La médecine shadok

3 octobre 2011
Docteur François-Marie Michaut
lui écrire

Qui ne se souvient de la célèbre série télévisée de Jacques Rouxel intitulée les Shadoks diffusée en France en 1968, et régulièrement rediffusée ensuite ? Ces êtres, ressemblant à des oiseaux inconnus, sont visiblement anthropomorphes, et ont une propension obstinée à vouloir mettre en oeuvre les inventions toutes plus absurdes les unes que les autres du professeur Shadoko. Obéissance sans discussion à une autorité supérieure particulièrement douée pour fabriquer des machines à faire n'importe quoi, sommes-nous dans la réalité de la médecine si éloignés que cela de l'esprit de cette remarquable animation de fiction ?
La question mérite d'être posée.

Retrouver la confiance

La tendance lourde à la médicalisation, plutôt faudrait-il dire sans crainte du néologisme la médecinisation, de tout ce qui touche à la vie quotidienne de chaque être humain du berceau au tombeau, est un aspect majeur de notre façon collective de comprendre la réalité. Faute de dimension spirituelle, philosophique ou religieuse que récuse au nom de la rationalité et de l'objectivité n'importe quelle autorité scientifique, notre culture doit bien se rabattre sur quelque chose. Le normal, volontiers appuyé sur des indices chiffrés donnant le sentiment de la précision mathématique, d'un côté, et l'anormal ( en dehors de la norme) de l'autre.
Entre anormal et pathologique, le chemin mental est vite parcouru.
Un exemple ? Le réflexe de mettre en place des cellules d'assistance médico-psychologiques dès qu'un évènement de quelque importance survient dans un groupe humain.
Tout ce qui dérange le bon ordre des citoyens sans histoire devient une maladie. La liste est interminable, et ne demande que le prochain fait divers frappant l'opinion pour s'allonger encore et encore.
Et, invariablement, les médecins sont priés de trouver sans délai les solutions à ces nouvelles pathologies. Ainsi en est-il dans le cas des délinquants sexuels ou des meurtriers récidivistes. Médecins, comme des Shadoks, ne vous posez pas de question : pompez, pompez.

Restaurer la conscience

Le grand professeur Shadoko chez nous, au lieu de rester unique, est devenu multiforme. Les inventions techniques ( et non scientifiques comme on le dit trop à la légère) poussent comme des champignons. Chacune poursuit sa finalité propre sans grand souci de son impact sur la planète, son atmosphère, sa biosphère et ses locataires pourvus de cerveau parlant. Notre écologie, pour parler moderne, est menacée de toute part, sans que cela émeuve particulièrement ceux qui laissent faire.
C'est aux médecins de réparer les maladies induites au niveau des corps par nos façons de vivre, c'est aux psychologues de mettre en oeuvre des traitements pour colmater les brèches existentielles des esprits humains soumis à toutes les épreuves des modes du moment.
Mission aussi stupide dans sa finalité que mobiliser une armée de colleurs de rustines en même temps qu'on larde de plombs de chasse un bateau pneumatique transportant des passagers.
   Mais qui se soucie de cette version contemporaine du tonneau des Danaïdes ? Pourquoi et comment les médecins peuvent-ils finalement se trouver obligés de devenir les réparateurs, toujours dépassés, de toutes les décisions prises dans tous les domaines dans la négligence, ou la méconnaissance de leurs répercussions sur notre vie à tous.

   Et nous en sommes moralement pompés que de pomper sans cesse comme des Shadoks stupides avec leur cosmopompe pour dérober aux intelligents Gibis leur cosmogol 999 !

Renforcer la compétence

Des précurseurs comme Bruno Blaive, ancien professeur de pneumologie à Nice, insistent sur la nécessité de former les soignants à la prise en compte des réalités environnementales pour exercer correctement leur métier.
La réponse strictement médicamenteuse à n'importe quel problème de santé est encore, hélas, une réalité.
Ainsi en est-il de la consommation des tranquillisants (benzodiazépines anxiolytiques) en France, selon le site du Journal Internet de Médecine du 29 septembre 2011. Ce ne sont pas moins de 12 millions de personnes ( sur 50 millions d'adultes) qui en consomment régulièrement.
Et parmi les vieux de plus de 65 ans, cela représente 30% de la population.
Quand on sait (équipe d'addictologie du CHU de Clermont-Ferrant) que la consommation prolongée des mois et des années encore habituelle dans 35% des cas augmente de 20 à 5O% le risque de développer une maladie d'Alzheimer, il y a de vraies lacunes de compétence aux conséquences dramatiques.

La médecine shadok est donc, et je le regrette vivement, autant pour les malades que pour les médecins eux-mêmes, une réalité. Le jour où les élites de notre pays prendront conscience dans quel système absurde nous épuisons bien en vain nos forces et nos moyens, tous les émules et disciples du professeur Shadoko, dûment décorés de l'ordre de la Pompe universelle, seront invités, avec toute la politesse qui s'impose, à faire valoir leurs droits à... la retraite définitive.


Os court : « Je pompe donc je suis. »
Proverbe Shadok
Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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