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N°440 à 446
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Lettre d'Expression médicale n°440
Hebdomadaire francophone de santé
20 mars 2006

Délinquance, rééducation et psychothérapie au berceau

Nicole Bétrencourt

Peut-on lutter contre la délinquance par la médicalisation du très jeune enfant ? Certains acteurs du champ de la santé n'en sont pas convaincus.  Les professionnels de l'enfance des  PMI ( protection maternelle et infantile), de la médecine scolaire, de la pédopsychiatrie, de la pédiatrie et de la  psychologie font circuler, depuis plusieurs semaines,  la pétition « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » qui a déjà recueilli plus de 61 000 signatures. En réponse au rapport de l'INSERM(1) sur le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent, assorti d’un programme de prévention.

Retrouver la confiance:
Dans la pétition,  certains points du rapport de l'INSERM susceptibles d'annoncer un parcours vers la délinquance, ont été mis en exergue.  Les professionnels de la petite enfance  sont invités à repérer des facteurs prénataux et périnataux ( pré-berceau  et berceau ), génétiques, environnementaux liés au tempérament et à la personnalité . Chez ces jeunes enfants, déceler le plus vite possible la froideur affective, les manipulateurs précoces, le cynisme. Dépister dès 36 mois (traduire 3 ans),  l'indocilité, l'hétéroagressivité, le faible contrôle émotionnel, l'indice de moralité bas.   « Faudra-t-il dénicher à la crèche les voleurs de cube ou les babilleurs mythomanes?» est l’interrogation de ces professionnels de l’enfance. La moindre bêtise de l'enfant risque d'être interprétée comme l'expression d'une personnalité pathologique évoluant vers un comportement antisocial. Dans le rapport de l'INSERM,  des solutions associant rééducation et psychothérapie sont proposées pour venir à bout des têtes fortes. Et après ce délai de grâce de la prime enfance,  à partir de 6 ans, pourquoi ne pas recourir aux médicaments, psychostimulants, thymorégulateurs? 
L’objectif des signataires de la pétition «pas de zéro de conduite»  est d’être entendu des pouvoirs publics car ils craignent un amalgame entre le repérage des facteurs de risques mis en relief dans l’expertise collective de l’INSERM et la répression réclamée par le Syndicat des commissaires de police depuis quelques années. Ils ne sont pas les seuls. A l'INSERM même, on s'inquiète d'un éventuel détournement de ce rapport car les ministères de l'intérieur et de la santé s'appuient sur cette expertise collective.
Déjà, en  décembre 2003, dans un avant-projet de loi de la prévention de la délinquance, il était écrit que « Plus tôt les enfants sont pris en charge, moins ils auront à l'adolescence des attitudes autodestructrices ou agressives pouvant amener à la délinquance.» La crise des banlieues qui marqua la fin de l’automne 2005 n’avait pas encore éclaté. 

