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Lettre d'Expression médicale n°281

Hebdomadaire francophone de santé
17 Février 2003

Nobel, illusions perdues
par Dr François Michaut

L’une des tentatives les plus extraordinaires de médecine de la médecine, ce que nous nommons volontiers ici la métamédecine, eut pour cadre la France du milieu du siècle dernier quand de Gaulle revint au pouvoir . L’une des idées fixes de cet ancien chef historique de la résistance française à l’envahisseur nazi était la lutte contre la domination américaine de la vieille Europe libérée grâce aux armées alliées. Plusieurs réalisations de prestige comme le paquebot France, les avions Caravelle puis Concorde, ou la force de frappe nucléaire furent chargées d’en témoigner la réalité aux yeux de la communauté internationale de l’époque. Rêve , peut-être déjà dépassé, de demeurer la grande nation que nous fûmes naguère.

Retrouver la confiance:
C’est ainsi que la médecine française, malgré son passé prestigieux dans de multiples domaines, fut priée de participer à la construction de ce que de Gaulle décrivait comme “ une certaine idée de la France”. L’artisan, certains l’ont peut-être oublié, fut Robert Debré, le père du premier ministre qui inaugura la 5ème République après 1958. Ce professeur parisien de pédiatrie partit d’une idée simple. La récompense la plus prestigieuse en matière de médecine est le prix Nobel. Or, en dehors de Laveran en 1907 et de Charles Nicolle en 1928, ce prix fut régulièrement attribué surtout à des auteurs américains.

Restaurer la conscience
Debré, regrettant cette domination américaine, mit en cause la pauvreté de la recherche en France, tant en moyens qu’en personnel. Pour obtenir enfin la moisson de prix Nobel qui semblait à ses yeux devoir nous revenir, il fallait mettre le paquet. Alors que la médecine en France était encore assez peu spécialisée, et encore imprégnée de l’esprit des grands cliniciens du 19ème siècle comme Laennec, Trousseau , Charcot ou Babinski, il fallait créer de nouvelles structures. Ce furent les centres hospitalo-universitaires ( CHU ), dont les médecins salariés à plein temps de l’Etat reçurent la triple mission de soins aux malades hospitalisés, d’enseignement des étudiants en médecine et d’activité de recherche scientifique. Très vite, chaque ville provinciale de quelque importance voulut aussi, pour d’évidentes raison de prestige local, disposer de son propre CHU. Quant aux localités les plus modestes,elles ne voulurent pas demeurer en reste et firent tout pour se doter de centres hospitaliers généraux avec, également, des praticiens hospitaliers fonctionnaires à plein temps, et un plateau technique de qualité. Pour des raisons de vanité, non dénuées d’ambitions politiciennes, chaque municipalité voulut avoir l’hôpital le plus moderne et le plus spécialisé possible.
Parallèlement, et comme contaminée par cette fascination pour une médecine “ de pointe” de plus en plus technique et de plus en plus spécialisée, l’assurance maladie obligatoire assura des tarifs beaucoup plus attirants aux actes de spécialité qu’aux consultations des médecins généralistes. La réforme Debré eut pour résultat immédiat de faire totalement disparaître du corps professoral ceux dont le métier, par définition, se passe en ville et non dans un service hospitalier. La médecine générale ne fut plus en France une branche reconnue de la médecine universitaire pendant près d’un demi-siècle. Devenir généraliste fut alors considéré comme la voie d’échec de ceux qui ne pouvaient devenir hospitaliers, ou, à défaut, spécialistes libéraux. Et on devint généraliste uniquement en se formant soi-même à l’issue d’un cursus effectué exclusivement dans des services hospitaliers extrêmement spécialisés. La différence de formation dans les hôpitaux et, soyons direct, de rémunération fit exploser le nombre des spécialistes en pratique de ville. La hiérarchie médicale était bien établie. Au sommet, les CHU, puis les hôpitaux généraux, enfin les spécialistes libéraux, et, en dernier lieu, la piétaille mal dégrossie des généralistes.


