Enseigner la philosophie de la médecine

25 juin 2012
Docteur François-Marie Michaut
lui laisser un message

Une interrogation sur le mode (ou les modes) de penser la réalité humaine quand la maladie menace a été formulée dans la LEM 642 du 1er mars 2010. Comme en écho amplificateur, m'est parvenu l'ouvrage d'Olivier Nkulu Kabamba intitulé à l'identique : «La philosophie de la médecine» édité en Belgique en mai 2012 (1). Son sous-titre «Essai pédagogique» définit clairement l'objectif visé.

Retrouver la confiance

L'auteur, d'origine congolaise, se définit ici comme portant la double casquette de philosophe et de médecin. Des ateliers de formation à l'éthique médicale pour des médecins stagiaires de l'hôpital Rosemont-Maisonneuve rattaché à l'université de Montréal (Canada) qu'il a été amené à animer l'ont conduit à rédiger cet essai.
  Bien comprendre donc qu'il ne s'agit d'un manuel exhaustif mais d'une publication très personnelle dans une discipline encore considérée - bien à tort à mes yeux- comme marginale.

  Philosophie, temple ouaté de la réflexion spéculative et des discours abscons à ma gauche, et à ma droite médecine se voulant le sanctuaire bruyant des sciences appliquées et des techniques les plus hardies, toute entière tournée vers l'action et l'efficacité. Combat de boxe en perspective, chacun espérant par ses coups favoris mettre KO l'adversaire d'en face ?
C'est exactement ce que ne recherche pas Olivier Nkulu Kabemba, en se réclamant de ce qu'il nomme une codisciplinarité.

Restaurer la conscience

Notre confrère fait un choix stratégique avec ce qui ressemble à huit conférences destinées à ouvrir et délier l'esprit des médecins et soignants, jeunes fraichement formés comme vieux briscards du stéthoscope.
Les personnages clé autour desquels il bâtit son propos sont au nombre de six. Hippocrate, bien entendu, mais aussi Galien, Descartes, Auguste Comte et enfin Georges Canguilhem. Univers hellénique et tradition intellectuelle francophone du 17ème siècle de notre ère au 20ème siècle, le lecteur ne s'aventure pas sur des terres intellectuelles inconnues.
   Ce que recherche dans son travail notre médecin-philosophe, et non sans pragmatisme à l'anglo-américaine, ce n'est pas surcharger des cerveaux déjà bien pleins des indispensables outils cognitifs, c'est donner une certaine orientation d'esprit aux soignants. Il souhaite des «praticiens réflexifs», c'est à dire des gens qui prennent la peine et le temps de réfléchir à ce qu'ils font au lieu de se laisser aller à la griserie facile de l'agir toujours plus. Olivier Nkulu Kabamba cherche aussi à contribuer à l'émergence de ce qu'il nomme des «cliniciens créatifs».

Renforcer la compétence

L'idée est fort intéressante. La standardisation des comportements médicaux, que ce soit pour des motifs scientifiques, organisationnels ou socio-économiques, rognant chaque jour un peu plus le libre-arbitre de chaque homme médecin est un redoutable destructeur de toute créativité des cliniciens. La tendance générale en France depuis des dizaines d'années est de renforcer sans cesse la mainmise des autorités politiques et administratives, avec ou sans le secours de la communauté scientifique, sur ce qui se passe, doit ou devrait se passer dans toute rencontre professionnelle entre le médecin et la personne qui a recours à lui. Promotion de fait d'un modèle qui est celui du clinicien passif, simple exécutant dépourvu de toute autonomie, donc de toute possibilité créatrice.
Promouvoir une philosophie de la médecine, ce qui semblerait une simple nécessité logique, est en passe de devenir, du fait de notre apathie intellectuelle collective, une attitude révolutionnaire. Une révolution sans qu'aucun sang ne coule, qu'aucune victime ne soit clouée au pilori, le défi ne manque pas de grandeur.
Un regret final cependant. La mise à la trappe dans l'essai d'Olivier Nkulu Kabamba de toutes les médecines du monde autres que la notre, sans oublier les médecines sacrées, notamment du continent africain ( cf Médecines du monde de Claudine Brelet LEM 760) n'ouvre pas la réflexion des médecins à la réalité de connaissances planétaires dont nous sommes encore si profondément imprégnés sans en avoir clairement conscience.
La connaissance du cerveau humain est une, elle ne peut pas s'accommoder de la moindre amputation.

Note :
(1) Olivier Nkulu Kabamba, La Philosophie de la médecine, Academia L'Harmattan, 2012, www.editions-academia.be

Os court : « Le mépris de l'être est la maladie la plus fâcheuse.»

Montaigne


Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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