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Lettre d'Expression médicale n°241

Hebdomadaire francophone de santé
13 Mai 2002

Le spectre de la blouse blanche
Dr Jacques Blais

Quand un Pape nouveau est élu, les populations s'écrient Habemus Papam, à la simple vue de la fumée blanche s'élevant derrière la Basilique. Notre monde de la Santé vient de voir apparaître une Blouse Blanche, qui signifie "nous avons un Ministre". L'utilisation du mot spectre va être bien évidemment à double ou triple sens. S'agit-il de l'apparition, pour notre système de Santé en perdition, d'un fantôme ? Première question. Fumée éphémère, fusée ministérielle aussitôt rangée dans son hangar qu'elle aura été tirée ? L'avenir nous dira si Jean-François Mattéi, honorable Professeur de Médecine, est destiné à faire joli, à calmer les esprits agités, ou à accomplir un travail de restauration, à remplir une mission.

Retrouver la confiance:
L'autre sens de ce mot de spectre est celui de la lumière. La décomposition par le prisme qui produit l'apparition de toutes les couleurs. Ou bien, dans nos jargons pseudo-scientifiques, presque adaptés ici, le spectre d'activité d'une molécule, qui s'étendra de telle bactérie à telle autre, et par extension de telle pathologie à telle autre.
Quel va être le spectre d'activité du nouveau Ministre, si son existence n'est pas limitée à un Contrat à Durée Déterminée de 5 semaines, dont une large part de présentations, parlotes, photos et réunions pour la médiatisation ?
Le moins que chacun puisse admettre est que le Professeur aura bien des consultations à donner, bien des traitements à appliquer, des interrogatoires et des examens complémentaires, pour parvenir à soigner les professionnels d'une part, les angoisses des patients d'autre part, et entendre les demandes, comprendre les attentes, de tous.
La toute première, indispensable démarche d'un vrai ministre serait déjà de pouvoir et savoir affirmer qu'il va lui-même s'occuper du système malade, et non devoir en confier les états d'âme au Président, les attentes à l'ombre du pouvoir cachée derrière celui-ci pour lui dicter des réponses, les demandes de traitement au Président de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie, l'entente préalable à deux ou trois autres Ministres en charge, apparemment des vrais portefeuilles quand lui, comme ses innombrables prédécesseurs, ne posséderait ni le code de la carte de crédit ni la signature sur le chéquier, ni le numéro du compte bancaire.


Restaurer la conscience:
Notre Ministre en blouse blanche, et personne ne saurait contester que la nomination d'un membre issu des soignants n'est pas infiniment plus probante que celle de n'importe quel politicien énarquo-partisano-supporter-redevable d'un retour d'ascenseur, "has been" déglingué, apparenté militant et ignorant jusqu'à la signification de termes comme négociation, discussion, communication, écoute, proposition, notre Ministre, s'il dure, aura à prendre conscience instantanément des dossiers emplissant les tiroirs. Les tiroirs de la mémoire des professionnels de santé, jusqu'à leur gâcher la vocation, le plaisir, l'envie de poursuivre.
Un excellent éditorial, signé de Serge Laruë-Charlus (Bordeaux) dans le Concours Médical, a tenté de répertorier les quelques trois principales raisons du malaise de plusieurs générations de professionnels de santé : A/   Un argument financier évident, traduit et trahi par la non-revalorisation durable, voire permanente, des honoraires depuis des années, associée à l'accusation presque unilatérale de la responsabilité  professionnelle des médecins dans l'augmentation des dépenses. En taisant le rôle des médias, des financiers, des politiques, des patients, des producteurs de matériel, de l'industrie pharmaceutique, etc etc.   B/  Vient ensuite la mauvaise gestion de la démographie médicale, avec un numerus clausus inadapté, une absence de régulation, de passerelles de rattrapage pour les étudiants, une non-prise en compte de la féminisation, l'unique point de repère et de regard étant l'hôpital public. De nouveau une immense, gigantesque carence des politiques et des gouvernants dans un domaine qui est simplement statistique, prévisionnel, de réflexion et d'observation.   C/    Enfin une modification de la demande des soins, qui n'est plus en corrélation avec les apprentissages des praticiens en exercice. On continue à voir enseigner la médecine comme une science et une technique, basée sur le traitement de symptômes, et essentiellement par des hospitalo-universitaires situés à mille lieux de la problématique du quotidien des patients dans leur environnement, et des professionnels de santé dans le leur, souvent le même d'ailleurs. De nouveau, et il est navrant de devoir le constater avec insistance, une courte vue exclusivement financière des politiques et des gouvernants, lésinant sur les moyens financiers, les nominations d'enseignants, l'adaptation des facultés, et l'écoute des personnels impliqués, comme par exemple ceux des rares départements de médecine générale des universités.

