ARCHIVES DE LA LEM
n°300 à 305
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Lettre d'Expression médicale n°300

Hebdomadaire francophone de santé
30 Juin 2003

Sous couvert médical
Mathieu Cossu

De nombreux Internautes ont reçu une lettre d’information d’une association aux objectifs apparemment généreux. A partir de l’initiative d’un acteur connu il y a douze ans, nous apprend-t-on, une grande campagne anti-drogue destinée aux parents, aux éducateurs et aux jeunes eux-mêmes, se développerait avec de plus en plus de succès.


Retrouver la confiance:
La toxicomanie fait peur aux adultes quand ils ne la connaissent pas, c’est une évidence. Les vieilles dames craignent de se faire dérober leur sac à main dans la rue, et les commerçants redoutent des attaques à main armée pour leur subtiliser leur caisse. Quant à la détresse des parents qui apprennent un jour que leur enfant tripote des produits illicites, elle est souvent pathétique.

Restaurer la conscience
Faire ainsi prendre conscience de l’intérêt d’une méthode, qui, grâce à “la connaissance” permet de “ dire non à la drogue” ne peut que susciter un élan de sympathie dans le public. Mais, car il y a hélas un énorme mais, pour qui s’intéresse de près et depuis longtemps aux phénomènes sectaires, cette démarche n’est pas du tout désintéressée ou altruiste. “ Non a la drogue”, puisque tel est son nom, propose bien une alternative à la prise de toxiques. C’est l’adhésion à l’Eglise de Scientologie, dont elle est une émanation directe. Il est inutile de préciser que l’Eglise de Scientologie fait partie des organisations reconnues en France comme des sectes.

Renforcer la compétence:
Alors, quand on voit des professionnels de santé, comme je le montre dans mon site “ Pour ne pas se laisser piéger par les sectes” http://www.prevensectes.com , laisser utiliser leur nom et leur qualité professionnelle pour servir de caution à de telles entreprises, on reste sidéré. Sous couvert de “soigner les drogués”, précipiter des gens en détresse vers des sectes, dont elles risquent de devenir les victimes, constitue un acte caractérisé de complicité. Le monde des soignants a pourtant bien connu la secte “ le Patriarche” de triste mémoire, maintenant relayée par Dianova. Le mécanisme est simple : remplacer une dépendance par une autre. On tente de faire disparaître la drogue en transformant le drogué en membre de la secte. Plus que jamais, et cela doit être su par le plus grand nombre, tout ce qui entoure la maladie et la santé constitue un entonnoir de choix pour toutes les entreprises de recrutement sectaires. Les répercussions dramatiques des méthodes des sectes sur la santé de leurs victimes directes et indirectes, j’y suis confronté des dizaines de fois chaque jour. Et, cela, excusez du peu, de la part de gens de plus de cent dix pays dans le monde. Un site à consulter : http://narconon.critique.free.fr

l'os court :    « Le doute est un état mental désagréable, mais la certitude est ridicule. »  Voltaire


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Lettre d'Expression médicale n°301

