ARCHIVES DE LA LEM
N°418 à 423
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Lettre d'Expression médicale n°418
Hebdomadaire francophone de santé
17 octobre 2005

Sens ... interdit

Docteur Françoise Dencuff

Ferry - Julliard, LCI 7octobre 2005 : le malaise français. Voilà nos élites intellectuelles au chevet de la France déprimée. Un peu confus pour ce qui est de l’analyse de ce mal-être mais…ils ne sont pas toubibs et ne côtoient pas au quotidien des humains déprimés.
Déprime sociale, déprime des marchés, les politiques et les économistes ne savent plus où donner de la tête. Comment un pays aussi riche, aussi beau, aussi intelligent peut-il déprimer ? Ce n’est pas sans rappeler de tristes souvenirs à ceux d’entre nous qui ont traversé la Terra Incognita de la dépression : avec tout ce que tu as, pense à tes enfants, bouge-toi…
Ce sont à peu près les mêmes mots, les mêmes conclusions auxquels arrivent les « panseurs » de la France.

Retrouver la confiance:
Pourtant ma persévérance à les écouter n’aura pas été vaine. Dans les dernières minutes la lumière se fait : pour entrer sereinement dans la révolution libérale il nous faudrait « tuer » les valeurs qui nous fondent. Valeurs républicaines (liberté, égalité, fraternité), valeurs chrétiennes (foi, espérance et charité), valeurs socialiste (justice sociale). Autrement dit pour avancer nous devons faire fie de tout ce qui nous permet d’être humains. Tout ce qui donne sens à nos actions et à nos vies.
Un seul mot d’ordre : le consumérisme. La fin justifie les moyens, haro sur les empêcheurs de consumer (pardon ! consommer) en rond.
A cela fut ajouté qu’il était presque rassurant de voir les français résister.
Dépression signe de résistance. Analyse surprenante mais passionnante de la déprime. Une expression ressurgit alors de la mémoire de temps pas si lointains : résistance passive.
La dépression serait donc une solution à disposition lorsque le ciel nous tombe sur la tête, qu’il s’agisse d’un état de malaise privé ou « national ».
Les conduites animales nous apprennent que face au danger nous n’avons que trois solutions : la fuite, l’attaque ou la maladie. Dans quel registre mettre la dépression ? Fuite ou maladie ? Et si ce n’était ni l’une ni l’autre mais un réflexe de survie particulièrement élaboré. La résistance

Restaurer la conscience

Jamais l’intitulé de ce paragraphe ne m’est apparu aussi judicieux.
Restaurer (remettre en état, mot du XII°siècle de stä : être debout) c'est-à-dire boucher les fissures lentement creusées par un discours lénifiant : tout va s’arranger, tout le monde est gagnant, nous y arriverons…, redonner peu à peu des couleurs à nos vies en noir et blanc mises en code informatique 0 et 1.
Comment restaurer un tableau qui affiche les couleurs clinquantes d’un Las Vegas permanent ? En se penchant sur la conscience (de scire : savoir, claire connaissance que l’on a de soi-même).
Faut-il vraiment que le tourbillon d’activités qui nous entoure soit puissant pour nous retirer cette connaissance. C’est pourtant ce décalage permanent entre ce que nous sommes et ce que l’on exige que nous ayons, qui ravage peu à peu la fresque de nos jours. Une lèpre sans nom, insidieuse qui décolore nos idéaux avec pour seule échappatoire la résistance passive, la dépression.
Finalement ne serions-nous pas en train de passer au crible de notre conscience les mensonges et les trahisons de notre société soit disant évoluée pour, dans la pourriture de nos désillusions, voir fleurir une nouvelle façon d’être (Français) au monde ?
Il y a pourtant deux formes de dépression. Celle que nous venons de décrire, passage obligé de « redressement », et la dépression chronique qui prend son origine dans la victimisation. (Il n’est bien entendu pas question de la dépression symptôme de maladie mentale)
Le glissement risque à tout moment de se produire si nous ne savons pas décrypter la justesse de la forme « résistance ». Cette mise en sommeil de la capacité d’action pour la recentrer sur l’essentiel.

