ARCHIVES DE LA LEM
N°401 à 406
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Lettre d'Expression médicale n°401

Hebdomadaire francophone de santé
6 juin 2005

Noui et ouon
Docteur François-Marie Michaut

En apparence, quoi de plus facile que de répondre à une question par l’un de ces deux simples mots de trois lettres . Lesquels ? Ceux de non et de oui, comme vous l’aurez repéré dans le mélange très personnel du titre de cette lettre. Car, vous le savez bien, vous le vivez avec les étranges referenda pour ( en fait contre ) la constitution européenne que nous venons de vivre, ce n’est pas aussi simple qu’un jeu d’enfant. Selon notre méthode favorite, tentons ensemble de lever le nez du guidon et des divers instruments de mesure et d’analyse que nous martèlent nos “spécialistes” des comportements humains, chacun selon sa spécialité et sa chapelle idéologique.

Retrouver la confiance:
“ Veux-tu donner ton jouet à ta cousine ?”. A cette demande de l’adulte, le petit enfant va savoir rapidement dire geste à l’appui : “ Non”. Période de la découverte de l’opposition nous dit-on. C’est possible, à une nuance de taille près. Si au même charmant bambin on pose la question : “ Veux-tu un bonbon ?”, combien pariez-vous que le oui sortira ? Autrement dit, nos jeunes ans sont clairs dans leur façon d’être avec les autres. Car celle-ci s’articule sur une double notion. Celle de donner et celle de recevoir. Recevoir, on le fait dès la naissance, tout simplement pour pouvoir grandir. Et naturellement, on n’en a aucune conscience. L’humain - comme sans doute tout animal - est dressé avant tout à recevoir sa nourriture, son abri et sa protection. Puis, il apprend en grandissant comment se débrouiller tout seul.

Restaurer la conscience
Cette conscience que tout nous est donné au départ, puis que, en grandissant, nous devrions normalement être amené à apporter aux autres n’est pas cultivée du tout. Rien à faire, notre tendance demeure, consommation favorise, de vouloir toujours continuer à recevoir. A tout âge, recevoir sans fin, recevoir sans limite, recevoir de plus en plus. Oui, oui, oui : je veux qu’on me donne. Dans le même temps, notre tendance collective est de chercher à donner le moins possible aux autres. Non, non, non, ce que j’ai est à moi, je l’ai hérité, volé ou gagné et je me battrai jusqu’au bout pour ne pas le donner. A chacun d’illustrer ces propos par les exemples multiples qu’il peut connaitre dans la vie de tous les jours. La mascarade médiatisée des dons d’argent pour de “bonnes oeuvres” ( cf LEM 400 “ Humanitaire...ment” de Françoise Dencuff) ne doit pas faire illusion.

Renforcer la compétence:
Comme les vieux paysans de nos campagnes, ce qui nous fait le plus peur, c’est celui qui n’est pas d’ici, du village. Celui qui demeure toujours l’étranger, dont l’étrangeté ( les mots savent de quoi ils parlent) ne peut rien laisser espérer de bon.
La xénophobie demeure tellement vivace en nous qu’elle ne demande que la première occasion pour se révéler. Quelle que soit la robe dont on décore cette perception des autres, des haillons repoussants des racismes les plus débiles aux atours les plus chatoyants de grandioses campagnes contre des chimères présentées comme de redoutables dragons, le résultat est le même. Vite, on ferme les portes et les fenêtres, vite on se replie sur soi, on tremble de peur, vite on dit : non, non et non. Pas d’étrangers chez nous.
Il y a donc encore un immense chemin à parcourir pour un grand nombre d’humains afin que progresse la prise de conscience que la vie est un mouvement permanent, que tout bouge, que rien n’est définitivement acquis, que nous avons quelques possibilités limitées de modifier le cours de certaines choses. A une condition cependant, c’est que nous acceptions de ne pas nous opposer à toute nouveauté. Que nous apprenions à dire oui à la vie, oui au risque de vivre. Car le culte du non conduit obligatoirement à un non à la vie. Autre façon de voter oui à la mort, n’est-ce pas ? Ce qu’il est convenu de nommer - en dehors de nos frontières, notons-le - le populisme serait-il une maladie chronique inguérissable, comportant des phases aiguës et une évolution obligatoirement fatale ? La vie, toujours aussi têtue et imprévisible, nous l’apprendra si nous savons regarder autrement qu’à travers le prisme d’une idéologie quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne.

