ARCHIVES DE LA LEM
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Lettre d'Expression médicale n°265

Hebdomadaire francophone de santé
28 Octobre 2002

La santé, notre affaire à tous
par Dr Philippe Deharvengt

Pour la première fois depuis sa création , notre vieille Sécurité Sociale française , sous l'impulsion d'un nouveau Gouvernement et de son Ministre de la Santé , semble vouloir participer à des campagnes d'information et de prévention de ses assurés , plutôt que de vilipender le corps médical rendu jusqu'alors responsable du déficit chronique de la branche maladie des Caisses d'Assurance .

Retrouver la confiance:
Quel médecin "senior" n'a pas douloureusement éprouvé , tout au long de sa carrière , de sa mission , de son apostolat , le sentiment d'être mis par l'Assurance Maladie au ban de l'infamie , désigné comme dilapidateur inconscient et irresponsable des fonds de la Sécu ? Calomniez , il en restera toujours quelque chose . C'est ainsi que cette diffamation , soigneusement relayée par les médias , s'est naturellement imposée dans l'opinion publique . Il devenait évident pour tout-un-chacun que le déficit de la Sécu était imputable aux seuls prescripteurs , les médecins .
On a même vu un Premier Ministre tenir le raisonnement suivant : << s'il y a trop de prescriptions , c'est parce qu'il y a trop de prescripteurs . Si on réduit le nombre de médecins , il y aura moins de prescriptions , donc moins de dépenses de santé . Alors , finançons le départ anticipé à la retraite d'une certaine tranche d'âge de médecins libéraux >> . Ce sophisme donna naissance en 1997 au "nouveau MICA" ( Mécanisme d'Incitation à la Cessation Anticipée d'activité ) . Ce fut une aubaine pour les quelques médecins qui purent saisir cette opportunité , mais un cuisant échec en terme d'efficacité . Non seulement les dépenses de santé n'ont pas diminué , mais la démographie médicale s'en est trouvée sinistrée , au point que le nouveau Gouvernement vient d'annuler ce dispositif , reportant à 65 ans l'âge du départ à la retraite des médecins , avec des mesures incitatives à la poursuite de leur activité sous la forme de remplacements.

Restaurer la conscience
Pendant ce temps , la Sécu ne faisait rien , ou si peu , pour inciter ses assurés à prendre en main leur santé . Il était politiquement incorrect de laisser penser que le déficit pérenne de la branche maladie puisse avoir une autre cause que l'incurie des médecins , et qu'il faudrait peut-être chercher ailleurs d'autres responsabilités , comme par exemple du côté des assurés sociaux , de l'industrie pharmaceutique . . . Car si tous les médecins ont été contraints , à un degré ou à un autre selon leur sensibilité et leur éthique , de céder aux exigences de leurs patients , c'est bien parce qu'ils étaient cruellement seuls dans leur combat pour une bonne pratique médicale . Comment convaicre cette mère de famille d'amener en consultation au cabinet médical son enfant avec une fièvre à 38°5 , alors que pour quelques euro de plus , remboursés , elle peut attendre la visite du médecin tranquillement à son domicile ? Comment la convaincre qu'elle n'a nul besoin d'un arrêt de travail pour garder son enfant qui pourra très bien retourner chez sa Nounou ou à la Crèche dès le lendemain , et qu'une prescription d'antibiotique n'y changera rien ?
La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades ne fait que renforcer l'irresponsabilité de ceux-ci et aggraver la responsabilité des praticiens , au point que ces derniers ont de plus en plus de mal à s'assurer en responsabilité professionnelle . N'est-il pas grand temps d'inverser ce courant ?


