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LEM 203 du 9 août 2001

Échos d'été

Docteur François-Marie Michaut

 

Les médias font leurs choux gras de l'annonce à sensation d'un confrère italien qui veut cloner des embryons humains au mois de novembre. Vous savez, ce médecin qui avait aidé une femme de 63 ans à devenir mère. Est-on encore là dans le domaine de la santé ? A l'image de la météorologie, le "moral des ménages" français serait en chute libre. Du moins si les projets de consommation sont bien des indices crédibles de ce fameux "moral". Est-il innocent pour la santé psychologique de la population de lancer de telles affirmations ? Au moment où à l'arrivée de l'Euro les bas de laine se vident, témoignant ou d'un manque de confiance dans les établissements bancaires ou de revenus Surtout au moment où les radios annoncent que le déficit du budget de l'Etat français pour le premier semestre 2001 atteindrait la bagatelle de 105 milliards de francs français. Les causes invoquées sont celle d'une mauvaise évaluation de la réalité économique et une diminution des recettes fiscales attendues. Quel serait le sort d'une entreprise faisant de telles erreurs de stratégie ? Qui va payer ce déficit , et comment ? Quelle en est la conséquence sur notre compétitivité future ? Comment ne pas se poser de questions sur la santé de notre situation nationale ? Nos journalistes annoncent également que notre agriculture nationale remporterait, selon la Commission Européenne, la palme de l'usage des pesticides. Il sera intéressant de suivre sans complaisance quelles seront les répercussions concrètes de ce triste record sur les comportements de nos producteurs. Voilà qui concerne au premier chef la santé de tous les citoyens, grands et petits. Resterons-nous silencieux, saurons-nous tirer la manche de nos hommes politiques, saurons-nous ne pas nous laisser intoxiquer ?

 

Retrouver la confiance

En qui est-il encore possible de faire confiance ? La célèbre foi du charbonnier, tant vantée par nos instances religieuses traditionnelles, semble bien abandonnée. Nous continuons de croquer avec appétit la pomme biblique de l'arbre de la connaissance. Alors deux attitudes sont possibles. Devant toute rencontre nouvelle, la méfiance peut être une position de principe. En apparence, elle est sage : impossible de se tromper quand on exclut systématiquement tout ce qu'on ne connait pas.

 

Restaurer la conscience

Le résultat de ce système si répandu de méfiance est d'aboutir à un blocage de tous les rouages vivants d'une société. Les patients se méfient des médecins, et les médecins des patients, des gouvernants, des institutions, des industriels,des confrères. A l'inverse, certains, à vrai dire bien rares, font le choix à haut risque de jouer a priori la carte de la confiance à l'autre. L'autre n'est pas un ennemi à combattre, il est simplement le porteur de son propre projet, de sa logique, de sa motivation. Ce crédit de confiance se trouve naturellement confronté aux faits, qui permettent d'en estimer sur pièce la solidité.

 

Renforcer la compétence

Les discours pour manipuler les opinions en vue d'obtenir les comportements attendus ( comme un bulletin de vote ) prennent alors une autre teinte. La question du traitement hormonal de la ménopause en est un autre excellent exemple. Bien sûr, il est difficile de s'y retrouver, tant pour les professionnels que pour les patientes. Les pour affrontent les contre, les supporters de la TSH s'opposent à ceux des phyto-oestrogènes. Bien sûr cela oblige à accepter qu'on ne sait pas tout, et que sa perception des choses est en évolution permanente. Tout cela n'est pas rassurant du tout. Qui d'autre qu'un esprit totalement rigide, ou un enfant, peut se raccrocher durablement à une vérité immuable qui les mettent à l'abri de tout risque d'évolution ou d'erreur ? La sécurité absolue, l'assurance contre tout imprévu ne sont que des slogans inventés pour nous manipuler.

 

Os court : « Dès qu'une vérité dépasse cinq lignes, c'est du roman. » Jules Renard

 

 


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LEM 204 du 23 août 2001

 

 

Vous avez dit santé ?