l'os court : « Celui qui ne monte pas à l’arbre mangera des fruits verts.» Proverbe africain


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Lettre d'Expression médicale n°402

Hebdomadaire francophone de santé
13 juin 2005

Des soignants à l’écoute
Blandine Poitel

Si je suis, vous le savez sur la liste Exmed-1, la première à râler quand cela ne va pas, je suis aussi la première à applaudir quand je vois des initiatives plus qu'encourageantes .
Je viens d'assister à un Colloque d'une journée à Paris, sur la Douleur de l'Enfant à l'hôpital dont voici le programme publié sur Internet :
http://www.pediadol.org/article.php3?id_article=459

Retrouver la confiance:
Une journée, une petite journée à écouter de nombreuses équipes soignantes dans leurs démarches, leurs approches et leurs réponses à la douleur induite par les examens et les soins sur les enfants, du bébé prématuré à l'adolescent. Les interventions se sont succédées à un rythme très soutenu, et la vaste salle qui nous accueillait n'était pas loin d'être pleine. J'avais été invitée à ce colloque, et je crois bien que j'étais la seule "non médicale" de la salle ; et si ma présence a suscité questions et étonnements, je n'ai senti aucun rejet, aucune réserve ... à entendre ces médecins, ces infirmières, ces équipes soignantes, mon émotion était si grande que je crains que ma voix n'ait tremblé en les remerciant d'être ce qu'ils étaient, et d'être ainsi auprès de nos enfants quand malheureusement il y avait besoin.
Restaurer la conscience
Tant que c'est encore tout chaud dans ma tête et mon coeur, quelques remarques, en vrac :

- la présence massive des femmes : je ne crois pas être loin du compte en disant qu'il y avait 9 femmes pour un homme
- infirmières, en majorité, puéricultrices, pédiatres, médecins anesthésistes remplissaient les gradins venant de France bien sûr, mais aussi de Belgique - de façon conséquente, et de Suisse
- le changement et l'amélioration des pratiques sont souvent initiées par les infirmières qui ne supportent plus de pratiquer tel ou tel soin dans les conditions "protocolaires" ... au sein de leur service, elles se regroupent, présentent des chiffres, des faits, des comparaisons, des protocoles différents à l'équipe des médecins, et permettent ainsi l'évolution de pratiques douloureuses vers des pratiques de respect et de prise en charge de la douleur .
- la douleur induite par les examens et les soins PEUT et DOIT être prise en charge dans tous les cas de figure : il est possible de faire en sorte que cela se passe bien, que cela se passe mieux. C'est possible aujourd'hui .
- le, les parents doivent être présents, s'ils le désirent, auprès de leur enfant quel que soit le soin (hormis intervention chirurgicale bien sur) ou l'examen .
- un parent bien informé, écouté, respecté est un partenaire actif qui peut contribuer grandement à ce que les choses se passent bien, à ce que l'enfant soit en confiance, à ce que le séjour à l'hôpital soit plus facile pour tout le monde .
- OUI de nombreux soins et / ou examens sont douloureux, voire très douloureux : et cette douleur est bien souvent décuplée par le flou qui les entourent, par l'incompréhension des parents de ce que va subir leur enfant, par la peur qui les nimbent, par les "fausses rassurances" données ici et là pour "ne pas faire peur" ... Ces comportements "inadaptés" sont nocifs et nuisent au capital confiance des parents et enfants envers les soignants .
- il est plus facilement demandé voire ordonné au parent de sortir que la douleur induite par l'examen ou le soin n'est pas ou mal prise en charge .
- la parole, les attitudes, le visage de l'enfant ne mentent pas : ils sont à écouter et à prendre en compte quoiqu'ils expriment .
- il n'y a AUCUNE RAISON VALABLE à ne pas accepter qu'un parent qui le désire accompagne son enfant jusqu'à la perte de conscience avant opération chirurgicale, et à ce qu'il soit là en salle de réveil . Les diverses pratiques faites dans ce sens ici et là démontrent sans conteste possible que cette pratique est bénéfique à tous, enfants, parents, et soignants .
- un enfant coopérant et confiant, un parent attentif et participant sont des promesses de soins plus faciles, plus efficaces, et de gain de temps !
- l'accueil bienveillant, la prise en compte des caractéristiques de chaque âge de l'enfance, le soulagement de la douleur induite, la prise en compte systématique des réactions de l'enfant, de ses peurs, l'explication détaillée adaptée à l'âge (par le jeu, par les poupées, par les jeux de rôles, par des cdroms ou autres ) dédramatisent la situation et permettent à l'enfant de comprendre ce qu'il va vivre, pourquoi, comment, et surtout font en sorte que l'enfant et les parents soient en confiance, capital confiance qui apporte un énorme bénéfice sur le présent et pour l'avenir : un soin mal expliqué, dont la douleur est mal prise en charge va entraîner peur, méfiance, refus qui s'installent très vite, mais sont très difficiles à faire disparaitre une fois qu'ils sont installés .
- il ne faut pas que l'arbre cache la forêt : nous sommes encore très loin du compte, entre les changements prometteurs et si porteurs d'espoir de certains services, de certains hôpitaux décrits par ce colloque et le fait que cela soit présent et agissant partout, dans tous les hostos .
- il faut que les parents s'investissent et se battent pour faire respecter leurs droits et ceux de leurs enfants auprès des équipes qui ne travaillent pas encore ainsi ; il y a une énorme résistance au changement, mais la patience, le dialogue, l'obstination peuvent venir à bout de bien des obstacles.
- et dans le même mouvement, il ne faut absolument pas hésiter à écrire au directeur de l'établissement, avec copie au service concerné quand votre enfant a vécu des examens ou soins douloureux sans que sa souffrance soit soulagée, quand on vous a refusé de rester près de votre enfant lors d'un soin ou examen douloureux ... ET CE SONT DES MÉDECINS QUI LE DISENT !