Renforcer la compétence:
Ce nouveau Gouvernement semble animé de la volonté de renforcer la compétence des médecins , par des campagnes d'information visant à responsabiliser les patients , par des mesures financières anti-gaspillage telles que la lutte contre l'abus des visites à domicile non médicalement justifiées , le déremboursement de médicaments dits "de confort" etc. C'est ce que nous réclamions à corps et à cris depuis des décennies . Car c'est une évidence que nous nous efforçons , à Exmed et à la LEM , d'inculquer à nos lecteurs : un médecin ne peut être compétent qu'avec un patient responsable . Le fameux "colloque singulier" qui nous est si cher implique une totale confiance réciproque .
Plutôt que de sanctionner les médecins pour leurs "mauvaises pratiques" , ne vaut-il pas mieux stigmatiser les "mauvaises manières" de certains assurés sociaux ? Eduquer , prévenir , inciter la population à s'assumer , lui rappeler que la santé a un coût même si elle n'a pas de prix , c'est ce que semble vouloir faire le nouveau Ministre de la Santé . C'est un vaste chantier , auquel doivent être associés la Sécurité Sociale , les Mutuelles , avec le soutien des médias , des associations , et pourquoi pas avec les conseils de médecins retraités riches de leur expérience ?

l'os court : << Que Dieu nous prothèse >> José Arthur


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Lettre d'Expression médicale n°266

Hebdomadaire francophone de santé
4 Novembre 2002

La grande illusion
Odette Taltavull

Les mouvements sectaires revêtent habilement différentes formes. C'est de cette façon qu'ils peuvent se faufiler subrepticement dans notre vie de tous les jours. En proposant des formations d'apparence anodine au personnel des entreprises, ou en bâtissant leur nid dans des groupes divers ayant initialement d'autres objectifs (loisirs, clubs etc ...), ce sont de vrais prédateurs de l'Homme. Exmed a pour vocation de promouvoir la Santé et la liberté d'expression, et il m'a semblé indispensable autant qu'urgent de parler des stages organisés par un groupe appelé Landmark Education (que je nommerai LE tout au long de cette LEM). Cette Organisation étend ses ramifications partout dans le monde. En France, elle fonctionne parfaitement et en toute impunité, alors qu'elle est classée SECTE par l'Etat Français depuis 1995.


Retrouver la confiance:
Imaginez une belle jeune femme en période de déroute émotionnelle comme il nous en arrive à tous au cours de notre existence . Cette jeune femme a un bon niveau d'études, un emploi passionnant, des amitiés diversifiées, et une famille aimante. Malgré les inquiétudes et la mise en garde de son entourage elle a choisi de faire "un stage de développement personnel" chez Landmark Education. Seulement trois jours. En fait, ce qu'elle appelle son "choix" s'est inscrit en elle insidieusement et malgré elle, grâce à une programmation qui a duré plusieurs mois. A cause d'une seule rencontre qui se trouvait là au bon moment, elle a décidé d'aller chez LE parce que cet ami lui a promis qu'elle y trouverait en trois jours la paix, la force intérieure, une évolution professionnelle, et un guide pour le reste de sa vie.
Arrive pour la jeune femme le jour de ce fameux "stage de développement personnel". Il a lieu à Paris. 150 personnes y participent et vont plonger ensemble dans l'océan déchaîné de Landmark Education sans que personne ne leur ait demandé s'ils savaient nager …
Trois jours après, le changement chez cette jeune femme est effectivement étonnant, sidérant ! En fait ce n'est plus tout à fait la même personne. Elle semble euphorique, joyeuse, pleine d'une nouvelle confiance en elle. Mais lorsqu'elle se met à parler du forum LE, son discours est fait d'automatismes langagiers (phrases répétées textuellement, persévérations dans les termes utilisés), le ton est linéaire, sans relief, et les arguments à opposer à l'inquiétude des siens sont comme appris et récités. Elle est si bien … elle a "demandé pardon" par téléphone à ceux envers lesquels elle a été "méchante" et "inauthentique" dans sa vie. Alors tout va mieux, tout s'est allégé en elle . Si l'on essaie de lui faire prendre conscience calmement qu'un tel changement est impossible en trois jours, c'est sans aucune agressivité qu'elle répond que sa vie a été transformée, qu'elle est à présent "une page blanche" et qu'elle doit "se réécrire" pour "renaître". Elle rajoute même qu'elle va s'appliquer à promouvoir les forums LE auprès de son entourage et au fil de ses rencontres. Elle va bien entendu participer au suivi de soutien et a inscrit -comme un cadeau en sorte- deux de ses amis au forum LE suivant .

