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un autre numéro de la LEM
Lettre
d'Expression médicale n°347
Hebdomadaire francophone de santé
24 Mai 2004
Sens
et science
Docteur Jacques Blais
Les textes que nous vous proposons naissent
souvent d'une minuscule phrase, mais si instructive qu'elle apporte
la réflexion. Ainsi cette "technicienne d'études
cliniques" d'un hôpital qui déclare, péremptoire
: "placer ce patient là sur la consultation d'Untel
n'a aucun sens, je le répète, aucun sens !"
Une technicienne d'études cliniques, dans un grand service
hospitalier, est la personne, qui avec un double formation de secrétaire
médicale et d'informaticienne va transformer en milligrammes,
en courbes de Gauss, en statistiques et en graphiques et tableaux
des êtres humains entrés dans une machine pour devenir
les supports des publications scientifiques des éminences
du service.
Retrouver la confiance:
Ce qui est très intéressant, c'est chez une personne
avec une telle formation le contraste absolu entre sens et science.
Dans le présent exemple, il y a une case avec "cancer"
qui en suivant la flèche aboutit à "chirurgien"
et en cliquant sur les icônes et plages du logiciel mène
à "rendez-vous dans trois mois et demi". Point
final, et je valide et au suivant. Quand, dans l'esprit non scientifique
d'un petit médecin travaillant avec et sur l'être humain,
un autre sens se fait jour. Et si nous cherchions une autre voie
qui réponde aux voix des personnes en souffrance, en imaginant
par exemple qu'au lieu d'entrer ce malade grave, angoissé,
en attente, dans une petite case, on le fasse entrer dans un petit
bureau, avec une personne médecin en face de sa personne
souffrante, aboutissant ainsi à trois semaines et demie de
délai au lieu de plus de trois mois ? Certes le médecin
en question serait moins titré, moins célèbre,
son bureau nettement plus petit, mais il pourrait écouter,
répondre, parler, rassurer, proposer, et faire accepter si
c'est effectivement la meilleure solution un rendez-vous ultérieur
de chirurgie, dont le délai sera tellement plus facile à
tolérer en ayant au préalable discuté, partagé,
dialogué.
Restaurer la conscience
Un souvenir revient, celui de la même technicienne d'études
cliniques entrant en une sorte de conflit téléphonique
avec une mère inquiète. Les aléas d'un standard
hospitalier avaient conduit cette femme à tenter d'établir
un contact, en demandant sans plus de détails "une consultation
en urologie pour son fils" Le mécanisme était
indentique, dans quelle case loger le garçon, pour quel type
de pathologie, avec un dialogue de sourdes parfait entre les deux
femmes. La technicienne : "si vous ne me dites pas ce qu'a
votre fils, comment voulez-vous que je l'oriente ?" et la mère
: "si je savais ce que mon fils a je n'aurais pas recours à
vos services !" Alors que la bonne orientation et la suggestion
du "bon sens" était du genre : "Madame, amenez
votre fils chez votre médecin de famille, restez dans la
salle d'attente et laissez le s'exprimer". Guillaume aurait
effectivement expliqué que, dans les vestiaires du foot,
il lui a bien semblé que l'avant-centre, âgé
comme lui de 15 ans, présentait un pénis plus long.
Que l'ailier droit, d'accord il a seize ans, déclare avoir
eu des relations avec trois filles déjà quand lui,
Guillaume, ressent certes des émois et des rougeurs, mais
de là à envisager... Est-il normal, ou retardé,
handicapé peut-être ? Comment en parler ? Enfin le
gardien de but lui a affirmé qu'en attrapant les oreillons
on devient stérile, et Guillaume ne sait ni s'il les a eus
ni si il est vacciné. Terreur...
Cela n'a pas de science, Madame la technicienne, mais cela a un
sens terrible, terrifiant parfois. Et aucune case de questionnaire,
aucune catégorie des items du logiciel, ne peut répondre
à ce type de quête et non d'enquête.
Renforcer la compétence:
Non moins instructives sont les notions de compétences diverses,
en ces périodes où nos gouvernants tentent un énième
plan de sauvetage de l'assurance maladie. Travailler dans un des
services classés Numéro 1 en France dans les magazines
est une illustration édifiante. Lorsque sort le numéro
annuel du Point (sans publicité, simple constat) sur le classement
des hôpitaux, la demande vers le service est multipliée
par deux. Quand le Patron sort son nouveau livre, les appels sont
augmentés de 1,5. Et lorsqu'il passe à la télévision,
le fait qu'il entre ainsi dans les salles à manger multiplie
par 3 les demandes. J'avais nommé cela, il y a quelques années,
dans un Editorial de la presse, "Effet hymne-media" tant
c'est instantané et spectaculaire. Ceci simplement pour illustrer
des orientations de notre Ministre, qui suggère aux patients
de consulter en tout premier lieu leur médecin de famille.