Renforcer la compétence:
Les faits, comme il savent si bien le faire devant nos constructions idéales, furent têtus. A de rares exceptions près- comme le trio Monod, Lwoff et Jacob en 1965 et Dausset en 1980 - le prix Nobel continua depuis à bouder régulièrement le drapeau tricolore. Les grandes revues scientifiques internationales, et les communications dans les congrès, furent toutes en langue anglaise. Dommage. Mais plus grave encore fut ce pari national exclusif sur la médecine “de pointe”, négligeant sans état d’âme les patients atteints de troubles plus banaux. De nos jours, la médecine hospitalière, des établissements les plus prestigieux aux plus modestes éclate sous nos yeux, tout simplement parce qu’elle est fondée sur ces principes purement idéologiques. Elle a oublié, dans ce rêve gaullien de grandeur, qu’elle était avant tout une activité purement humaine, et secondairement scientifique, au service des hommes, et non de l’ambition des hommes politiques ou des abstractions planificatrices des administrateurs. L’illusion scientiste sur laquelle est encore fondé implicitement tout notre édifice médical a démontré, en presqu’un demi siècle, qu’elle ne correspondait ni à la réalité, ni aux moyens financiers, ni surtout aux besoins des hommes atteints par la maladie. Alors, oui, une métamédecine est nécessaire. Elle ne peut à nos yeux être pertinente si elle ne tient pas compte de l’échec de la politique de santé, ou plus exactement de la santé politique, que nous venons d’exposer. Et de cela, semble-t-il, bien peu de gens, dans la profession comme en dehors, semblent oser parler. Trop d’intérêts professionnels bien bétonnés seraient-ils alors menacés ? Les faits, une fois encore, risquent de faire évoluer très vite la question : les carrières médicales hospitalières, après avoir été considérées comme “la voie royale”, sont désormais largement boudées par nos jeunes confrères. Comme les malades ne cesseront pas miraculeusement d’être malades, il faudra bien se décider à repenser tout cela et à répondre enfin à la question : à quoi doivent servir les médecins, et les autres soignants dans notre société ? Ce débat ne sera pas pipé dans la seule mesure où toute la société - et non les seuls soignants, gestionnaires et hommes politique- y participera. Et, en y regardant de près, le débat est déjà commencé parmi nous.

l'os court :    « L’homme absurde est celui qui ne change jamais. »   Auguste-Marseille Barthélemy ( 1794- 1867 )


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Lettre d'Expression médicale n°282

Hebdomadaire francophone de santé
24 Février 2003

La crise a ses vertus
par Dr Jacques Blais

Nous avons eu plusieurs fois l’occasion d’effleurer cette notion de crise, qui représente à la fois un mode d’expression de tout état actuel de dérangement aigu, crise politique, gouvernementale, pétrolière, économique, sociale, et un paradoxe fréquent dans une formulation ambiguë habituelle dans la presse ou les médias. " La crise perdure à Air Lib " ou chez les Verts, ou ailleurs. Une crise n’en est plus une si elle perdure, elle devient une maladie, ou ses symptômes.
Alors même qu’une crise a pour caractéristiques nécessaires de représenter un état aigu, temporaire, résolutif suivi d’un changement. Et en tentant d’éviter tout excès de citations et de purisme, ou de préciosité, nous allons nous attacher à résumer, retrouver, apprécier ici les caractéristiques qui donnent à toute crise ses vertus, qu’elle soit financière, d’identité, sociétale ou de confiance.