Renforcer la compétence:
Je suis sûre que j'oublie des points mais cela me reviendra !

Je suis revenue avec des kg d'articles, les actes de ce Colloque, de nombreux dépliants Sparadrap (voir sur : http://www.sparadrap.org/index.asp?i_lang=1 ) sur les façons de prendre en charge la douleur induite par tel examen ou tel soin , toute une documentation à éplucher et à intégrer.

Je suis revenue la tête tellement pleine de ces paroles d'espoir, heureuse, émue ... j'ai ri - oui, j'ai ri lors de certains exposés, car il y avait un médecin qui débordait d'humour et nous en faisait profiter, j'ai été en colère, j'ai été bouleversée et par le courage des enfants, et par l'investissement de certains membres d'équipes médicales auprès de leurs patients- j'ai découvert un monde dont certains professionnels de la santé m'avaient entrouvert la porte - qu'ils en soient infiniment remerciés - et que je n'espérais pas découvrir .

l'os court : « Tant que l'homme sera mortel, il sera stressé . »  Woody Allen


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Lettre d'Expression médicale n°403

Hebdomadaire francophone de santé
20 juin 2005

Aussi tôt dit ... ocytocine
Docteur Françoise Dencuff

Vous avez, toutes et tous, lu le clin d’œil du jour (8 juin 2005 sur Exmed ) nous apprenant que l’ocytocine peut développer la confiance en soi. Les quelques réactions amusées m’ont donné envie d’aller plus loin. D’autant qu’un des objectifs d’Exmed est de ... retrouver la confiance.
Retrouver la confiance