Restaurer la conscience:
Chaque stage LE regroupe au minimum 150 personnes de tous âges, de tous horizons professionnels, et de tous milieux socioculturels. Le grand nombre décuple les effets des manipulations qui se succèdent à un rythme effréné. 3 jours c'est court ; il faut faire vite et taper fort ! Ceux qui ont "choisi" de faire ce stage (en fait tous ont été inscrits par des amis ou des connaissances qui leur veulent du bien ) sont convaincus, par une première réunion, que ces trois jours vont être pénibles mais que leur vie va en être transformée et qu'ils vont optimiser leur potentiel professionnel, familial et personnel.
L'émulsion doit être faite brutalement pour être réussie et aboutir à l'osmose puis à la soumission collective. La méthode, issue directement de celle de la Scientologie, est extrêmement violente psychologiquement.
Les journées sont denses. Pratiques d'exercices personnels et collectifs alternent avec un déballage émotionnel démesuré et parfaitement orchestré. Le but est de déstabiliser les participants jusqu'à qu'ils craquent, afin de faire tomber le plus rapidement possible leurs défenses. Les temps de repos sont rares. 2 demi-heures dans une journée qui va de 8h du matin à minuit pendant trois jours. 2 "collations" pendant ces pauses (pas de repas) … à manger tout en téléphonant avec des appareils fournis par LE (donc surveillés) afin que les adeptes demandent "pardon" à ceux envers lesquels ils ont été "inauthentiques" (sic). L'épuisement physique et psychique est donc assuré, et la manipulation mentale n'en sera que plus aisée le jour suivant.
Certes les participants rentrent à leur domicile le soir, mais ils ont "du travail" à faire pour le lendemain. Ceux qui hésitent à y retourner sont soutenus par ceux qui les ont convaincus de faire le stage et qui les attendent à la sortie. Même cela est prévu par LE.
Restent quelques heures de sommeil -forcément perturbé- avant la reprise du lendemain.
Les conséquences des méthodes de LE sur la santé mentale et physique des participants importent peu à leurs responsables. L'unique objectif de LE est d'amener les nouveaux adeptes à en amener d'autres et ainsi de suite. Il s'agit de les convaincre que leur transformation et leur développement personnel sont réels et efficaces. Les preuves sont là … L'adhérent vomit ? Ce sont les pollutions et les a priori de son passé qui quittent son corps. Il sanglote ? Ce sont les tensions inutiles qui se libèrent. Il hurle ? C'est qu'il lâche prise, enfin. Il perd connaissance ? C'est pour mieux renaître. etc etc … tout est expliqué, commenté, et le conditionnement peut continuer. Le mot adhérent prend ici toute sa signification car les participants sont scotchés à l'infernal rouage de LE.
Le forum LE est payant (3500 FF) et il est suivi de 10 séances gratuites de trois heures par semaine, ce "soutien" étant destiné à aider l'adhérent à "confirmer" l'efficacité des enseignements donnés lors du Forum et pour mieux les inclure à sa vie de tous les jours. C'est seulement au terme de cette formation initiale qu'il ressentira réellement se manifester "l'effet Landmark". Ensuite, lui seront proposés des "Forums de perfectionnement", des "passages d'échelons", et il bénéficiera même d'une réduction conséquente s'il s'y inscrit dès la fin du Forum initial.