Retrouver la confiance:
Dans notre siècle, et essentiellement depuis 1929, la crise a d’abord été vécue comme monétaire, économique, politique, avant d’osciller entre des pôles boursiers, gouvernementaux, de pouvoirs. Philosophiquement, Kant avait abordé ce thème à travers l’identitaire , l’existentiel. Des idées reprises en termes de société, de médecine, sous la forme des crises de l’adolescence, de la cinquantaine, de la ménopause, et les crises familiales.
David Tacium, dans une Thèse de 1998 (Université de Montréal) reprend un mot intéressant issu du Dandysme et de la crise de l’identité masculine de la fin du XIXème siècle, celui de fragmentation. Entretenue souligne l’auteur par les sciences des signes comme la médecine : " la différence se situe à l’intérieur du héros "
Enfin des auteurs contemporains comme Gérard Duménil et Dominique Lévy, experts en crises financières, estiment que le terme est souvent galvaudé. Mais il évoquent des notions subtiles comme celles de dysfonctionnement structurel ou conjoncturel, ou de mutation du système. Et pour être complets, terminons sur les notions médicales de crises, celles de l’asthme, de la goutte, des coliques néphrétiques, de l’épilepsie, toutes autant d'accès soudains liés à une perturbation résolutive ou à une rupture d’équilibre.

Restaurer la conscience
Comme toujours, il y a un grand intérêt à chercher dans l’étymologie du mot. En Grec ancien, krinein signifie séparer, choisir, décider, et kriterion, le si intéressant terme de critère, vient également du même verbe. En latin, le déterminant est criblum, avec de nouveau cette idée de passer au crible, de trier, de choisir.
Ce qui éclaire d’un sens nouveau cette notion de crise. Un versant, celui de l’état critique habituel à la médecine, ou en quelque sorte l'état d'un organisme va choisir son parcours, vers le mieux ou vers le pire après un sommet atteint. L’autre versant, celui du critique d’art ou de cinéma, dont l’étude, la critique, représente ce choix, ce tri, ce crible.
Il devient alors passionnant de découvrir que cette crise, redoutée ou au contraire attendue, va finalement constituer un état suraigu, maximal, à partir duquel un recul critique va mener vers des choix décisionnels destinés à aboutir à un inéluctable changement.
Schématiquement, un événement, survenant sur une structure, un équilibre, une fonction, un système, va entraîner une rupture, une fragmentation, une séparation, un choix, un tri, une décision. L’ensemble aboutit à une mutation du système.
La crise va alors développer une sorte de vie autonome, qui suit des étapes. Une modification du système. Par un départ, cette fragmentation, vue en politique, en football, en famille, élimination, écartement, disgrâce, mais aussi deuil, fugue, séparation, divorce, éloignement (y compris, pension, prison, internement, placement etc). Par un avènement, qui sera choix ou dysfonctionnement : anorexie, alcoolisme, toxicomanie, mais encore maladie mentale, intervention chirurgicale, maladie grave… Et enfin par accident accès, rupture, comme un incendie, une ruine, une catastrophe, un crime, aussi bien qu’une naissance, un mariage. Cette modification du système, et on " lit " cela parfaitement à notre époque où il faut trouver des coupables aux catastrophes naturelles, aux inondations et intempéries, va provoquer la désignation. Celle d’une personne support symbolique, ou d’une institution, d’un organisme. " On " choisira généralement les représentants " les plus " ou " les moins " Le plus vulnérable, le plus violent, le moins supportable, le plus visible, le moins " normal " Ce personnage, ou cet organisme, devenant en quelque sorte ou en réalité " le malade à traiter ", le coupable.  La dernière étape demeure la plus intéressante, celle de la mutation. Celle du système en un autre. Une famille en crise devient une simple association, une cohabitation, un campement. Un gouvernement devient une cohabitation, un parti devient une fédération, une association devient un syndicat, etc.