Restaurer la conscience
D'autres reproches fusent sur le rapport de l'INSERM comme celui d’être trop médical, pas assez pluridisciplinaire et d’avoir fait l’impasse sur le côté multi-factoriel du trouble mental.  L'un des experts du rapport, le sociologue Laurent Mucchielli qui a longtemps étudié les conditions économiques et sociales qui favorisent l'émergence du trouble des conduites, a constaté que ses remarques n'avaient pas été écoutées.
Depuis sa sortie, la polémique fait rage dans la presse. La revue l'École des parents s'inquiète d'une éventuelle connotation médicale ou policière de cette expertise collective. Des parents craignent que l'on en vienne à leur enlever la garde de leurs enfants s'ils refusent de les psychiatriser, de les droguer comme aux États Unis en toute légalité avec de  la Ritaline. 
Si l’expertise collective de l’INSERM sur le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent a ses détracteurs, elle a aussi ses partisans. En commençant par Jeanne Étienne, la biologiste qui a dirigé le comité d'experts de l'INSERM, qui s'étonne des réactions parues dans la presse et de la polémique engendrée par la publication du rapport. D'autres pédopsychiatres lui emboîtent le pas et sont favorables à une détection précoce du trouble des conduites. Tous les jours, ils sont confrontés  à des enfants qui sont en opposition perpétuelle, qui tapent, qui mordent qui ont des difficultés d'apprentissage, « qui ont la tête explosée » parce qu'ils regardent la télévision dès le réveil, qui renversent leur bureau en cinq minutes, qui font preuve d'incivilité et insultent leurs professeurs. Pour Michel Dubec,  on en serait  à la troisième génération du trouble des comportements dans certaines familles-femmes et enfants battus, en Seine-Saint-Denis. 
Certains résultats de l’expertise de l’INSERM ne sont pas à prendre à la légère. Ainsi, les  personnalités antisociales ont des antécédents de trouble des conduites.  Et le risque d'évoluer pour l'enfant  atteint d'un trouble des conduites vers un trouble de la personnalité antisociale est statiquement de 50 %. Le trouble des conduites est souvent associé lui même à d'autres troubles mentaux comme le TDHA ( trouble du déficit de l'attention et de l'hyperactivité), le TOP (trouble oppositionnel avec provocation), les dépressions déclinées sous diverses formes, les stress post-traumatiques.   Sans omettre l'inévitable facteur de risque de conduites de toxicomanie: cannabis, psychoactifs, alcool et tabagisme, etc. Les conduites à risque et l'âge de la mère justifieraient la surveillance médicale des relations synergiques entre l’enfant et la mère. 
Pourquoi le rapport de l’INSERM suscite-t-il tant de remous et d'inquiétudes?
Son but est de situer « le trouble des conduites au sein du phénomène social qu'est la délinquance. Ce dernier est un concept légal dont les limites dépendent en grande partie des changements des pratiques policières ou judiciaires. »  Il étudie le comportement antisocial qui caractérise les troubles des conduites et qui peut signifier acte de délinquance. Un adolescent qui brûle des voitures et saccage des écoles n'est pas nécessairement atteint d'un trouble des conduites. Jeux de mots ou sémantique qui dédouane ce rapport idéologiquement?  Mais où est la frontière entre la délinquance et le trouble des conduites? 
Dans cette expertise,  tous les champs de la vie de l'enfant et de son entourage familial et social sont passés au crible. La synthèse a été réalisée à force de résultats des nombreuses enquêtes, à  dominante psycho-biologique, l’inclusion d'études comportementalistes avec des animaux de laboratoire qui auraient la faveur d’Ivan Pavlov (1849-1936), l'ami des chiens et de Burrus.F Skinner (1904-1990), l'inventeur du behaviorisme radical et l'ami des pigeons. 

Renforcer la compétence:
Selon certains commentateurs, les acteurs de la santé  auraient du mal à se faire à l'étiquetage des symptômes qu'on pratique couramment chez les anglo-saxons sous le nom de  DSM IV (2) et utilisé dans le rapport de l'INSERM. Et l'on sait que la France est très attachée à la  psychanalyse. Pour beaucoup de professionnels, le trouble se soigne aussi avec du social, ce qui est contraire à l'esprit du rapport qui favorise  "le tempérament et la personnalité".  Force de constater que le rapport de l'INSERM  a délaissé l’étude des facteurs environnementaux dans la compréhension du trouble des  conduites et des comportements délinquants (sic) et innove par celui de « l'étude de la personnalité et du tempérament»,  en vigueur dans les pays anglo-saxons.
Les programmes de prévention du trouble des conduites, ceux qui auraient faits leurs preuves au niveau international, portent tous des noms anglo-saxons.  Les programmes "Elmira Visitation" pour les enfants de 0 à 2 ans, et le "Perry Preschool Study /Preschool Curriculum Comparison Study" pour les autres de 3-4 ans, sont-ils adaptables aux mentalités françaises et applicables sur le terrain ?  Même si la France pèche par une absence de littérature scientifique relative à la prévention du trouble des conduites ou de la violence, cela ne veut pas dire qu'elle n'a pas d'idées et qu'elle se révèle incapable d'élaborer démocratiquement ses solutions.
Mais pourquoi parler de dépistage des troubles de la conduite quand il faut neuf mois pour obtenir un rendez-vous dans un CMP (centre médico-psychologique), douze pour une consultation sur l’hyperactivité à l’hôpital Debré ? Le risque zéro de créer un ghetto psychiatrique pour certains enfants et adolescents  est-il vraiment écarté? 
Sources:
INSERM: expertise collective Trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent:
http://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble_conduites/trouble_conduites_synthese.pdf
Pétition « Pas de zéro de conduite»:
http://www.pasde0deconduite.ras.eu.org/
  Le Nouvel Observateur n°2138, semaine du jeudi 27 octobre 2005.
 Les enfants terribles, Anne Fohr, Gérard Petitjean:
http://www.nouvelobs.com/articles/p2138/a284514.html
Le quotidien du médecin, 26 février 2006, Une pétition des professionnels de
 l?enfance, Non à la traque du trouble des conduites à de fins d?ordre public, Philippe
Roy:
http://www.quotimed.com/journal/index.cfm?fuseaction=viewarticle&Dartidx=363859&dnews=169599&Newsid=20060222
(1) INSERM : l’ institut national de la santé et de la recherche médicale est en France l’organisme d’Etat qui a le monopole de la recherche publique. NDLR
(2) DSMIV : 4ème édition d’un système américain de recueil de symptômes psychiatriques fondé sur la seule description, et à but essentiellement statistico scientifique et non diagnostique comme on le croit trop souvent. NDLR