Renforcer la compétence:
Les responsables des forums LE se disent psychiatres alors qu'aucun d'entre eux n'est inscrit au registre du Conseil de l'Ordre des Médecins. Leur formation, qu'ils disent "de thérapeute" est totalement interne à l'Organisation. Précisons que LE n'est pas inscrit au registre du commerce puisque son statut de SECTE le lui interdit. Les animateurs sont TOUS de purs produits Landmark et ils sont bénévoles. Quant à l'argent récolté par LE, comptez 3500F x 150 adhérents x 12 mois, à raison de deux Forums mensuels. Où, et à qui, vont ces sommes astronomiques ? Que financent-elles ? Ces stages ont pourtant pignon sur rue à Paris et dans plusieurs capitales du monde, et certaines entreprises y envoient d'office leurs salariés !
Les Forums dits "de perfectionnement" sont de véritables écoles de coaching pour ceux qui veulent mettre en application les méthodes LE dans leur travail ou devenir un jour à leur tour formateur LE.
L'Organisation Landmark Education a été classée SECTE parce que des suicides, des névroses réactionnelles et des psychoses révélées, comme des états schizophréniques ,ont été rapportés chez des adeptes dans les suites directes de ces forums. Car les personnalités fragiles émotionnellement - même temporairement - y sont totalement déstabilisées, déstructurées. Après avoir été sous contrôle durant des mois, elles sont littéralement lâchées dans la nature ! A moins qu'elles ne choisissent de continuer à se perfectionner et qu'elles payent pour de nouveaux "Forums de perfectionnement" … Et le leur dire ne sert à rien car le conditionnement est habile, profond, et totalement insoupçonnable pour celui qui est piégé.
Les Forums Landmark Education sont admis dans notre société (laquelle donc en cautionne les méthodes), en toute liberté de détruire ! Comme d'ailleurs d'autres sectes ou groupes sectaires qui ne rencontrent que peu d'entraves dans leur fonctionnement interne (et aucune dans leur propagande sur Internet). Comment expliquer que perdurent de telles pratiques de manipulations mentales à effets pervers dans le pays qui se dit celui des Droits de l'Homme ?
Chaque année Landmark Education fait des milliers de nouveaux adeptes. Dites-vous que l'un d'eux pourrait un jour être votre enfant, votre conjoint, l'un de vos parents, l'un de vos amis, l'un de vos collègues de travail … ou vous-même.

Os court:  A l’hôpital : << Quand on court après l’esprit, on attrape la sottise >>  Montesquieu


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Lettre d'Expression médicale n°267

Hebdomadaire francophone de santé
11 Novembre 2002

Vocabulaire en"A"
par Dr Jacques Blais

Reprenons pour un nouvel épisode cette manière, autant sélective que subjective bien sûr, d'aborder quelques points d'interaction, de relation, de communication dans le cadre habituel général de la santé. Cette fois nous allons parcourir plusieurs mots de la lettre A, qui seront successivement Angoisse, Argent, Addiction, Apathie, Apothicaire, et Allergie. Sans la moindre prétention à révolutionner la sémantique, à inventer des solutions, ou à révéler des connaissances, juste un partage d'idées selon notre habitude. Il aurait pu exister des sous-groupes avec anxiété, "accro", Alzheimer, adhésion, entrant dans les mêmes thèmes.

Retrouver la confiance:
Deux items paraissent s'intégrer de façon presque naturelle dans ce chapitre, l'angoisse et l'argent, parfois même liés.
Angoisse : à bien y regarder, elle motive un nombre considérable de demandes de la part des patients, de recours aux praticiens, tant l'arrière-fond de maladie, de gravité, de mort annoncée, et l'atmosphère générale de progrès proposant une sorte d'invincibilité des êtres humains pousse à consulter. En contrepartie, elle génère aussi une très grande offre de la part des médecins, d'examens complémentaires entre autres, tant leur "fabrication" avec l'angoisse du diagnostic, la menace amplifiée de procédures, l'illusion entretenue de la toute connaissance par la technologie impliquent de propositions.
Argent : d'une part impliqué au premier degré par les conditions suggérées plus haut, l'argent motive un nombre considérable également de propositions de "soins" qui vont des charlatanismes les plus outranciers aux crédulités les plus étonnantes, avec des intermédiaires de commerces de tous acabits. Ainsi les examens complémentaires répétés à l'envi "pour être bien sûr" malgré des recommandations d'agences nationales d'évaluation, ou les exposés de médecine par les preuves, ainsi les traitements non validés, la multiplication d'actes, etc.
La confiance se paie au prix de la lucidité, de la clairvoyance, de l'objectivité. Et de l'irruption de la conscience, bien sûr
.