Renforcer la compétence:
Quelle part sera "de la compétence" du Ministre ? Comment renforcera-t-il ce qu'il ignore par nécessité, par origine, par orientation de ses activités précédentes ? Un chef de service hospitalier connaît le casse-tête des 35 heures à l'hôpital, des gardes et astreintes, des praticiens à diplômes étrangers, de la pénurie d'infirmières, de lits, etc. Que peut-il savoir de la crise des vocations en médecine générale, de la souffrance des praticiens libéraux, de l'épuisement physique et nerveux des professionnels de santé, des infirmières libérales et des kinés à quotas de fonctionnement, des rapports entre Caisse d'Assurance Maladie et professionnels, que peut-il entendre, et comprendre, notre Ministre (et son éventuel successeur de toute couleur du spectre) s'il ne renforce sa compétence de nombreux adjoints à l'écoute, avertis, impliqués, répercutant les vérités du terrain ?
Que pourra entendre, lire, écouter, des attentes des assurés sociaux, des patients, de ces innombrables personnes en traitement, en attente, en espérance, en douleurs, en misère sociale, humaine, en conflit, en crise, s'il ne passe par le truchement des possibilités existantes, dont notre propre mode de fonctionnement sur un Site de ce type est l'illustration ?
Monsieur le Ministre lisez nous, écoutez nous, imprégnez vous de toutes les données, les attentes, les remarques, et les espoirs des sous-ensembles de ce système de santé. Ne soyez pas un spectre fantomatique destiné à la pub d'un autre système, celui de nos politiciens avides de gloire et de voix, de pouvoir et de renommée, mais couvrez un large spectre d'activité, depuis vos domaines favoris, avant la naissance, jusqu'aux difficiles heures pour certains de la mort, en passant par les multiples visages de la douleur et de bonheur, de l'humanité et des êtres, qui seront toujours l'essence de la merveille de l'exercice d'un métier fabuleux, celui de médecin. Merci.

l'os court : << - Et pour mon duvet, Docteur ? - J’ai un truc au poil, Madame >>. Éphéméride


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Lettre d'Expression médicale n°242

Hebdomadaire francophone de santé
21 Mai 2002

Faits divers, ou faits de société?
Dr Philippe Deharvengt

   La presse nous rapporte au quotidien des événements indicibles , nauséeux , abominables . C'est le travail des journalistes de tremper leur plume dans cette fange . C'est le devoir du médecin de tenter une réflexion allant au delà de l'horreur .
      Voici les faits :
      -cela s'est passé il y a peu , avant le séisme du premier tour des élections présidentielles françaises , dans une petite agglomération du nord de mon cher Périgord , aux confins du paisible Limousin . Un homme de 24 ans , inconnu de la Justice et de la Police , apparemment indemne d'antécédents psycho-pathologiques , a violé son bébé âgé de trois mois . Le rapport d'autopsie médico-légale indique que le décès du bébé est consécutif ( on l'aurait deviné ) à une rupture du rectum et une hémorragie interne . L'infanticide est sous les verrous , son épouse est mise en examen pour non-assistance à personne en danger , non-dénonciation et complicité de crime sur mineur .
      Le père a dit aux enquêteurs qu'il avait agi sous l'emprise de l'extasy et du cannabis .

