Éloge de l'hérésie

24 septembre 2012
Docteur François-Marie Michaut
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Que c'est confortable de penser comme tout le monde. Enfin, nuançons quand même un peu cette affirmation à l'emporte-pièce. Suivre comme leur ombre celui, ou ceux, dont l'opinion est reconnue comme digne de foi dans la culture du moment. Les commentateurs de notre siècle parlent, pour s'en gausser à peu de frais, de «pensée unique». Le christianisme tout pétri de grec dans sa version byzantine se qualifie d'orthodoxe, simplement pour afficher que lui, et lui seul, suit la voie droite de la foi religieuse unique.
   Tous les pouvoirs, et pas seulement les autorités religieuses, travaillent, pour imposer leur autorité, afin que se fasse l'alignement automatique sur leur modèle des consciences de leurs assujettis. Subtilement, un climat mou de «bien-pensance» a vite fait d'anesthésier des majorités ayant perdu tout esprit critique. Les exemples abondent, je laisse le soin à chaque lecteur de faire, et sans le moindre embarras, son choix.

Retrouver la confiance

De forts esprits ont toujours su bousculer les dogmes et les axiomes de leur époque. L'histoire de la médecine, comme de toutes les sciences, en est une illustration. Ces marginaux de l'esprit, comme autant de Galilée, de Darwin ou de Pasteur, pour rester dans la seule sphère scientifique, ont eu les plus grandes difficultés à convaincre leurs contemporains de leur compréhension de la réalité. Nous avons facilement tendance à les traiter de «génies», comme si ce qualificatif ,d'origine mythologique, constituait en soi une explication suffisante.

Certes ces hommes, comme des milliers d'autres moins célèbres, ont ouvert des champs de connaissance encore inconnus à leurs contemporains, et nous avons la chance qu'ils nous les aient légués en héritage. Mais, le plus remarquable pour nous qui sommes facilement rongés par le doute et l'incertitude, c'est qu'ils sont parvenus à conserver au milieu des pires embuches une indestructible confiance en leur cerveau personnel. Le : «et pourtant elle tourne» de Galilée devant le tribunal de l'Inquisition venant de le condamner à la prison à vie, même s'il n'est qu'une légende, demeure dans nos mémoires.

Restaurer la conscience

L'hérésie, soeur jumelle du blasphème, un grand mot au nom duquel tant de vies dans le monde entier ont été et sont encore brisées en invoquant la vérité suprême, mérite encore toute notre attention. Le sens des mots n'est jamais innocent, même si notre consommation sans modération du langage parlé et écrit (avec ou sans écran numérique) ne nous laisse guère le loisir de faire l'effort d'en examiner l'anatomie.
L'hérésie a une signification très précise. Être hérétique, c'est tout simplement, dit en grec, le fait d'effectuer soi-même un choix. Ne laisser à personne d'autre la capacité de s'exprimer en notre nom sans avoir donné notre accord.
Oui, cela suppose de réfléchir, de faire l'effort de comprendre, avec tous les moyens dont nous pouvons disposer, la réalité dans laquelle nous vivons. Et puis, il nous faut savoir, et pouvoir, faire sortir de nous (exprimer le dit) ce que nous choisissons, donc faire connaître en creux ce dont nous ne voulons pas.

Renforcer la compétence

Un apprentissage de l'hérésie au cours d'une vie humaine est-il possible ? Les disciplines académiques, c'est le moins qu'on puisse dire, ne font rien pour favoriser les esprits en quête d'exploration de nouveaux savoirs. La plus stricte imitation des modèles professoraux demeure la règle d'or pour parvenir au sommet des honneurs. Malheur à ceux qui osent ne pas courber la nuque, comme, toute disproportion garder, les courtisans de la cour de Versailles du Roi-Soleil.
Un système d'enseignement fondé sur une sélection féroce de ses étudiants ne peut que rejeter ceux qui choisissent par eux-mêmes et pour eux-mêmes leur façon d'acquérir et d'utiliser leurs connaissances.
S'agit-il, pour autant, de se livrer à quelque provocation que ce soit à l'égard de ceux qui se sentent les gardiens intraitables de leur territoire de pensée ? La question n'est pas anodine, notre actualité du moment mondialement diffusée par Internet le démontre.
Provoquer, c'est utiliser en toute conscience la manipulation de certains esprits en calculant que leur réaction émotive excessive les décridibilisera aux yeux des autres. Être hérétique, c'est savoir choisir sa propre opinion, pas celle de tout un groupe. C'est savoir ne pas dire, ni même penser «nous les... nous estimons que».

   Apologie de l'individualisme qui serait, dit-on, l'apanage de nos cultures occidentales? Pas tout à fait, c'est un peu plus subtil.
Pour finir en élargissant le champ de la réflexion, revenons à la structure des mots dont il était question au début de ce propos. Hérétique, à deux voyelles près, se trouve être un cousin germain de hiératique. Curieusement, en agitant ce mot, apparait une dimension que nous n'attendions pas ici. Celle du rapport avec les choses sacrées, ce que la tradition immémoriale dans toutes les cultures nomme le monde du divin. L'ombre lumineuse de notre ami triplement prénommé Baruch, Benedictus,ou Benoît Spinoza ne se laisse pas oublier.

(Cliché exmed)

Os court : « Je ne serais pas étonné que l'esprit soit un muscle.»
Pierre Soulages (artiste peintre, 1948)

 


Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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