Pharmacoscepticisme

11 février 2013
Docteur François-Marie Michaut
lui laisser un message

Il fallait s'y attendre. Il y a des années que l'incendie couve, et que nombreux sont ceux qui crient au feu. Parmi bien d'autres, ce site s'en est fait l'écho. Le brasier devient évident. Depuis bien longtemps, disons, pour fixer les idées, depuis la thalidomide, il y a 50 ans (1), les « affaires » de médicaments défrayant la chronique n'ont cessé de s'enchaîner en se multipliant. Une certaine attitude critique, calquée sur le consumérisme né en France dans les années d'après-guerre (2), alliée à une multiplication croissante des sources d'information manipulant facilement le registre de l'émotion s'est installée dans nombre d'esprits.

   Il y a encore bien peu de temps, il était quasiment impossible à un médecin de conclure une consultation sans délivrer une ordonnance de médicaments. Comme une sorte de rituel bien huilé, précédé de la formule magique, au demeurant trompeuse, mais finalement rassurante : « je vais vous donner quelque chose pour ça». En des temps que j'espère révolus, et en des lieux que je ne citerai pas, il m'est arrivé d'entendre vanter la qualité d'un praticien au nombre de spécialités prescrites dépassant largement la douzaine, ou même au prix particulièrement élevé des produits utilisés, supposé proportionnel à l'efficacité (la force) thérapeutique. Enfantillages d'un public peu éduqué que tout cela, c'est évident. Mais aussi marque d'une attitude mentale en fait peu différente de ce qu'on nomme la foi du charbonnier.
Sacralisation laïque du Bon Médicament, rejaillissant par ricochet sur le clergé pharmaceutique, tout de blanc vêtu en son temple officinal de La-Science sous sa croix verte.


   Tout ce bel édifice, malgré les efforts désespérés des athlètes de la vente à tout prix, s'écroule sous nos yeux. Des pharmacies ferment chaque jour.
La confiance que nous (médecins inclus) avions en nos médicaments au XXème siècle comme réponse UNIQUE à tous nos maux, petits et grands, est perdue corps et âme. Et, n'en déplaise à l'injonction d'Exmed, il est devenu impossible de la retrouver, cette confiance. Faut-il en pleurer ? Certainement pas, la nature ayant définitivement horreur du vide, il vaut infiniment mieux observer ce qui va se développer à la place. s

De plus en plus privée de son allié traditionnel de prescription automatique en guise de thérapeutique, c'est la médecine traditionnelle elle-même qui se trouve dans l'obligation de repenser ses pratiques. La médecine générale est au premier rang de cette nécessité d'adaptation à une nouvelle culture. Ceux qui ont la curiosité d'étudier d'un peu près la pharmacologie et la thérapeutique remarquent une chose troublante. Les médicaments actuels, de plus en plus sophistiqués et chers, sont développés pour répondre en priorité aux attentes des différents spécialistes. Ils sont donc plus orientés vers les maladies les plus graves et les plus dangereuses que vers les troubles de santé quotidiens, et bien plus fréquents, relevant de la seule médecine de famille.
Les généralistes, encore coincés par la coutume de la prescription systématique, sont donc actuellement contraints d'utiliser des traitements d'une certaine façon «surdimensionnés»par rapport aux besoins réels de leurs patients, avec tous les risques toxiques que cela entraine. La disparition accélérée de vieux produits accusés du crime mythique de « service médical rendu insuffisant » ne leur facilite pas le travail.
Jean-Luc Gallais, l'un des piliers de la Société Française de Médecine Générale (3), aimait à se définir ainsi comme généraliste : « je suis un spécialiste des maladies spontanément curables».
Soigner toutes les souffrances que notre vie peut nous infliger demeure la raison d'être des médecins. La médecine ne se résout pas, ne se réduit pas à l'utilisation d'une... médecine, comme on disait du temps des apothicaires.
La thérapeutique à large spectre et à cordes multiples est à réinventer. Immense chantier qui ne saurait faire l'épargne d'un gigantesque inventaire de ce que toutes les cultures humaines, depuis nos origines, ont réussi à développer. Le rouleau compresseur de la machine scientifique occidentale nous a conduit à mépriser comme « dépassées » toutes ces connaissances traditionnelles. Elles méritent d'être sérieusement étudiées pour limiter les dérives des « terribles simplificateurs » (4) avant de se permettre quelque jugement que ce soit.

Nous avons probablement encore en nous, sans en conserver le moindre souvenir conscient, des traces de ce savoir oublié. Nous n'en faisons rien. Avons-nous la preuve objective que nous avons raison ?
Je ne peux pas savoir pourquoi, une expression produit depuis mon adolescence, bien avant toute orientation médicale, un inexplicable écho en moi. Celle de medecine man, d'homme médecine. L'homme qui est, en lui-même, une médecine. Nous sommes aux antipodes du technicien bien aseptisé pour se contenter d'être un prescripteur conditionné de molécules salvatrices.


Notes :
(1) La thalidomide, fabriquée par le laboratoire allemand Chemie Grünenthal, a été proposée au public mondial comme un remède sédatif et antinauséeux. Ne nécessitant pas de prescription médicale, il a été largement utilisé, sauf en France, par des femmes en début de grossesse. Avec, hélas, la survenue de malformations foetales majeures au niveau des membres. Cette même molécule, alors interdite, est utilisée actuellement, et de façon très contrôlée, comme un précieux antitumoral.
(2) Sur le consumérisme en France
(3) Site de la Société Française de Médecine Générale
(4) Paul Watzlawick


(Cliché Exmed)
 

Retrouver la confiance

 

Restaurer la conscience

 

Renforcer la compétence


Os court : « Lorsque les hommes crachent sur la terre, ils crachent sur eux-mêmes. . »
Chef amérindien, Seattle 1854
Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

      Lire les dernières LEM:

  • Ceux qui font avancer le schmilblick , François-Marie Michaut LEM 795
  • Baraka, VEINE ET POT , Jacques Grieu LEM 794
  • Dépistage ou pas, Jean-François Huet LEM 793
  • Sous l'écorce ... , François-Marie Michaut LEM 792
  • COMPTE DU NOUVEL AN Bonne damnée ! , Jacques Grieu  LEM 791