Docteur François-Marie Michaut

 

On se souvient à peine que la fabrication de l'aspirine a été un enjeu important dans la rivalité franco-allemande pour la suprématie de l'Europe continentale au XXème siècle. Notre tricolore Usine du Rhone, devenue Rhône-Poulenc, batailla contre le laboratoire germanique Bayer, inventeur de la synthèse de l'acide salicylique. Le temps des guerres civiles meurtières semble heureusement s'éloigner de notre horizon, et la même firme Bayer affronte une nouvelle tempête. La presse en a beaucoup parlé. L'association de l'hypolipémiant qu'elle fabrique, en quantités gigantesques, avec un autre produit plus ancien possédant la même indication, se serait révélée fatale à quelques dizaines de patients. Certes, chacun, professionnel de santé ou patient, peut y aller de son commentaire pour qualifier un tel accident thérapeutique. Nous prescrivons, et nous absorbons, de multiples produits, dont les risques potentiels ne sont pas forcément mis en évidence par les procédures les plus sévères de contrôle d'une industrie consciente de ses responsablilités. Le fait que des médicaments soient associés complique à l'infini ce type d'investigations. Ce n'est pas rassurant pour le public ? C'est cependant la réalité des choses. Peut-être pourrait-on simplement rappeler que, dans ce cas précis de l'excès de cholestérol, on ne se trouve pas devant une maladie. Il s'agit simplement, croyons-nous généralement dans la communauté médicale, d'un facteur de risque de maladies cardiovasculaires. Tout comme l'obésité, le manque d'exercice, le tabac et l'excès d'alcool. Bien humainement, il est plus facile d'avaler un comprimé que de vivre un peu autrement sa vie de chaque jour, tous les médecins le constatent chaque jour.

 

Retrouver la confiance

Cet accident thérapeutique, comme tous les autres, montre l'importance du rôle du médecin prescripteur. C'est bien lui, et lui seul,en dernière analyse, qui établit la balance entre les effets bénéfiques attendus d'un traitement et ses risques éventuels. Il n'y a pas en matière de santé de conduite stéréotypée, par exemple sur le modèle de la chek-list des pilotes d'avion. Chaque décision thérapeutique est le résultat " sur mesure" de la rencontre toujours particulière entre deux hommes.

Restaurer la conscience

En un temps où on rêve de protocoles, de questionnaires, d'évaluation, de scores, de chiffres et d'écrans, la dimension humaine, artisanale, de la consultation médicale demeure plus importante que jamais. Alors quand on entend à la radio un homme de 83 ans annonçant qu'il a arrêté en urgence son hypocholestérolémiant à l'annonce de son retrait du marché, on se met à s'interroger. Quelle raison justifie l'usage de ce médicament à cet âge ? Certainement pas pour le médecin le risque objectif de prévention des troubles cardiovasculaires. On est alors dans une autre logique du recours au médecin, celle d'une recherche aussi vieille que l'humanité d'une éternelle jouvence. Rester toujours jeune en soignant tout ce qui peut être soigné, y compris en prenant quelques risques iatrogènes, n'est-ce pas un peu nier la mort, cette mort qui nous fait si peur.

Renforcer la compétence

Des toxicologues canadiens demanderaient que les poissons qui concentrent le mercure, et d'autres métaux lourds, comme le thon ou le flétan reçoivent la même étiquette de mise en garde que les cigarettes " Nuit gravement à la santé" du fait de leur toxicité hépatorénale chez les femmes enceintes et les jeunes enfants. En France 21 espèces dont la lotte et le bar ont cependant l'autorisation de dépasser le seuil autorisé pour les poissons de 0,5 mg/kg. ( source Canard Enchainé du 8/8/01) . Bon appétit quand même ! Il faut savoir vivre dangereusement.