Restaurer la conscience
Nous allons aborder ici deux autres mots, d'un ordre différent, mais dont le sens de conscience sera double, celui d'une part de morale arbitraire surajoutée, et celui du fonctionnement logique de la conscience organique cérébrale.
Addiction : le propos ici ne sera pas de commenter, condamner encore moins, élucubrer sur la vraie toxicomanie à toutes les formes de drogues et dérivés. Simplement de réfléchir sur l'ensemble des dépendances et addictions. Celle de l'alcool, maintes fois évoquée dans nos écrits, celle du tabac, mais aussi celle aux somnifères, si répandue, celle aux tranquillisants, celle à la nourriture, aux achats (compulsifs), celle à la mode, les fameuses "fashion victims" dont les critères de beauté et d'apparence créent une dépendance effarante. Ce qui nous mène aux dépendances "inversées" comme boulimie et anorexie, ou à des formes trompeuses, comme l'hypochondrie, dépendance aux médecins, aux symptômes, aux traitements et examens. Une interrogation perpétuelle, terrible, derrière ces états: qui entraîne quoi et réciproquement ? Car pour certaines formes, un prescripteur est indispensable, celui-ci pouvant être médecin, banquier, fabricant, vendeur, promoteur, exploitant. Et sachant que le mot prescription est double : ordonnance, et "oubli" par l'effet du temps, au delà d'une durée fixée pour une faute.
Apathie : ceci va être un biais indirect pour aborder une pathologie envahissante dans ses conséquences, ses dégâts, son extension, la maladie d'Alzheimer. Récemment, la journée nationale en faisait un point objectif. L'apathie est un stade particulier à repérer dans l'évolution, ce sont les proches ou les soignants qui effectuent ce constat. A ne pas confondre avec un épisode forcément dépressif, plutôt un ralentissement, une passivité accrue. Survenant bien après les repères habituels concernant la conduite automobile devenue impossible, la toilette autonome de même, la perte des notions spatio-temporelles, les éléments identitaires du patient pour lui-même et son environnement.
Pourquoi réunir les deux points dans la conscience ? Parce que dans les deux états multiples la dépendance est majeure, consciente ou non, dans certaines situations elle est celle des produits, des comportements, des "prescripteurs de toutes natures", dans l'autre celle de l'entourage, les proches et l'équipe soignante. Dans TOUTES ces situations la collectivité est mise en cause, à contribution, en porte-à-faux, témoin, actrice, impliquée mais si fréquemment "inexpliquée".