Hebdomadaire francophone de santé
7 Juillet 2003

Le mentorat: réponse de l'Ordre Naational des Médecins
Professeur Jean Langlois

La rédaction de la Lettre d’Expression Médicale a le plaisir de publier dans ses colonnes la lettre de réponse du Professeur Jean Langlois, président du Conseil national de l’Ordre des médecins, à la LEM 297. A titre exceptionnel, et afin de ne pas déformer les propos de Jean Langlois nous ne reprendrons pas nos trois paragraphes coutumiers. En fin de texte, une courte réponse de l’auteur de la LEM 297 au Professeur Langlois. Et pour couronner cette LEM exceptionnelle, un “os court ” bien dans l’ordre des choses, afin de ne pas perdre ce sens de l’humour sans lequel rien de sérieux ne saurait exister.
La rédaction d’Exmed
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« Je partage vos vues sur la part importante que pourraient prendre les médecins en retraite pour la formation des plus jeunes. J’y mettrais volontiers un bémol : celui de n’accorder cette fonction que pendant un temps limité ( 3 à 5 ans maximum ) après la cessation d’activité professionnelle. En effet, la médecine évolue vite et le retraité est rapidement dépassé dans ses connaissances.
Je m’inscris en faux sur le paragraphe “Retrouver la confiance”. La création de l’Ordre par Vichy n’est pas une tare. Les cartons de la IIIème République lui ont offert un dossier tout prêt dont l’origine remonte à la période 1840-1850. Du reste, le Général de Gaulle ne s’y est pas trompé. Après l’avoir dissous pour la forme, il l’a recréé presque aussitôt par ordonnance en 1945.
On critique l’Ordre parce que né sous Vichy, on ne le fait pas pour la création de l’Hôpital Public (à partir de l’Hospice) et pour celle des assistantes sociales (maintenant appelées travailleurs sociaux ) qui ont leur origine dans les lois de 1941 !
Quant aux lois anti juives, elle ne sont pas le fait de l’Ordre. Nul ne peut ignorer que quelques médecins ont collaboré et que quelques Conseillers ordinaux ont pu mal agir. Mais il y a aussi de nombreuses preuves dans les archives qui démontrent que tel ou tel Président ou Secrétaire général a fait un zèle négatif en traînant à merveille pour répondre aux menaces de l’occupant et de ses sbires ».
Fin des propos du Pr Langlois.
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Pour l’auteur de la LEM 297, ces mises au point historiques sont de la plus haute importance pour qui veut comprendre les choses comme elles sont, et non pas telles que les retranscrivent des groupes de pression ou des partisans d’idéologies qui s’en emparent comme des arguments de la justesse de leurs thèses. Nous sommes heureux que le Président de l’Ordre des Médecins,( dont effectivement les archives sont une mine unique de documents historiques ), ait pu faire lui-même la mise au point sur une opinion aussi répandue qu'erronée.
Pour en revenir au “mentorat”, il me semble que le plus que pourraient apporter des médecins retraités n’est pas dans la transmission de connaissances médicales théoriques ou pratiques. Celles-ci effectivement sont toujours en rapide mutation, et le vieux médecin le sait mieux que quiconque. Non, les besoins et les manques les plus graves que nous identifions régulièrement dans tous nos échanges d’Exmed depuis 1997 sont avant tout d’ordre relationnel. Ils ne sont pas d’ordre cognitif ou praxique, cela l’université, l’hôpital, la littérature médicale, les actions de formation professionnelle initiale et continue le font fort bien. Pourquoi alors limiter la durée de ce cheminement relationnel si chacun continue d’y trouver son compte ? Un chef d’orchestre, un artiste peintre, un écrivain ou un comédien cultive son art et le travaille chaque jour quel que soit son âge, aussi longtemps que sa santé physique ou psychique le lui permet. La seule question demeure celle, très pratique, de savoir si ce type de proposition de “mentorat” intéresse un certain nombre de jeunes et ... un nombre suffisant de vieux pour fournir à la demande. Encore une façon à nos yeux de :
Retrouver la confiance:

Restaurer la conscience

Renforcer la compétence:


l'os court :    « L’ordre conduit à toutes les vertus, mais qu’est-ce qui conduit à l’ordre ?»  Lichtenberg


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Lettre d'Expression médicale n°302

Hebdomadaire francophone de santé
15 Juillet 2003

Des métiers inspirés
Dr Jacques Blais

« Démocratie providentielle », c'est le titre d'un essai écrit par Madame Dominique Schnapper (NRF Essais, Gallimard) dont les idées et le thème s'intègrent particulièrement dans les réflexions que nous menons ensemble depuis des années. Que lire, qu'entendre déjà sous ce titre ? Démocratie est un mot tirant son origine du grec, Demos étant le peuple, et Kranein le verbe commander. On a traduit par "gouvernement du peuple" on pourrait dire décision, voire demande du peuple. Et providence est souvent à prendre de deux façons, comme une chance ou comme une occasion à saisir. Madame Schnapper, sociologue, aborde ce thème sous l'angle des relations sociales, en estimant qu'elles deviennent peu à peu assez alignées sur un seul modèle présentant deux versants, un "marchand" la relation "vend quelque chose" ou échange, et "bureaucratique" quand cette relation sociale est régie et gérée par des règles de type administratif.