Retrouver la confiance:
Pitoyable et répugnante explication , comparable à celle de tel chauffard auteur d'un accident mortel s'inventant une excuse dans le fait qu'il conduisait sous l'emprise de l'alcool et de drogues hallucinogènes .
      Dans notre société éprise de garde-fous , d'interdictions de toutes natures portant sur tout et n'importe quoi , d'obligations de permis pour tout et n'importe quoi ( permis de conduire , de chasse , de port d'arme , donc permis légalisant l'usage d'armes donnant la mort ) , il n'existe pas de législation concernant la plus redoutable des armes de l'homme : son pénis . Le phallus , destiné par la nature à donner la vie , et si souvent détourné de sa finalité naturelle . Donner la vie à des Landru , Dr.Petiot , Ben Laden , Staline , Hitler , Mussolini et autres immondes tyrans sanguinaires , ainsi qu'à des violeurs d'enfants . Et aussi donner la mort , comme dans le cas présent .

Restaurer la conscience:
Comment ne pas comparer cette faculté donnée à l'homme de procréer en toute liberté et en toute impunité au long calvaire imposé aux couples infertiles condamnés à subir l'interminable et épuisant parcours médico-psycho-socio-administratf de l'adoption ? Pour avoir été de longues années médecin-généraliste agréé par les services de la DDASS ( Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales ) , je peux en témoigner . Enquête de motivation , enquête sociale , enquête de moralité , enquête de voisinage , inspection du logement , consultation de gynécologie pour déterminer la réalité et la raison médicale de l'infertilité du couple , consultation séparée des deux conjoints par un médecin-généraliste agréé , consultation séparée par un psychiatre agréé , plusieurs entretiens avec un psychologue agréé . . .

Renforcer la compétence:
Pourquoi imposer un tel calvaire à des couples manifestement très motivés , qui s'avèrent généralement être d'excellents parents , donnant à leur(s) enfant(s) adopté(s) un maximum d'amour et la meilleure éducation possible ? Et , quoi qu'il en soit , tout ce luxe de précautions de la DDASS est-il une assurance contre le risque zéro ? Le psychiatre et le psychologue consultés peuvent-ils garantir à 100% l'absence de risque de déviance sexuelle de la part de l'un des conjoints adoptants ? Le problème est le même pour les auteurs de crimes sexuels incarcérés lors de l'examen de leur remise en liberté . Chacun sait que dans ce domaine , comme dans bien d'autres , le risque zéro n'existe pas .
      Alors , ce bébé de trois mois eut-il eu plus de chance si , abandonné ou orphelin , il eut été adopté ?

Os court: A l’hôpital : << - Combien va me coûter tout le traitement ? - Ne vous inquiétez-pas, ce sont vos héritiers qui paieront. >>
Philipp von Bergen.


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Lettre d'Expression médicale n°243

Hebdomadaire francophone de santé
27 Mai 2002

Balint, l'empêcheur de soigner en rond
Dr François Michaut

   Beaucoup d’interrogations dans notre liste de discussion électronique Exmed-1 sur ce nom qui revient de façon chronique dans les écrits médicaux. Michaël Balint, hongrois exilé en Grande-Bretagne, a utilisé sa double vision de médecin et de psychanalyste pour mettre au point une méthode de formation des praticiens. Où se situe l’originalité de cette démarche, utilisant des groupes de praticiens en exercice - et non des étudiants- travaillant sur des études de cas de leurs propres patients ? D’abord, et cela ne peut étonner personne ici, il s’agit d’une vision “métamédicale” du travail des généralistes. Ensuite, et surtout, Balint propose trois objectifs que nous allons évoquer ensemble : écoute du patient, compréhension, et enfin utilisation de la compréhension en vue d’un effet thérapeutique.

Retrouver la confiance:
Être à l’écoute de son patient. Pas si facile que cela quand les seuls discours sur la maladie ingurgités par le soignant ont été ceux, très techniques, des études académiques, des revues et des services hospitaliers spécialisés. Il faut pour y parvenir deux conditions. Être assez habile au diagnostic et au traitement, afin de ne pas être assourdi par des ruminations techniques trop envahissantes. Et il faut aussi - c’est le plus difficile - savoir se taire pour que l’autre puisse s’exprimer. Ne pas vouloir imposer son point de vue parce qu’on se sent en position de domination de celui qui sait. L’humilité et la médecine ne font pas toujours bon ménage.

