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N° 702

 
 

      26 avril 2011
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Dessin de la LEM


    Procréation techno-scientifique, éthique et commerce

      Nicole Bétrencourt lui écrire

Dessin Cécile Bour 2009

 
Depuis février dernier, la loi sur la bioéthique est en cours de révision au Parlement français. Le centre de gravité en est l'évolution de la science médicale. La bioéthique s'est développée chez nous depuis le début des années 1960. Selon qu'on l'aborde du point de vue politique ou du point de vue médical, elle peut avoir plusieurs orientations. La bioéthique, considérée comme l'une des branches de l'éthique, étudie les questions, et les problèmes moraux qui peuvent apparaître à l'occasion de pratiques médicales nouvelles impliquant la manipulation d'être vivants dans un but thérapeutique ou de recherche en biologie. Son champ d'étude donc est vaste et il embrasse des sujets comme le prélèvement d'organes, la fin de vie , la recherche embryonnaire, et la procréation médicalement assistée qui fait l'objet de cette LEM. La bioéthique suit l'évolution des mentalités dans une société donnée.
    Le législateur essaye d'anticiper d'éventuelles dérives, mais il ne peut pas tout encadrer. La difficulté majeure réside à ne pas se montrer trop libertaire ni coercitif. Comment trouver un juste milieu à partir de la seule notion de bien et de mal qui sont des notions subjectives et influencées par le modèle de civilisation ?

retrouver la confiance
   La Procréation Assistée est une révolution médicale qui permet aux couples infertiles de devenir parents. Lorsqu'on commence à évoquer ce sujet sensible, la suspension du jugement sur le désir d'enfant s'impose. Si on a l'occasion de lire ou d'entendre des témoignages de ces personnes qui recourent à la Procréation Assistée, nos certitudes, nos croyances et notre éthique personnelle en prennent un coup, et l'on a tendance à évaluer la situation à partir de nos propres certitudes. Ce qui n'empêche de pointer du doigt les dérives déjà existantes. Le malheur des couples souffrant d'infertilité est exploité à des fins peu humanistes dignes du Meilleur des Mondes, le fameux roman publié en 1934 par Aldous Huxley. Ce livre décrit une société où les pays ont disparu au profit d'un seul état mondialisé à la gouvernance totalitaire. Dans ce Nouveau Monde, les êtres humains sont répartis sur une hiérarchie pyramidale à trois niveaux. Si la sexualité demeure pour l'équilibre de l'individu, la reproduction sexuée n'a plus court et la procréation est assistée en laboratoire comme dans les FIV. Les embryons ne grandissent plus dans le ventre de leur mère mais en laboratoire dans des bocaux. Déjà, à cette étape pré-berceau, l'embryon est psychologiquement conditionné à son futur rôle d'adulte. Son utilitarisme réside dans le fait que le petit d'homme en grandissant va trouver normal sa position sur la pyramide sociale.

   Aldous Huxley (au passage le frère du biologiste Julian Huxley, théoricien de l'eugénisme ) avait pressenti en son temps le risque du progrès médical ainsi que ses possibles répercussions sur l'organisation de la société humaine. Si nous nous désintéressons des problèmes de bioéthique, et si le législateur ne s'en occupe pas, notre monde pourrait dans un avenir fort proche ressembler sur beaucoup de points à celui qu'il décrit.