Retrouver la confiance:
Difficile en ces temps troublés de parler de confiance. Un petit détour par le dictionnaire étymologique nous apprend non seulement que ce mot a la même racine que foi mais aussi que fiancer, défier, fidèle, confidence ou même fédérer. Et donc bien sur leurs antagonistes (infidèle…).
Donc il s’agirait de foi, c'est-à-dire, au sens premier, d’un engagement solennel. Autrement dit pas d’engagement sans confiance et réciproquement. Au moment où nous traversons une crise de confiance « européenne et politique » et où nos patients doivent s’engager auprès de leur généraliste pour en faire leur médecin référent, il semble que la question de confiance doit être posée. Être ou ne pas être (en confiance) ?
Tout d’abord examinons les critères sur lesquels nous pouvons établir notre confiance : l’honnêteté, la responsabilité, la cohérence, le respect…vous pouvez bien sur ajoutez tous ceux qui vous viennent à l’esprit. Autrement dit faire confiance repose sur le paradoxe suivant : connaître et maîtriser parfaitement le sujet auquel nous donnons notre confiance.
Depuis une vingtaine d’années, surfant sur la vague des thérapies nouvelles, il est de bon ton de faire un travail sur soi. Et donc de retrouver ou renforcer la confiance en soi. Encore un paradoxe, se donner à soi-même confiance alors que nous n’avons pas assez de notre vie pour nous connaître.
Bref, la confiance, Ce n’est pas gagné. Cf. : Clin d’œil FMM
Heureusement les chercheurs suisses nous ont donné une bonne nouvelle : l’ocytocine (OT), hormone synthétisée dans les neurones hypothalamiques dont la sécrétion est augmentée par stimulation du col utérin, du vagin, du sein, et diminuée par la prise d'éthanol. On utilisait l’alcool autrefois pour éviter les accouchements prématurés.
Donc un petit sniff d’OT est nous voilà les maîtres du monde. La raison a encore gagné « le lien de confiance a une base biologique ». Mauvais temps pour les psys !
Les conditions de l’expérience étaient elles aussi très particulières puisque les chercheurs étudiaient les comportements de personnes durant un jeu de rôle avec échange d’argent et qu’ils ouvrent le parapluie en estimant que les résultats pourraient éventuellement être détournés à des fins frauduleuses, financières ou politiques.

Restaurer la conscience
Paradoxe encore, nous nous sentons plus confiants et donc l’autre peut nous manipuler.
Oui…mais ! Quelques lignes plus hauts je posais la question existentielle : être ou ne pas être. Or dans presque tous les débats, les conférences, les thérapies il n’est pas question d’être mais d’avoir. En l’occurrence : confiance.
Jeu de mots ou jeu de maux ? Dans notre société où tout s’achète et tout se vend quoi de plus normal que de payer pour avoir confiance en soi. Mais alors, comme pour tout objet du désir, il peut être beaucoup trop cher pour nos bourses mis à mal par la stagnation économique.
Par contre être n’a pas de prix. Et surtout, pas de recette. Acheter un aérosol d’OT pour avoir confiance … quelques minutes ou être confiant. Avoir confiance en ce soi inconnu ou être en confiance avec soi.
La langue française est superbe. Avoir…dans, être…avec.
Et oui ! Être en confiance, c’est établir un partenariat lucide et responsable sans faire crédit, sans manipuler, en acceptant ses limites, ses faiblesses et celles de l’autre. Bref : être honnête, respectueux, responsable …

Renforcer la compétence:
Comment imaginer un instant que nous pourrions nous sentir bien dans nos baskets si nous ne développons pas ce « être confiant avec » par une patiente étude de nos peurs, nos comportements, nos réactions. Du temps de mon exercice, j’ai reçu une jeune femme qui avait confiance en elle…elle s’amusait à traverser les autoroutes les yeux bandés.
Avoir confiance revient à masquer la peur et parfois ses bienfaits. Avoir le trac lorsque nous entrons sur scène…c’est délicieux. Les médecins parleront de douleur exquise. Nous mobilisons notre énergie, nous avançons comme sur un nuage et alors la magie opère.
Mais nous ne pourrions jamais vaincre ce trac si nous n’étions en confiance, avec cette sensation si forte d’être juste à notre place.
La confiance procède de la transcendance. Exactement comme la foi. Un au-delà de nous qui nous permet d’être au-delà de soi.
Cette différence entre être et avoir confiance est au cœur même de tous les problèmes humains. Nous n’avons pas à signer un solde de tout compte à ceux qui demandent notre confiance. Pour en faire quoi ? De même nous n’avons pas à l’exiger. La confiance se mérite nous dit-on quand nous atteignons l’âge de raison. Et bien pas sûr que la majorité des parents l’obtiennent !
Et d’ailleurs si quelqu’un demande votre confiance dites-vous qu’il y a sûrement un lézard. Lorsque nous sommes en confiance avec nous-même, peu importe que l’autre essaie de nous « avoir ».
L’amour est aveugle…mais il peut avoir du nez !