Retrouver la confiance:
Nous entrons dans ce qui nous concerne lorsque l'auteur développe le mode relationnel particulier aux professions dont le rapport est lié au collectif. On pourrait y trouver les enseignants, les avocats, le clergé, et évidemment les soignants. Et l'on perçoit alors une sorte de malaise particulier chez les personnes exerçant ce que Madame Schnapper appelle des métiers "inspirés".
Pourquoi décrire ainsi une différence entre un type de profession comme l'exercice de la médecine et les autres ? Parce que, si des éléments "marchands" et d'autres de nature "bureaucratique" encadrent, entourent ou modulent cet exercice, il est aussi parmi les seuls à intégrer dans la relation entre le professionnel et le patient la question de la vie et de la mort. Comme de surcroît la vie a été progressivement limitée dans l'inconscient et la culture d'une majorité à l'ici et maintenant, les êtres humains en ont de plus en plus concentré la valeur dans une appellation globale de "santé".
Le crise de confiance est issue d'un déséquilibre entre des critères nés de cette prédominance des professionnels à privilégier la relation sociale spécifique avec leurs patients, quand l'évolution classique du monde et des économies demeure dans les deux types exclusifs de relation, marchande et bureaucratique. De ce fait, le médecin oscille dans les esprits entre sa responsabilité économique diversement appréciée, et cette sorte de mission comportant une partie qui pourrait presque s'assimiler au sacré, privilégiant l'intérêt du patient. Et les professionnels non seulement oscillent, mais ils tanguent...

Restaurer la conscience
Autrement dit il semblerait que la conception plus charismatique du soignant soit rongée, dévorée, par les avancées technologiques, qui mènent à des partages indispensables. D'une part entre professionnels différents, nantis de connaissances variables et de savoirs techniques très tranchés parfois, d'autre part entre prestataires, distributeurs, prescripteurs des soins, et une patientèle bénéficiaire, utilisatrice. Jusque dans un partage de connaissances de plus en plus répandu, grâce à d'autres techniques, l'information, la médiatisation, les accès généralisés à l'internet par exemple.
C'est là qu'intervient une traduction du terme de démocratie. Que l'on entend dans bien des expressions, comme la démocratisation des études, simple illustration. Peu à peu, de cette "décision ou demande des peuples" nous sommes passés à l'idée d'égalité. Et il n'est pas étonnant, pour certains, que l'accès aux savoirs lié à tous les modules des possibilités amène le patient à supposer que sa connaissance équivaut peu ou prou à celle du professionnel, puisqu'il a lu, vu, entendu, "étudié" en quelque sorte la matière constituant à ses yeux son "cas clinique"  Comme si, et c'est en tout cas la thèse que soutient Madame Dominique Schnapper, l'homme démocratique moderne ne distinguait plus les différences entre "égalité des êtres" et "compétences des hommes".

Renforcer la compétence:
L'application à la relation médecin-patient de ces réflexions est particulièrement intéressante car elle illustre très bien cette ambiguïté. Parce que plusieurs dimensions différentes sont en jeu. L'une est celle décrite au tout début, bureaucratique et marchande, c'est celle du prestataire de soins et de l'usager de ceux ci. L'autre est quasiment métaphysique c'est celle de la confiance face à la compétence. Terrible, cette idée qu'un patient peut éprouver une confiance absolue, voire aveugle, en un praticien incompétent (voire en un charlatan)  , tout aussi terrifiante celle que des patients ne parviendront pas à entrer dans une relation de confiance avec un praticien parfaitement compétent, éventuellement plus que d'autres, mais dont le relationnel pêchera par une incapacité de convaincre, de transmettre, d'accompagner, d'écouter, de parler.
Et on perçoit que, très souvent, la dynamique de cette conception de la démocratie égalitaire ne parvient pas à atteindre son objectif, puisque l'égalité réelle entre un professionnel formé détenteur d'un savoir, d'un savoir-faire et encore bien davantage d'un savoir-être souhaitable, et un patient aussi informé qu'il soit, si elle est logique et souhaitable humainement, entre les êtres, ne peut aussi réaliser la même représentation sur tous les plans sans exception.
Une déduction, quand on a si souvent tendance à placer derrière le mot de métaphysique des éléments ésotériques, religieux, de croyances, de philosophie totalement inadaptés, n'en retenons que la question des sociétés amenées à vivre ensemble, des êtres tentant perpétuellement de garder dans leurs relations cette distance de lucidité et de raisonnement, d'observation et de conscience, ce qui n'ôte rien aux permanentes recherches de la confiance et de la compétence.
Une dernière note : ce type de réflexion s'applique à bien des discussions ayant eu cours, ou des débats curieusement évités, entre professionnels de santé de disciplines différentes, médecins, chirurgiens, kinés, pharmaciens, infirmiers, paramédicaux, dont les formations, les savoirs, le mode relationnel, sont si diversifiés, et naturellement tous les usagers des soins avec lesquels nous dialoguons, sachant aussi qu'un jour ou l'autre le professionnel de santé devient  à son tour bénéficiaire de soins.
(Dominique Schnapper est membre du Conseil Constitutionnel et de l'Ecole des hautes études en sciences sociales)
Source Le Quotidien du Médecin du 11 Mars 2003

