Cercle et cycle

19 mai 2014
Docteur François-Marie Michaut
lui répondre

Deux mots bien ronds, en vérité, que cercle et cycle. Peu de différence apparente entre la même lettre initiale «b», et terminaison identique en «cle». Les curieux des mots ( ce n'est ni un vice, ni une maladie) repèrent que le cercle est d'origine latine, alors que le cycle nous vient du grec kuklos. De quoi suspecter d'un côté la rigueur imperturbable des Romains face à la subtilité de l'esprit des amis d'Hippocrate, de Parménide et de Socrate. Au risque de me comporter en médiocre Watson, et de me faire remonter les bretelles par Sherlock Holmes embusqué, je risque une enquête.

Comment ne pas admirer un cercle ? La nature, en dehors du soleil et de la lune observables par tous, utilise rarement cette rotondité parfaite. Comment un cerveau humain a-t-il bien pu en effectuer le premier dessin ? Il me semble que la trouvaille fantastique a été celle du rayon.
Un point fixe, un lien de longueur constante dont on explore toutes les positions sur une surface plane et friable? Un animal, ou un ennemi, tenu à l'attache qui trace un cercle parfait avec ses pas ?
Nous n'aurons jamais la clé de cette découverte sans laquelle notre évolution aurait été impossible.
Le cercle, même si nos sciences et nos techniques l'utilisent sans même y prêter attention, on le dit volontiers vicieux. Tout simplement parce qu'après avoir parcouru toute sa périphérie, on se retrouve au point de départ. Il parait qu'il en est ainsi quand on se perd dans une foret inconnue : notre tendance naturelle, alors que nous pensons marcher droit serait de revenir là où on était.
Un cercle naguère était un endroit de rencontre et de distraction réservé aux hommes, avec une discrimination sociale clairement affichée. Plaisir d'être «entre soi», gens du «même monde», partageant les mêmes «valeurs». La France coloniale a également utilisé le terme de «cercle» pour désigner des territoires, parfois très étendus, placés sous l'autorité d'un administrateur aux pouvoirs quasi discrétionnaires. Exploiter, empêcher que les choses bougent, que le pouvoir blanc soit contesté ou bafoué. Le cercle doit tourner rond.
Se souvient-on encore que les médecins chez nous, jusqu'à la dernière guerre mondiale, juste avant que ne naisse l'Ordre actuel sous Vichy, étaient organisés en cercles ? Chaque secteur géographique, le plus souvent une sous-préfecture afin d'être facilement joignable par les praticiens, possédait son propre cercle. Des réunions y étaient organisées, les questions disciplinaires, et même les innovations et discussions scientifiques, y avaient leur place, sans, heureux temps de l'improvisation des hommes de terrain, qu'il soit besoin d'en formaliser officiellement les missions. L'idée, cependant, c'est que les histoires de médecins ne peuvent, et ne doivent surtout pas sortir hors de leurs liens de proximité. Une vision bien particulière du secret médical, en quelque sorte.

Avec le cycle, un élément nouveau intervient : celui de mouvement. Je passe, pour y voir clair, du monocle aux bésicles : la réalité du cercle en deux dimensions, passe en troisième dimension. Certes, avec la sphère, à l'image de la goutte d'eau dans sa perfection géométrique, mais surtout avec le cycle. Bicycle, dirent les inventeurs d'un merveilleux outil de déplacement.
Les cycles, les médecins vivent dedans. Leur bagage intellectuel en est plein : du cycle de Krebs au cycle ovarien, sans compter les cycles de la vie de la conception à la mort, avec leurs différentes phases. Le mécanisme semble toujours le même, d'un début balbutiant à un développement flamboyant précédant de peu un rapide déclin et une fin.
Mort définitive ? Certainement pas, et c'est assez troublant quand on y songe. Chaque nouveau cycle ne repart pas de zéro, mais bien sur les matériaux laissés par leur prédécesseurs.

Il est habituel d'entendre parler de décadence, de déclin des civilisations. Comme si les entreprises humaines devaient mystérieusement ne pas subir la loi du vivant : naissance, développement et mort. Ce que ne disent pas les nostagiques des temps passés, c'est que l'effondrement des sociétés, petites, moyennes ou grandes ne veut surtout pas dire la disparition de ce qu'elles ont su créer dans tous les domaines. Ce n'est qu'à partir des ruines de ce qui ne peut plus vivre que peuvent naitre dans les sociétés humaines de nouveaux systèmes de connaissance et d'action. Un peu comme si existait une sorte d'héritage collectif comparable à celui de nos gènes personnels. Ce qui demeure à la fin d'un cycle n'est pas matériel, il est de l'ordre de l'esprit, ce qui le rend difficile à étudier par les sciences. Un nouveau cycle y trouve ses matériaux de construction, et le cycle des cycles s'enchainant les uns les autres continue.

Je trouve vraiment étrange que notre balade autour des cercles et des cycles ait eu comme racine deux notions léguées, à travers des mots, par une culture gréco-latine qui, dit-on, a disparu de la terre il y a deux mille ans. Les choses ne sont pas si simples que nos mécaniciens de la pensée veulent nous le faire croire pour leur plus grande gloriole personnelle.

 

Retrouver la confiance

 

Restaurer la conscience


Renforcer la compétence


Os court : « Le papier se recycle, pas la mémoire.»
Yann Queffélec
Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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