l'os court :   « Le travail, c'est la santé. Mais alors, à quoi sert la médecine du travail ? »   Laurent Ruquier


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Lettre d'Expression médicale n°404

Hebdomadaire francophone de santé
27 juin 2005

Les bacillaires
Docteur François-Marie Michaut

« Rechercher les tubercules de Bouchut à l’examen du fond d’oeil » . Tout étudiant en médecine des années d’avant 1968 qui ne débitait pas cette phrase rituelle était certain d’échouer à son examen. Sur la suggestion de Philippe Nicot, au cours d’une discussion fort animée de la liste Exmed-1 sur les dérives charlatanesques de la médecine, penchons-nous un instant sur cette maladie effroyable que fut la tuberculose dans notre pays.

Retrouver la confiance:
Un vieux confrère, nommé médecin en 1925 du premier étage du sanatorium local ( ainsi nommait-on les hôpitaux spéciaux que l’on construisit dans toutes les régions ) m’a raconté. Cet étage était réservé aux seuls jeunes gens jusqu’à 25 ans. Très rares étaient ceux qui en sortaient vivants. Chez les enfants, nous racontaient nos maîtres, le diagnostic de méningite tuberculeuse était un arrêt de mort avant l’ère des antibiotiques. La panique qui s’empare encore des familles dès que le mot de méningite est prononcé n’y aurait-il pas ses racines encore aujourd’hui ?

Restaurer la conscience
On imagine à peine la terreur que répandait le bacille de Koch, dit BK . Dans les familles, il fallait cacher comme une tare la survenue d’un cas de maladie. Maladie tellement honteuse qu’elle était innommable. Sa survenue chez une jeune fille, si cela s’ébruitait la condamnait au célibat. La question de l’hérédité hantait encore les esprits. Du côté des médecins, on préférait parler de phtisie ou, plus mondainement de consomption, voir de maladie de langueur. Pour ne pas prononcer devant les patients le mot défendu, on utilisait l’une des périphrases que nous cultivons : les bacillaires. Ceux atteints de bacillose.

Renforcer la compétence:
Il suffit de consulter les manuels de pathologie médicale et chirurgicale d’avant les années 1970 pour se faire une idée de la véritable obsession que créait dans les esprits cette gigantesque épidémie de tuberculose au sein du corps médical. Au chapitre étiologie ( cause des maladies ) la tuberculose revenait avec une régularité métronomique, avec sa soeur de misère la syphilis pour tout expliquer. Combien de temps fallut-il pour que ce gigantesque “fléau” ne disparût. Combien de tâtonnements thérapeutiques, plus ou moins agressifs, des sels d’or au pneumothorax thérapeutique qu’il fallait faire exsuffler régulièrement, de mesures dites hygiéniques ou prophylactiques avec des des séjours d’éloignement et d’isolation des gens “sains” prolongés; Puis vint la période des antibiotiques, avec là encore tout son lot d’essais, ses enthousiasmes trop rapides, ses erreurs parfois dramatiques comme les surdités définitives avec l’usage de la streptomycine. Ce fut aussi la période des dépistages de masse, avec son lot de rayonnements dangereux avec de simples radioscopie, la période des vaccinations des enfants avec le bacille de Calmette et Guérin ( BCG). Tous ces efforts, parfois ou souvent accompagnés de pratiques dépourvues de toute rigueur scientifique, avec son lot de charlatans diplômés ou non, et on commença à crier victoire. La tuberculose tueuse était vaincue par la science et ses prêtres de blanc vêtus, laissa-t-on entendre un peu partout. Cependant, nous avions alors la mémoire un peu courte, et la vue un peu étroite. Les médecins des années 70 à la fin du siècle dernier ont été frappés de la double observation suivante. De nombreux clichés thoraciques chez des sujets âgés ont révélé de lourdes séquelles calcifiées - et guéries - de tuberculose ancienne, passée totalement inconnue tant du patient que de ses médecins. La présence d’un rein “muet” à l’urographie intraveineuse, éventualité non exceptionnelle, signait sa destruction par le bacille tuberculeux des dizaines d’années auparavant. Et là encore, sans aucun signe clinique.
Si on a la curiosité de se tourner vers le continent africain, la lèpre qui fit de tels dégâts chez nous au Moyen-Age, était encore très présente à l’époque coloniale. Soudain, la tuberculose, alors inconnue, y fit des ravages dont nous avons quelques retours, et avec des formes cliniques telles que les décrivait Laennec au 19 ème siècle. Et dans le même temps, tout se passe comme si la lèpre chère à Raoul Follereau avait tendance à disparaître progressivement. Qu’avons-nous fait en Europe pour faire disparaître la lèpre de chez nous ? En vérité, au regard de nos connaissances scientifiques actuelles, rien du tout. Pour terminer ce rapide survol, ayons une pensée pour le nombre important d’étudiants en médecine qui ont été contraints de cesser leurs études, ayant eux-mêmes été contaminés par le redoutable bacille de Koch dans nos hôpitaux.