Restaurer la conscience:
Cette écoute fournit au médecin un certain nombre d’informations. Qu’en faire ? Leur trouver un sens, même si elles ressemblent à un magma informe. C’est cela la compréhension. C’est cela qui va distinguer la simple - et souvent précieuse- compassion de la position des professionnels. Comme un peintre sur sa toile, le médecin applique les touches de ce qu’il perçoit pour en faire un ensemble cohérent. En termes techniques médicaux purs, c’est simple. En termes de relation malade-médecin, cela devient très subtil. Que peut prendre avec soi, c’est à dire comprendre, le médecin ? Là des limites fort variables s’établissent qui tiennent compte d’une équation à cinq inconnues. La partie consciente du médecin, mais aussi tout son inconscient qui l’actionne si vigoureusement malgré lui, la partie consciente du patient et sa part inconsciente, mélangées intimement dans les discours et les symptômes, et, pour corser la sauce, la relation duelle entre patient et soignant. Résultat des courses : le praticien parvient à un diagnostic global tenant compte à la fois des réalités somatiques objectives et des réalités psychologiques subjectives.

Renforcer la compétence:
Là où innove véritablement Balint, c’est quand il propose d’améliorer la compétence du médecin. Ce qu’en jargon à la mode on dirait : améliorer la qualité des soins. Des soins qui sont autre chose que des routines validées approuvées par des conférences de consensus, ou des protocoles. Rien que du “sur-mesure” qui évite l’effroyable gâchis des interminables “bilans” sans fin. Soigner les personnes malades pour obtenir un effet thérapeutique, c’est à dire un changement objectif dans leur vie mal en point. Et comment ? En apprenant, avec patience et humilité, à utiliser dans un but bien défini ce qu’on a compris en les écoutant. Tout cela peut sembler fort complexe. Mais en un temps où les dépenses liées à la santé commencent à poser des questions majeures, il va bien falloir devenir de plus en plus exigeant sur les services que peuvent rendre les médecins à la communauté, et se pencher sur la qualité, et non plus sur la seule quantité, des actes de soins. Balint, l’expatrié professionnellement hybride des années 1950, l’objet des sarcasmes rigolards des praticiens surfant sur la vague de la technoscience insolente, devenant un remède intelligent contre le gaspillage des ressources médicales employées à tort et à travers dans nos pays riches ? On aurait déjà vu des choses plus surprenantes, en vérité. Ce sont toujours des marges et des mélanges que sont venues les grandes innovations, jamais des allées et des serviteurs des pouvoirs en place. Les idées, quand elles sont bonnes, ont la vie plus dure que nous, les fragiles humains.

Os court: << Un conseil au parent dont le gosse vient d’avaler du sable et du ciment : ne lui faites rien boire >> Coluche


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Lettre d'Expression médicale n°244

Hebdomadaire francophone de santé
3 Juin 2002

Question de confiance
Dr Philippe Deharvengt

Il est un aspect de la relation médecin-malade qui , à ma connaissance , est rarement abordé . Il s'agit de la confiance que le médecin peut accorder aux dires de son patient . Autrement dit , qu'en est-il de la fiabilité de la parole de certains malades ?

Retrouver la confiance
Aussi surprenant que cela puisse paraître , il s'avère que bon nombre de patients , y compris ceux qui ont la plus grande confiance en leur praticien , ne lui disent pas toute la vérité concernant des points importants touchant à leur santé , quand ils ne lui mentent pas délibérément . Que devient la << qualité d'écoute >> chère à Balint et si bien évoquée dans la LEM n° 243 , quand ce qu'on écoute n'est pas tout-à-fait vrai ? C'est pourtant une réalité de terrain que nous connaissons bien . C'est pourquoi , au delà de l'écoute attentive et bienveillante , le praticien se doit de cultiver l'art de la divination . Cela peut aussi s'appeler l'intuition .