Renforcer la compétence:
Pour revenir dans notre domaine médical, face à une crise, d’adolescence, de la cinquantaine, de confiance, familiale, sociale, le médecin dont le rôle logique est celui de témoin et de thérapeute, d’écoutant, sera en fait souvent sollicité en tant qu’arbitre, juge, décideur, avocat, ce qu’il ne saurait en aucun cas accepter car situé alors hors champ de compétences.
Les rôles du médecin face à la crise sont de la reconnaître, définir, de l’expliquer, et de tenter d’en faire un outil pour sa mutation en opportunité de changement et de mutation du système. Comme dans toute systémique, des règles implicites du groupe apparaissent, des bénéfices secondaires, des alliances, des conflits. La crise signal d'alarme peut devenir féconde, maturante, si elle apporte la parole, la prise de conscience, l’écoute réciproque, et cette fameuse mutation d’un système figé. La crise " signal des larmes " simplement déchiffrée comme un bilan des charges, sans être décryptée comme une énigme à résoudre, avec une famille décidée à garder sa souffrance, ses secrets, sans la parole, sera pathogène. Décalons une fois encore vers la politique, le football, l'économie : quand parfois, d'évidence extérieure il paraît à tous si nécessaire de tout changer, de repli intérieur implicite finalement les mêmes seront conservés, en dépit de toutes critiques, condamnations, procédures ou manifestations. La crise maturante explose, rue, crie, change et transforme, en privilégiant la parole,  la crise pathogène enferme, tait, enterre,  conserve, en ne protégeant que le silence .
Un exemple systémique récent. Dans un collège, une enseignante est agressée et blessée au couteau par une élève. " Un établissement sans histoires " disent les médias. Une semaine après, les profs n’ont pas repris les cours. Et grâce aux groupes de parole, soudain au delà des larmes de la crise, de nombreux enseignants avouent qu’ils sont eux aussi, depuis longtemps, insultés, violentés, agressés, frappés, mais que jusqu’alors, à l’image de ces familles refermées sur leur bienséance, leur pudeur, leurs lois implicites, leurs secrets, il était impossible de parler. La crise aura modifié par définition, par nécessité, un système figé, et tout à coup enseignants en souffrance tue et élèves en bouleversement tacite seront parvenus à parler, échanger, comprendre un peu, envisager l’au delà de la crise.
La crise, l’acuité d’une souffrance, le choix d’une amélioration par le changement. "Facile à dire" affirmez-vous ? Oui, c'est entendu.

l'os court :    « Une des propriétés de la vertu, c’est de ne pas attirer l’envie. »   Rivarol


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Lettre d'Expression médicale n°283

Hebdomadaire francophone de santé
3 Mars 2003

Simple duel
par Dr François Michaut

Pouvoir. Mot magique de notre comportement humain, aussi loin en arrière que puisse porter notre modeste mémoire orale ou écrite. Moteur de nos actions depuis, nous disent les éthologistes, nos cousins biologiques les animaux vivant en groupes où il prend le nom de dominance. Découverte décoiffante du Docteur Freud qui lui donne les atours sulfureux de la libido tournant autour de la sexualité. Loin de tout cela, un médecin bien ordinaire est amené par son métier à soigner aussi bien des puissants de ce monde que des petits et des sans grade. De quoi devenir cynique devant cette comédie humaine ? Parfois, on ne peut le nier. Ou, à l’inverse, être de plus en plus curieux de ce qui peut faire courir les hommes. Notre ami Jacques Blais n’y va pas par quatre chemins au cours de nos échanges sur la liste de discussion Exmed-1. La rivalité entre les USA et l’Irak dont on parle tant ne serait dictée au fond, à ses yeux, que par le prix du pétrole ou par les profits des marchés internationaux.

Retrouver la confiance:
Restons donc dans l’actualité du moment. Afin de mieux percevoir ce qui nous paraît essentiel, courons le risque de simplifier au maximum la situation que nous vivons. Deux hommes s’affrontent. Chacun est le maître incontesté de son pays. Tels Goliath et David, George est grand, riche et fort, et Sadam est petit, pauvre et faible aux yeux des observateurs. Comme dans la scène finale d’un western, nos deux rivaux sont face à face, près à dégainer. En position de faire disparaitre définitivement l’autre pour rester seul sur la scène à l’issue de ce combat singulier.