l'os court :   « De ses contradictions, l’homme ne peut se sauver que par l’ironie »  Lichtenberg ( 1742 - 1799 )


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Lettre d'Expression médicale n°405

Hebdomadaire francophone de santé
4 juillet 2005

Métier ou profession
Etymologie impertinente

Docteur Françoise Dencuff

LCI, samedi matin, Luc Ferry / Jacques Julliard. Autour du sujet désormais classique de la crise de confiance des français vis-à-vis de leurs gouvernants, deux grosses têtes se penchent au chevet de notre situation économico politique...bloquée. Comment conserver le « modèle français », comment relancer l'emploi, doit-on imiter les scandinaves ... ou les anglais, quelle est la recette de Tony Blair, la nouvelle idole des marchés ? Bref pourquoi sommes-nous les deux pieds dans la mouise alors que les autres s'en sortent mieux ?
En dehors du classique « l'herbe est plus verte ailleurs ! » une réflexion de Ferry me paraît digne d'un examen plus approfondi sur notre site préféré.

Retrouver la confiance:
Qu'est ce qui fait que nous n'ayons plus confiance dans nos politiques ? A cette interrogation, Luc Ferry propose l'interprétation suivante : la dégradation serait apparue depuis que la politique s'est professionnalisée.
Qu'est-ce donc que ce terme qui a envahi peu à peu notre quotidien ?
Vous avez déjà compris que j'ai une prédilection pour l'étymologie et bien là je ne suis pas déçue. Profession (nel) vient de la racine indoeuropéenne : parler.
Mon mauvais esprit ne peut s'empêcher de faire un raccourci avec la célèbre chanson de Dalida : Parole, Parole...
Autrement dit le professionnel est au choix : celui qui fait une déclaration, qui promet. Pas étonnant que les politiques se soient emparés du concept.
Juste pour le plaisir, cette origine a aussi donné des mots comme : avouer, confesser, fable, hâbleur, mauvais, enfant, fantoche, affabuler, fatal, blasphémer...A dire vrai, j'ai un peu fait le choix dans les très nombreux sens développés à partir de cette racine. Mais avouez... que leur juxtaposition fait sourire !
Donc faire profession s'origine dans le fait de s'exprimer. Au siècle de la communication médiatique nous l'avions déjà repéré. Par contre l'usage de ce mot en lieu et place du terme de métier laisse à réfléchir. Et pour ce qui est de professionnalisme, les politiques ne sont pas les seuls : les sportifs par exemple.

Alors devenir professionnel, ce serait se faire payer très cher pour une passion?

Mes chers confrères et amis, il est plus que temps que nous nous professionnalisions !
Il reste à se pencher sur le mot : métier. Origine : famille latine min* exprimant l'idée de petitesse. Mots de la même racine :moins, ministre, administrer, minuscule...Plus intéressant encore le métier viendrait de la racine contractée de ministérium sous l'influence de mystérium étant donné la fréquence de l'expression le Dieu mestier autrement dit le service divin !

Bref, exercer un métier procède du service divin.