Restaurer la conscience
Les exemples sont nombreux , de même que les raisons de travestir la vérité . Il y a le déni obstiné d'une conduite addictive telle qu'une intoxication alcoolique . Ici , la motivation est ambiguë . Il y a le refus de voir la réalité , mais aussi une sorte de pudeur , la crainte d'être mal jugé , le soignant étant ressenti comme le père à qui on n'ose avouer sa faute . Le médecin qui pressent cette situation doit susciter la confidence en ayant soin de gommer toute attitude qui pourrait faire penser au patient qu'il est devant un juge . C'est un art bien difficile .
D'autres mensonges ou omissions peuvent être utilitaires . Ainsi telle jeune femme , sachant que son médecin n'accèdera pas à sa demande de prescription d'une contraception orale par oestro-prgestatif si elle avoue son excessif tabagisme chronique , omettra de l'avouer , à ses plus grands risques et périls . Cet exemple est beaucoup plus fréquent qu'on pourrait le croire .
      Au chapitre des mensonges et omissions utilitaires , il faut évidemment citer les motifs les plus inventifs pour extorquer de son médecin un arrêt _ une prolongation d'arrêt _ de travail , une indemnité , une pension d'invalidité , un certificat d'absence scolaire pour l'aîné parce que la nounou du petit dernier est malade et qu'il y a comme toujours la grève des transports en commun , une dispense de sport parce qu'on n'a pas eu le temps pendant le week-end de laver ses vêtements et ses baskets , etc...
Il y a encore plus grave . Tel patient omet délibérément de dire qu'il a consulté il y a peu de temps un confrère qui lui a prescrit un traitement , l'association des deux pouvant s'avérer désastreuse . Et que dire de ces patients _ ils sont légion _ qui ne respectent pas les prescriptions , quand ils ne refusent pas simplement de prendre tels médicaments pour d'obscures raisons ( la voisine leur a dit que ce traitement ne lui avait pas réussi . . . ) et qui se gardent bien de le dire . Toujours la peur d'être jugé ( << je ne vais pas lui dire pour ne pas le contrarier >> ) ..

Renforcer la compétence
La LEM étant lue par des soignants et des soignés , il découle de ce qui précède une double constatation et un double message :
      -aux patients : soyez bien persuadés qu'il est de votre plus grand intérêt de dire à votre médecin << la vérité , toute la vérité , rien que la vérité >> . Sachez que , dans le domaine de votre santé , tout mensonge ou omission ne peut que vous être gravement préjudiciable .
      -aux soignants , et particulièrement à nos confrères médecins : en terme médico-légal , vous le savez , toute erreur de diagnostic et tout accident thérapeutique imputables à une fausse déclaration du patient , par omission volontaire ou mauvaise foi délibérée , relèveraient de votre responsabilité pénale , même si vous étiez en mesure d'apporter la preuve de la mauvaise foi du plaignant .
Oui , le médecin se doit d'écouter son patient avec la plus grande attention et la plus grande bienveillance . Cette écoute est le fondement de la "relation duelle" , la "rencontre d'une science et d'une conscience" , la base du "dialogue singulier" chers à nos Maîtres . Mais n'oublions pas que cette écoute bienveillante doit être attentive , car la Médecine est aussi une Science et , comme telle , elle ne doit pas échapper à l'esprit critique de la part de ceux qui l'exercent .

Os court: Sur la porte d’un bistrot : << Ici, nous faisons confiance à Dieu, mais c’est la seule exception >> .    Alexandre Breffort


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Lettre d'Expression médicale n°245

Hebdomadaire francophone de santé
10 Juin 2002

A coup d'IRM, ou à coût de généralistes
Dr Jacques Blais

Les nombreuses réactions et interrogations tout à fait pertinentes qui sont soulevées par la récente augmentation des honoraires des généralistes, quant aux conséquences, au surpoids financier, aux implications de toutes natures, liées à cette mesure, justifient une clairvoyance et une lucidité accrues pour définir les éléments du système entrant en jeu.
L’ambition de ce regard un peu élargi, abordant " tous azimuts " des points de comparaison, de réflexion, d’interrogation et de suspension, est de couvrir un grand nombre d’aspects inconnus, oubliés, négligés, des conséquences d’un accord qui n’est qu’un sous-ensemble supplémentaire intégré dans ce que nous appelons, avec constance, un système.