Renforcer la compétence:
Encore deux approches en apparence réunies seulement par une vague notion de médicalisation des implications.
Apothicaire : une lutte de pouvoir existe, hélas, entre le corps médical et la très estimable profession des pharmaciens. Liée, de manière non moins  regrettable, à une absence totale de communication, de réunions communes, de formation continue collective, d'échanges constructifs. Pour être parvenu, il y a quelques années, à rassembler trois années de suite entre 50 et 75 médecins et pharmaciens dans des séances de formation extrêmement riches d'enseignement, je trouve qu'il y aurait à creuser là des pistes de progrès. Le pharmacien est frustré, en tant que professionnel, de ne pas diagnostiquer, alors qu'il possède une solide "science" et il se montre souvent enclin à "prescrire" plus ou moins en compensation. Tout en commentant et critiquant, il deviendra "conseil", voire orienteur. Simple lucidité objective. Le médecin est frustré par un sentiment de relation de confiance différente de celle du pharmacien, celle de la proximité, de la boutique, sorte de connivence, quand lui garde la distance du "savoir", et il a tendance à compenser par un pouvoir inadapté, en commentant et critiquant lui aussi avec parfois un fond de sarcasme ou de suffisance. De nouveau lucidité clairvoyante issue des jeux de rôles observés entre professionnels. Alors que précisément les différences entre ces professionnels de santé se situent dans l'inversion : c'est bien chez le médecin que devrait se situer la "science relationnelle" quand c'est au pharmacien qu'appartient la "science rédactionnelle". Aux patients et aux "pros" d'effectuer le rattrapage.
Allergie : le tabac et le chat du foyer sont bien plus souvent en cause que la "pollution", déculpabilisante et facile à désigner. De même les colorants, conservateurs et excipients sont plus impliqués que l'aliment lui-même ou le principe actif. Le chlore, le nickel, le latex, les plastiques, les nitrates, et tant d'autres composants (désherbants etc) éléments du monde moderne "simple" seront infiniment plus redoutables que la technologie, les relais hertziens, la plupart des productions industrielles courantes. Nous parlons d'allergie, pas d'effets organiques à terme. Au total confort, cosmétiques, civilisation et prévention créent nettement plus de dégâts allergisants que le nucléaire, les OGM, ou la technologie de pointe. Mais il est terriblement plus difficile à tout humain d'admettre que, bien souvent, son comportement est bien davantage en cause que son fameux environnement.

La conclusion, sans la plus petite prétention moraliste ou encore moins scientifique, de cette fraction de vocabulaire en "A" serait peut-être que le principal A est l' Autre . Car pour n'importe quel individu, nous-mêmes inclus, il sera infiniment plus confortable de reporter sur un quelconque "autre", le matériel, les conditions, le système, l'Etat, le fabricant, le patient, le soignant, le professionnel de santé d'une "autre" catégorie, l'environnement défavorable et hostile, la responsabilité d'une part si minime soit-elle de nos modes de fonctionnement personnels, de notre vision du monde, de notre psychisme préconditionné par nos vies, qui s'avère dérangeante, pesante, culpabilisante, ou qui nécessiterait, cette part mal venue et mal admise, un changement.

l'os court : << Je ne suis pas plus bête qu’un autre. - Quel autre ? >>   Georges Clémenceau


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Lettre d'Expression médicale n°268

Hebdomadaire francophone de santé
18 Novembre 2002

La violence a-t'elle un sens?
par Dr François Michaut

Qui ne reconnaît chaque jour les manifestations de cet “abus de la force”, selon la définition première de la violence du dictionnaire Petit Robert ? Naturellement beaucoup dans leur sphère semblent disposés à lutter activement contre la violence, que ce soit à l’école, sur la route, dans l’entreprise, dans les sectes ( LEM 266 ), dans la famille , dans l’économie ou dans la politique . L’usage de la violence , manifeste ou perverse, n’a-t-il donc aucun autre intérêt que celui de détruire la toute petite flamme , si vacillante, de la paix des hommes ? La violence, c’est le mal, et la lutte contre la violence, c’est le bien. Le Grand Satan contre l’Empire du Mal, et vice-versa, pour parler comme nos journalistes. La violence, alors, “c’est l’Autre” (LEM 267 ). Ne serait-ce pas une façon trop simpliste, et improductive, de comprendre la violence ?

Retrouver la confiance:
A priori, rien n’est plus violent que ce que nous nommons la loi de la jungle. Règne du plus costaud qui dévore les plus faibles. Pourtant, le lion qui tue une gazelle pour s’en nourrir abuse-t-il vraiment de sa force ? La faim, pardonnez ce jeu de mot, justifie alors le moyen. Le cerf le plus vaillant - sans doute génétiquement le meilleur étalon possible - demeure le seul maître incontesté des femelles de la harde. Les simulacres de combat pour être le dominant du groupe ne sont pas faits pour tuer les autres mâles. Juste pour instaurer un ordre social sexuel fixe auquel nul individu ne peut échapper. Des accidents fatals peuvent parfois survenir dans ces joutes, cela est bien connu.