Restaurer la conscience
Certes vous pouvez me reprocher une certaine tendance à l'exagération. Quoique... !
Pouvons-nous quelques instants accepter ces deux définitions ? D'un côté une passion (le sport, la politique, la bourse, l'amour...) de l'autre un service. L'argent et le pouvoir contre le souci de l'autre ?
Caricatural, peut-être, vérifiable souvent.
Pour Christian Bobin : Le professionnalisme est une maladie qui vient aux gens par leur métier, par la maîtrise qu'ils en ont, qui les asservit.
Ce qui me fait hésiter à prendre Ch. Bobin au mot, c'est que je ne suis pas certaine que le professionnalisme ait un lien quelconque avec le métier...un médecin aux Affaires Etrangères par exemple.
Par contre si l'application sans réfléchir de processus et de protocoles signe la professionnalisation du métier alors, certes, nous sommes asservis. Je suis sûre que tous les soignants ont des masses d'anecdotes à raconter sur le sujet et ce n'est pas le but de cette digression.
Nous exerçons le métier de médecin, nous ne sommes pas des professionnels de la santé. D'ailleurs, lorsque nos ministres en charge veulent nous planter un couteau dans le dos, ils font référence à la professionnalisation de la dite santé. Qu'est-ce donc encore que ce politiquement correct ? Est-ce à dire que nous exerçons mal notre métier ou que nous devrions laisser tomber l'idée généreuse d'être utile à tous au profit de quelques uns ? Est-ce encore l'idée aussi sotte que grenue que la santé est une profession comme la politique, sérieuse au demeurant ? Que nenni (il vaut mieux éviter le « non » quelque temps), la santé est un état et la politique est un mandat, de préférence pour l'une et l'autre ... à conserver.

Renforcer la compétence:
Le gros mot est lâché...conserver. (de serf : idée de faire attention, même racine qu'esclave, servir, garder et...vergogne !)
A bien y regarder, vouloir conserver quelque chose relèverait du « prendre soin ». Le moins que l'on puisse dire c'est que beaucoup de professionnels l'ont parfaitement compris. Prendre soin des privilèges, du pouvoir et de l'argent que procure leur profession est leur souci premier. Il faut dire que l'on soit un pro de Ligue I ou un pro...politique les places sont chères et plutôt du style sièges éjectables. Alors il faut se cramponner et avoir préparé son parachute !
Pour ne pas être injuste, il me faut ajouter les directeurs généraux de grands groupes, les agents artistiques, les rédacteurs en chef, les entraîneur...bref tous les pros qui font profession de faire bosser les autres en passant à la télé.
Parce que la professionnalisation autorise avant tout à se penser meilleur que les autres, nous avons des pros de la com, des pros de la négo, des pros de l'humanitaire...Tout ce qui devrait être du domaine du service (zut ! j'ai oublié les seigneurs des pros : les pros de l'argent) est transformé en vastes champs de bataille entre pros qui n'ont qu'un espoir : rester et qu'une crainte : être viré par plus pro qu'eux !
Et nous qui exerçons un métier nous devrions devenir des professionnels ? La langue française évolue mais de là à être mis dans le même panier que de mauvais enfants hâbleurs obligés d'avouer leur fatal blasphème (voir plus haut...)il ne faut pas exagérer !
Ne nous laissons plus prendre à la mode du pro à tout prix, exerçons notre métier minuscule pour servir...humblement professionnels.
Et sans rancune pour tous les pros qui exercent malgré tout leur métier.

l'os court :  «La plus grande des immoralités est de faire un métier qu'on ne sait pas. » Napoléon Bonaparte


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Lettre d'Expression médicale n°406

Hebdomadaire francophone de santé
11 juillet 2005

D'Olympie à Epidaure
Docteur François-Marie Michaut

Nous l'avions pourtant tellement bien écrite, notre lettre au Père Noël. Nous étions tellement intelligents, tellement brillants, en un mot et en toute modestie tellement supérieurs à tous les autres candidats aux Jeux Olympiques que Paris - donc la France, pour nous - ne pouvait pas être éliminée. Et, patatras, le 6 juillet, le comité olympique international, nous fait l'affront de choisir Londres pour les jeux de 2012.
Cris et lamentations de tous côtés. Comme des enfants gâtés, nous trépignons, le Père Noël ne nous donne pas notre cadeau. Privés de joujou.