Renforcer la compétence:
C’est donc tout à la fois un constat désolé de notre malaise et enthousiaste de notre fabuleuse résistance à tout ce qui pollue notre « air », qui nous étouffe à grand coup de compétition, de réussite chiffrée, de normes en tout genre.
Le fossé est grand entre celui (ou celle) qui se vit comme victime d’injustices permanentes faisant payer à son entourage son incapacité à grandir et la grande majorité d’entre nous capable lorsque la pression se fait trop lourde d’un repli stratégique « loin de la fureur et du bruit ».
Savons-nous toujours détecter devant la demande réitérée de tranquillisants quelle forme de dépression présentent nos patients ? Pourrait-on imaginer que l’endormissement massif d’une population « hypnotisée » ne sert finalement que les tenants du consumérisme ?
Vouloir se retirer pour simplement résister à des évènements pénibles est à ce point inenvisageable qu’il faille très vite reprendre le dessus et « courir avec les loups » ?
C’est à nous soignants de permettre cette restauration minutieuse et silencieuse d’une conscience maltraitée, sans endormir à tout prix la distorsion entre l’être et l’avoir. Ce malaise est vital, c’est grâce à lui que tout à coup peut émerger des tréfonds de la mémoire le souvenir de notre humanité.

l'os court : « Avez-vous remarqué qu’« appointements » a pour contraire « désappointement ? » Jean Nohain


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Lettre d'Expression médicale n°419
Hebdomadaire francophone de santé
24 octobre 2005

Les harceleurs doivent être les payeurs

Docteur François-Marie Michaut

La presse s’est lassée. Le harcèlement moral, dont on a tant, et souvent si mal parlé, n’est plus un sujet à la mode. Chaque jour, cependant, sur ce site, plusieurs centaines d’internautes viennent consulter nos pages, nous poser des questions, nous confier leurs témoignages. Cette forme moderne de violence se porte toujours aussi bien. En France, une loi a été votée il y a quelques années pour que les harceleurs dans le monde du travail puissent être sanctionnées par la justice. Ce fut un grand espoir pour toutes les personnes concernées. Hélas, la difficulté pour les magistrats de se faire une opinion sur la réalité ou non du harcèlement fait que cet outil est vraiment bien peu efficace, faute de compétence des magistrats.

Retrouver la confiance:
Nous avions dans cette LEM proposé que soit constitué un collège de personnes capables d’expertiser de telles situations afin d’assister et d’éclairer la justice. A notre connaissance, non seulement personne n’a repris cette idée, mais la nomination dans chaque département par le Préfet d’une sorte de “médiateur spécialisé” - comme il est prévu par la loi - est restée lettre morte. Les groupes de discussion, comme celui que nous avons à Exmed, se font l’écho des défaillances et lâchages des hiérarchies, tout comme de la grande majorité des syndicats dès qu’un cas de harcèlement est mis à jour. Cette situation n’est pas digne d’un pays qui se vante volontiers de pouvoir être la patrie des droits de l’homme. Voilà, dit sans détour ni langue de bois, le climat de perte de confiance de ceux qui sont les cibles des harceleurs demeurant impunis.

Restaurer la conscience

L’une des conséquences du harcèlement est de précipiter facilement ses victimes vers des ennuis de santé. Quand la cessation de travail n’est pas la seule façon pour un praticien de faire échapper un patient à une situation dangereuse pour sa santé et intenable psychologiquement, c’est qu’elle est liée soit à des atteintes somatiques, ou plus exactement psychosomatiques, soit à des troubles psychiques comme des états dépressifs majeurs. Avec le risque de suicide que cela comporte, tout médecin le sait et la presse en a parlé. Quand on a clairement conscience que la violence psychologique est aussi destructrice de la santé que la violence physique, une question logique se pose. Est-il admissible que les cotisations d’assurance maladie que nous payons sur notre travail serve à payer les dégâts occasionnés par l’action perverse de quelques uns ? Il y a là une profonde injustice qui ne semble émouvoir personne. Mettons-nous bien d’accord : que l’assureur soit de droit semi-public comme l’assurance maladie modèle 1945 dite sécurité sociale en France, soit purement mutualiste ou soit ouvertement commerciale ne change strictement rien à notre propos. A cet assureur multiforme, nous demandons de nous donner ... une assurance qui nous manque si cruellement à nous les citoyens. Et aussi d’apporter à tous les soignants des éclopés du Harcèlement une aide qu’ils sont seuls à pouvoir leur fournir avec l’échec de fait de la justice que nous avons évoqué plus haut.