 

Os court : « Cécité : Point de vue. » Michel Laclos

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LEM 205 du 30 août 2001

Courage intellectuel

Docteur François-Marie Michaut

 

La polémique violente autour de la publication des travaux du Pr Jacques Benveniste il y a une vingtaine d'année est restée dans les mémoires. La LEM a jadis posé à propos de cette affaire la question du fonctionnement de la communauté scientifique. Une chercheuse a décidé , au lieu de crier haut et fort à l'escroquerie comme cela avait été fait, de vérifier sa conviction. Vraiment, cette histoire de la mémoire de l'eau, elle ne pouvait pas y croire. Alors, l'expérimentation sur les hautes dilutions de l'histamine ont été reprises rigoureusement au laboratoire. Et là, surprise, les conclusions "sulfureuses" de Benveniste ont été confirmées ( Quotidien du Médecin, cité par Avantages n° 155 d 'août 2001 ). Ce n'est d'ailleurs pas la première fois, mais les autres chercheurs, eux, ont préféré ne pas créer de remous en faisant connaître leurs conclusions. De là à tirer des conséquences pratiques, en particulier sur l'usage de consommation des eaux douces recyclées, ou sur la valeur "scientifique" de l'homéopathie, les lecteurs pardonneront à la LEM de ne pas s'y risquer. Au même moment le ministre français de la santé a lancé un curieux message. Son parti, souvenons nous, a soutenu sans état d'âme la doctrine qui a conduit avec le plan Juppé à éliminer de la profession médicale plusieurs milliers de praticiens avec un coûteux système de préretraite. Il y a quelques jours le Dr Kouchner a lancé un appel dans le Quotidien du Médecin ( 18 juin ): " Kouchner veut plus de médecins". Le fond de modernisation de la médecine de ville, créé pour financer la préretraite, envisage désormais de verser des primes à l'installation pour les médecins. Qui paye tout cela, en fin de compte ? Les citoyens, cela va de soi, à moins qu'un jour, enfin clairement informés, ils en aient assez d'être pris pour des imbéciles taillables et corvéables à merci .

Retrouver la confiance

Panique dans les hôpitaux de France et pas de Navare. On manque dramatiquement d'infirmières pour assurer les soins aux patients. Un grand silence règne sur les vraies raisons de cette hémorragie interne d'une profession, dont l'utilité pour tous est évidente. Comme toujours, on abat, dirait Jacques Blais ! Au lieu de tenter de comprendre une réalité, on met en place, en urgence, un plan d'action pour la modifier. De moins en moins de personnes pour soigner les autres ? On en importe d'autres pays. Ainsi, naguère le personnel de maison devint successivement breton, espagnol, puis portugais . Nos infirmières espagnoles tiendront-elles mieux le coup que nos nationales démotivées par des conditions de travail humainement inacceptables, parfois franchement avilissantes ? Fera-t-on éternellement l'économie d'un débat général sur ce qu'une nation peut demander à ceux qui travaillent à son service, et à quel niveau ils doivent être rémunérés - ou honorés, comme on le dit joliment en médecine.

 

Restaurer la conscience

La question n'est pas simple au pays des avantages acquis, qui n'est pas sans rappeler la théorie de Lysenko. Vous savez, ce généticien fétiche des autorités soviétiques qui soutenait sans vergogne que les caractères acquis se transmettaient génétiquement à leur descendance. Depuis des années, les médecins tirent la sonnette d'alarme. Dans de multiples spécialités, la pénurie s'annonce inévitable. De l'ophtalmologie à la gynéco-obstétrique, en passant par l'anesthésie et la pédiatrie, c'est le même refrain. Auquel répond la même inertie sourde et aphasique des services officiels.

Les médecins des hôpitaux eux-mêmes, bien avant que les 35 heures officielles de travail ne soient en application, manquent cruellement. La psychiatrie publique est franchement désertée par les candidats.

 

Renforcer la compétence

De tout cela, les professionnels de la santé entendent parler, même s'ils se demandent si ces propos alarmistes ne sont pas de simples manoeuvres syndicales pour obtenir toujours plus des employeurs . Le public, lui, la masse de ceux qui demain auront besoin de soins adaptés, qu'en savent-ils ? Quelqu'un prend-t-il la peine d'expliquer qu'il existe actuellement un malaise professionnel tel que demain nous risquons de n'avoir plus assez de soignants. Et demande enfin aux utilisateurs leur avis avant de prendre des décisions autoritaires.

 

Os court : « Des applaudissements, j'en ai ma claque. » Cath Hoche

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LEM 206 du 6 septembre 2001

Chroniques d'un médecin marocain (1)

Dr Idrisi My Ahmed

 

- Bon retour, Docteur ! Passé de bonnes vacances ?