Retrouver la confiance:
Oui, nous avions confiance. Pierre de Coubertin, quand même était français. C'est lui qui a lancé l'idée de cette compétition pacifique entre des peuples dont les gouvernants ne rêvaient encore que de se vaincre les armes à la main. Bon, bien sûr, il est allé piller la tradition grecque antique en la croisant avec cette invention typiquement britannique - le mot continue de le dire - du sport. Entre nous, avoir conçu qu'on pouvait dépenser une énorme énergie physique pour faire quelque chose qui ne sert strictement à rien d'autre qu'au plaisir d'être le meilleur dans un simple jeu, nous en étions bien incapable au pays de Montaigne et de Voltaire.

Restaurer la conscience
Se battre sur un terrain de sport, juste pour une médaille symbolique disant qu'on est en tête, quel progrès, par rapport aux guerres. Et pourtant, moins de 20 ans après Coubertin, la plus grande boucherie européenne, celle dont on ne s'est jamais remis nous a saignés. Pourtant, encore, les dictateurs du monde ont tous utilisés les JO comme arme idéologique, avec tous les excès que nous connaissons. Et pourtant, le dieu argent a transformé cette kermesse mondiale en une douteuse course au profit, par tous les moyens possibles. Dont ceux des dopages et autre tricheries sous toutes leurs formes. Alors il est grand temps de songer à donner à Coubertin le repos qu'il a bien mérité. Non pas en supprimant des jeux qui font plaisir à tant de gens, mais en leur donnant un sens supplémentaire. Là encore, petit retour en Grèce antique, direction Epidaure. Dans ce sanctuaire dédié au dieu de la médecine Esculape, il y a aussi un stade, et un théâtre. Et la fonction d'Epidaure est de soigner les gens malades. Alors, j'en conjure tous ceux qui peuvent tomber sur ces modestes lignes, pillez cette idée. Si on organisait nos jeux modernes pour que l'argent énorme qu'ils génèrent puisse profiter aux humains les plus démunis des démunis ? Je pense, en écrivant cela à ces armées d'enfants des pays les moins riches qui meurent parce que les moyens manquent de leur fournir les moyens élémentaires - et fort peu onéreux- d'être soignés. Parfois encore, c'est un enfant sur trois qui meurt avant l'âge de cinq ans, de maladie facilement curable. Souvent, hélas, ces hordes d'enfants victimes de malnutrition, s'ils survivent, présentent des retards psychomoteurs irréversibles. On ne dit pas assez, le tribut à payer à la misère est effroyable pour toutes les sociétés qu¹elle touche. Leur matière grise au plus bas niveau les enfonce de plus en plus. Terrible réalité.

Renforcer la compétence:
La culpabilisation des peuples nantis est un moyen pour certains cyniques de faire des quêtes larmoyantes au bénéfice de leur business personnel. Ce sont peu ou prou nos organisations dites humanitaires. Mais c'est la mauvaise voie : la mauvaise conscience est de bien courte durée, et la bonne conscience conduit aux pires bêtises. C'est sur place, avec des gens des pays concernés - pas leurs dirigeants - que des moyens de fabrication de nos vieux remèdes, et des moyens de distribution doivent se mettre en place. Nous, citoyens, en avons tous les moyens. Nos gouvernants ne l'ont jamais fait ? C'est vrai. Et bien passons par dessus leur tête, ils seront obligés de suivre. Comme l'a fait il y a un siècle, souvenons-nous, ce fou furieux - pour l'époque - de baron Pierre de Coubertin. Après la magnifique aventure olympique, pourquoi ne pas aller plus loin, plus haut et plus fort dans la même direction ? Mais là, outre le stade et ses jeux, le théâtre et tous les arts d'expression devraient être associés avec un objectif bien précis : grâce à la manne financière ainsi collectée, celui de l'amélioration de l'état de santé des enfants du monde entier, sans limites ni frontières. Pensons une seconde à cette unité de lieu qui ne doit rien au hasard : c'est dans le même lieu géographique “neutre” qu'on toujours leur siège les deux grandes organisations mondiales que sont le Comité Olympique International et la Croix Rouge Internationale.

l'os court :  « Si les Anglais ont inventé beaucoup de sports, c'est que, dès qu'ils se sentent dépassés dans l'un d'eux par une nation étrangère, ils en inventent un autre. » Peter Ustinov