l'os court :    « On était au bord du gouffre . . .  on a fait un grand pas en avant ! .»  Anonyme


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Lettre d'Expression médicale n°303

Hebdomadaire francophone de santé
21 Juillet 2003

Pas de receveur sans donneur
Dr Jacques Blais

En matière de receveur et donc de donneur, éliminons tout de suite la notion de donneur de leçon. Dans aucune de ces lignes vous ne lirez ce genre de tendance, nous nous efforçons en permanence ici d'évoluer dans la réflexion lucide, l'observation à distance, le constat le plus objectif possible. En exprimant naturellement des idées, qui comme nous le rappelons souvent n'engagent que l'auteur du texte, et ont pour mission d'aboutir à un échange, un éclairage, un brassage d'opinions et de pensées, d'attitudes et de conceptions, de perceptions et d'expériences. Les propos de ce texte voudraient revenir sur une manière de "lire autrement" les évènements, sans la prétention de savoir ou de connaître, mais avec celle de tenter de comprendre en illustrant d'autres approches.

Retrouver la confiance:
Après les transporteurs, les enseignants, les décentralisés de toutes catégories, les agents des services publics, etc, les intermittents du spectacle sont à leur tour entrés en scène. Pour crier leur désarroi, leurs craintes pour l'avenir, leur éventuelle réelle détresse. Nous ne serons pas là pour évaluer, critiquer, émettre des avis non qualifiés, mais pour observer de nouveau la symbolique de ces manifestations dans le cadre de la société actuelle.
Les intermittents, comme bien d'autres catégories d'intervenants "en sous-traitance" ou disons loin des projecteurs, et combien de professions vivent ainsi, dans l'ombre mais indispensable, les intermittents constituent une de ces essences fondamentales et nécessaires à un pays, à une nation, pour qu'elle conserve une âme, une culture à bien des sens du terme, comme aussi les petits commerçants, les artisans, les écrivains publics, les gardiens des résidences, et tant d'autres. C'est quasiment d'une question de confiance dans une image qu'il s'agit ici.
Mais nous allons essayer de profiter de l'apparition dans le spectacle de ces partenaires des coulisses pour tenter d'amener une réflexion globalisante sur l'ensemble de ces mouvements. En particulier pour prétendre passer d'une conception devenue habituelle, celle des exploitants et exploités, qui est véhiculée par les médias, les syndicats, et bien des personnels concernés de toutes professions, à celle des donneurs et receveurs, terriblement moins coutumière.