Renforcer la compétence:
L’idée est simple. Il suffit de lire la feuille de soins de la sécurité sociale. Il est demandé à chaque assuré de préciser si un tiers est en cause dans la survenue d’un accident ou d’une maladie. Il suffit également de remarquer comment nos compagnies d’assurances s’acharnent à rechercher la responsabilité du moindre accrochage routier pour faire payer les dégâts par la partie adverse. Il y a harcèlement moral suspecté dans une entreprise ? Les certificats médicaux, avis de la médecine du travail ou de l’inspection du travail, interventions des syndicats sont utilisables pour l’information des assureurs. Plus banalement, la surveillance de la proportion de salariés en arrêt de travail dans un service donné est un indice majeur.
Trente six personnes sur cent ne travaillant pas dans une ancienne administration privatisée, comme nous l’a confié l’une de nos colistières, voilà qui devrait interroger notre assurance maladie. L’informatique devrait facilement donner ce type d’indication. Et après une expertise serrée, si la réalité du harcèlement dans le travail est reconnue, c’est l’entreprise qui a laissé faire les harceleurs, voir les a encouragés à agir pour pouvoir contourner le droit du travail qui doit payer tous les frais de maladie. Le principe : les pollueurs doivent être les payeurs s’applique pleinement à la pollution psychologique des relations de travail. Les harceleurs doivent être les payeurs. Les toucher directement au porte-feuille, c’est la seule façon de les empêcher de nuire. Pour terminer, nous ne saurions trop encourager nos confrères à systématiquement faire passer en accidents de travail les cas de harcèlement qu’ils rencontrent, ce qui est parfaitement légal, car cela oblige l’assurance maladie à prendre en compte la réalité de ce fait de société, et à assurer ses responsabilités. Hélas, en matière de harcèlement dans la vie privée ou familiale, et c’est très fréquent, il semble bien illusoire de faire payer les harceleurs.

l'os court : « Au royaume des sourds, les aveugles sont muets.» Jacques Sternberg


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Lettre d'Expression médicale n°420
Hebdomadaire francophone de santé
31 octobre 2005

Meurtre ou délivrance ?

Docteur Gabriel Nahmani

Une mère a été poursuivie en justice pour avoir tué sa fille handicapée. La cour d'assises du Nord à Douai a jugé à partir du mardi 18 octobre une mère de 45 ans pour le meurtre, à coups de couteau, de sa fille handicapée physique et mentale de 9 ans, le 15 avril 2002. L'accusée a reconnu l'avoir étendue sur le sol, avant de la tuer de 4 coups de couteau portés au cou. Sa fille L… était atteinte du syndrome de West, une forme très grave d'épilepsie. Elle était entièrement dépendante et ne pouvait recevoir que des traitements de confort.

Retrouver la confiance:
Pourquoi relevè - je un tel événement aujourd'hui ? Ma petite fille Mirabelle a juste 9 ans et demi, ses parents sont âgés de 43 ans, elle est elle aussi atteinte de la même maladie qui en a fait une handicapée profonde, affection se surajoutant, pourquoi lésiner après tout, à une trisomie non diagnostiquée pendant la grossesse: peut-on imaginer le calvaire de ses parents ( et 4 grands parents aussi ) et des voisins quand un tel enfant ne dort pas, cogne sans arrêt sur les murs, le parquet, contre les cloisons, ne sait pas manger seule et ne mange que mouliné car ne sait pas mastiquer, ne parle pas mais marmonne ou hurle des heures durant…avec des attitudes ou gestes répétitifs…

Restaurer la conscience

Peut-on espérer que, comme dans le cas de Vincent Humbert " euthanasié " par un médecin compatissant, les juges de Douai, les procureurs et tous les donneurs de leçons, et Zeus sait s'ils sont prolixes, fassent d'abord l'effort d'imaginer ce qu'est une telle existence et ensuite preuve de compassion avant tout ?

Renforcer la compétence:
Qu'en pensent nos amis exmédiens ? Ne serait-il pas utile d'aborder ce genre de questions comme l'ont été il y a peu, ici, les problèmes sectaires ?


NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal pour le faire, il ne faut vraiment pas s'en priver, ami lecteur. Si ce texte vous touche, vous plait, vous déplait ou vous semble mériter telle ou telle réponse, d'un simple clic sur la photo de l'auteur un courrier électronique de votre part lui parviendra. FMM, webmestre.

l'os court : « Bien des choses me font du mal qui ne font aux autres que de la peine. » Lichtenberg ( 1742-1799)


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Lettre d'Expression médicale n°421
Hebdomadaire francophone de santé
7 novembre 2005

Refus de se soigner ou de soigner

Docteur Françoise Dencuff

Il y a quelques semaines, le Quotidien du médecin abordait un sujet toujours délicat dans l’exercice de la relation soignante. Le refus de soins qu’il soit le fait du patient ou du médecin. Il me semble important au moment où le patient se trouve fortement lié administrativement à son médecin traitant d’aborder ce que le législateur a baptisé du doux nom de : consentement éclairé.