Restaurer la conscience
Le meurtre, paroxysme de la violence, est alors, et demeure, une spécificité strictement humaine. Nous sommes les seuls dans le monde animal à nous tuer entre nous au sein de la même espèce. Faut-il en déduire que nous sommes particulièrement agressifs ou méchants ? Faut-il porter sur nous-mêmes un regard moral désapprobateur ? Faut-il tenter par tous les moyens d’éradiquer cette “mauvais habitude” ? Tout cela a été fait et refait en pure perte depuis toujours. Interrogeons-nous plutôt sur le sens de cette caractéristique de l’humain. Encore un petit effort : posons-nous la question systémique ( si gênante qu’on l’évite depuis toujours ) de la raison, de la fonction de cette violence, qui semble paradoxalement avoir fait de l’homme un homme, et non un quelconque grand singe.
Des deux seuls fils d’Adam et Eve, si on écoute la genèse biblique et mythique de nos origines, l’un a tué l’autre. Bon, l’histoire ne nous dit pas comment Caïn le survivant a pu devenir lui même le père de ses enfants, et ceux-ci les ancêtres de tous les hommes, sans recourir à l’inceste. Mais c’est un autre problème qu’il eût fallu en son temps soumettre au Dr Freud.


Renforcer la compétence:
Plus sérieusement, l’hypothèse soulevée par René Girard mérite notre attention. C’est par l’usage de la violence, et de la violence collective unanime contre un seul innocent reconnu coupable, qu’a pu naître le sacré, nos religions et nos institutions ( La violence et le sacré, 1972 ). Ces valeurs qui ont fait notre humanité se délitent tous les jours un peu plus sous nos yeux. Le bombardement médiatique ininterrompu nous en informe partout sur la planète, sans trêve. La tentation consciente et inconsciente est alors énorme de restaurer ces notions si indispensables à notre cohésion, donc à notre survie menacée. La seule recette que nous connaissons tous depuis les origines demeure l’utilisation de la violence. Sacrifier, souvenons-nous, ne veut rien dire d’autre que : rendre sacré. De plus en plus de violence au fil du temps pour tenter de compenser la perte de ces valeurs au dessus de l’humain qui nous sont de plus en plus étrangères. Le triangle formé par les extrémismes, les restaurations de religions purifiées et les utilisations intensives du terrorisme sous toutes ses formes - y compris psychologiques- sans états d’âme apparents, devient alors parfaitement lisible. Comprendrons-nous un jour que tenter de fabriquer ainsi du sacré aujourd’hui est forcément voué à l’échec dans la mesure où nous commençons à en percer à jour le mécanisme qui n’agissait durablement que parce qu’il restait caché ? La violence, quel que soit son degré, est devenue impuissante à restaurer le sacré capable de resouder les hommes désunis. Voilà qui nous ramène étrangement à la notion si mal comprise de l’inconscient collectif de Jung. Voilà qui fait écho à la pulsion de mort décrite par son maître Freud. Voila enfin qui constitue une parenté inattendue à ce péché originel de la tradition judéo-chrétienne, si décrié par nos intellectuels modernes. Débat purement théorique ? En aucune façon, hélas pour nous. Toute action cohérente en matière de violence, notamment de terrorisme, est illusoire si l’on n’a pas la moindre idée de la façon dont fonctionne cette violence, de son épidémiologie. Tout comme nous médecins, nous avons été dramatiquement démunis devant la tuberculose jusqu’à la découverte du bacille de Koch.

l'os court : << La plupart des gens préféreraient mourir que de réfléchir. C’est ce qu’ils font d’ailleurs>>  Bertrand Russel