Restaurer la conscience
La question posée aux intermittents du spectacle est celle du maintien de leurs allocations de chômage. Jusqu'ici, s'ils avaient accompli 507 heures de travail sur 12 mois, ils percevaient une allocation en apparence satisfaisante pendant 12 nouveaux mois. Il leur était demandé désormais d'effectuer les mêmes heures sur 9 mois, pour ne toucher l'allocation que pendant 6 mois. Ce qui, nécessairement, pourrait entraîner des difficultés, soit pour trouver des heures d'activité spécifique à leur métier, soit pour ajouter des heures de travail complémentaire dans d'autres domaines. Notons simplement le principe qui, dans leur revendication annonce "je ne veux pas travailler plus pour toucher moins ou autant" et qui pourrait se traduire, dans une formulation différente "il vous est demandé de donner davantage pour recevoir autant".
Réfléchissons aux mouvements très nombreux qui ont grevé les budgets de nombreuses grèves prolongées et réitérées. Cherchons des points communs aux thématiques et aux revendications. Retraites : "je veux recevoir autant, sans donner ni un centime de cotisation de plus, ni une année de travail ou deux". Ceci en dépit de la démographie, du vieillissement des populations, de la longévité, du chômage, de la conjoncture. Décentralisations : "je veux recevoir les mêmes avantages de mon statut spécifique de fonctionnaire national, sans risquer de donner différemment sous un statut territorial".  Enseignement : "je veux recevoir les mêmes avantages en congés, en gratitude, en satisfaction professionnelle, en regard des autres sur mon activité, sans donner plus, ni en temps, ni en contraintes, ni en aménagements". Transports : "je veux recevoir les avantages acquis, retraite précoce, statut spécifique, sans donner quoi que ce soit".
Tout ceci est naturellement schématique, et infiniment loin de résumer des situations si diverses. A la rentrée, le même leitmotiv va se retrouver. Nous attend la réforme de la Sécurité sociale, avec le même discours à prévoir, je veux recevoir les mêmes prestations, remboursements, qualité des soins, nombre et valeurs des actes, accès technologiques, sans donner le moindre centime supplémentaire. Ceci en dépit de la même longévité, de la démographie, du coût perpétuellement en croissance de la technologie, de l'imagerie, de la chirurgie, des soins aux dépendants, aux âgés, etc.
Nous attend aussi la modification du régime du RMI devenant RMA. Où l'on va, encore et toujours, demander aux bénéficiaires de donner plus d'eux mêmes, en recherche de travail prouvé, en suivi administratif, en conditions d'accès, pour recevoir autant.

Renforcer la compétence:
Tout individu, citoyen, être humain, est compétent en don de lui-même, et non pas seulement en qualité de receveur universel à qui tout serait dû, selon une habitude, un automatisme, une demande opiniâtre, une exigence, sans contrepartie. Tout le monde est compétent en don de soi, de son temps, de son argent quand il en existe, de ses réflexions, de son empathie, de son attention, de son travail, de ses aptitudes et capacités. Utopie, idéalisme d'une autre époque ?
Non, traduction d'un constat tragique. Le seul discours entendu partout est devenu celui des exploitants et des exploités. Envisageons à la place celui des receveurs qui, pour le demeurer, ne peuvent échapper au rôle de donneur à un moment, voire en permanence. Autre constat, les donneurs se font rares, professionnellement s'entend. Les professions les plus en crise de vocations, de recrutement, sont celles des donneurs : secteurs des soignants, des magistrats, des enseignants, des chercheurs, ne parlons pas des prêtres, des religieux en général, des humanitaires. Celles des receveurs, banque, affaires, commerce, industrie, assurance, qui certes donnent aussi, mais pas seulement (et par ailleurs les donneurs cités reçoivent tant en retour) persistent à voir affluer les candidats à leurs professions.
Et soyons lucides de nouveau, si 80 % des Docteurs en médecine, une fois obtenu leur diplôme, l'utilisent pour tout autre chose que pour donner leurs soins, traiter, devenir thérapeutes, écoutants, donneurs tout simplement, c'est qu'à l'image de la société ils ont été d'accord pour recevoir la formation, l'éducation, ils seraient également conquis par l'idée de recevoir la gratitude des patients, la satisfaction d'une tâche humaine accomplie, s'il n'y avait tant à donner. Horaires, contraintes, conditions, impôts, responsabilité. Même discours probable chez les enseignants. D'accord pour recevoir, congés, admiration, gratification, aura, mais infiniment moins pour donner considérablement plus qu'autrefois pour un même résultat. Quand une étudiante titulaire d'un DESS de Droit à Bac + 5 avait rêvé, plus jeune, de devenir magistrate, juge pour enfants, défenseur des droits et de la justice, une haute idée noble du don de soi, et que finalement comme des dizaines de ses paires elle choisit de répondre au téléphone chez un notaire ou un avocat (il n'existe pas de sot métier, la question n'est pas là) c'est que donner a été au dessus de ses ambitions ou forces et que recevoir est finalement plus simple. Et dans ces professions du don de soi trouver du travail n'est pas du tout le problème               
Des réflexions, de simples idées, mais au delà de toute tendance résolument repoussée moraliste, catéchiste, ne lisons ici que la lucidité humaniste aboutissant à des constats. Notre société ne raisonne que par le droit sans le devoir, l'exploitation, l'exigence, et ne résonne que de cris et vociférations, sans admettre de regarder une autre évidence, qui par nécessité amène tout être à partager sa vie entre une part de donneur et une part de receveur. Même en matière de don d'organes, il y a infiniment plus de receveurs potentiels que de donneurs. Imaginons alors, en matière sociale, banale, une pensée qui permettrait de réaliser que nul ne saurait devenir universellement receveur, exclusivement.