Retrouver la confiance
  Il paraît indispensable, en tout premier lieu, pour parler en toute confiance et avec cette lucidité espérée, malgré une période électorale, de regarder les chiffres en face, même si cet examen est quelque peu rébarbatif. Des chiffres de toutes catégories.
Tous les responsables politiques et financiers opposés à cette mesure d’augmentation auront beau argumenter, 1,5 euro sur une consultation à 18,5 euros représentent 8% d’augmentation. Pas 17 ni 20 % comme l’affirment pernicieusement médias et décideurs. Les généralistes n’ont bénéficié d’aucune augmentation depuis 4 ans, rappelons le, les généralistes travaillent 58 heures de moyenne par semaine et non 35, ne l’oublions jamais, les généralistes et autres médecins ont suivi un cursus d’au moins 7 années d’études, et ont, ne laissons jamais de côté ce point, la vie des personnes dans leurs responsabilités. Une consultation de podologue, profession éminemment respectable et très utile, mais n'exigeant pas 7 années d'études et ne mettant pas généralement la vie des patients en jeu, était rémunérée davantage, jusqu'à ce jour, que celle du médecin généraliste.
Six jours de manifestations ont suffi, l’an dernier, pour que les policiers, les gendarmes, obtiennent une augmentation logique et souhaitable, qui n’a posé problème à personne, quand 6 mois ont été nécessaires aux médecins. Or les gilets pare-balles indispensables, des véhicules qui roulent, des effectifs supplémentaires de police ont un coût aussi, avec cet accroissement des salaires, sur lequel personne ne s’interrogera jamais.
Lorsque la Guerre du Golfe était en vigueur, il avait été calculé que le " trou de la Sécurité Sociale " habituel était moins élevé que le prix d’une semaine d’intervention militaire dans le Golfe. Il est aisé de parier qu’il en va de même avec l’Afghanistan, qui songerait une seule seconde à s’inquiéter de ce paiement là ?
En 1996, une enquête interne de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie montrait qu’il existait UNE catégorie de consommateurs excessifs parmi les assurés sociaux, la catégorie N°7, une population de 3,6 % sur l’ensemble, de patients de plus de 50 ans mais non âgés, non spécialement malades, non répertoriés en affections de longue durée. Simplement des gens ayant du temps et de l’argent, qui consultaient 5 fois plus souvent que les autres, et dépensaient à eux seuls 14 % du budget des prestations de la Caisse. RIEN, absolument RIEN, n'a jamais été tenté pour récupérer les 10 % de dépenses en excès, essayer de convaincre ces patients de modifier leur comportement (alors que contre les médecins on essaye jusqu’à la nausée) de manière " citoyenne " Et ce constat n’a dérangé ni les décideurs, ni les financiers, ni les syndicats, ni les gouvernants, ni les assurés d’ailleurs même pas informés de cette note interne (Bloc-Notes 96) 