l'os court : « « Enfant : fruit qu’on fit.» Léo Campion


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Lettre d'Expression médicale n°441
Hebdomadaire francophone de santé
27 mars 2006

Grand messe médiatique

Guy Rouquet

C’est bien volontiers que je donne suite à la proposition de François-Marie Michaut me demandant de faire part de ce que j’ai ressenti et éprouvé lors de la grande « messe médiatique » (sic) de « C dans l’ans l’air » (France 5) célébrée par Yves Calvi, à laquelle j’ai été convié à participer ce vendredi 10 mars, en ma qualité de président de Psychothérapie Vigilance, aux côtés de Christophe André, médecin psychiatre à l'hôpital Sainte-Anne, spécialiste des troubles anxieux et dépressifs, et enseignant en psychologie à l'université Paris-X, de Jean Cottraux, médecin psychiatre, directeur de l'unité de traitement de l'anxiété de l'hôpital neurologique au CHU de Lyon et enseignant à l'université de Lyon-I dans le cadre du diplôme de thérapie comportementale et cognitive, et de Philippe Grimbert, psychanalyste et écrivain, qui travaille aussi bien dans des institutions spécialisées que dans le privé.

Retrouver la confiance:
Ceci tout d’abord : un accueil particulièrement attentif, un grand professionnalisme, une belle qualité d’écoute, le souci manifeste de donner à chacun la possibilité d’exprimer son point de vue. D’où l’entente cordiale qui a prévalu sur le plateau alors que la polémique était annoncée par le titre quelque peu belliqueux de l’émission « La guerre des psy ». Bref, « C dans l’air » est une émission rare par les temps qui courent, où, sacrifiant au dieu Audimat, certains animateurs et journalistes jettent de l’huile sur le feu après avoir soufflé sur les braises.

Restaurer la conscience
Yves Calvi a cherché à clarifier le débat en s’appliquant à dégager quelques pistes pour le téléspectateur. Il sait que ce dernier ne sait plus trop à quel saint se vouer quand, à la recherche de son « âme » ou en quête d’un bon Samaritain, il s’avance au milieu des innombrables chapelles qui peuplent le champ psy. Donner des balises, des points de repère, faire preuve de pédagogie, telle était son ambition.
Je pense que chacun a pu dire ce qu’il avait à dire, même si, bien évidemment, j’aurais aimé disposer d’un peu plus de temps pour donner d’autres éclairages, réagir à certains propos, notamment au début de l’émission.
Ce que j’ai pu faire passer, et dont je suis heureux, car le sujet est préoccupant : il existe des psychotechniques – comme le rebirth – en mesure d’induire ou incruster de faux souvenirs, dont beaucoup liés à des abus sexuels incestueux. Le carré psy est une illusion, l’œuvre de psychothérapeutes autoproclamés ou auto-référents qui ont intérêt à faire exister le vocable « psy » alors qu’ils n’ont aucune formation en psychologie, en psychopathologie, en médecine. Il existe des « prédateurs du transfert ». Les encarts publicitaires de Psychologies Magazine ne doivent pas être pris au sérieux : leur finalité est uniquement commerciale.

Renforcer la compétence:
J’ai beaucoup apprécié que Yves Calvi mentionne clairement, et à diverses reprises, l’existence de Psychothérapie Vigilance en signalant son site : www.PsyVig.com . Cela nous a valu d’ailleurs de très nombreuses connections nouvelles durant le week-end écoulé, avec plusieurs témoignages et demandes diverses de conseils ou d’informations.
J’observe que les propos que j’ai tenus n’ont été contestés ni démentis par quiconque, bien au contraire. C’était très important : pour l’association comme les victimes de thérapies déviantes, abusives et psychosectaires au service desquelles elle s’est mise.
Voilà… « La grand messe » est finie. On a pu y entendre s’exprimer la voix des victimes. C’était l’essentiel.

l'os court : « Psychanalyse : un examen où on est sûr de se faire étendre.» Robert Scipion


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Lettre d'Expression médicale n°442
Hebdomadaire francophone de santé
3 avril 2006

Homo precarius

Dr. François-Marie Michaut

Non à la précarité a été l’un des grands slogans de nos jeunes, et moins jeunes, défilant en cortèges dans nos cités pour manifester. Que voilà une bonne raison de nous poser quelques questions pour tenter de comprendre autrement ce qui se passe qu’en se contraignant à adopter le point de vue des contre ou celui des pour telle mesure légale de notre vie sociale et professionnelle ( qu’en vérité on oubliera en quelques mois).