Quand les gens appellent à la suite d'un de ces effets médiatiques,
si on leur demande : "mais avez-vous pratiqué des examens
éventuels, d'orientation, en avez-vous parlé avec
votre médecin ?" deux sur trois répondent non,
ils ont vu le professeur à la télé et veulent
un rendez-vous, et un interlocuteur sur trois réplique qu'il
n'a pas de médecin de famille.
Dans les décisions ou suggestions politiques, entend-on jamais
parler des médias et de leurs effets ravageurs sur la dépense,
du sens, simple, réfléchi, à trouver et à
proposer, de la logique, de l'humain voire de l'humanisme ? Et si
on évoque le praticien de proximité, on va lui coller
des adjectifs et qualificatifs comme référent. Et
si les êtres humains consultaient des médecins pour
les humains, tout simplement ? Le vôtre, celui qui vous aime....
Eh bien commencez par cela, ayez un médecin qui vous écoute,
qui vous entend, qui parle, qui tente d'apporter au moins un minimum
de sens à vos symptômes et à vos demandes, qui
soit capable de traduire, de lire dans vos yeux et sur vos gestes,
d'entendre vos non-dits, de vous amener à raconter et à
dire, commencer par aller dans le bon sens, et la science attendra,
elle est si souvent d'un autre monde, d'un univers ultérieur,
voire du superflu quand six consultants sur dix ont d'abord un besoin
primordial, essentiel, celui de parler, d'être écoutés,
entendus, rassurés, aidés, aimés...
Mais j'ai un peu l'impression de commencer à radoter, là,
non ?
l'os court :
«
Les voies qui ne sont ni en sens unique, ni en sens interdit, ni
à double sens nont aucun sens parce quelles vont
dans tous les sens. »
Pierre Dac
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Lettre
d'Expression médicale n°348
Hebdomadaire francophone de santé
1er juin 2004
Sed
perseverare diabolicum
Docteur François-Marie Michaut
Le vieux professeur de latin, qui terrorisait
les jeunes élèves que nous étions, disait volontiers
devant nos barbarismes et autres solécismes : errare humanum
est. Oui, se tromper est humain. Non sans ajouter, quelque peu
sadiquement, à cette mansuétude : sed perseverare
diabolicum. Diabolique, cette persévération dans
lerreur ? Notre petit monde de la santé tel quil
va mérite quon se pose la question.
Retrouver la confiance:
Le ministre de la santé, le Dr Douste-Blazy, vient de proposer
en France des mesures pour tenter de sauver notre moribonde assurance
maladie. En vérité, cest un exercice classique
de nos gouvernants depuis des années. Souvenons-nous un instant.
En 1996, Alain Juppé imposa son fameux plan. Deux mesures
devait assurer léquilibre comptable de la sécurité
sociale. Le premier : diminuer loffre de soins, en proposant
de mettre en pré-retraite les médecins entre 57 et
65 ans. Ce mécanisme avait été mis au point
plusieurs années auparavant, et navait connu aucun
succès. Beaucoup de médecins, lassés de leurs
conditions de travail, ont alors choisi de raccrocher leur stétho.
Double résultat négatif : aucune économie sur
les dépenses de santé, et déficit criant de
médecins dans certaines spécialités, et dans
la médecine de campagne. Le manque de praticiens en 2010
semble inévitable. Faire partir les médecins les plus
expérimentés au moment où tous les spécialistes
savent que cette évolution démographique est imparable,
comment appelez-vous cela ?
Restaurer la conscience
La deuxième mesure pour dépenser moins pour se soigner
a été la création du carnet de santé
des assurés sociaux. Même si lidée est
intéressante sur le papier, même si les efforts de
promotion publicitaire ont été énormes et ruineux,
ce fameux carnet est resté dans les tiroirs. Les patients,
comme les médecins, ont refusé dêtre ainsi
fichés. Tout le monde a craint que lindispensable confidentialité
des questions touchant à notre intimité ne soit ainsi
menacée par une invasion administrative. Notons bien que
ce boycott na pas été le résultat dun
mouvement dopinion clairement exprimé de la part de
syndicats ou de mouvements politiques. Ce fut un rejet très
viscéral, et très massif. Personne, semble-t-il, ne
paraît en avoir mesuré limportance.