Restaurer la conscience
Comment en sont-ils arrivés à cette situation si simple, dans notre monde si complexe, dit-on de tous côtés ? Ici, ce que le médecin peut apprendre quand il écoute avec attention ses patients - ou quand il parvient à observer avec soin - est peut-être important. Tout pouvoir, aussi modeste soit-il, a tendance a éloigner son dépositaire de la réalité du monde extérieur. Distance nécessaire pour commander, on le conçoit. Distance qui, en contrepartie, coupe aussi de tout le monde extérieur. Le drame des plus puissants est qu’ils sont hermétiquement entourés d’une foule de gens dont la fonction est de leur filtrer la réalité. Leur survie de conseillers nécessite que ce qu’ils transmettent à l’homme de pouvoir aille dans le sens de ce qui est attendu, en gommant tout le reste. L’histoire récente de la perte des élections par la gauche en France en est l’illustration.

Renforcer la compétence:
La fascination que peut exercer un autre homme de pouvoir, vivant ou même passé, peut ainsi devenir envahissante, quasi monomaniaque diraient les psychiatres. Bush veut éliminer Hussein, et Sadam veut faire mordre la poussière à George junior. Toute logique alors s’effondre, toute considération sur les conséquences pour les populations deviennent secondaires. Le duel ne peut qu’avoir lieu. Tous les habiles le comprennent bien, chacun tentant de tirer les marrons du feu pour ses propres intérêts. Intérêts financiers, naturellement, avec ou sans pétrole, avec ou sans reconstruction, avec ou sans armements. Intérêts politiques plus ou moins hasardeux de ceux qui tout autour, soit prennent position dans le camp d’un des deux duellistes, soit se proclament les héros de la recherche d’une autre solution que celle de ce combat singulier inéluctable Si nous ne comprenons pas après quoi courent les Américains et les Irakiens dans cette terrible crise, et, effectivement nous ne le comprenons pas, c’est parce que nous cherchons - derrière ce qu’Astérix aurait désigné comme un combat des chefs - des motivations logiques, tangibles et mesurables en dollars qui n’existent pas. La manne financière existera ( comme quand Hitler fut vaincu ), quels que soient les évènements à venir. Elle tombera de toute façon directement dans les poches de ceux, multiples, qui ont déjà tendu leurs filets en se constituant en groupes de pression multinationaux. Ceux qui perdront leur santé et leur vie, chacun les connaît, hélas, déjà d’avance.

l'os court :    « Le jour où personne ne reviendra de la guerre, ce sera parce que la guerre enfin aura été bien organisée. »   Boris Vian


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Lettre d'Expression médicale n°284

Hebdomadaire francophone de santé
10 Mars 2003

Opinions thérapeutiques officinales
par Dr Jacques Blais

C'est un entrefilet paru dans la presse médicale (Le Quotidien du médecin du 11 février 2003) qui, pour inaperçu qu'il ait été, interroge très fortement et mène à un débat. Pour résumer, le Collectif des groupements des Pharmaciens (représentant 50 % des officines de France) propose que les pharmaciens soient autorisés à donner des consultations payantes, financées par l'assurance maladie.Le Président du Collectif, Gilles Brault-Scaillet, suggère que soient tenues sur rendez-vous ces consultations, baptisées "opinions thérapeutiques" et il cite l'exemple du suivi d'un traitement.

Retrouver la confiance:
Cette demande est très intéressante, car elle est réitérée depuis longtemps sous des formes différentes, par nos amis pharmaciens. Nous avions déjà ici même eu quelques occasions d'évoquer cette sorte de frustration bien compréhensible de la part des professionnels des officines. Et toute la difficulté débute comme d'habitude dès l'approche du vocabulaire. Consultation est un mot appliqué de manière habituelle aux actes abrités par le cabinet médical, mais ne saurait être restrictif. On peut aussi consulter un manuel, un astrologue, et il s'agit bien seulement sur le plan étymologique d'un mot dérivant de celui de conseil. Justement le vocable appliqué de façon usuelle aux aptitudes des pharmaciens, des assureurs ou des médecins des administrations.
Une opinion s'assimile historiquement à une croyance, et à une approbation comme dans l'expression "opiner du chef". Que peut être alors une "opinion thérapeutique" sinon un avis du pharmacien quant à la thérapeutique prescrite par définition par quelqu'un d'autre ? Jusqu'alors, le conseil suffisait, logique, qui précisait au patient des modalités d'aborption, une posologie, des associations à éviter, une observance, une sorte de mode d'emploi tout à fait adapté aux circonstances, comme un apport complémentaire utile de commentaires et de précisions.