Retrouver la confiance:
Fidèles à une pratique courante à Exmed, commençons par passer sous la loupe grossissante de l’étymologie le fameux mot, chargé dans tous les discours des pires maux, de précarité. Notre dictionnaire de J.Dubois, H. Mitterand et A. Dauzat est formel. Il s’agit au départ d’une notion juridique exprimée par le latin precarius. Ce qui veut dire : “obtenu par prières” ( prex). Le fruit de l’aumône, en quelque sorte. Puis, peu à peu, s’est dégagée la notion de révocation. Celui qui donne pour répondre à une demande peut, un beau jour, décider qu’il ne donne plus. Ce type de situation est le quotidien de ceux qui font la manche. En médecine, parlons clair, un état de santé précaire ne laisse guère de doute : la mort est au coin de la rue.

Restaurer la conscience
Et voilà, le gros mot absolu, celui qu’il ne faut surtout pas prononcer, est là. La mort rôde dans tout ce qui est précaire, voilà ce que nous pensons volontiers. Et, à l’inverse, la stabilité est, pour la multitude, une véritable assurance vie. Sept sur dix de nos étudiants, dit-on, ont pour projet de travailler dans la fonction publique en France. La “vraie vie”, la bonne vie, c’est donc celle ou l’on bénéficie d’un emploi à vie, suivi d’une retraite précoce garantie par l’Etat ? Une vie sociale stable pour pouvoir vivre en oubliant le plus possible ce qui nous chagrine tellement. Notre vie elle-même n’est qu’un bien court sursis, si terriblement précaire.

Renforcer la compétence:
Si notre course épuisante pour oublier que la mort nous attend voulait bien cesser, juste un petit moment, nous pourrions ouvrir les yeux sur ce qui se passe en nous et autour de nous. Nous aurions alors le plus grand mal à trouver quoi que ce soit qui ne soit pas précaire, de nos cellules constituantes aux montagnes que notre courte vision ne nous permet pas de voir se transformer. Étrangement, pas de vie animale, végétale, minérale ou cosmique possible sans mouvement, sans ruptures, sans changement, sans mort. Autrement dit, tout est précaire à qui veut bien voir. A une seule exception : ce qui est déjà mort. Finalement, n’aurions-nous pas tendance, avec la louable intention de rendre notre vie plus facile et plus aisée, à nous condamner à un univers placé sous le signe de la mort ?
La notion de société suicidaire correspondrait-elle par hasard à une réalité dans laquelle nous nous complaisons avec notre obsession de nous libérer de toutes les précarités ? A moins que notre vieux et excellent clinicien Freud, si mis à mal en ce moment, n’ait eu une géniale intuition en parlant de notre pulsion de mort ? Homo precarius, voici ce que nous sommes en vérité du début à la fin de notre vie.

l'os court : « L’homme n’est que poussière, d’où l’importance du plumeau.» Alexandre Vialatte


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Lettre d'Expression médicale n°443
Hebdomadaire francophone de santé
10 avril 2006

« Bon » médecin

Dr. Gabriel Nahmani

Un bon docteur est humain et respectueux. Les manières d’un médecin comptent plus que ses compétences médicales. Selon la source : Paris, le 23/03/06. LJS.com
Avec l’obligation d’avoir un médecin traitant décidée par la dernière réforme de l’Assurance maladie, les Français ont été confrontés à un choix difficile : trouver la perle rare qui sait non seulement poser le bon diagnostic (c’est le minimum) mais aussi rassurer, écouter, comprendre et respecter ses patients. Parce que les manières du médecin comptent tout autant que son savoir.
Et même plus si on en croit une étude américaine qui vient de paraître dans le journal Mayo Clinic Proceedings.