l'os court :    « On ne m’a jamais rien donné, même pas mon âge.»  Charles Aznavour


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Lettre d'Expression médicale n°304

Hebdomadaire francophone de santé
28 Juillet 2003

Conduite routière médicalisée
Docteur François-Marie Michaut

En pleine torpeur estivale, et juste avant les flux migratoires principaux des vacances d'été des européens, la nouvelle est tombée. Et la rédaction d'Exmed en bruisse encore. De quoi s'agit-il ? Sans avoir été consultés, nos médecins généralistes français sont une nouvelle fois mobilisés par les pouvoirs publics. Comme si ces professionnels libéraux étaient considérés par les autorités politiques comme de simples fonctionnaires chargés obéir aux ordres. Malgré la crise démographique qui les menace, nous en avons déjà parlé ici, malgré leur charge croissante de travail et de contraintes de type réglementaire, une nouvelle mission leur est échue. Celle de délivrer un certificat de " non contrindication" à la conduite routière pour tous les chauffeurs ( Qdm du 17 juillet ).


Retrouver la confiance:
Pense-t-on sérieusement, dans les allées du pouvoir, que le fait que cette mesure amène à terme une augmentation d'activité des médecins de 2,4 %, avec des consultations non remboursables par l'Assurance Maladie, soit de nature à nous museler ? Ce ne serait pas vraiment nous connaître de penser que nous garnir un peu le gousset nous rend muets. L'intention de faire diminuer la dangerosité de nos routes latines en tentant d'exercer un contrôle sur les capacités physiques et psychiques des conducteurs est certainement approuvée par le plus grand nombre. Cependant, elle entraîne toute une série de questions qui tôt ou tard reviendront à la surface. La première, qui n'est sans doute pas la moindre est celle ... de la confiance. Quelle confiance accorder au certificat du médecin, placé dans une position intenable pour refuser quoi que ce soit à son patient dans la pratique actuelle ? La perspective de perdre un client n'est pas du tout évidente. Si le généraliste exerce son métier de façon consciencieuse, la question de la sécurité de la conduite automobile pour les personnes âgées, malades ou handicapée est abordée dans le cadre habituel de la consultation. Et chacun, dans ce climat de confiance, prend ses responsabilités. Le "pouvoir" donné au praticien de donner ou non le feu vert au précieux permis introduit un biais important dans la relation médecin-malade, risquant de fausser ainsi le contrat de confiance réciproque qui nous semble ici si précieux pour une médecine de qualité.


Restaurer la conscience
En vérité, au delà de faits divers spectaculaires, sait-on combien d'accidents sont causés par une maladie ou un handicap, et combien sont dus à des troubles de l'attention, à des troubles des réactions émotionnelles, à des traits de personnalité pathologique ... ou, tout simplement à la perte de conscience du droit à l'existence et au respect des autres usagers ? Tout le monde n'est pas apte à conduire de façon sûre un véhicule à moteur, mais tout le monde estime avoir le droit de passer son permis de conduire. Les médecins traitants risquent d'avoir le sentiment qu'on leur demande de faire le sale boulot que les politiques ne veulent pas endosser, car il risque de faire fuir les électeurs. Celui de faire le tri parmi les conducteurs potentiellement plus dangereux que les autres. Interdire la conduite à une personne isolée dans sa campagne est autrement lourd de conséquences que priver de son auto un citadin. Quel médecin n'en tiendrait pas compte dans sa décision finale ?