Restaurer la conscience
La demande du collectif traduit, et trahit des éléments d'un ordre nouveau, puisqu'elle est apparue nécessaire à ces professionnels de santé. Peut-être simplement, première hypothèse, pour faire remarquer que ce conseil ne saurait plus être gratuit, inclus alors comme il l'était dans la marge bénéficiaire de délivrance des produits, comme une sorte de "service avec vente" ? Deuxième approche, jusqu'ici la Sécurité sociale prend en charge financièrement, par rémunération, des prestations de soins. Qui sont les actes médicaux et paramédicaux, donc de soins destinés à traiter, à prendre en charge en vue de démarches à visée thérapeutique. Et puis elle rembourse des prestations de services, transports, séjours, matériel, en tant que compléments.
L'extrême difficulté et la subtilité qui risque de fâcher se situe dans l'appréciation des rôles des professionnels de santé. Pour le moment le système est organisé à partir de médecins effectuant les démarches de recherche de diagnostic, de prescription des thérapeutiques, et ensuite de prestataires de soins, ayant pour tâche d'exécuter les soins prescrits. Rigoureusement rien de péjoratif dans ce distinguo, les uns, médecins, chirurgiens, praticiens généralistes et spécialistes ayant tout simplement reçu une formation beaucoup plus longue à visée diagnostique et thérapeutique, les autres para-médicaux, du corps infirmier, kinésithérapeutes, orthophonistes, pédicures-podologues, ergothérapeutes et bien d'autres, dont nos chers amis pharmaciens, ont suivi une formation de base scientifique mais non de recherche diagnostique, et celle indispensable et très hautement qualifiée de prestataires de soins dans leurs spécialités.
Jamais les uns ne sauraient remplacer les autres. Le médecin ne sait pas effectuer le travail du kiné et n'en aura pas la prétention, pas davantage que celui de l'orthophoniste, ou du pharmacien, et la réciproque doit nécessairement être vraie. Qu'il existe quasi obligatoirement une frustration parfois dans ces restrictions est une conqéquence frisant l'évidence.

Renforcer la compétence:
Nous avons déjà souligné ces points. Un pharmacien possède une connaissance chimique, moléculaire, des effets secondaires, quelquefois aussi administrative, des contrindications, des produits génériques, très souvent supérieure à celle du médecin. Et il peut se trouver seul à savoir que Monsieur N. consulte six médecins différents de diverses spécialités, sans l'avouer par exemple à son généraliste, avec pour conséquence des additions dangereuses de médicaments. Est-ce là que se situerait alors cette fameuse "opinion thérapeutique" rémunérée sous forme de consultations ? Mais ne reste-t-elle pas déjà du domaine du conseil, de l'avis autorisé, inclus dans la délivrance et les explications accompagnant le produit ?
Un médecin possède une connaissance et surtout une capacité d'accès à des domaines bien plus étendus. Dossier médical, examens complémentaires pratiqués, antécédents, contexte systémique, familial, professionnel, sociologique, ethnique, anthropologique, et encore plus psychisme, structure psychologique, vue d'ensemble d'un être humain. Même si, dans l'officine, le client se livre quelque peu, il ne sera jamùais en mesure d'aller jusqu'à une écoute à visée thérapeutique, entre les rayons, l'apprentie, les autres clients, le chien de la pharmacienne, le livreur, la femme de ménage, la vendeuse. D'où probablement cette idée de "consultations sur rendez-vous" ? Mais où commence alors cette ambiguité, qui va amener le pharmacien à donner une "opinion thérapeutique" dans son arrière-boutique ?  