Restaurer la conscience
Tout ceci semble bien être une affaire de conscience collective. Poursuivons quelques autres analyses.
Tentez d’additionner quelques " dépenses ordinaires " que doit affronter l’Etat. Par exemple un sous-marin qui perd un boulon chaque fois qu’il prend l’eau, ou une pale d’hélice dès qu’il rencontre une vague. Par exemple les fonds " spéciaux " détournés de leur usage normal par de hautes instances gouvernantes, ou l’argent global des " affaires " entre corruption, utilisations frauduleuses, etc. Par exemple des investissements purement électoralistes en matériel de santé irréfléchi, générateurs de voix. Bernard Kouchner, quand il était secrétaire d’état à la Santé et qu’on le rencontrait, hors discours, en tant que journaliste, près des canapés du buffet, sortait souvent des ses poches des quantités de papiers, en expliquant : " voilà, ce sont les demandes d’appareillage d’IRM des 20 députés croisés aujourd’hui à la Chambre. TOUS veulent leur IRM  ( *), histoire d’être réélus en affirmant que, grâce à eux, la population va enfin être soignée ! Et ceci même s’il existe une installation IRM dans la ville voisine de 6 kms. Je passe mon temps à refuser des dossiers "
On ne soigne pas une population à coup d’IRM, mais à coût de généralistes….
A propos d’IRM, notre héros national charmant, bien élevé, introverti, Zizou, a bénéficié de plusieurs IRM pour une déchirure (bien sûr aux conséquences de catastrophe nationale, d’accord !) à la cuisse. Quand le maçon ou le postier, capitaine de votre équipe locale de 4ème division de votre trou de banlieue, se fait une déchirure, il va être examiné à l’aide d’une échographie, qui d’après maints experts suffira. Même si le règlement provient de la Fédération de Foot (et allez donc savoir ?) la discussion budgétaire s ‘imposerait…
Encore un point de conscience, anecdotique : avant-hier, une secrétaire reçoit dans un hôpital (à l’image de 250 autres sans doute) un appel téléphonique d’un patient, qu’elle fait écouter à tout le monde par haut-parleur pour édifier et calmer son irritation : " voilà, j’habite au Mans, mais je viens me faire opérer à Paris chez vous. La première fois je suis venu en consultation avec ma voiture, la deuxième en train, mais là maintenant que je suis à 100 % je voudrais un bon de transport gratuit en VSL (véhicule sanitaire léger) puisque la Sécu peut le prendre en charge, il n’y a pas de raison ! ! "
Prendre conscience de deux points complémentaires : tant que les usagers estimeront que tout est dû, le problème existera, tant que les décideurs financiers ne comprendront pas qu’un pays qui se veut évoluer doit investir au maximum dans un système de santé digne, le problème persistera.

Renforcer la compétence
Tout est dépendant d’un état d’esprit. La compétence du médecin ne peut être mesurée au nombre de génériques. J’ai souvenir de personnes particulièrement démunies, que je traitais à l’aide d’échantillons gratuits. Ces gens me rapportaient les flacons de sirop à moitié utilisés, en affirmant : " le petit n’en veut pas, il n’aime pas l’orange, seulement ceux à la fraise " Une réflexion s’impose sur ce genre de détail. Si un générique présente un aspect différent, une posologie différente, une présentation autre, une couleur modifiés, qu’il se fractionne mal en deux, lui, à cause d’un amidon plus ceci et moins cela, qu’il a mauvais goût, pour le consommateur ce n’est pas un médicament valable, et cela ne le soignera pas bien. Faites comprendre cela aux financiers, décideurs, gouvernants, pour lesquels l’être humain dans sa diversité n’existe pas, seuls les chiffres de dépense comptent.
Un magistrat avouait il y a quelques jours sur une chaîne de télé avoir jugé 61 affaires dans son après-midi. C’est une réflexion du même ordre. Tant que nos décideurs exclusivement argentiers ne comprendront pas que la décence, l’équité, la justice, voudraient un nombre doublé de magistrats, donc un surcoût fondamental, notre pays aura une justice effroyable, dérisoire et critiquable.
La compétence du médecin passe par la décence, la reconnaissance, le respect pour son activité, la sérénité. J’ai déjà cité ce chiffre effrayant : sur les 110 derniers médecins généralistes (dont 86 femmes) diplômés de la Faculté au sein de laquelle j’ai le bonheur d’œuvrer, seuls 4 (QUATRE ! !) ont décidé de s’installer pour exercer leur métier. Pourquoi tant de peur, d’absence d’envie, de dégoût, de réticence ? Posez la question à nos décideurs financiers gouvernants rois du CAC 40 des 12 dernières années. Demandez-leur s’ils ont une seule minute pensé qu’en massacrant minutieusement, résolument, le système de Santé de leur pays, ils ont travaillé de manière " soigneuse " pour les soignants ?
Définitivement, nous revenons à cette notion de système : les soignants, les patients, les médias, les décideurs, les financiers, les industriels, les assurés, les gouvernants, les Caisses et Mutuelles, les enseignants, les hospitaliers, les libéraux, TOUS absolument TOUS représentent, constituent, gèrent et génèrent ce système de santé, son financement et sa qualité. Et JAMAIS les seuls praticiens.

(*) IRM : Sigle désignant l’installation - fort onéreuse - d’ Imagerie par Résonance Magnétique . NDLR

Os court: « Il y a tellement de choses plus importantes que l’argent, mais il faut tellement d’argent pour les acquérir » Groucho Marx