Renforcer la compétence:
Alors quand nous entendons notre Ministre nous expliquer que chaque
citoyen va être muni dun dossier médical unique
obligatoire en 2007, il est impossible de ne pas envisager le rejet
massif que cette fausse bonne idée a connu il y a quelques
années. Le fait que les renseignements collectés dans
ce dossier soient informatisés dans une énorme machine
virtuelle aux accès incontrôlables nest pas de
nature à nous convaincre. Que cela soit concentré
dans une petite carte verte, avec ou sans photo didentité,
ne change rien à laffaire. Nous sommes blasés
de ces hochets technologiques. Comment faut-il le dire à
nos gouvernants ? Nous ne voulons pas du tout être considérés
comme de simples numéros quon met en fiches, en courbes,
en graphiques, quon contrôle, quon commande, quon
calcule. En un mot quon achève de deshumaniser, dinfantiliser,
de mépriser. Quel dommage que les conseillers politiques
et administratifs naient pas consacré un peu de leur
énergie à étudier les rudiments de la systémique.
Ils comprendraient ainsi, sans que nous ayons besoin den faire
les frais, que, lorsque quelque chose ne fonctionne pas dans un
système, faire encore plus la même chose est une façon
remarquable de nentraîner aucun des changements quon
souhaite instaurer. La sécurité sociale à la
française, modèle 1945 - comme nous lavons écrit
ici - est déjà morte. Un peu de courage, que diable.
Débranchons les tuyaux, cessons ce dramatique acharnement
thérapeutique où à tous les coups lon
perd. Sinon, ce sont les médecins eux-mêmes qui, totalement
dégoûtés de ce gâchis croissant, disparaîtront.
Sans soignants, messieurs nos dirigeants, nous aurons peut-être
un superbe système administratif, mais ... personne pour
soigner les malades. Attention, cette hypothèse nest
pas du tout de la science-fiction pour qui a les yeux et les oreilles
ouverts, non pas sur les médias, sur les relais syndicaux
mais sur la vie réelle des gens ordinaires qui nous entourent
et que nous sommes. Noublions surtout pas la formule bien
connue de Paul Watzlawick, lun des pères fondateurs
de la systémique : une des manières de ne pas résoudre
un problème est de faire comme sil nexistait
pas.
l'os court :
«
Je suis la preuve vivante que lerreur est humaine. Nen
rien dire. »
Maurice Roche
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Lettre
d'Expression médicale n°349
Hebdomadaire francophone de santé
7 juin 2004
Corrompre
!
Docteur Iulius Rosner
La voiture de service du médecin de garde
me dépose, la nuit, au poste de police. Les papiers de réquisition
indiquent que je dois décider si létat de santé
de M. X. permet son maintien en garde à vue. On mexplique
quil est déjà en garde à vue depuis près
de 48 heures et que la police demande une prolongation. On mintroduit
alors dans une chambre vide à lexception de deux bancs
en bois. Une seule fenêtre horizontale denviron 30 centimètres
de largeur, inaccessible, juste sous le plafond. On amène
mon client. Première impression : type rusé,
regard sale et fuyant.
Retrouver la confiance:
Il commence par demander aux policiers de nous laisser seuls, ce
dont il souffre ne regarde pas la police. Linspecteur demande
mon accord pour rester en tête à tête avec lindividu
arrêté, sa requête étant légale.
Je nai rien contre. Lhomme se plaint de fièvre,
de frissons « terribles », de maux de gorge et dun
point de côté à droite. Drôle de situation
: il est en garde à vue, je suis de garde et ses réponses
me mettent sur mes gardes. La combinaison de fièvre, angine
et pleurite virale nest pas impossible, mais peu courante.
Je lui demande de tousser : après un temps assez long - 5
à 6 secondes - il prend une mine de souffrance et met la
main au côté ... gauche du thorax ! Dailleurs,
dans une pleurite, la toux provoque une douleur instantanée.
Donc à 99%, simulation ( le 100% nexiste pas en médecine).
Je lexamine, pas de fièvre, pas dangine. «
Vous nêtes pas malade, vous ne mavez pas dit la
vérité. » « Vous avez raison docteur,
vous êtes un bon médecin ( un compliment gratuit peut
assurer la sympathie dun interlocuteur couillon) : quand je
sortirai dici, parce que je nai rien fait ( il est bien
connu que la police arrête surtout des innocents ! ), vous
serez le toubib de ma famille. »
Restaurer la conscience
Je lui dis que ma réponse sera conforme à mes constatations
: pas de raisons médicales de ne pas prolonger son maintien
en détention. Il est contrarié : « Maintenant
je vous dirai la vérité, mais vous ne direz pas aux
flics. Je suis toxicomane et en manque. » « Quelle drogue
?» « Héroïne » « Dernière
injection ? » « La veille de mon arrestation.»