Renforcer la compétence:
L'un de nos rédacteurs nous fait remarquer qu'il existe depuis longtemps des commissions départementales du permis de conduire, totalement indépendantes de la relation soignante habituelle du médecin. La question du dépistage des conduites addictives n'est probablement pas des plus simples à mettre en place, dans l'état actuel de nos connaissances. Notamment pour tous les produits " illicites". Un médecin traitant pourra-t-il ou non délivrer le certificat d'aptitude à ses propres patients ? Enfin, comment éviter que le médecin ne risque de connaître des ennuis avec la justice s'il n'a pas pu détecter une défaillance qui serait reconnue comme ayant entraîné un accident ? Au moment où les primes d'assurance des praticiens connaissent une envolée exceptionnelle de leurs tarifs, n'y aurait-il pas là un frein considérable à ce que nos confrères acceptent de jouer un rôle qui n'a vraiment rien à voir avec le serment d'Hippocrate qu'ils ont prêté. Une fois encore, dans une optique de métamédecine, le manque de définition claire de ce que nos sociétés attendent de leurs médecins se fait cruellement sentir. A force d'être mis à toutes les sauces selon les intérêts immédiats des pouvoirs les plus divers, les médecins généralistes savent de moins en moins qui ils sont, et quelle est leur rôle. Et l'image que les usagers ont de leurs médecins généralistes devient elle aussi de plus en plus floue. La dilution des compétences risque d'être aussi iatrogène que la dramatique dilution des responsabilités dont souffre tant notre médecine de nantis.

l'os court :    « Les hommes mettent dans leur voiture autant d'amour propre que d'essence. » Pierre Daninos


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Lettre d'Expression médicale n°305

Hebdomadaire francophone de santé
4 Août 2003

«Ah, au fait », le syndrome de la poignée de porte
Docteur Jacques Blais

C'est la stratégie de Colombo, le célèbre inspecteur de Police à l'imperméable. Au moment de partir, il se retourne, et annonce "ah, j'oubliais au fait, où étiez vous le..."  Lors d'un récent séminaire de psychiatrie, un étudiant remarquait qu'au cours de son stage chez le praticien, il avait noté combien souvent les patients, au moment où, la main sur la poignée de la porte, ils s'apprêtaient à sortir, démarraient soudain la phrase la plus importante de la consultation. "Ah, au fait docteur, je voulais vous dire..." Notation particulièrement judicieuse, nous praticiens avons tous cette même expérience, et qui a mis en route un échange et une discussion très instructive. On nous rétorquera sans doute que, comme d'habitude, nous coupons les cheveux en quatre en observant le moindre millimètre de visage et en démontant tous les mécanismes présumés spontanés. Mais les deux questions ayant, après cette entame, occupé les réflexions ont été : "pourquoi les patients opèrent-ils ainsi ?" et ensuite "comment donner à ce constat une orientation thérapeutique ?"


Retrouver la confiance:
Car naturellement nos élucubrations et tentatives didactiques n'auraient aucun intérêt (ce qui sous-entend que nous conservons l'espoir et l'esprit de cet intérêt) si aucune ouverture à visée thérapeutique ne s'offrait derrière ces réflexions. Pourquoi les patients fonctionnent-ils ainsi ? "Pour se protéger" finit par répondre un étudiant. Absolument. Car le patient ajoute aussitôt "mais vous n'avez pas le temps, je ne voudrais pas vous retarder davantage..." La manoeuvre inconsciente a été efficace. Le patient ou la patiente a d'abord été mis en confiance, il a apporté chez son médecin un "matériel de construction" de toutes natures, symptômes, signes, résultats d'examens, plaintes diverses, tout ce que l'usage, l'image des rôles réciproques, les apprentissages de l'éducation, etc l'ont mené à proposer. De l'avoir, j'ai... mal, du mal à, l'impression que..., de l'être, je suis...fatigué, inquiet..., de la sensation, je me sens comme.... un peu troublé, vertigineux..., de la réflexion, je trouve que, je pense que, je me demande si... En bref il se comporte en patient, absolument dans son rôle, et le praticien répond en médecin, dans son rôle aussi. Et puis un élément de l'inconscient lui rappelle qu'il n'est pas venu que pour cela, je ne dis pas du tout "pour rien", mais qu'il avait quelque chose d'important, voire de fondamental, à confier. Et, la main sur la poignée de la porte, il ou elle se retourne et commence : "au fait docteur....".