- Paradoxales et symboliques ! Au total on oublie qu'on en a profité ! Ingratitude ou insuffisance ? L'homme ne reconnaît Dieu, qu'à travers la souffrance !

- Et le malade son médecin qu'à travers le mal !

- En pleine morosité, la reprise est asthénique ! Et les obligations de dépenses sont inamovibles et incompressibles ! Les charges, le personnel, que ça tourne ou pas, vos congés sans fin.

-Il est des dates symboliques, Patron ! Nous devons le peu de repos, que l'exploitation des hommes nous concède, à ces rares fêtes nationales que notre histoire fabrique pour nous les rappeler ! Les sacrifices de tous les jours ne sont pas reconnus ! Vous ne supportez pas le repos des subalternes. Vous aimez les voir ramer comme des forçats et ne jamais cesser de trimer pour le plaisir de gagner plus

et posséder davantage !

- Je ne comprends pas cette densité optique ni ces insinuations qui pétaradent à l'intérieur de ta phraseuse ! Ni en quoi elles me concernent !

- Pardon, jâai essayé de parler comme vous ! Vaseusement éloquent ! A l'occasion des fêtes qu'il vous fâche de nous laisser chômer ! Trois jours et demi légaux, ça vous révolte messieurs les producteurs !

- Je vois le 20 Août 1956, c'est ta date de naissance,Chipie ?

- Demain, câest le 20 août 1953, la date souvenir de la Révolution du Roi et du Peuple. La date du forcing à l'exil de M V ! Le Roi, au lieu de se la couler douce, comme les sultans antiques, s'est sacrifié pour le Peuple ! Après la grève du sceau, Il a fait de la résistance pacifique, comme Ghandi. Au lieu d'accepter d'être un pantin, un figurant à la merci des colons, un préposé à la signature ! Il a dit non à l'esclavage de son peuple !

- Désolé, mais qui est M V ?

- Non ! Vous me prenez pour une abrutie! On voit son nom sur tous les boulevards ! J'ai un poster de Lui, représenté dans la Lune, avec la famille royale ! Câest le grand père de M VI !

- Il faut dire Mohammed V ma chère, sans raccourci ni contraction ? On parle plus poliment de nos Rois ! Le Roi est doué d'une autorité morale, il représente toute la

Nation !

- Comme un drapeau ?

- Oui, si le drapeau est un symbole, le Roi est un gestionnaire, doté du pouvoir arbitral ! Un chef d'orchestre au dessus de la mêlée ! Un acteur éminent, une Majesté ! Sa Haute Grandeur ne supporte pas la familiarité des mots et encore moins les diminutifs ou les sobriquets ! Il est un symbole vivant et sacralisé ! On n'est pas en

Gaule ici, pour souffrir que l'on écorne l 'image du Roi !

- Oui, Patron, pas de caricatures coupables !

- Fussent-ils des intellectuels, ils ont étés instrumentalisés comme de vulgaires mercenaires à la solde des médias étrangers ! Ces pontes opèrent dans les blockhaus sanctuarisés des grands journaux, d'où ils manipulent les nôtres et opèrent des menées subversives pour infléchir nos réactions et nous dicter des conduites !

- Je vous soutiens Patron, contre ces ingérences qui amoindrissent notre prestige et nos libertés !

- Ces arts insolents ont quelque chose dâiconoclaste qui nous consterne et nous répugne sans nous amuser ! Nous nous amusons dâautres choses ! Hez sa3ak ou dhak 3alih !

Ndlr : Notre ambition affichée de francophonie trouve dans ces chroniques inédites du Dr Idrisi une expression pleine de saveur, venue d'un univers culturel à la fois très proche et très éloigné de celui dont on parle souvent dans Exmed. Notre souhait serait que cet exemple soit contagieux, et que nous puissions publier le plus possible d'expressions médicales différentes de pays où on utilise la langue française, sans oublier notre objectif.