« Depuis combien de temps ressentez-vous le manque ?»
« Depuis deux heures.»
Renforcer la compétence:
Sacré menteur ! Lhéroïnomane ne va pas
mettre près de 72 heures pour être en manque ! Jexamine
les veines du coude et de lavant-bras : pas de trace de piqûre
; limbécile na pas pensé que je chercherais
les traces. « Vous mavez encore servi des bobards, vous
nêtes pas drogué. » « Cest
vrai, mais je cherche un moyen de sortir. Jai peur que ma
femme me trompe et néglige mes enfants. Je veux la surprendre.
Si vous me rendez service, je vous paierai deux consultations en
plus. » Je sors sans dire un mot et écris quil
ny a pas de raison médicale pour ne pas continuer la
garde à vue. Avant de prendre congé, je demande au
policier,sans autre raison que ma curiosité maladive. «
A-t-il des enfants ? » « Non, il est célibataire.
» Quel dommage quun auxiliaire de justice
(*) naie pas le droit de donner des gifles ... Combien de
coups de pieds au derrière se perdent dans les locaux de
la police.
(*) Lorsquil est réquisitionné par la justice
comme dans ce texte, la loi en France précise en effet que
le médecin devient alors un auxiliaire de justice.
Le règlement , fort modique, de ce type de réquisition
demande généralement un délai de plusieurs
mois.
- Ce texte est extrait d'un ouvrage en préparation intitulé
: Les Français vus de près dans l'activité
d'un cabinet médical. NDLR.
l'os court :
«
Personne ne ment quand il ny a personne pour entendre. »
James Beattie
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Lettre
d'Expression médicale n°350
Hebdomadaire francophone de santé
14 juin 2004
Libres ou salés
Docteur François-Marie Michaut
Étrange alternative, en vérité.
Les mots restent très intéressants à ausculter
pour qui sintéresse aux maux qui nous affectent, nous
les humains. Ne nous en privons donc pas. Le fait : le Quotidien
du Médecin du 2 juin barre sa première page du titre
choc Langoisse libérale . De quoi sagit-il
? actuellement 55% des médecins en exercice ont fait le choix
dêtre une profession libérale. Cest à
dire douvrir leur propre cabinet, dont ils sont le seul patron.
Or selon une enquête partielle menée par ce journal,
environ 34% seulement des jeunes praticiens qui débutent
visseraient ainsi leur plaque. Considérable déficit,
dont les conséquences risquent dêtre lourdes
pour lavenir proche de notre système de soins.
Retrouver la confiance:
Faut-il rappeler quen France, la médecine générale
nest, à de rares exceptions près , pratiquée
que par ces praticiens dits libéraux ? Cet exercice des plus
variés nest possible que par des professionnels disposant
de leur totale liberté dorganisation, daction
et de décision. Voilà pourquoi il ne peut exister
de médecine générale véritable au sein
déquipes hospitalières structurées :
cette pratique ne peut être que solitaire, et jamais, quoi
quon en dise parfois, en équipe. La fuite de nos jeunes
confrères devant linstallation en cabinet privé
va donc affecter avant tout cette médecine générale
dont nous avons tant besoin pour nous aider à naviguer au
mieux dans une machine de soins de plus en plus spécialisée
et complexe. Dans le mot libéral, il y a la notion de liberté.
Cette liberté qui implique une totale responsabilité
personnelle est-elle devenue une valeur dépassée ?
Aurait-elle, peu à peu, été pervertie par des
contraintes extérieures devenues tellement lourdes, quelle
ne fait plus envie aux débutants ?
Restaurer la conscience
Avons-nous vraiment conscience de ce que nous sommes en train de
perdre en silence : cet engagement total de toute une vie pour une
des dernières professions dhomme libre au seul service
des humains ? Nos jeunes médecins, qui le leur reprocherait,
veulent vivre, comme tous les autres, une vie plus confortable que
celle de leurs anciens. Cest pourquoi le salariat les attire
tant. Le salaire, souvenons-nous, fut dabord ce quon
donna aux légionnaires romains pour rétribuer leurs
services. Le salarium, qui nétait, à lorigine,
que la (précieuse) ration de sel.