restaurer la conscience

  Sans rentrer dans les détails fastidieux des techniques de Procréation Assistée, contentons-nous de savoir qu'elles recouvrent un ensemble de procédés comme la fécondations in vitro (FIV), le don de gamètes ( ovules et spermatozoïdes) et la gestation pour autrui (GPA, dite «mères porteuses»).
Les dérives éthiques se trouvent grandement facilitées par la disparité des techniques et la législation qui est différente d'un pays à un autre.
L'un des grands paradoxes de la bioéthique est que si la la Procréation Assistée est le bébé de la science médicale, elle n'est plus entre les mains des médecins. D'autres acteurs de la société sont rentrés dans la danse. De ce fait, l'éthique est instable car elle échappe totalement à la relation médecin/ malade telle qu'elle est décryptée en systémique à partir du modèle hérité d'Hippocrate. Si, actuellement, on ne veille pas au grain,l es couples stériles sont susceptibles de se comporter à leur insu en consommateurs de science médicale, et les médecins de ne devenir que des scientifiques purs et durs, complices ( parfois à leur insu) du dévoiement d'une avancée majeure de la science qui donne envie de croire à l'existence des miracles, attribués d'ordinaire à quelque divinité supérieure.
Les dérives de la bioéthique se développent toujours dans un cadre législatif. Qu'il soit coercitif ou non, cela ne change rien à la donne car la morale est une notion subjective mais lorsqu'il y a une transaction financière qui prévaut sur les services médicaux rendus, on est en droit de s'interroger sur la motivation de la démarche initiale. On veut faire un enfant pour soi, pour son couple, pour la société ou... pour l'enfant à vivre lui-même.
   Les protocoles des FIV ( fécondation in vitro) sont différents suivants les causes de l'infertilité à traiter: le don de sperme, don de gamètes, don d'ovocytes avec technique de vitrification ou non. En France, l'un et l'autre sont totalement gratuits ; mais il en est autrement dans d'autres pays. Chez nous, il est notoire qu'il y a une carence en dons d'ovules et que la technique de FIV diffère sur certains points de celle d'autres pays comme l'Espagne par exemple. Les avis scientifiques sont partagés sur l' efficacité d'une technique particulière.
Lorsque, pour diverses raisons, les FIV ne «marchent» pas pour les personnes qui désirent ainsi être parents, beaucoup n'hésitent pas à se tourner vers le tourisme procréatif. Et comment les blâmer lorsque la liste d'attente pour le don d'ovocytes est saturée en France ou que leur «profil» ne rentre pas dans la législation française ? Elles n'ont d'autres ressources que d'aller voir si l'herbe est plus verte ailleurs. Ainsi,en Espagne, en Grèce, République tchèque et Roumanie, il n'y a pas de pénurie de don d'ovocytes car il est rémunéré. Faut-il s'en indigner ? Pas forcément !
Le tourisme procréatif a de beaux jours devant lui car il se trouve facilité par la législation en bioéthique plus ou moins permissive d'un pays à un autre. Ainsi, contrairement à la France, dans d'autres pays européens, le recours au FIV est toléré pour les femmes de plus de 43 ans, les célibataires et les couples homosexuels. Sans commentaires sur la notion implicite de bien et de mal de ces exclusions !
   Toutes ces disparités législatives d'un pays à un autre démontrent qu'il y a une hypocrisie manifeste au niveau de la législation européenne. Il y aurait une nécessité urgente à harmoniser la législation pour que les dérives mercantilistes diminuent. Car il faut se méfier des apparences humanistes. La souffrance des personnes en «mal d'enfant» est souvent exploitée à des fins mercantiles dans ce tourisme procréatif.

renforcer la compétence

   
   L'état des lieux s'impose. Il y a tout un commerce douteux qui s'est développé. Lorsque vous tapez sur le moteur de recherche Google, l'aspirant/parent peut faire son marché virtuel à partir des nombreux sites racoleurs, et comparer les prix. De nombreuses cliniques étrangères se sont spécialisées dans les FIV. Les tarifs varient d'un pays à un autre. Ils peuvent aller de 2500 €uros, en Grèce à 12000 €uros en Espagne. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la Procréation Assistée est un véritable Business.Ces cliniques étrangères affichent un super bilan financier (malgré la crise), et l'une des plus prisées est celle du Dr Rumpick à Prague.On veut bien laisser à ce dernier le bénéfice du doute sur son engagement humaniste lié à son serment d'Hippocrate, mais on est en droit de s'interroger sur la façon dont il procède pour que sa clinique soit rentable.
J'admets volontiers faire preuve de mauvaise foi en sortant de son contexte cet extrait suivant d'interview publié dans le Figaro,

   Je trouve que la recette (économique) du bon docteur pour remplir sa clinique semble être directement inspirée du néolibéralisme :« Ici, la main d'oeuvre est toujours très bon marché comparé aux pays de l'Ouest, ce qui nous permet de pratiquer ces tarifs. Les médicaments et la préparation coûtent la même chose partout dans le monde, mais le travail des docteurs et des chercheurs est moins cher ici, ce qui entraîne un prix total inférieur.»
Le désir d'enfant serait-il quantifiable et aurait-il lui aussi un coût low-cost ?
S'étonner de certaines pratiques dans le domaine de la Procréation Assistée, c'est comme faire un inventaire à la Prévert. Dans ce registre, dans certains pays de l'union européenne, les futurs parents peuvent choisir la couleur des cheveux, des yeux de l'enfant à naître, et il est possible de repousser l'âge de la maternité. La Grèce autorise les FIV jusqu'à 50 ans et en République tchèque, il est possible pour des femmes âgées de presque 60 ans de donner naissance.