Retrouver la confiance:
Depuis l’instauration du Code de Déontologie, il est reconnu au patient le droit de refuser un soin ou un praticien mais ce n’est que depuis 2002 que cette « permission » jusque là officieuse est devenu obligation.
Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (art 111-4 csp: alinéa 2 et 3) : « Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et évalué de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. »
Pourtant avant même la promulgation de la loi le conseil d'Etat apporte une nuance : « La volonté du patient peut être méconnue à la triple condition : qu'un acte médical soit indispensable à sa survie, que cet acte soit proportionné à son état et réalisé avec l'intention de le sauver. » (arrêt du 26/10/2001)
Il est donc question de consentement libre et évalué. Difficile de vérifier chez nos patients ces deux notions de liberté et d’évaluation. Libre jusqu’où, évalué par qui ?
Pour se préserver de futures poursuites judiciaires le médecin doit faire remplir et signer à son patient un certificat de refus de soins ou d'hospitalisation qui a « pour objectif de démontrer à la justice la qualité de l'information délivrée au patient : information simple et compréhensible reçue par un patient en pleine possession de ses facultés mentales, détaillant les risques encourus. Il doit obligatoirement être accompagné d'une observation médicale écrite, confirmant le fait que le patient a été examiné, que son état clinique a été décrit et évalué. Le certificat doit être cosigné par au moins un accompagnant ou une tierce personne (personnel soignant à l'hôpital) ».
En cas de refus de signature du certificat, il est nécessaire de faire dresser un procès-verbal (par l'administration de l'hôpital, voire les services de police) et être contresigné par un accompagnant, ou à défaut un témoin. Le certificat est établi en deux exemplaires. L'original est remis au patient.
Et pourtant en aucun cas, ce document n'a valeur de protection juridique absolue pour le médecin, il est malgré tout pris en compte comme pièce essentielle en cas de procès.
Cette dernière phrase nous montre bien l’ambiguïté du problème : une loi nous contraint au consentement mais le fait de produire « le contrat » signé par le patient en présence de témoins ne nous met pas à l’abri d’un retournement de situation.
Pour ce qui concerne le refus d’un médecin à soigner une personne, le code de déontologie est très clair : le médecin a parfaitement le droit de refuser un patient, mais ce refus doit obligatoirement être assorti de la recherche d'un praticien pouvant assurer les mêmes soins, de même qualité, à ce patient. Si le médecin ne fait pas ça, il est en faute et devient condamnable par la juridiction ordinale.
Un médecin refusant de soigner, en dehors bien entendu d’un cas d’urgence vitale, n’est pas assigné devant les tribunaux.
Dans son avis relatif au refus de traitement et à l'autonomie des personnes, le comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie donne une série d'exemples où le médecin peut être en position de refus. Lorsqu'il juge « inutiles ou coûteuses » des investigations demandées par le patient alors qu'existent des « examens plus simples, aussi efficaces et beaucoup moins coûteux ». Car « il ne faut pas oublier que le médecin reste aussi un acteur de santé publique ». De même, les situations d'acharnement thérapeutique : « S'obstiner à maintenir la vie et non pas la qualité de vie au prix de traitements excessivement lourds, sans l'espoir, même minime, d'un bénéfice à court ou moyen terme, ne constitue pas une obligation. » Dans le cas d'une assistance médicale à la procréation, le gynécologue ou l'équipe chargée de la pratiquer peut refuser en raison de l'âge ou de l'état des personnes : « La responsabilité de la médecine n'est pas de permettre la réalisation d'un désir à tout prix. Elle est aussi d'expliquer avec respect le caractère irréaliste, voire nocif, de certains projets. » Le refus de mettre en route une réanimation néonatale du fait d'un jugement pessimiste sur l'avenir du foetus relève également de considérations médicales. Cependant, tout comme le patient, le médecin peut exprimer ses propres valeurs culturelles et refuser, par exemple, une interruption volontaire de grossesse.
Mais une sorte de refus a tendance à se faire de plus en plus fréquente : le refus de soins pour les titulaires de la CMU ou de l’AME. Rendez-vous repoussé aux calendes grecques quand ce n’est pas refus pur et simple. Ce sont les dentistes qui ont la palme de la discrimination.
Les raisons évoquées sont toutes financières : pas de remboursements des dépassements, délais de payements trop longs par les caisses…Ces raisons sont véridiques mais montrent à quel point Mammon règne en maître. Nos patients demandent de la reconnaissance et de la considération. Etes-vous surs qu’une consultation à 20 € permette de prendre le temps ? La désaffection des jeunes générations n’est pas seulement due à la difficulté du travail. Nous n’avons pas créé une génération entière de flemmards mais ils sont conscients que la valeur du travail ne peut plus s’étalonner sur le nombre de cadeaux reçus à Noël. Et nous entrons dans le cercle vicieux : moins de valeur, moins de médecins, moins de temps donc moins de valeur accordée par nos patients…
Restaurer la conscience