 

Retrouver la confiance

Restaurer la conscience

Renforcer la compétence

 

Os court : « J'en ai plein le dos de mon ventre, Docteur. » Cath Hoche

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LEM 207 du 12 septembre 2001

 

 

NUMERO SPECIAL 11 septembre 2001

 

COMMUNIQUE DES MMT

 

En tant que médecins créateurs et animateurs de sites Internet consacrés à la santé, les membres de l'association des Médecins-Maîtres-Toile Francophones, premier éditeur de pages médicales francophones, disent haut et fort leur immense tristesse devant les attentats terroristes dont la population des Etats-Unis a été victime le 11 septembre 2001.

Pour les médecins que nous sommes, tant dans nos cabinets que dans nos sites Internet, le respect total de la vie, qu'il s'agisse de celle des autres, ou de la sienne propre, est une valeur intangible. Sans ce respect absolu, aucun repère ne peut servir de colonne vertébrale à une société qui puisse

se dire humaine.

Nous nous adressons à nos confrères et aux Internautes américains pour qu'ils sachent que nous mettons à leur service les moyens dont nous disposons pour leur venir en aide dans ces circonstances dramatiques et lourdes de conséquences encore difficilement prévisibles.

 

L'Association des MMT-francophones

 

( NDLR ) Il est des moments où on réalise à quel point nous avons encore un immense chemin à faire pour

 

Retrouver la confiance

Restaurer la conscience

Renforcer la compétence

 

L'Os court ne parait pas dans ce numéro spécial.


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LEM 208 du 20 septembre 2001

Les armes du purgatoire

Docteur Jacques Blais

 

           La première interrogation qui m'est venue a été : comment oser écrire sur un tel sujet ? Comment prétendre à des opinions, des avis, sinon rapidement réaliser, avec le recul, que nous nous situons, comme d'habitude allais-je ajouter, dans ces domaines quasi fatidiques de confiance, conscience, compétence, et encore davantage dans la systémique automatique de la vie des êtres entre eux.

 

           Retrouver la confiance va être le plus difficile. L'humain, pour être, éprouve tant de difficulté avec l'avoir. Un tel accroc immense, une telle meurtrissure dans le comportement des êtres met en péril la confiance, et les humains se reposent mille fois la question : le monde est-il fou ? L'impression de se trouver dans un éternel purgatoire, avec pour toutes armes dérisoires les larmes, l'effroi, le repli, un considérable fond de révolte, comme s'il fallait en permanence payer de ses avoirs le bonheur d'être.

 

           Restaurer la conscience montre encore cette incroyable incapacité de l'humain, pour être, de ne pas buter sur le pouvoir. En prenant conscience de cette absurdité d'exercer des pouvoirs aussi inadaptés que ceux de l'argent, de la croyance différente en un dieu éventuellement identique, d'une origine géographique privilégiée, d'ethnies plus ou moins favorables. Réfléchissons à cet « exemple » de Belfast, remontant à quelques semaines, ce spectacle aussi effroyable à petite échelle de gamins entrant à l'école sous les cocktails Molotov de la communauté adverse, simplement parce que, issus du même quartier, de la même nation, ils présentaient juste la malchance que leurs parents ne célèbrent pas leur dieu catholique sous le même rituel que leurs voisins protestants.

 

           Que peut-on dire à nos jeunes, nos enfants et petits enfants, nos révoltés des cités, si ce n'est qu'à l'échelle près les manières sont identiques ? Attaquer au lance rockets un fourgon de la Brinks, sans se préoccuper des deux enfants ou des 40 ans des chauffeurs que l'on tue en les grillant est exactement du même ordre que jeter des avions détournés sur des tours symbolisant l'argent des riches. Question d'échelle. Jeter une voiture volée sur un barrage de gendarmerie en négligeant les 26 ans de la fliquette que l'on transforme en tas de chair sanguinolente est rigoureusement l'équivalent, à une échelle individuelle, de précipiter un Boeing sur le Pentagone symbole de la puissance militaire. Et, pour ces héros anonymes qui, en se battant parce qu'ils savaient et leur sort et la cible que leur appareil devait atteindre, passagers et membres d'équipage, sont parvenus à crasher leur avion dans un champ en épargnant encore des morts supplémentaires, à une échelle différente ils ont agi comme ce passant, ce pompier, qui se jettera à l'eau pour tirer d'un fleuve glacé en crue un noyé en puissance.