Renforcer la compétence:
Or, grain de sel dans le rouage, être salarié, que
ce soit de LÉtat ou dun patron privé,
implique forcément un lien de subordination. Quil le
veuille ou non, celui qui reçoit un salaire est forcément
quelquun aux ordres de linstitution grande ou petite,
publique ou privée qui lemploie. Séduction de
plus en plus grande de la protection dun revenu convenu davance,
dhoraires fixes ou des bénéfices secondaires
comme lavancement, les congés payés ou la retraite
? Ou bien peur devant la responsabilité personnelle, les
risques financiers ou juridiques en ces temps de judiciarisation
massive de tous les aléas de la vie ?
Devant cette situation dune profession qui se délite
sous nos yeux, et que nous avons pris grand soin de ne pas noircir,
il devient vital ( le mot nest pas trop fort) de redonner
envie à nos carabins de se lancer dans la vie professionnelle.
Tous ceux, hommes de pouvoir ou des médias, voir même
médecins hospitaliers, qui se sont lancés ces dernières
années dans des actions contribuant à casser
du médecin de ville ou de campagne tous azimuts portent une
lourde responsabilité. Ne creusons pas leurs motivations
avouables et inavouables à cet acharnement. Ils ont été
écoutés, et crus par nos jeunes. Les médecins
ne sont pas des saints, ils ne sont que des humains, nous en sommes
convaincus. Mais ils ne sont pas non plus en majorité des
malfaiteurs, des délinquants et des voyous. Cette réhabilitation
ne passe pas, et ne pourra jamais passer, par des mesures dordre
réglementaire ou administratif comme celles dont on nous
abreuve actuellement pour tenter de sauver la déjà
défunte assurance maladie. Tant pis, répétons-le,
en prenant le risque de déplaire aux bien-pensants. Il est
illogique de consacrer toute son énergie à regonfler
les pneus défaillants dune automobile quand le moteur
lui-même est en train de rendre lâme. Car le seul
moteur de tout système de soins, ce sont les soignants, et
uniquement eux, quon se le dise dans toutes les chaumières.
Faudra-t-il que des associations charitables dûment médiatisées
et subventionnées, se consacrent à la défense
de cette profession en péril comme les gorilles ou les loups,
une sorte de S.P.M. : société protectrice des médecins
? Cela ne manquerait pas de sel de redevenir ainsi libres.
l'os court :
«
La liberté est un mot qui
a fait le tour du monde, et nen est jamais revenu. »
Henri Jeanson
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Lettre
d'Expression médicale n°351
Hebdomadaire francophone de santé
21 juin 2004
Cas de conscience
Docteur Jacques Blais
L'idée même du cas de conscience,
appliquée à l'activité d'un médecin
praticien, va tout de suite évoquer des affaires de traitements
litigieux ou discutables, de fin de vie à faciliter, d'avantages
à procurer soit dans le domaine d'une thérapeutique
ou d'usage de produits inhabituels, soit dans le cadre d'indemnités,
procurées par un arrêt de travail, le bénéfice
d'une pension d'invalidité... Le deuxième mot, devenu
habituel, qui viendra après conscience sera celui d'éthique.
Et c'est la complexité même de cet écartèlement
du praticien entre ses convictions personnelles, les nécessités
thérapeutiques officielles démontrées, la relation
privilégiée avec une famille, et la si grande modulation
au fil des personnalités de ces éléments attachés
à l'éthique que nous voudrions illustrer ici d'une
histoire médicale. Simple et complexe, comme la vie...
Retrouver la confiance:
L'histoire concerne une famille. Dans l'univers le plus habituel
du médecin précisément appelé "de
famille", la particularité, l'intérêt,
et aussi la difficulté relationnelle parfois, le bonheur
aussi, tiennent au fait d'être le traitant et le soignant
et l'écoutant de toutes les générations. Depuis
le patient, qui est le plus âgé de ce groupe, cependant
loin d'être vieux, proche de la soixantaine et très
banalement au moment des faits du même âge que le médecin,
jusqu'au bambin de trois ans qui est son petit fils, en passant
par l'épouse, les deux fils et la conjointe de l'un des deux.
Un groupe familial comme un généraliste en suit tant.
Prenons l'affaire au moment où l'on découvre chez
Monsieur V. un cancer du colon un peu évolué, qui
va dans un premier temps logique être l'objet d'une ablation
d'une partie large du colon, selon les principes des trajets d'extension
lymphatiques éventuels. L'intervention se déroule
normalement et le patient reprend son activité professionnelle.
Qui représente le premier point de particularité.
Monsieur V. exerce une profession libérale, à son
domicile, et son épouse lui sert d'assistante, prenant ses
rendez-vous, tapant son courrier, s'occupant des factures et de
la comptabilité.