De quelle liberté parle-t-on quand nous nous retrouvons dans l’angoisse de la maladie ? Nous pouvons craindre que cette liberté ne soit vécue comme la dernière encore possible. Devant la difficulté de compréhension des actes médicaux de plus en plus techniques le patient est-il vraiment à même de prendre une décision. A ce questionnement le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) relève que « la complexité accrue des propositions thérapeutiques et une plus grande autonomie de décision reconnue aux personnes malades (loi du 4 mars 2002) dans le domaine des soins médicaux ont abouti à ce que le consentement du malade ne soit plus simplement implicite, mais doive être explicité, avec pour corrélat une plus grande attention portée à sa parole, fut-elle hostile à une proposition médicale » (avis n° 87 « Refus de traitement et autonomie de la personne »)
Les grands mots (maux ?) sont lâchés : la plus grande attention à la parole du malade. Comment faire pour porter cette attention quand le temps imparti aux consultations et aux soins est de plus en plus dicté par le financier ? Car il est évident que pour qu’il y ait liberté et compréhension il faut du temps. Le temps indispensable à la confiance. Celle du patient envers son médecin mais aussi celle du soignant vis-à-vis de « son » médecin. C’est avec le temps que l’on peut exprimer ses peurs, ses doutes, son vécu.
Pour Maître Mario Stasi avocat à la cour d'appel de Paris et rapporteur de l'avis du Ccne, nous ne sommes pas objet de soin, mais sujet de soin : ce n'est plus le médecin et son savoir qui est au centre de la relation, c'est le patient et sa maladie. La relation de confiance est fondamentale entre le médecin et son patient. Le premier devoir d'effort de dialogue et de compréhension part du médecin, puisque c'est celui qui détient le savoir, et donc le pouvoir.
Le pouvoir de soigner certes, de guérir quelquefois, de contraindre…malheureusement. Car le refus de soins exprimé par un patient est mal vécu par le soignant. Pour les membres de l’équipe mobile de soins palliatifs des hôpitaux de Strasbourg c’est une situation violente qui pourra déboucher sur trois de types de comportements : soit une ignorance pure et simple de la situation (« qui n'a pas lieu d'exister »), soit une culpabilité et une peur « à l'origine de comportements réactionnels à leur tour violents », soit un questionnement « inconfortable » mais salutaire à propos du patient, de soi-même et de l'équipe soignante.
Cette remise en question de notre capacité de convaincre, d’expliquer nous renvoie à notre impuissance face à la mort. Et la réaction face à cette impuissante est souvent la colère. Pas seulement parce que nous n’avons pas le pouvoir mais aussi parce que nous ne pourrons jamais vaincre la mort, ni la nôtre, ni celle de ceux que nous aimons ou / et que nous soignons. Alors face à cette colère qui nous envahit nous nous réfugions trop souvent encore derrière les gestes purement techniques. Il nous faut faire quelque chose à tout prix. Et ce prix est bien lourd pour le patient devenu objet de soins…et donc de nouveau « maîtrisable ».