 

           Renforcer la compétence pose enfin la question de cette autre difficulté, pour l'humain qui cherche à être, d'acquérir le savoir. Je vais ici m'autoriser plusieurs notations d'ordre personnel. Lorsqu'on voyage au Yemen, dans la zone de désert de sable où sont régulièrement enlevés en otages des touristes n'ayant pas suivi la règle, on est accueilli par un suberbe « héros moderne » en grande tenue locale, qui opère à bord d'un pick-up. Il a des boissons fraïches dans sa glacière, une kalachnikov sur les genoux, un portable à l'oreille, un dentier en or, des lunettes de soleil et un grand sourire. Il parle admirablement anglais, et est diplômé de Harvard US. Ce type est chargé, un vrai métier, d'assurer la protection des touristes en vadrouille, moyennant finances bien sûr. Le pire est que l'on va donner son argent et sa confiance à ce gaillard, tout en ayant pleine conscience de la monstruosité de la situation, sachant qu'il n'hésitera pas davantage à désensabler avec des câbles votre 4X4 englué qu'à vous trouer la peau selon les circonstances, et enfin on reste subjugué par la compétence acquise par cet homme très érudit, affairiste en diable et adapté parfaitement à la systémique du monde moderne. Autre anecdote, un souvenir : mes deux frères, issus tous deux des Grandes Ecoles, et encadrant le « raté bizarre » qui a opté pour le genre humain avec la médecine, discutent un jour. L'un construit alors un aéroport international quelque part dans l'océan indien, et il explique à l'autre comment trois « tordus » d'ouvriers, en se mettant en grêve, ont coûté à sa société une somme avec plein de zéros derrière pour quatre jours d'interruption de chantier. Et le petit docteur humaniste de déclarer alors : « oui, ce que je comprends bien, c'est que moi j'aurais très volontiers été le professionnel aussi tordu qui donne à ces trois migrants du tiers-monde un arrêt de trois jours parce que j'aurais estimé intolérable qu'ils travaillent sans hygiène, sans eau, les pieds dans la boue, sans respect des conventions horaires, en ne mangeant qu'une gamelle étique par jour ».

 

           Et pour terminer m'est venue une idée. Je suis invité dans quinze jours à donner une conférence au sein d'une très importante Société de HLM d'Ile de France sur « la place du médecin dans une cité de banlieue socialement en grande difficulté », (ce qui prouve au passage que, même au cÏur de telles entreprises on ne construit pas que des sources de bénéfice, mais aussi des débats d'idées) j'hésitais encore sur la manière de débuter, la systémique bien sûr, la confiance, la conscience et la compétence, le professionnel de santé, humain parmi des humains. Je vais leur parler de l'Amérique. Nos petits représentants de l'effroi organisé des banlieues, avec leurs armes dans ce qu'ils transforment en purgatoire, appliquent les mêmes techniques, les mêmes principes, avec des symboles identiques, des motivations équivalentes à celles des ramifications nébuleuses recherchées par toutes les polices internationales. Seule l'échelle change. Et éclairer l'existence des banlieues de ce message est peut-être une prise de conscience d'une compétence disponible, pour retrouver à terme une confiance.

 

Retrouver la confiance

Restaurer la conscience

Renforcer la compétence

 

Os court : « Le devoir c'est ce qu'on exige des autres ». A.Dumas fils


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LEM 209 du 27 septembre 2001

 

 L'émotion, oui et après ?

Docteur François-Marie Michaut

 

Nos esprits de citoyens occcidentaux ont été vraiment bouculés, parfois même ébêtés, par la tragédie que viennent de connaître les habitants des USA. Un monde nouveau a commencé le 11 septembre ont prophétisé les experts, dont les propos ont été largement diffusés par les médias. Au milieu d'un battage d'images en boucle ininterrompue pendant des jours et des jours, des angoisses se sont fait jour ; le renoncement à la croyance infantile que certains nantis ont pu cultiver de faire partie de sanctuaires intouchables s'est fissurée. Assurances dans tous les domaines, somnolence vigilante des chiens de garde des avantages acquis et de la supériorité indiscutable, autant de concepts qui se sont retrouvés cul par dessus tête. La nécessité de ne pas se laisser endormir par les évènements du monde, petits et grands, impose d'aller au bout des choses, de faire le maximum pour comprendre ce monde tel qu'il est.