Retrouver la confiance:
Le Dr Neeli Bendapudi de l’université de l’état de l’Ohio à Colombus et son équipe ont interviewé par téléphone 192 personnes pendant 20 à 50 minutes pour en savoir plus sur les relations patients- médecins. Puis ils ont compilé leurs données pour lister et valider 7 thèmes comportementaux importants selon les patients. Les chercheurs ont pu ainsi dresser le portrait du médecin idéal : il est digne de confiance, empathique, humain, personnel, direct, respectueux et complet (il suit le patient du début jusqu’à la fin).

Restaurer la conscience
On pourrait ajouter, Exmédiens amis, que si, en plus de ces qualités ( rarement réunies en ces temps troublés), s'ajoutait la beauté physique, alors, là, ce serait trop, et pas comme quand Brel chantait " beau, beau, beau, beau et CON à la fois ".
Mais les patients dressant ainsi le portrait du médecin idéal sont-ils eux-mêmes nantis des mêmes qualités, sont-ils respectueux du temps de travail de ce médecin, de ses angoisses secrètes ( échec, erreur…), de sa fatigue, des gardes de week-end et de nuit ? le médecin, comme n'importe quel professionnel très sollicité, a, plus que d'autres, droit à la fatigue, à l'usure, au sommeil, il a le droit d'être incommodé (comme je le fus longtemps et très souvent) par des odeurs corporelles ou ménagères écœurantes ( tabagie, chiens puants, aisselles aux " fragrances " suspectes, sans parler de celles des organes qui nous permettent de marcher, il a le droit d'être heurté par un langage vulgaire, par des manières brutales, par des tenues négligées.

Renforcer la compétence:
Patients et médecins traitants ont, réunis dans la même quête, le droit aussi de dresser le portrait idéal de la Société qui les manipule: les Ministres de la santé, les organismes dits de Sécurité sociale, les multitudes de règlements de plus en plus contraignants et interdictions
multiples qui font douter de la LIBERTÉ chérie dont on nous rebat les oreilles depuis 1789. Amis exmédiens, patients présents ou à venir, membres des professions de santé, devons-nous essayer de dresser le tableau idéal, illusoire, de ce que nous souhaiterions ?
Un seul mot pourrait suffire: Le RESPECT des autres.

l'os court : « Le mot « bon » peut avoir plusieurs sens. Par exemple, si un type tue sa grand-mère avec une carabine à une distance de cinq cents yards, je dirai que c’est un « bon » tireur, mais certainement pas un « bon » petit-fils. » Gilbert K. Chesterton


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Lettre d'Expression médicale n°444
Hebdomadaire francophone de santé
17 avril 2006

Il y a un an, Jacques Blais se taisait

Dr. François-Marie Michaut

C’est le 23 avril 2005 que notre complice Jacques Blais fut contraint au silence par une maladie imparable. Ou, plus exactement, par les suites fatales d’une intervention chirurgicale qui était absolument indispensable. Quand j’écris complice, ce n’est pas un effet de style. Depuis nos premiers pas balbutiants en janvier 1997, il a toujours été là, disponible et disposé à mettre sa plume au service des valeurs auxquelles il croyait fermement.

Retrouver la confiance:
Quand, rituellement, au cours de ces plus de quatre cents lettres hebdomadaires, je retrouve les intertitres de nos LEM : Retrouver la confiance, Restaurer la conscience, Renforcer la compétence, je pense à lui qui sut les inventer. Et, avec sa douceur habituelle, les imposer en insistant sur le fait que les messages importants doivent absolument être répétés pour finir par entrer dans les esprits, et mieux encore, dans les coeurs. Bien entendu, la question de leur pertinence se pose de temps en temps. Car, ici n’est la place de nul fétichisme, de nul culte de la personnalité, de nulle hagiographie. Les injonctions de Jacques Blais n’ont pas pris une ride, elles demeurent toujours un cadre conceptuel indispensable.

Restaurer la conscience
Quand, au cours des dernières semaines, nous avons abordé ici l’état de délabrement de la formation des médecins généralistes en France, la figure de Jacques Blais me venait encore à l’esprit. Lui le médecin généraliste hyperactif d’une banlieue ouvrière défavorisée, il trouvait encore le temps d’organiser et d’animer bénévolement pour ses confrères de multiples réunions de perfectionnement post-universitaire. Sans jamais faire de bruit ni se mettre en avant, en servant volontiers de faire-valoir à des tenors de la médecine de pointe, il a été un des pionniers parfaitement désintéressés de la participation des médecins généralistes à l’enseignement des étudiants en médecine à la faculté de Paris-Ouest. Il a aussi eu à coeur de recevoir à son cabinet des étudiants en stage pratique.