Renforcer la compétence:
De quelle liberté parle-t-on quand nous nous retrouvons dans l’angoisse de la maladie ? Nous pouvons craindre que cette liberté ne soit vécue comme la dernière encore possible. Devant la difficulté de compréhension des actes médicaux de plus en plus techniques le patient est-il vraiment à même de prendre une décision. A ce questionnement le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) relève que « la complexité accrue des propositions thérapeutiques et une plus grande autonomie de décision reconnue aux personnes malades (loi du 4 mars 2002) dans le domaine des soins médicaux ont abouti à ce que le consentement du malade ne soit plus simplement implicite, mais doive être explicité, avec pour corrélat une plus grande attention portée à sa parole, fut-elle hostile à une proposition médicale » (avis n° 87 « Refus de traitement et autonomie de la personne »)
Les grands mots (maux ?) sont lâchés : la plus grande attention à la parole du malade. Comment faire pour porter cette attention quand le temps imparti aux consultations et aux soins est de plus en plus dicté par le financier ? Car il est évident que pour qu’il y ait liberté et compréhension il faut du temps. Le temps indispensable à la confiance. Celle du patient envers son médecin mais aussi celle du soignant vis-à-vis de « son » médecin. C’est avec le temps que l’on peut exprimer ses peurs, ses doutes, son vécu.
Pour Maître Mario Stasi avocat à la cour d'appel de Paris et rapporteur de l'avis du Ccne, nous ne sommes pas objet de soin, mais sujet de soin : ce n'est plus le médecin et son savoir qui est au centre de la relation, c'est le patient et sa maladie. La relation de confiance est fondamentale entre le médecin et son patient. Le premier devoir d'effort de dialogue et de compréhension part du médecin, puisque c'est celui qui détient le savoir, et donc le pouvoir.
Le pouvoir de soigner certes, de guérir quelquefois, de contraindre…malheureusement. Car le refus de soins exprimé par un patient est mal vécu par le soignant. Pour les membres de l’équipe mobile de soins palliatifs des hôpitaux de Strasbourg c’est une situation violente qui pourra déboucher sur trois de types de comportements : soit une ignorance pure et simple de la situation (« qui n'a pas lieu d'exister »), soit une culpabilité et une peur « à l'origine de comportements réactionnels à leur tour violents », soit un questionnement « inconfortable » mais salutaire à propos du patient, de soi-même et de l'équipe soignante.
Cette remise en question de notre capacité de convaincre, d’expliquer nous renvoie à notre impuissance face à la mort. Et la réaction face à cette impuissante est souvent la colère. Pas seulement parce que nous n’avons pas le pouvoir mais aussi parce que nous ne pourrons jamais vaincre la mort, ni la nôtre, ni celle de ceux que nous aimons ou / et que nous soignons. Alors face à cette colère qui nous envahit nous nous réfugions trop souvent encore derrière les gestes purement techniques. Il nous faut faire quelque chose à tout prix. Et ce prix est bien lourd pour le patient devenu objet de soins…et donc de nouveau « maîtrisable ».

l'os court : « Ce n'est pas que j'ai peur de mourir mais je préfère ne pas être là quand ça arrivera. » Woody Allen


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Lettre d'Expression médicale n°422
Hebdomadaire francophone de santé
14 novembre 2005

Le harcelé et son médecin

Docteur François-Marie Michaut

Pour une fois, mettons au premier rang la personne qui vient de fermer l’huis, ou la porte si vous voulez, du cabinet médical. Le médecin n’est, dans ce huis-clos, que le second humain. Second, ce choix de mot n’est pas secondaire : car, soumis au secret, il ne devrait jamais être autre chose que le deuxième et dernier intervenant de cet acte médical. Notre consultant, qu’importe son sexe, son âge ou son statut social, est là pour éclairer son médecin sur ce qui lui arrive. Il raconte sa maladie à lui, avec ses mots, avec ses explications à lui, avec ses croyances et ses convictions. Tout praticien en formation a reçu en pleine figure l’avalanche de mots du patient hospitalisé dont il est chargé de rédiger la sacro-sainte “ observation”. Que faire de ce fatras, comment retrouver au milieu de tout cela les symptômes des maladies qui lui ont été enseignées ? Et bien, c’est tellement difficile de décrypter dans ces paroles ce qui est médicalement significatif que la tentation de considérer la parole du patient comme sans valeur médicale est extrêmement forte. On comprend ainsi que les jeunes blouses blanches bâclent le plus vite possible la partie de l’examen du patient nommée sur le modèle policier “ interrogatoire” et se précipitent sur les examens de laboratoire, les enregistrements mécaniques et les images multiples.