J'assume ici complètement plusieurs risques. Celui de sembler avoir peur que les pharmaciens ne "nous prennent notre boulot". La peur, la vraie, se situe dans l'assimilation par les patients de termes inadaptés, poussant vers des comportements inappropriés. "J'ai mal au ventre, des vertiges, des angoisses, je vais aller consulter le pharmacien" . Risque suivant, que les pharmaciens répondent à ceci qu'ils sont déjà sollicités depuis longtemps par ce genre d'interrogation. Banco. Le pharmacien ne pourra jamais, jamais, être thérapeute. Il demeure "conseil" et le meilleur est toujours de suggérer d'aller consulter un médecin, qui lui a pour mission un diagnostic ET un traitement.  Allons plus loin, une crainte carrément éthique est celle d'imaginer les patients se rendant à l'officine pour solliciter une "opinion thérapeutique" : "mon médecin vient de me prescrire ces médicaments, quelle est votre opinion ?" Sans douter une seconde que la plupart des pharmaciens répondront "si votre médecin vous l'a prescrit c'est parce que cela correspond à son avis sur votre situation, mais je vais vous préciser de nouveau les précautions et le mode d'emploi". Est-on dans le conseil, ou dans la consultation à financer par l'assurance maladie ?
Une autre peur redoutée, déjà très réelle bien avant ces éventuelles consultations. "On m'a donné une ordonnance de S. A quoi cela sert-il, il paraît que c'est un antidépresseur, qu'en pensez-vous Madame la Pharmacienne ?" Voilà un cas d'école travaillé par exemple au cours ee plusieurs séances très productives et conviviales de Formation Continue réunissant médecins et pharmaciens. Ce qui ne se pratique hélas qu'exceptionnellement. Le bonne réponse est très probablement : "que vous en a dit votre médecin ? Il vous a préconisé ce traitement pour quoi ?" Suivront alors des mots : pour ma fatigue, parce qu'il m'a trouvée déprimée, pour que j'aille mieux.... "Eh bien vous avez votre réponse... suivez alors le traitement prescrit et si nécessaire retournez vois votre médecin" Et la réponse opinion ? Multiple : c'est un antidépresseur, mais cela a des effets secondaires... Ou "on donne cela dans les "grosses" dépressions mais c'est fort". Ou "moi à votre place je..."
Concluons en rappelant des principes essentiels. Chacun est un maillon, mais uniquement ce maillon. Que le pharmacien, scientifique formé et compétent, soit frustré de n'être généralement qu'un exécutant auquel les pouvoirs publics et les idées privées n'accordent que ce statut semi-commercial alors qu'il est aussi relationnel, assistant d'observance, auxiliaire social, de conseil très important, semble inexorable, logique. Qu'il ait l'idée de demander à rémunérer ses consultations d'opinion peut ne traduire que ce sentiment de porte à faux et ce voeu de revalorisation de son rôle. Mais si le médecin n'est pas prestataire, qu'il dépend des para-médicaux pour l'exécution et la délivrance des produits et soins, pour d'innombrables raisons allant de sa formation à ses conditions de travail, à sa connaissance systémique des patients, à sa prise en charge globale, à sa prise de risque diagnostique et de traitement, le thérapeute demeure ce praticien. Si nos relations avec les pharmaciens sont généralement satisfaisantes, voire excellentes, elles demeurent en grande carence de formation commune, qui permettrait de mettre tous les mots indispensables sur les frustrations réciproques, clarifiant du même coup les rôles et les ambiguités.

l'os court :    « Je veux bien changer d’opinion, mais avec qui ?»  Tristan Bernard


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Lettre d'Expression médicale n°285