Renforcer la compétence:
Toujours présent sur tous les fronts, il fut un des seuls et rares médecins généralistes à oser utiliser sa plume pour écrire dans des revues médicales. Jamais pour régler des comptes, jamais pour assurer sa propre promotion, toujours pour tenter de faire comprendre la valeur exceptionnelle de cette médecine qu’il aimait avec passion. Médecine de l’homme, médecine de la relation à l’autre, médecine de l’écoute. Combien de LEM nous a-t-il écrit ! Parfois dans la précipitation, en véritables rafales, comme s’il avait un besoin urgent de s’exprimer. Ou comme s’il savait mystérieusement que ses jours étaient comptés. Parfois, il fut difficile à la rédaction de suivre son rythme de production. En même temps nous parvinrent ses voyages insolites, ses poèmes, ses pièces de théâtre. Et notre infatigable écriveur n’était jamais fatigué, toujours prêt à échanger en privé avec l’un ou l’autre des amis d’Exmed. Quand nous avons décidé en 2002 de publier notre Coup d’Oeil du jour, il en fut encore un artisan enthousiaste, épluchant la presse médicale pour en extraire le sujet de ses papiers.
Voilà qui fut Jacques Blais pour Exmed. Il a vraiment beaucoup semé pour nous tous, même si nous ne l’avons pas connu, même si nos échanges ont été très principalement écrits. Oui, écrits, d’abord à la main, avec notre écriture de médecins à nous deux, rude à lire. Jusqu’au jour, où, pour développer notre lettre d’expression médicale nous avons été contraints de nous mettre à l’informatique et à l’internet. Alors, réjouissons-nous que le monde virtuel de la Toile, à travers ce site, conserve une grande partie de ce que Jacques Blais a écrit pour nous tous encore plus que pour lui. Voilà pourquoi, il continue, et continuera à figurer dans la page de présentation de la rédaction. Scripta manent , les écrits restent.

l'os court : « Un poète est un monsieur qui s’efforce de saisir l’eau par poignées. C’est seulement s’il y parvient que ce monsieur est un poète. » Henri Jeanson


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Lettre d'Expression médicale n°445
Hebdomadaire francophone de santé
24 avril 2006

Résister

Dr. Françoise Dencuff

Il est parfois étrange de constater les synchronisations dans le temps. Un député, inconnu du grand public, ancien berger, engage sa vie et sa santé dans une résistance acharnée aux violences faites à ses administrés par le totalitarisme financier. Dans le même temps, je termine un ouvrage exceptionnel qui, s’il arrive à vaincre le politiquement et intellectuellement correct ambiant, est et sera une œuvre de référence : Un si fragile vernis d’humanité, Banalité du mal, banalité du bien , Michel Terstchenko aux éditions La Découverte.

Retrouver la confiance:
Depuis des décennies nous nous trouvons enfermés dans un débat sans fin entre les tenants de l’égoïsme psychologique et les partisans de l’altruisme sacrificiel. Pour faire simple entre les salauds et les saints.
Le paradigme égoïste soutenu par Hobbes ou La Rochefoucauld veut que les conduites véritablement altruistes n’existent pas ou du moins ne peuvent jamais être prouvées, tant les ressorts intimes de la motivation risquent de se révéler tôt ou tard de nature intéressée.
Alors comment comprendre les conduites effectives des millions de bénévoles et de donateurs… Les individus normaux et compatissants que nous sommes ne sont pas prêts au sacrifice absolu pour venir en aide à leur voisin. Pourtant des milliers d’actions généreuses et désintéressées sont mise en acte chaque jour.
De plus s’il est facile de montrer qu’il existe bel et bien un « sens moral » qui ne se réduit pas à la poursuite de ce qui est avantageux ou profitable… il reste à expliquer comment ces sentiments sont si peu capables, en certaines circonstances, d’opposer une résistance à des conduites humaines de destructivité qui, loin d’être le fait de psychopathes, sont le plus souvent le fait d’hommes ordinaires, nullement démunis d’un appareillage éthique susceptible de leur faire comprendre la nature criminelle de leurs actes…
On ne peut pas mettre les comportements destructeurs simplement sur le compte de l’égoïsme. Ce n’est pas la propension, la tendance naturelle à promouvoir ses intérêts, son plaisir ou son bonheur qui peut être ici le facteur explicatif pertinent mais une toute autre tendance et qui fait l’objet de manipulations multiples : la propension en certaines circonstances – cette nuance est capitale - à la docilité, à la servilité, à l’obéissance aveugle aux ordres, aux imprécations de l’idéologie, la propension à se conformer aux comportements du groupe et aux rôles qu’une institution totalitaire attend que vous jouiez. (cf. : La Soumission à l’autorité de Stanley Milgram et ses expériences sur l’obéissance passive à faire souffrir d’autres hommes).
Cette passivité prend d’ailleurs deux formes, l’une active d’obéissance aux ordres (ce que soutiennent toujours les tortionnaires pour leur défense… par exemple les soldats mis en cause à Abou Ghraib ou lors du procès de Nuremberg), l’autre : forme passive du témoin inactif.