La question centrale, pour ceux qui veulent réfléchir à tout ce qui touche la santé des hommes, est bien celle de la violence. Et avant tout la violence de nos comportements. Violences au pluriel, naturellement, c'est de cela dont il est question au delà des effusions de sang dont on parle tant. Alors, maintenant que les médias vont, à leur habitude, mettre ce dossier des attentats de côté pour satisfaire l'insatiabilité de leurs clients, nous ici, et également avec les MMT, nous allons poursuivre notre réflexion d'hommes soucieux avant tous des hommes que nous avons la charge de soigner. C'est à dire pour les professionnels de la santé, non pas de les sauver de tous les maux, mais bien plus modestement de prendre soin d'eux ... de nos proches et de nous. Nous ne prétendons nullement proposer des solutions à des problèmes qui nous dépassent, mais simplement essayer de mieux comprendre les évènements en utilisant nos propres capacités personnelles.

 

Retrouver la confiance

Vendredi dernier, Toulouse a été le théâtre d'une gigantesque explosion dans une usine chimique proche d'une poudrière. Morts, bléssés, souvent gravissimes, et traumatisés par milliers. Le Dr Fraslin, dans une remarquable contribution à la liste Exmed, nous expliqué les aspects scientifiques de cette usine où son père a été ingénieur-chimiste. Incompréhension des professionnels sur l'origine de cette catastrophe. Dès lundi matin, le Procureur de la République de Toulouse annonce à la presse que la conviction de la Justice qu'il réprésente est celle-ci : " Il y a 99 chances sur 100 que cette explosion soit d'origine accidentelle". Quelle rapidité des investigations, quand on pense au temps qu'il a fallu aux experts pour déterminer les causes de la catastrophe du Concorde. Quel médecin oserait dire à son patient que son diagnostic est certain, ou son traitement efficace à 99 % ? Acceptons-nous d'être ainsi traités comme des enfants qu'il faut rassurer, au besoin contre toute vraisemblance ? Ne pouvons-nous pas accepter qu'on nous dise : nous ne savons pas, nous qui sommes souvent contraints de tenir ce langage de vérité à nos patients ?

 

Restaurer la conscience

Trois minutes de silence à la mémoire des victimes du 11 septembre. Largement suivies dans beaucoup de pays, selon les médias. A la Médiathèque de la Rochelle, il ne reste plus à midi que les soixantes membres du personnel. La direction de ce service public à la question : " Qu'est-ce qu'on fait pour cette cérémonie ? ", répond : " Rien, car nous sommes contre les américains".

Et ce groupe de quatres personnes de rire bruyamment dans leur bureau, pendant que leurs salariés qui souhaitaient manifester leur compassion durent se rendre dans les toilettes. En se promettant bien de parler haut et fort de ce double manque total de respect des humains.

Renforcer la compétence

Sardent, une minuscule commune d'un des départements français les moins peuplés de France abritait un site Internet destiné, ont les journaux, à faire l'apologie des thèses dites "islamistes". Les groupes terroristes internationaux auraient eux-même largement communiqué au travers du réseau des réseaux. L'Internet, comme ce fut le cas pour les réseaux pédophiles et pour les admirateurs du nazisme, est-il un outil de perversion des esprits ? Si la communauté des Internautes reste passive, dans une attitude de consommateurs plus que d'acteurs et de fourniseurs de contenu, ce risque est bien réel. Certains internautes osent prendre la parole, au risque de se faire traiter d'idéalistes ou d'utopistes par les sceptiques, font quand même le pari que la perversion du média Internet est loin d'être une fatalité.