Retrouver la confiance:
Dans le cabinet, le même malentendu, en fait le véritable mal entendu, voir le pas entendu du tout, se poursuit. Tout se passe comme si le boulot du médecin était de traduire en termes médicaux ce qui lui est dit. Une gène respiratoire devient une dyspnée et une fatigue une asthénie. La méthode est ancienne et a fait ses preuves. Souvenons-nous de notre Molière et de son célèbre : “ Le poumon, le poumon vous dis-je “ . Elle a aussi ses limites. Sa limite de validité devient celle de la personne même du malade. Dès qu’un tiers est mis en cause, par exemple : “ Le comportement de mon mari me rend malade ; depuis que ma fille est partie, je ne dors plus ; j’en ai plein le dos de mon patron etc...”. Pour le médecin, il n’y a là que métaphores au mieux, simples bavardages insignifiants ( dépourvus de sens) le plus souvent. Gigantesque incompréhension : le patient, en toute confiance, dit à son médecin sa conviction que quelqu’un le rend malade. Le médecin ne tient aucun compte de ce qui lui est confié, sinon par une attitude compatissante plus ou moins sincère. Son objectif est ailleurs. Il doit, pense-t-il, se contenter d’établir le diagnostic le plus précis possible des anomalies de fonctionnement de son patient, afin de pouvoir le soigner au mieux de ses connaissances. Quand il n’est pas spécialiste et se contente alors d’explorer les seuls organes de son champ d’exercice médical.

Restaurer la conscience
Alors, quand un sujet déballe à son médecin une histoire dans laquelle ce sont les conditions psychologiques de son travail qui nuisent à son état de santé, on a toutes les chances d’aboutir à une impasse totale. Le médecin fait le bilan de l’état du consultant, et relève une hypertension artérielle, une lombalgie chronique, une anxiété invalidante ou un état dépressif caractérisé. Mais il ne va généralement pas au delà. Il traite chaque symptôme comme il doit le faire, y compris par la prescription d’un arrêt de travail pour maladie. A-t-il alors clairement conscience qu’il enferme ainsi le sujet dans un statut de malade ( hypertendu, lombalgique, névrosé ou dépressif, par exemple) ? A-t-il alors clairement conscience qu’en négligeant la responsabilité d’un tiers dans le déclenchement des troubles ainsi traités, il impose à l’ensemble de la population - dont le patient lui-même- de payer par leurs cotisations les dégâts causés par un collègue de travail ? A-t-il pris le temps de réfléchir que dans ce cas, il s’agit d’un véritable accident du travail, qu’il devrait déclarer comme tel. Avec toute la prudence nécessaire, comme on le fait pour les certificats de coups et blessures, cela va de soi. Le médecin ne peut certifier que les dires du patient. En apporter la preuve auprès de quiconque n’est pas de son domaine, mais de celui des assureurs.

Renforcer la compétence:
Dans ce cas de figure, c’est la compétence même des soignants qui est en cause. Ce qui se nomme harcèlement moral en France, mobbing chez les anglo-saxons, harcèlement psychologique au Canada est un cas typique de pathologie systémique.
Il est donc inconnu des médecins, qui ne sont pas du tout formés à cette dimension des questions de santé. Le harcèlement moral n’est encore, malgré les remarquables travaux de vulgarisation de Françoise Hirigoyen ( et quelques autres ), qu’un sujet journalistique plus ou moins à la mode. Faut-il attendre que les vénérables responsables de l’enseignement médical finissent par prendre conscience de l’insuffisance de notre cadre actuel d’observation des questions de santé ? Ce sont les malades mal traités - voir maltraités- qui font tous les jours les frais de l’étroitesse de notre vision médicale. Le harcèlement moral au travail concernerait en Europe près de 8% des salariés. L’histoire a montré, heureusement, que des médecins étaient tout à fait capables de contraindre leurs institutions à évoluer en osant suivre leur voie personnelle. D’abord forcément minoritaires, méprisés et ignorés, ces pionniers ont fini par convaincre toute une profession. Souvenons-nous de ce modeste médecin de la Creuse profonde qui eut le culot le premier d’injecter le vaccin antirabique du chimiste et non médecin Pasteur. Souvenons-nous de celui qui eut l’audace incroyable de contraindre les élites médicales à se laver les mains après une autopsie avant d’accoucher une femme. Ce qui se fit dans les siècles précédents, rien n’empêche que cela ne se renouvelle de nos jours. Monsieur Bill Gates nous a prouvé ces dernières années que le temps des grandes aventures de la connaissance pouvait encore être le fait d’une personne et non d’un groupe, comme on nous le fait croire si volontiers. La personne n’est pas morte, personne n’a le droit de nous dire que le travail de groupe peut dans tous les cas la remplacer.


NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal pour le faire, il ne faut vraiment pas s'en priver, ami lecteur. Si ce texte vous touche, vous plait, vous déplait ou vous semble mériter telle ou telle réponse, d'un simple clic sur la photo de l'auteur et un courrier électronique de votre part lui parviendra. FMM, webmestre.

l'os court : « Vous connaissez la différence entre Dieu et un médecin ? Dieu ne se prend pas pour un médecin. »
WBlague citée par Martin Winkler, médecin et écrivain


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Lettre d'Expression médicale n°423
Hebdomadaire francophone de santé
21 novembre 2005

Excès thérapeutiques

Docteur Gabriel Nahmani

Françoise Dencuff a écrit dans le débat sur la LEM 421 : " pour le médecin généraliste, isolé…dans la Creuse ( ou en Meuse, pourquoi pas ?), pas simple de partager. D’autant que ce n’est guère dans la culture médicale, ni dans notre formation. Le refus de soins étant vécu comme un échec nous avons peur du regard de nos confrères "

Retrouver la confiance:
J'ai connu quelques " échecs" en 36 ans de pratique, je ne les ai jamais considérés comme tels, ayant rapidement admis et partagé la lassitude profonde des patients…et l'incongruité des excès techniques et thérapeutiques que je risquais de leur faire infliger, en pure perte souvent: le médecin devrait sentir d'emblée quand il doit se comporter en aidant- accompagnant, plus qu'en technicien souvent imparfait.
Paroles, gestes et regards sont souvent plus efficaces que dosages savants et prescriptions compliquées. A quoi a servi de faire transporter le vieux Léon, 85 ans, victime d'un accident vasculaire cérébral, en hélico vers le centre de neurochirurgie de Reims pour apprendre sa mort survenu pendant le trajet ?
Des perfusions de plusieurs millions d'unités d'une Pénicilline ancienne parce que le vieillard présente une température élevée alors qu'il est plongé dans un coma profond et que sa fièvre est d'origine centrale et non infectieuse…

Restaurer la conscience
Comment agir quand, médecin traitant, on ne peut infléchir l'ardeur médicale de certains soignants hospitaliers pour lesquels il FAUT SOIGNER D'ABORD, même quand le patient est finissant, épuisé, meurtri par la maladie et par les soins imposés et ne peut ou ne sait refuser et que les familles, hagardes, épuisées elles aussi, ne savent que manifester un respect inapproprié et veule devant les médecins du service.
En pratique individuelle, cela paraît plus facile ( encore que rare): le patient doit savoir ce qu'il a, comprendre ce qu'il encourt s'il refuse, le médecin doit alors respecter son désir…et rester quand même là, (à défaut d'être las) aidant - accompagnant, et peu importe alors le regard des confrères et de la maréchaussée vertueuse: c'est vraiment dans de telles situations que se justifie l'axiome " dialogue singulier entre deux consciences ": toi et moi seulement, je te donne ma confiance, fais-en sorte de la mériter pour que je te respecte, docteur…".

Renforcer la compétence:
Donc, idéalement, quand l'avis du malade réussit à s'imposer, se contenter des seuls soins indispensables: nursing surtout, antalgie efficace, et surtout pas de zèle thérapeutique comme le laisse entendre l'arrêt du 26/10/2001 " « La volonté du patient peut être méconnue à la triple condition : qu'un acte médical soit indispensable à sa survie, que cet acte soit proportionné à son état et réalisé avec l'intention de le sauver. »
Vous avez dit " SURVIE " ? Le Survitrage est généralement supérieur au Vitrage, la Survie est-elle toujours souhaitable…et souhaitée par le patient et son entourage direct ? Pourquoi et au nom de quelle éthique le législateur décide-t-il de méconnaître la volonté du malade ? Que chaque médecin et chaque politique, juriste ou autre se pose honnêtement la question: " que souhaiterais-je vraiment pour moi, le moment venu, si j'ai toute ma lucidité ?"
Le malade subit longtemps le pouvoir médical, qu'on lui laisse, ENFIN, à la fin, le choix final, me semble…JUSTE. François Jacob l'avait remarquablement écrit: "…si l'on n'est pas responsable de sa naissance, on l'est d'une certaine manière de sa mort. Ce que l'on ne peut oublier,
c'est la peur d'avoir peur,
c'est le DÉGOÛT de devenir dégoûtant,
l'impuissance à éviter l'impotence,
et aussi la terreur
d'être dominé comme un enfant,
de se faire manipuler,
la hantise de devenir autre que ce que l'on est, de penser différemment et même de ne plus penser du tout.
Et puis le cauchemar d'avoir à subir, d'être agi sans pouvoir réagir, ni s'expliquer, ni même demander , Bref, " le spectre du végétal "
Est-ce cela que proposent les signataires de l'arrêt du 26/10/2001 ?

l'os court : « Ô Seigneur - Soigneur, laissez-nous nous endormir du sommeil de la Terre»
Gabriel, PCC Vigny