Hebdomadaire francophone de santé
17 Mars 2003

Les tradipraticiens
par Dr François Michaut

Ne cherchez pas la définition de ce mot dans votre dictionnaire, vous ne le trouverez probablement pas. Des relents de la belle arrogance de nos ancêtres conquérants des terres inconnues et autres colonies n’ont pas fini de nous habiter. Souvent à notre insu. Pour nous, citoyens de la vieille Europe ou de la jeune Amérique du Nord, il n’y a qu’une seule médecine digne de ce nom : la notre. Ses indiscutables et spectaculaires réponses à des maux particulièrement sévères plaident en faveur de sa supériorité. Ses zones d’ombre, ses retombées parfois dangereuses et, pour parler franc, ses échecs conduisent depuis longtemps quelques esprits à s’interroger. Les moyens matériels de plus en plus importants qu’elle nécessite font qu’elle reste, et restera hélas, de plus en plus inaccessible aux nations qui n’ont pas la chance de faire partie du club très fermé des pays riches économiquement. Plutôt que de parler de médecine primitive, en la balayant d’un geste rapide de la main, l’organisation mondiale de la santé à donné il y a quelques années un nom à tous ceux qui pratiquent les soins de santé en respectant la tradition de leur pays : celui, respectueux dans sa neutralité, de tradipraticiens.





Retrouver la confiance:
Si la médecine héritée du Siècle des Lumières et de l’esprit des encyclopédistes de Diderot et d’Alembert continue de tenir le haut du pavé en France, elle n’est pas pour autant la seule à laquelle nos concitoyens accordent leur confiance quand ils se sentent malades. Des guérisseurs, des magnétiseurs, des radiesthésistes, des dormeuses, des désenvouteurs, des rebouteux il y en a partout. Des gens qui n’ont pas effectué d’études, mais qui ont hérité de façon mystérieuse de ce qu’ils nomment “le don”. De quoi faire bouillir les esprits rationnels que l’université a cultivés si longuement. N’empêche que nos patients sont fortement impressionnés quand, simplement en soufflant dessus, certains parviennent à faire cesser immédiatement la douleur d’une brûlure cutanée, ou “ à remettre un nerf, ou une vertèbre en place”. L’arrivée massive, si on en croit les encarts publicitaires de la presse gratuite, de personnes se présentant comme des marabouts africains vient encore compléter les offres de soins qui nous sont proposés.

Restaurer la conscience
Pour corser le tout, il n’est pas évident de mesurer la crédibilité de certaines techniques proposées par des docteurs en médecine dans le champ inépuisable dit des médecines parallèles. Ce que ne veut rien dire d’autre que le fait qu’elle ne peuvent pas se rencontrer , donc se croiser, avec la médecine “officielle”. Nous avons vu dans la LEM quel rôle parfaitement double et opposé ont pu jouer les médecins dans le développement de la Science Chrétienne dans le monde. Alors, quand toutes ces pratiques traditionnelles font l’objet d’études scientifiques, nous ne pouvons que nous en réjouir. Non pour que dans leur naïveté “ naturelle” , elles se substituent à une science médicale devenue maintenant l’objet de doutes quant à ses limites et à ses pouvoirs, mais pour en comprendre les principes de fonctionnement. Parfois, aussi, plus brutalement, pour en extraire des connaissances nouvelles sur les propriétés de plantes, d’animaux, de poissons étrangers à notre pharmacopée.

Renforcer la compétence:
Alors que, malgré des besoins évidents, nous ne parvenons toujours pas à faire admettre la nécessité de comprendre les états de maladie psychique comme physique sous un angle systémique, de multiples traditions médicales, notamment celles liées au chamanisme, en tiennent le plus grand compte. La ligne entre le rejet sans appel de ce qui n’est pas notre médecine occidentale, et le dangereux flirt avec des univers culturels qui ne sont pas les notres demeure difficile. Difficile pour les non médecins d’y voir clair, naturellement. Pas vraiment plus aisé pour les soignants, qui, dans nos pays aux multiples cultures mélangées, s’y trouvent confrontés, sans les connaître. L’éthnomédecine dans les études médicales au programme déjà si lourd ? Cela supposerait peut-être d’élaguer dans des disciplines traditionnelles qu’on nomme les sciences fondamentales. Pas facile, en vérité, de toucher à ce qui ressemble à des forteresses. En attendant, l’apprentissage d’une profession dure toute une vie, alors, vivent la curiosité d’esprit et ... l’autoformation personnelle. Quand viendront s’exprimer à Exmed des tradipraticiens ? Nous les attendons pour échanger nos points de vue.

l'os court :    « La lecture est un stratagème qui évite de réfléchir »  George Bernard Shaw