Ce qui signifie que le patient ne bénéficie pas d'indemnités
journalières en cas d'arrêt, que sa femme n'est pas
rémunérée, le volume de ses affaires ne le
permettant pas, et que l'avenir financier en cas de complications
pourrait s'avérer délicat.
Restaurer la conscience
C'est bien la toute première information que Madame V. est
venue livrer au médecin, en se rendant seule en consultation
après l'intervention de son mari. "Je vais être
très franche et directe, docteur", explique-t-elle,
"il est indispensable que mon mari aille au bout de ses deux
dernières annuités de cotisations de retraite libérale
spécifique, faute de quoi la pension de reversion que je
toucherai plus tard en cas de décès sera résolument
insuffisante pour que je survive. Alors je vous formule ma requête
de la manière la plus crue, la plus choquante pour vous sans
doute, mais la plus réaliste : tenez le moi deux ans, je
vous en prie !"
La formulation dérange le médecin, effectivement,
il est cependant accoutumé à tout, absolument tout
et au delà, dans sa profession qu'il exerce depuis bientôt
trente ans à l'époque (je ne résiste pas à
une anecdote, celle d'une femme appelant au téléphone
pour demander : "dites docteur, c'est juste pour savoir, la
grand-mère à votre avis elle en a pour combien de
temps ? Parce que c'est nous qui récupérons son lit,
et on aimerait autant qu'elle ne nous l'ait pas trop saccagé
d'ici là, vous comprenez !") , et il sait, depuis toujours,
l'importance évidente des facteurs économiques dans
les situations a priori médicales. Qu'il s'agisse du coût
d'un traitement, du poids financier d'une décision et de
ses conséquences en indemnités, pensions, etc, qu'il
s'agisse du tarif d'explorations complémentaires, du montant
d'une hospitalisation, qu'on le veuille ou non, que cet état
de fait soit aisément accepté ou combattu, le médecin
sait dès le départ que la moindre de ses actions a
une répercussion financière évidente.
Les gastro-entérologues qui s'occupent de la pathologie de
Monsieur V. ont été très clairs, logiques et
fermes : s'agissant d'un stade déterminé sur l'échelle
de Dukes de tumeur, en fonction des critères d'atteintes
ganglionnaires et de l'anatomo-pathologie, la logique médicale
préventive est de proposer à Monsieur V. un traitement
préventif de chimiothérapie hebdomadaire par séries
de six protocoles renouvelables sur les deux années à
venir. Seule façon, d'après ces spécialistes,
de le mettre statistiquement quelque peu à l'abri des récidives
et de l'extension qui le menacent. La chimiothérapie va être
agressive, mais au médecin traitant de tenter de la rendre
acceptable et compatible avec l'activité du patient. Il est
convenu qu'elle sera pratiquée lors des week-ends à
son domicile par un service de soins à domicile coordonnés
par le réseau des praticiens impliqués. Ce qui lui
permettra de travailler pendant la semaine.
Renforcer la compétence:
Étudions toutes les composantes de l'affaire, et posons surtout
les questions qui dérangent le plus. Le médecin va
parler très longuement de tout cela, lors de plusieurs consultations,
avec le couple. En exposant au patient les objectifs et les inconvénients
du traitement, les bases de cette décision partant d'études
reconnues. Le praticien est horriblement gêné par plusieurs
points : il a l'impression de "vendre" un traitement sur
des données qui, pour statistiques qu'elles soient, ne sont
pas imparables. Il sait qu'il va devoir taire au patient la conversation
avec sa femme, elle le lui a demandé, portant sur les deux
fameuses années de cotisations à assurer. Et enfin
le médecin ne peut s'empêcher de se dire, plusieurs
fois, en aparté, que s'il se trouvait, lui-même dans
cette situation, exerçant une profession libérale,
il n'accepterait pas ce protocole. Parce que c'est son droit, son
choix, son sentiment.
Le cas de conscience est exactement, précisément,
cruellement, situé là. Le médecin va proposer, persuader
ou du moins l'imaginer, en se trouvant en contradiction avec ses
sentiments, sa conviction profonde, son éthique. Trois fois,
il demandera au patient "Dites moi, qu'est-ce que vous en pensez,
sincèrement, Monsieur V. ? Cela vous paraît jouable
?" Le premier épisode se passera en présence
de l'épouse, et Monsieur V. se tournera vers elle, en affirmant
"je crois qu'il n'y a pas d'autre alternative, non ?"
La deuxième fois, seul, il dira "Le docteur D., gastro-entérologue,
m'a expliqué tout cela en détails, oui..." Et
la troisième fois il va conclure, en dérobant son
regard : "on va bien voir, allez..."
