Le don d'enseigner

12 novembre 2012
Docteur François-Marie Michaut
lui laisser un message
   Les petites annonces des revues médicales m'ont toujours parues un baromètre significatif des préoccupations et des ambitions des médecins. Dans les années 1960, il n'était pas rare que des confrères, installés au bout du monde dans des pays misérables, fassent appel aux dons de matériel médico chirurgical réformé. Souvent aussi, la fourniture de revues médicales, même anciennes, faisait l'objet d'une pressante sollicitation confraternelle. Garder, malgré la distance et l'isolement, le contact avec l'évolution des connaissances des sciences médicales était, à l'évidence, une nourriture intellectuelle indispensable pour nombre de ces médecins de brousse anonymes. Aux antipodes des si médiatisés «French Doctors».
   Le temps de ces solitaires discrets hérités de l'époque coloniale a passé. La presse médicale française, dont la diffusion et l'influence culturelle était mondiale, a maintenant presque totalement disparu (1).

Retrouver la confiance

L'invasion numérique planétaire de notre siècle nous a permis de réaliser la plus fantastique des bases de données de toutes les connaissances accumulées depuis les origines humaines qui ait jamais existé. Le rêve des encyclopédistes du siècle des Lumières poussé à l'extrême grâce aux techniques numériques, voilà de quoi s'émerveiller.
Tout, du meilleur au pire des productions intellectuelles est empilé, classé, rangé, en un mot numérisé. Dans cette tour de Babel du savoir, comment ne pas se perdre tant les langues , jargons et argots foisonnent à l'infini ?
Trop d'information - toute mise en forme d'un savoir en est une - peut-il vraiment tuer l'information ? Sommes-nous, poussés bien malgré nous par la technologie numérique sans frontière, comme des illettrés déambulant dans la plus grande bibliothèque de la planète ?

   Il suffit d'écouter un peu ce que les patients et leurs proches peuvent retenir de leurs escapades sur les sites dits de santé pour en prendre la mesure. Les professionnels de la recherche scientifique le vivent chaque jour : on ne peut trouver que ce qu'on cherche.
Plus que jamais, c'est le cheminement personnel à travers les savoirs accumulés par l'humanité toute entière qui se révèle d'une grande difficulté.

Restaurer la conscience

Le Moyen-Âge est resté dans nos mémoires occidentales la période où des lieux de savoir, sous la férule de la toute puissante chrétienté, se sont ouverts à tous les jeunes garçons d'Europe avides de s'instruire. Montpellier pour la médecine, Salamanque, la Sorbonne ou Heidelberg, les maîtres les plus prestigieux délivraient leur enseignement à qui allait vers eux afin de s'instruire. L'envie d'apprendre a-t-elle cédé la place à la seule volonté d'obtenir des diplômes ouvrant la porte de professions lucratives ?
Nos universités ne sont pas les dernières à se poser des questions sur les motivations des étudiants actuels. Les aider à trouver un intérêt aux matières qu'ils doivent ingurgiter est devenu un impératif pédagogique majeurs. Des pionniers comme l'Université Médicale Virtuelle Francophone avec le professeur Albert-Claude Benhamou (2) tentent d'explorer et d'exploiter les potentialités offertes par «les nouvelles communications».

   Des universités anglophones aussi prestigieuses que Harvard, Cambridge, Stanford, MIT, Oxford , l'Université hébraïque de Jérusalem etc.. viennent de franchir un pas supplémentaire (3).
Elles mettent en ligne gratuitement certains de leurs cours ouverts à tous les internautes. Un système de forums permet des discussions à la manière de groupes de travail. Des examens sont prévus, comme pour les «vrais étudiants» et des certificats -en attendant peut-être des diplômes- peuvent ainsi être obtenus.

Renforcer la compétence

Les cours sont délivrés sous forme de clips video. Cela nécessite un talent pédagogique certain des enseignants, et une bonne dose de charisme et d'enthousiasme. L'avantage considérable pour les étudiants par rapport au cours traditionnel est qu'ils peuvent à volonté, et autant de fois qu'ils le veulent, revenir en arrière quand ils ont des difficultés à suivre.
Un tel système est-il transposable pour toutes les disciplines médicales ?
L'apprentissage de la clinique, comme celle des gestes chirurgicaux ou des techniques relationnelles peut-il être transmissible au moyen de video, aussi bien faites soit-elles ?


   La personne de l'enseignant, tout ce qui n'est pas la science dont il est le dépositaire et le dispensateur, mais qui fait de lui quelqu'un dont l'exemple inspire votre façon d'être, demeure un paramètre non quantifiable. Enseigner, comme raconter, chanter, danser, inventer, écrire est un don d'une haute valeur pour toute société. Savons-nous vraiment le mettre en valeur comme il le mérite pour notre avenir à tous ?

   L'invasion fascinante des machines ne doit pas nous aveugler, le retour de baton de la réalité perdue de vue risquerait bien d'être terrifiant et destructeur.

Notes:

1) Hoerni B. « Le crabe et le calame - Un demi-siècle de médecine (1958-2008)»; éditions Glyphe, Paris, 2009.

(2) Université Médicale Virtuelle Francophone

(3) «Harvard pour tous» p. 36-41, Courrier International N°1148 du 31 octobre au 7 novembre 2012

(cliché Cath exmed)

Os court : « J'ai toujours réussi à rater tous mes examens. »
Raymond Devos
Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

      Lire les dernières LEM:

  • Contresens, Jacques Grieu  LEM 782
  • L'échec liste, François-Marie Michaut  LEM 781
  • Connaître pour se libérer, François-Marie Michaut  LEM 780
  • Valeur, valeur, François-Marie Michaut  LEM 779
  • Histoires d'eau, Jacques Grieu LEM 778