 

Os court : « Certains LEM chaud ». Marylin


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LEM 210 du 5 octobre 2001

 

* Violence et violences

Docteur François-Marie Michaut

Dans une contribution à la liste de discussion Internet des MMT consacrée aux attentats et aux violences à la suite du 11 septembre 2001, le Dr Idrissi, de son Maroc nous incite à faire notre auto-critique de peuples nantis, naguère colonisateurs, si facilement donneurs de leçons au reste du monde. Il est certain que focaliser l'attention de tous sur ce qu'il est convenu de nommer l'extrêmisme islamique n'est pas conforme à la réalité. Naturellement le paroxysme de l'horreur des tueries américaines, algériennes, africaines, européennes, sud-américaines, asiatiques, indonésiennes nous frappe de plein fouet. Oui, même si cela dérange notre bonne conscience, nous sommes tous, nous les humains, des tueurs dans l'âme. L'enfant "innocent" que nous avons tous été, l'automobiliste ou le chasseur que nous sommes devenus jouent si facilement avec la vie. Jacques Blais nous rappelle fort justement que le ferment des grands évènements du moment plonge ses racines dans des comportements qu'il a observé comme médecin de banlieue depuis trente ans. Qui ne peut être frappé de la similitude si rarement soulignée, sans doute trop gênante, des deux mots : viol et violence. Il s'agit toujours de forcer quelqu'un à faire ce qu'il ne veut pas faire. A partir de là, la liste des procédés utilisables et utilisés devient impressionnante. Tout pouvoir, qu'il s'agisse de l'argent, du pouvoir économique, politique, religieux, culturel, de communication porte en lui son potentiel de violences. Violence manifeste, qui peut aller dans certains pays jusqu'à donner la mort au nom de la justice, tout le monde la reconnait. Mais aussi , toutes les gammes de violences perverses, dont les auteurs savent utiliser volontairement la falsification des faits pour parvenir à leurs fins : la manipulation des autres.

 

Retrouver la confiance

Si chacun de ceux qui ont la plus petite parcelle de pouvoir sur les autres, comme par exemple les médecins et les soignants, voulaient bien admettre que cela nous contraint obligatoirement à être nous-mêmes violents ( qui n'a jamais assisté à la vaccination d'un bébé ) , un pas important serait franchi. Si vous en doutez encore, renseignez-vous sur les véritables instruments de torture, et traitements sadiques, inventés par les médecins. Le temps où l'on n'anesthésiait pas les nourrisssons pour les opérer, sous prétexte qu'ils ne souffraient pas, n'est pas si éloigné que cela. Pour ne pas parler de l'usage de techniques psychiatriques ou anesthésiques pour faire taire des opposants ou tuer "proprement" des condamnés à mort.

 

Restaurer la conscience

Plus subtilement, bien d'autres violences fleurissent à bas bruit. Dans son travail quotidien tout soignant en est le témoin coutumier. Le terrorisme intellectuel et autres chasses aux sorcières sont encore largement utilisés. Les milieux scientifiques, comme les autres, n'y échappent pas. Avoir pleinement conscience, comme un fait clinique, de la violence qui est en chacun de nous, au lieu de nous dissimuler derrière les grands idéaux qui peuvent masquer n'importe quelle action y compris perverse, est un pas considérable pour sortir du manichéïsme si rassurant. Se dire anti-ceci ou anti-cela n'a vraiment plus aucun sens. Instaurer la violence inévitable d'un pouvoir politique par une action dite non-violente participe alors de la tromperie.

 

Renforcer la compétence

Bien entendu, toutes les violences ne se valent pas dans l'horreur et les dégats qu'elles causent . Les plus spectaculaires ne doivent pas laisser ignorer les plus discrètes. Elles sont de même nature, profondément ancrées dans nos comportements humains les plus habituels. Les jeux d'enfants, les relations familiales ou sociales en sont profondément marquées, et ces violences ordinaires sont incroyablement tolérées voire encouragées. Comme s'il existait de saines violences, comme on voudrait qu'existât, nous explique Henri Lévy, toujours dans la liste violences-attentats, un " terrorisme légitime" des Palestiniens . Nous voilà une fois encore confrontés au précepte attribué à Socrate, aussi cité que jamais appliqué du " connais-toi toi-même ".

 

Os court : « Un bon tiens vaut mieux que deux tu ne l'auras pas ». Anonyme


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