Et le médecin demeurera persuadé que la vraie, la
seule, la véritable version aurait été, les
yeux dans les yeux : "docteur soyons lucides et d'accord, je
suis piégé par ma famille, et vous êtes piégé
par votre métier, alors on y va, que voulez-vous ? Mais parlez
moi plutôt de la nouvelle photo que vous venez d'ajouter dans
votre salle d'attente, c'est où, ce paysage fantastique ?"
Le patient est décédé trois mois après
la date fatidique de ses cotisations à taux plein, ce qui
signifie bien que les statistiques de survie ne sont pas infaillibles.
Mais la survie financière de Madame V., elle, a été
statistiquement valable et viable. Et davantage encore, le
médecin l'a toujours pensé, Monsieur V. avait tout
compris depuis le départ, et a "tenu" à
aller jusqu'au bout de ce que l'on attendait de lui, un survivant
de soutien familial. Dès son décès, la famille
entière a changé de médecin traitant, c'est
un phénomène courant aussi dans l'exercice de cette
profession pourtant fabuleusement gratifiante.
Je vais vous demander deux choses. Ne me dites pas que j'avais un
très grand besoin de raconter cette histoire, qui me hante
depuis des années, c'est une évidence absolue. Ne
m'affirmez pas non plus que "j'ai fait mon métier"
comme je devais le faire. Précisément il me semble
n'avoir "fait QUE mon métier", quand ma conscience
humaine aspirait de toutes ses forces à atteindre le reste,
le vrai, le profond, l'être, pour apprendre, savoir, écouter,
entendre, comprendre, à l'aide de ce métier et avec
ses règles déontologiques, thérapeutiques,
éthiques, la réalité de ce patient là.
Un homme, malade, avec une famille. Son entourage s'est exprimé,
a décidé, m'a conduit à mener la barque
où la science et le besoin, les conditions et les circonstances,
le demandaient. Et puis quand il est mort, ses proches ont disparu,
laissant au médecin un souvenir, un cas de conscience, la
certitude d'avoir été professionnel, et la douleur
rémanente, cruelle comme une trahison, de n'avoir pu partager
la vérité d'un homme.
l'os court :
« Pour
apprécier la vie, noublions jamais que nous devons
mourir.» Cath Hoche
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Lettre
d'Expression médicale n°352
Hebdomadaire francophone de santé
21 juin 2004
Une RMIste
Docteur Iulius Rosner
Cette demoiselle de 19 ans vient pour
une infection urinaire. Elle mavertit quelle est au
chômage et quelle ne sera donc pas capable dhonorer
ma consultation autrement que par un bon de la mairie. Elle mest
adressée par une patiente que je connais bien, sa tante chez
qui elle vit depuis son bac. Dans lattente dune décision
sur lorientation à prendre, commencer à travailler
ou suivre des cours dans une faculté, elle a fait le nécessaire
pour obtenir le RMI (*).
Retrouver la confiance:
Elle ne peut pas espérer loctroi dune bourse
détudes car les revenus de ses parents, agriculteurs,
sont trop élevés, et dépassent sérieusement
les limites acceptables. Elle est fille unique, et ses relations
avec ses parents, dont lexploitation se trouve à quelques
150 kilomètres de la ville, sont les meilleures possibles.
Comment se fait-il quelle a réussi à obtenir
le RMI si elle ne peut pas obtenir de bourse ?
Restaurer la conscience
Pour devenir RMIste, si on est majeur, si on habite dans une autre
ville que ses parents, et si on ne paie pas de loyer, on ne doit
pas présenter le revenu des parents. Cest aussi simple
que ça.
Je dois lexaminer. Elle porte des dessous de très grande
qualité ; je ne suis pas expert en matière de dessous
féminins, mais il sagit de lingerie dont le prix est
certainement prohibitif pour toute salariée moyenne.
Renforcer la compétence:
Après examen, je fais lordonnance ; elle reviendra
si les choses ne sarrangent pas.
Une fois sortie, je ne peux mempêcher de réfléchir
au nombre possible de pauvres du genre de mon élégante
patiente pour lesquels le gouvernement socialiste a augmenté
mes impôts. Et ma mesquinerie ne sarrête pas là.