   Et comment ne pas évoquer lorsqu'on parle de Procréation Assistée, l'épineux problème de la gestation pour autrui (GPA) ? Nos voisins les Belges, l'autorisent sous certaines conditions très restrictives.
Le nombre d'enfants nés ainsi est extrêmement bas et la GPA est réservée aux membres d'une même famille qui ne peuvent avoir des enfants par une autre technique. Outre-Atlantique, certains États américains comme la Californie l'autorisent.
   La GPA, c'est une autre histoire que les FIV qui sont un miracle de la science, qui ont comblé et combleront des parents stériles. Mais dans la GPA, on a rendu possible l'idée que l'on pouvait louer le ventre d'une femme pour porter son enfant. Qu'on le veuille ou non, c'est bien une marchandisation du corps féminin qui est impliquée dans la pratique des mères de substitution. Il a été constaté que ce sont les femmes les plus vulnérables à qui il est demandé de devenir mère porteuse. « No Body For Sale » est un mouvement qui se bat contre la mondialisation et l'existence de la GPA. Il a recueilli en France l'adhésion de personnalités comme le professeur Friedmann, la philosophe Sophie Agacinski, le généticien Alexandre Khan, et bien d'autres. Car l'utilisation de mères de substitution s'est répandue. En Californie, s'affichent sans fard ni honte des annonces de « ventres à louer ». Ce marché des ventres tend à délocaliser dans les pays pauvres, en Europe de l'Est ou en Inde, où les femmes étant beaucoup plus pauvres, les tarifs sont nettement moins élevés.

   Si la GPA est interdite en France, les personnes qui veulent recourir à cette pratique en faisant fi de la loi française vont se rendre dans les pays où c'est légal. Ces parents prennent des risques même s'ils ne transgressent pas la loi du pays qui l'autorise. ils font confiance à ce que raconte le personnel de ces cliniques spécialisées à l'étranger qui n'ont de cesse de les rassurer sur la légalisation de l'acte. Mais lorsque l'enfant paraît, une fois revenue en France, les parents vont se trouver confrontés à des imbroglios juridiques. Récemment, le journal l'Express s'est fait l'écho d'un tel drame: « Le piège s'est refermé en Ukraine sur un couple de Français. Ils sont en attente de jugement pour avoir tenté de faire sortir illégalement du pays leurs deux jumelles nées d'une mère porteuse.» Leurs filles sont apatrides car l'Ukraine ne reconnaît que le droit du sang pour établir un acte de naissance. Cela devient kafkaïen pour ces parents qui ont transgressé la loi française, et après maintes procédures, parfois les choses finissent par s'arranger. Récemment, le tribunal de Nantes a reconnu la transcription sur l'État civil d'une fillette née aux États-Unis d'une mère de substitution alors que la Cour de Cassation a refusé cette transcription pour deux autres fillettes nées aux États-Unis de la même façon. Deux poids deux mesures !

  Le droit à l'enfant doit-il se substituer forcément aux Droits de l'enfant, de la Femme, et à ceux plus généraux de l'homme ? En bioéthique, jusqu'où faut-il être partisan de la liberté à tout prix pour ne pas violer les Droits de l'Homme ?

 

Sources:
- FIV France
http://www.fivfrance.com/page_dons.html
-Affection.org
http://www.affection.org/sante/contraception/assistee.html
-Fécondation low-cost en république Tchèque
http://www.radio.cz/fr/rubrique/panorama/fecondation-in-vitro-low-cost-en-republique-tcheque
-Ces enfants apatrides nés d'une mère porteuse à l'étarnger
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/ces-enfants-apatrides-nes-d-une-mere-porteuse-a-l-etranger_980012.html
-Le business européen de la fécondation in vitro.
http://www.lefigaro.fr/sante/2008/10/13/01004-20081013ARTFIG00452-le-business-europeen-de-la-fecondation-in-vitro-.php


 

Os court : «Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage. ».


Michel de Montaigne

 

Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html


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