Restaurer la conscience
Selon que nous sommes salauds (égoïste ou soumis) ou saints (prêts à tous les sacrifices) nous serions donc soit prêts à tout pour garder notre intégrité physique ou mentale dans le premier cas (L’homme ne saurait pourtant, sans répudier son essence, se réduire à n’être qu’un simple « être là », une existence qui ne vise qu’à se conserver) soit dans un désintéressement absolu dans le second.
C’est là que toute la thèse de Michel Terstchenko bouleverse les théories existantes.
Pour lui, l’altruisme n’exige pas la déprise, l’anéantissement, la dépossession de soi, le désintéressement sacrificiel qui s’abandonne à une altérité radicale (Dieu, la loi morale ou autrui). L’abandon, la déprise de soi est au contraire l’un des chemins qui mène le plus sûrement l’individu à la soumission, l’obéissance aveugle et la servilité.
Seul celui qui s’estime et s’assume pleinement comme un soi autonome peut résister aux ordres et à l’autorité établie, prendre sur lui le poids de la douleur et de la détresse d’autrui et lorsque les circonstances l’exigent assumer les périls parfois mortels que ses engagements les plus intimement impérieux lui font courir…L’altruisme comme relation bienveillante envers autrui qui résulte de la présence à soi, de la fidélité à soi, de l’obligation éprouvée au plus intime de soi, d’accorder ses actes avec ses convictions (philosophiques, éthiques ou religieuses), parfois même, plus simplement encore, d’agir en accord avec l’image de soi indépendamment de tout regard ou jugement d’autrui, de tout désir social de reconnaissance.
Autrement dit la « fidélité à soi » est le moteur indispensable à toute forme de résistance aux totalitarismes, qu’ils soient étatiques ou hiérarchiques.

Renforcer la compétence:
Quel rapport avec notre quotidien peuvent avoir les expériences de Milgram ou de la prison de Stanford de Zimbardo, le recueil des témoignages de Justes ou de nazis après la guerre de 39-45, quelle importance pour notre futur que la compréhension des ressorts intimes de la résistance ?
Il est à craindre que la dynamique sociale actuelle ne soit du côté de la conservation de soi et de ses acquis…à tout prix.
Peut-on imaginer que l’éducation actuelle, les stars ac’ multiples, le désenchantement général donnent aux jeunes générations cette confiance, cette fidélité à soi, à ses valeurs dont l’auteur nous parle ?
Peut-on penser que les plans visant à l’économie de la santé donnent aux soignants la « liberté d’être » indispensable à la prise en charge de la souffrance de l’autre ?
Trouvera-t-on le courage, cette « présence à soi », de refuser les diktats financiers ou politiques ?
Le plus grand paradoxe de notre époque restant que, jamais, l’estime de soi n’a été autant mise en avant et recherchée… comme si la recherche d’un sens à sa vie n’était finalement utilisée que pour se trouver mieux d’être… soumis !
Nous laisserons à l’auteur le mot de la fin :
La capacité humaine de faire le bien tout comme celle de faire le mal ne sont pas prédéterminées par une quelconque « nature » : toutes deux renvoient à des potentialités enfouies en chacun de nous, qu’il s’agit pour la première de favoriser et, s’agissant de la seconde, contre laquelle il convient de se prémunir, aussi bien individuellement que collectivement. Telle est peut-être la finalité a plus haute de l’éducation… L’altruisme est peut-être dans certaines circonstances, un fait d’exception ; mais rien n’interdit d’espérer que les hommes, prenant conscience de leur vulnérabilité, se dressent à l’avenir avec plus de résistances contre les facteurs qui les poussent ordinairement à la soumission et à l’avilissement.

l'os court : « Je n’aime que les gens qui me résistent, mais je ne les supporte pas. »  De Gaulle


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Lettre d'Expression médicale n°446
Hebdomadaire francophone de santé
2 mai 2006

Le carré des cliniciens perdus

Dr. François-Marie Michaut

Le clin d’œil au film à succès « le cercle des poètes disparus » n’échappe à personne. Mais ici, il ne s’agit pas de la gentillette histoire d’un groupe d’adolescents initié par leur professeur charismatique à une dimension de la réalité humaine négligée par le système scolaire à l’américaine. C’est de santé, comme chaque semaine, que nous parlons ici.

