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N° 699

 
 

      4 avril 2011
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Dessin de la LEM

 

 

 

 


    Interrogare humanum est

      Docteur François-Marie Michaut
lui écrire

 

                          


 

   Ce titre au relent de latin de cuisine ferait éclater de rire notre cher Molière. Les médecins et leur latin, quel thème en or ! Il est possible aussi d'y voir un cousinage avec le concilient : « errare humanum est» de mes nombreuses bavures scolaires.
Une rapide dissection permet de repérer le verbe rogare. Cela veut dire demander. Comme dans le vieille fête catholique des rogations destinées à ce que les fidèles demandent à Dieu ce qu'ils souhaitent obtenir, et, au premier rang, restons les pieds sur terre et le ventre plein, de belles récoltes.

retrouver la confiance

Mais l'adjonction du préfixe «inter» nous conduit sur un tout autre terrain.
Les demandes dont il s'agit s'exercent entre. Entre qui, ou entre quoi ?Entre des êtres capables de formuler au moyen du langage à la fois leurs interrogations, et les réponses les mieux adaptées aux demandes des autres.
Il faut bien reconnaître que la notion d'interrogatoire, avec sa connotation policière toujours un peu inquiétante, n'a pas franchement le vent en poupe de nos sympathies. L'institution scolaire attribuant la dénomination d'interrogation écrite à ses épreuves d' examens n'a pas laissé d'heureux souvenirs à la majorité des élèves moyens que nous fûmes.
Interroger, c'est poser des questions. Question ? Encore un mot lourd de sens. Qui ne se souvient de cette pratique très longtemps utilisée par la justice pour obtenir par la violence des aveux des justiciables ?
Poser des questions, n'est-ce pas la signature d'un manque de confiance vis à vis de celui qui est censé savoir ? Poser des questions, n'est ce pas se mettre sur le même terrain que celui qu'on interroge ?
La très complexe relation qui s'établit entre un patient et un soignant tourne autour de cette problématique, qui devient d'autant plus lourde qu'elle n'est que rarement clairement dite.

restaurer la conscience

   Le vieux, laid, négligé,et n'ayant laissé aucun écrit, Socrate, 5 siècles avant notre ère, avait parfaitement compris que si on souhaite faire passer un enseignement, «accoucher les esprits» pas encore nés à une certaine vision du monde, le monologue savant n'est pas suffisant pour toucher au coeur son auditoire. Sa méthode ? C'est lui qui posait des questions à ses élèves, et qui partait de leurs réponses pour les aider à se poser d'autres questions afin de pouvoir exposer ses idées à des cerveaux attentifs et personnellement impliqués. Ritournelle désespérée de nos modernes professeurs : le désintérêt des étudiants pour les matières enseignées. Le seul objectif décelable, et avouable, est d'acquérir les connaissances enseignées juste pour pouvoir passer les examens, qui eux-mêmes conduiront automatiquement à un diplôme, dont tout un chacun est en droit d'attendre qu'il lui ouvre en grand, et pour toute une vie, les portes de telle ou telle profession.
Ce véritable gavage de savoir académique est-il inutile ? Il est impossible pour un médecin de ne pas reconnaître la nécessité d'engranger un savoir important pour pouvoir se repérer dans la complexité de l'humain qu'il a à soigner. Nous ne pouvons observer que ce que nous nous attendons à observer : c'est pour cela probablement que les Amérindiens ne virent pas arriver sur leur côte les bateaux de Christophe Colomb.
Mais il n'est aucune formation, aucune éducation vraie qui puisse faire l'épargne de la constante mise et remise en question de tout ce que l'on a cru savoir. Cette gymnastique intellectuelle, cette attitude en permanence interrogative en fonction de ce que nous montre chaque minute notre vie ne ressemblent-elles pas à ce que nous nommons notre conscience ?
Capacité anesthésiée par le conformisme qui nous est imposé dès l'enfance au nom d'intérêts dits «collectifs» ?

 

 

 

renforcer la compétence

   Les esprits indépendants, c'est à dire capables de poser des questions aux autres comme de se les poser à eux-mêmes, dérangent absolument tous les pouvoirs. Socrate l'a payé de sa vie. Il est donc illusoire d'attendre, de quelque institution que ce soit, un véritable effort pour promouvoir l'importance du questionnement de chaque personne pour un fonctionnement sain de nos rouages sociaux.
   Ce n'est que devant les résultats absurdes des actions entreprises au nom d'une certitude indiscutable que les choses peuvent s'inverser.
Quand la troisième puissance économique et technoscientifique du monde se révèle incapable de faire face à une catastrophe nucléaire parce qu'elle a construit une centrale dans une zone sismique inondable, il y a de quoi donner à penser à des pays dont 80% de l'énergie électrique est issue de la même source.
   Quand de nombreux médicaments se révèlent au fil du temps et des observations infiniment moins sûrs qu'il ne nous avait été dit, la capacité d'interrogation que nous avons laissée en jachère pour ne garder que celle de râler, les citoyens bien ordinaires que nous sommes commencent à comprendre.
Il n'y a pas d'école, pas de méthode éducative pour forcer les capacités de chacun au questionnement.
   Cela ne fait pas les gros titres des journaux, mais le renforcement de cette compétence bridée se fait automatiquement sous nos yeux. Les peuples qui se soulèvent contre des systèmes qui musèlent tout questionnement possible nous en disent long.
Non seulement il s'agit d'utiliser pour notre épanouissement personnel notre capacité spécifiquement humaine d'interrogation, mais cela constitue, face à toutes les catastrophes qui s'accumulent dans le monde, une obligation éthique.

 

 

Os court : «Je considère que l'état normal d'un homme est d'être un original. ».


Anton Tchekhov

 

Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html


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