Combien de ceux qui touchent le RMI le considèrent comme
un petit complément du travail au noir, beaucoup plus rémunérateur
? Et combien de bénéficiaires du RMI le choisissent-ils
uniquement pour alimenter leur paresse ? Je discute de ce problème
avec un militant de gauche. Il me dit : « Vous ne voulez tout
de même pas que lon introduise, dans les conditions
dattribution du RMI, lévaluation des dessous
du demandeur ? ... »
NDLR : Le texte de cette LEM, évoquant quelque peu la chanson
célèbre de Birkins Les dessous chics,
aimablement communiqué par lauteur, fait partie de
louvrage à paraître de Iulius Rosner intitulé
: Les Français vus de près dans lactivité
dun cabinet médical.
(*) Le RMI, revenu minimum dinsertion est une allocation payée
par les départements en France à tous ceux qui ne
disposent pas de salaire ou de ressources personnelles. Doù
ladjectif du titre RMIste : titulaire de ce secours public.
NDLR
l'os court :
« Il
était si petit quil portait des revers à ses
slips. » Jerry Lewis
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un autre numéro de la LEM
Lettre
d'Expression médicale n°353
Hebdomadaire francophone de santé
5 juillet 2004
Dormez, braves gens
Docteur F. Soize
La chaleur éprouvante dans notre
douce Provence incite aux longues soirées canapé et
au zapping. A une heure où les paupières commencent
à se faire lourdes voilà que le petit écran
nous donne "Le Droit de Savoir"...Le sommaire se fait
alléchant pour les télévoyeurs: Procès
d'Outreau et Scandale du dopage chez nos champions de la pédale.
Retrouver la confiance:
Des connexions curieuses se mettent en place dans l'amas de neurones
qui me sert de cerveau. Mais celle qui retient mon attention
est la place de mes chers confrères (et néanmoins
amis) qu'ils soient experts psychiatres devant les tribunaux ou
experts en médecine du sport. Et je cherche le point commun
entre ces deux exercices si mal récompensés de leurs
efforts quotidiens. Les premiers se sont laissés manipuler
au nom de la sacro sainte "Parole de l'enfant" et les
seconds au nom du "Culte de la Performance".
Rien de commun me direz-vous. Alors qu'ai-je donc le droit de savoir
? Ce qui justement fait le fond de commerce de tous les médias
du monde...le besoin de sensationalisme. Participer à "l'affaire
du siècle" ou gagner la prestigieuse course cycliste
en se dopant relève de ce même besoin.
Restaurer la conscience
Du pain et des jeux ! Il faut du sang, de l'évènement
qui relance l'intérêt général. Détourner
l'attention du soi disant trou de la Sécu, des politiques
qui ont besoin de vacances. Faire lever le peuple indigné
devant les dérapages incontrôlés de la Justice.
Car, même dans les affaires de dopage, on ne peut pas dire
que la Justice fasse grand cas des vrais coupables. Trop d'argent,
trop de bénéfices médiatiques!
Mais où est passé le "Primum non nocere"
qui alimente l'éthique médicale. Où peut-on
encore trouver la discrétion et la réserve qui se
doivent d'alimenter notre métier ? Les athlètes se
dopent et les enfants mentent, mais les médecins que font-ils
? Lorsqu'il y a quelques années j'ai posé la question
aux médecins responsables d'une équipe de foot, la
réponse m'a laissée sans voix : "Comme de toute
façon ils se doperont quand même il vaut mieux qu'ils
le fassent sous surveillance médicale" !
Renforcer la compétence:
Et nous voilà promus au rang d'assurance sur le risque. Le
risque d'infection, pas le risque iatrogène (si tant est
que l'on puisse parler de médicaments quand il s'agit du
fameux pot belge: cocaïne, héroïne, amphétamines..).
Et c'est toujours en tant qu'assureurs que les experts sont convoqués
devant les tribunaux.
Nous sommes en passe de devenir, à l'instar des ces deux
spécialités, des justifications à la bonne
marche du sensationnel. Dormez, dormez braves gens...les médecins
veillent à ce que les incohérences, les injustices,
les prises de pouvoir ne vous dérangent pas. Un peu d'EPO
injecté dans des conditions conformes aux bonnes pratiques,
une pilule du bonheur bien prescrite, un avis éclairé,
nous sommes les pourvoyeurs de bonne conscience.
En éteignant mon petit écran et juste avant de me
laisser aller dans les bras de Morphée, une petite voix me
susurre : bonne conscience ou bonne inconscience ?
Serions-nous les nouveaux sorciers délégués
pour "zombiser" nos frères humains avec la bénédiction
de Big Pharma ?
Un mauvais rêve certainement...quoique !
NDLR : Les titre, intertitres et os court de cette LEM
sont de la rédaction.
l'os court :
« Qui
prête à rire nest jamais sûr dêtre
remboursé.» Raymond Devos
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