est évidemment améliorer son savoir, par un meilleur enseignement et par une actualisation permanente des connaissances acquises. C'est aussi tirer le meilleur profit de sa propre expérience professionnelle. Mais n'est-ce pas avant tout sortir du carcan décrit ci-dessus ?
- Se libérer mentalement et éthiquement des contraintes de la rentabilité, retrouver la possibilité des libres choix d'installation et de prescription tellement mis à mal.
- Remettre à sa juste place, la première, le contact humain, le dialogue singulier, rétablir la primauté de l'examen clinique sur les examens spécialisés.
- Il faut pour cela privilégier l'enseignement de la sémiologie, consacrer plus de temps à la clinique "au lit du malade" ;  améliorer l'enseignement de la psychologie et de la psycho-pathologie. Il ne peut y avoir de bonne médecine sans bon médecin ; il ne peut y avoir de bon médecin sans une bonne motivation, une bonne formation, une rémunération suffisamment attractive pour laisser espérer un confort de vie professionnelle et privée satisfaisant, condition d'un épanouissement harmonieux.
- Inventer de nouvelles formes d'exercice, refuser l'étatisation de la médecine ( qui avance comme un rouleau compresseur ), réhabiliter l'exercice libéral ( qui repousse de plus en plus les jeunes ), c'est, croyons-nous, la vocation d'Exmed de dire que c'est encore possible, qu'aucun avenir n'est traçé à tout jamais pour nous, que nous ne sommes pas de simples pions manipulables par les puissants.
Utopie que de croire à la force de la volonté des soignants eux-mêmes une fois qu'ils auront les yeux grands ouverts, nous dira-t-on.
Et alors ? L'avenir dira bien qui a tort et qui a raison ...
 
    Alors, les médecins malades de la médecine, la médecine malade de la société ; une société en déliquescence, privée de ses repères habituels et de ses valeurs morales d'hier... C'est bien la société qui est malade, et les médecins n'ont pas vocation première à la soigner ! Les médecins soignent les humains ; mais qui soignera la société ?
Les médecins aimeraient bien avoir un embryon de réponse à cette question. Nos enfants et petits-enfants, qui hériteront de notre colossal endettement, d'une planète polluée et vidée de ses ressources naturelles... Il leur faudra courage et imagination.
    Ayons foi en la jeunesse, elle est capable d'accomplir des miracles !


 


Cette lettre illustre l’article 1 de notre Charte d’Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :
1 - Mon objectif prioritaire sera de rétablir et de préserver la santé physique et mentale des hommes sur le plan individuel et collectif.
Cet objectif prendra en compte le contexte de l'environnement professionnel tout en respectant celui du patient, et du vivant dans son ensemble.



Os court : << Face au monde qui bouge, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. >>
Francis Blanche


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