Drogues, opinions
et réalité

3 septembre 2012
Docteur François-Marie Michaut
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Les débats estivaux sur les questions liées au cannabis, ou à la mise en place de «salles de shoot» m'ont laissé sur ma faim, justement parce qu'ils n'ont pas été jusqu'à ce que le mot fin puisse les conclure.
La réduction journalistique pour gens pressés (de consommer autre chose) a conduit à une alternative simpliste pour les citoyens interrogés. Finalement - sous-entendu vos arguments ne sont pas importants - êtes-vous pour au contre la dépénalisation des stupéfiants non autorisés par la loi ? Autrement dit, comme dans les jeux les plus simplistes diffusés par Notre-Dame-La-Cathodique, vous êtes pour, tapez un, vous êtes contre tapez deux.
   Une officine comptabilisatrice de ces messages téléphoniques se fait un plaisir de fournir un pourcentage, immédiatement traduit comme une donnée objective, sinon scientifique, d'une opinion publique ou... du résultat d'une consultation électorale. Les Français seraient contre toute évolution de la politique de lutte contre la drogue menée au niveau international par les USA sous couvert de l'ONU depuis 1961, qu'on s'enfonce bien cela dans la tête.

Retrouver la confiance

Peu importent les conséquences collatérales au niveau planétaire et les échecs constants en matière de résultats de ce qu'il faut bien nommer une prohibition, les gens honnêtes continuent d'avoir la peur au ventre dès que le mot «drogue» est prononcé. Tout esprit critique semble se volatiliser dès que les effets de l'utilisation de substances illégales chez certains utilisateurs sont mis en avant. On entend dire avec le plus grand sérieux que des substances peuvent occasionner des schizophrénies. Bigre, la menace fait peur, et fait mouche. La formulation est abusive, l'étiologie de cette pathologie est encore inconnue. Qui ne peut alors penser à ses propres enfants risquant d'être entraînés malgré eux par de vilains personnages dans cette consommation ? La peur, comme outil de manipulation des consciences et des opinions, la recette est vieille comme le monde, et continue d'être redoutablement efficace. Quelqu'un qui a peur peut se révéler particulièrement dangereux, qui ne le sait ? Seul remède : la connaissance sans oeillères .

Restaurer la conscience

Dans notre pays de grande tradition des usages festifs, culturels et religieux des produits de la vigne, l'histoire a montré que n'étions pas à l'abri de réactions aussi imprégnées de puritanisme. Souvenons-nous en 1915 de la mise hors la loi en France de l'absinthe. Cet alcool, si prisé par certains de nos poètes et artistes, a été reconnu par le corps médical comme particulièrement neurotoxique. Le courant hygiéniste a mené grand tapage, et la «fée verte», accusée de rendre fous ses buveurs, a disparu. Pour la petite histoire, la Suisse romande toute proche n'en a jamais interrompu jusqu'à ce jour, et sans ennuis particuliers, la fabrication et le commerce. Un apéritif disparait ? Dix autres apparaissent. Y compris en 1917, et avec la plus grande discrétion, un certain pastis de Marseille qui en est une copie.
  La mise à l'index des dérivés de l'absinthe a eu un effet remarquable. Celui de dédouaner, dans les esprits du public, les boissons à base de vin des risques d'une consommation importante quotidienne. Le «c'est naturel, ça ne peut que faire du bien» et autres « bonum vinum cordium homini laetificat» (le bon vin réjouit le coeur de l'homme) ont bien fonctionné.
Après tout, 9 personnes sur 10, quel que soit l'environnement, le produit, le lieu et l'époque ne deviennent pas dépendants de l'alcool.
Cette proportion est-elle la même quand il s'agit d'autres substances addictives, par exemple dans les pays utilisant culturellement l'opium, le chanvre, le tabac ou les champignons hallucinogènes ?

Renforcer la compétence

Opinions assises sur des émotions, aussi légitimes soient-elles, d'un côté. Dans l'autre plateau de la balance devrait figurer la connaissance aussi complète que possible de la réalité. Il n'est pas question de la réalité d'un produit contre lequel il faut se battre en espérant en faire disparaître l'usage, comme on l' a tenté en vain depuis si longtemps.
Il s'agit, veuillez m'excuser de l'aspect chronique de la redite au fil de ces LEM, de regarder la question sous un angle systémique. Plus exactement le système que constituent ensemble l'être humain, le groupe dans lequel il passe sa vie, et la (les) substance(s) qu'il est conduit à utiliser pour que les choses se passent au mieux (au moins mal) pour lui/elle.
Sans cet effort intellectuel, car cela en est un, aucune perception du réel ne permet d'aller plus loin pour chaque être humain que la réaction émotionnelle à une petite partie d'une problématique humaine majeure.
Si vous en doutez encore, regardez donc ce qui se passe autour du dopage des champions sportifs, de l'industrie des nouvelles drogues et des usages abusifs des substances médicamenteuses les plus diverses.

  Le mécanisme des addictions, plus que jamais, et en sachant sortir des pistes classiques, mérite notre plus grande attention. Même s'il n'y a aucune retombée économique immédiate à espérer récolter, le jeu pour notre futur commun en vaut la chandelle.

(Cliché exmed)


Os court : «La musique qui marche au pas,
cela ne me regarde pas.»
Georges Brassens

 


Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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