Restaurer la conscience
Pourquoi peut-on dire, sans que ce soit le moins du monde une accusation, il n'est et ne sera jamais question de "faire semblant" que le patient "se protège" ? Parce qu'il sait, il sent, il a acquis l'expérience, l'instinct, qu'à ce moment de la consultation le médecin n'aura plus guère de temps à lui consacrer. Un autre rendez-vous en attente en salle, une consultation déjà assez longue, l'ordonnance déjà rédigée, le praticien lui-même debout et tendant la main.  Remplacer la poignée de porte par la poignée de main ? Allez, oui, tant pis, je l'ai dit, je suis dédouané, c'est fait, dommage cela aurait pu servir à quelque chose ... C'est là que vont intervenir le non verbal, l'acuité du regard du médecin, ses expériences, sa formation, ses apprentissages, la nature et la qualité de sa vocation, sa vision du monde et de son rôle de thérapeute.  Sa conviction que le hasard des mots n'existe pas, que les manifestations du comportement parlent toujours, qu'une consultation est une équation à nombreuses inconnues.
Il se fait tard, j'en ai trois qui m'attendent, il n'avait qu'à parler de cela avant, nous sommes ensemble depuis 20 minutes..... Ou bien tiens mais en parlant il regarde par terre, il ne parvient pas à affronter mon regard, oh mais sa voix se brise, se casse, s'éteint, tiens mais je dirais même que sa main devient moite, il tremble un peu, transpire. Ce qu'il a à me dire est fondamental, au moins extrêmement important, je me demande même si ce n'était pas le vrai, le seul motif de cette consultation ? Comment être, rester, devenir thérapeute, ce qui est mon unique but, la raison d'être de mon métier ?

Renforcer la compétence:
Plusieurs stratégies s'offrent bien évidemment au choix. Le minimum est probablement de notifier clairement que l'on a entendu, remarqué, pris connaissance du message. Ecouter, enregistrer, attendre, patienter, faire préciser, reformuler, interroger. Et puis parfois l'importance dépasse tout. "Attendez, revenez vous asseoir, vous me semblez...bouleversé, ou bien ce que vous me dites est très important, nous avons le temps, en tout cas prenons le, vous n'avez certainement pas dit cela au hasard" Parfois la logistique, le temps l'organisation domine. "Je vous propose une chose : je note que nous devons absolument reparler de cela quand nous nous revoyons, vous revenez bien vite et on aborde le sujet, d'accord ? Cela vous conviendrait, ou vous préférez maintenant, pendant que c'est très aigu, très présent en vous ? En attendant, je l'écris sur votre fiche, ou sur mon écran, nous n'oublierons pas, cela vous va ?". Un étudiant répliquait que, pour le prix d'une consultation.... Discours habituel des medias. Au choix. Le droit existe de ne pas entendre, de sourire, et de serrer la main, en disant juste "reparlez m'en..." Et de laisser passer l'occasion, parce que pas prêt, pressé, envahi, pas assez motivé, etc. Il n'y a pas de règle, tous les comportements s'expliquent, tant chez le médecin que chez le patient. C'est pourquoi, sans cesse, nous revenons sur les expériences, les apprentissages, la formation, et puis l'envie, le souci des autres, la vocation de thérapeute, le besoin d 'aimer et d'être aimé, d'aider, d'offrir l'espace de parole, l'occasion, la perpétuelle recherche de ces pourquoi et ces comment qui, en permanence, mènent le praticien à s'interroger : pourquoi il, elle, est-il venu aujourd'hui ? Quelle était sa véritable demande, derrière les signes et le matériel livré ? Qu'attendait-il de moi ? Quels rôles réciproques jouait on ? Quel acte véritable représentait ce brusque retour en arrière, la main sur la poignée de la porte ?
Pour conclure, une étudiante a demandé : "et le suivant, quand il proteste et vous reproche d'être si en retard pour son rendez-vous ? "   Il existe une réponse, écouter, acquiescer, sourire, et oser dire, car dire est si fondamental perpétuellement dans ce métier : "Madame, ou Monsieur, vous avez raison je suis en retard et vais vous demander de m'en excuser, mais vous venez d'avoir l'occasion d'apprendre une chose très importante. Certaines fois, en tant que patient on a besoin de parler énormément, de s'exprimer, eh bien vous venez de réaliser que, si un jour cela vous arrivait, n'hésitez jamais, jamais, si vous avez besoin de 50 minutes vous les aurez, quelles que soient les circonstances... Parce que, voyez vous, je considère que cela entre dans ma conception de l'honneur de ma profession...Alors je compte sur vous " .


l'os court :    « Un dentiste rentrant chez lui à l'improviste trouve sa femme au lit avec un mâle dedans.» Auteur inconnu, transmis par le Père Igor