Retrouver la confiance:
Il s’agit effectivement d’un carré . Nous ne sommes plus, hélas, devant un aimable cercle, dénué de tout angle qui puisse être de contact agressif, et dont le diamètre peut varier librement à l’infini de l’imaginaire de chacun. Oui, c’est bien un carré que nous décrivons, absolument conforme à l’image d’Épinal que nous conservons de la vieille garde se regroupant ainsi pour protéger leur vénéré empereur Napoléon à Waterloo. Même s’il n’y aucun souverain en cause dans ce propos. Nous ne naviguons pas dans une atmosphère légère et édulcorée de fiction à visée initiatique, mais, nous sommes les premiers à le regretter, dans ce qui ressemble fort à une opération militaire où la mort est au rendez-vous.

Restaurer la conscience
De quelle mort est-il question ici ? De celle des cliniciens, nous l’avons annoncé en titre. Dans un but de simplification, il n’est question ici que des seuls médecins. Dans notre esprit, il est indispensable de le préciser, tous les autres soignants cliniciens, qu’ils soient infirmiers, sage-femmes, psychologues cliniciens, kinésithérapeutes etc... sont exactement dans le même bateau ... en perdition. C’est donc pour tous que nous nous exprimons. Si le terme de clinicien a été choisi, c’est par volonté de ne pas tomber dans le piège des divisions du monde de la santé et de la médecine en disciplines si volontiers opposées entre elles ... pour mieux les museler. Nous reprenons simplement à notre compte la distinction de François Dagonet entre d’une part les hypertechniciens ( Odile Marcel à Exmed parle de technoscientifiques) et d’autre part les cliniciens. En première approche, les spécialistes - et surtout à l’hôpital - constituent le bataillon principal de cette première orientation, largement dominante de la médecine d’aujourd’hui. Les cliniciens, majoritairement, et du fait des contraintes spécifiques de leur exercice ambulatoire sont représentés par les médecins généralistes. Il faut signaler, pour être complet, qu’il existe aussi des spécialistes qui se comportent en véritable cliniciens, et des généralistes qui rêvent d’être considérés comme des hypertechniciens.

Renforcer la compétence:
L’organisation actuelle des études médicales, la rigidité immuable du statut du corps professoral entièrement aux mains des fonctionnaires de l’Etat, et la pression idéologique et financière des adorateurs et profiteurs de la technoscience ( encore Odile Marcel) que toute la formation des futurs médecins n’est confiée, à quelques rares et remarquables exceptions près, qu ‘aux plus hypertechniciens des hypertechniciens que nous formons à la chaîne depuis ... 1958. Excusez du peu. Héritage de De Gaulle et Robert Debré associés. La technique, elle, s’évalue, se mesure, se perfectionne sans cesse de moyens spectaculaires. Disons-le tout net : elle est facile à enseigner, sa formation est aisée à chiffrer en notes d’allure objective et ... classantes. La clinique, on en parle depuis le début du 17ème siècle. L’origine grecque du mot klinikos est évocatrice : qui visite les malades au lit . Contact direct avec le malade, d’humain à humain, sans la moindre interposition technique. Expérience humaine à chaque fois unique et renouvelée, variable d’un sujet à un autre, d’un clinicien à un autre, d’un moment à un autre. On conçoit dès lors la difficulté extrême de la transmission de ce qui est, avant tout, une façon d’être taillée à chaque fois sur mesure, et sans cesse affinée tout au long d’une vie. Royaume de la subjectivité, de la responsabilité personnelle, de la fragilité et de l’erreur humaine, de la non systématisation, de la non standardisation, en un mot qui fait horreur actuellement : du talent personnel. Que voilà un univers qui se plie mal à notre monde industriel où tout objet ( dont un soignant considéré comme une unité de production) doit être fabriqué de façon rentable, rapide, calibrée, normalisée, et aussi peu onéreuse que possible.
Alors que les cliniciens, après une lente agonie de plus d’un demi siècle, soient devenus une espèce perdue ( car rendue incapable de se reproduire ) parce que personne n’a jugé utile de donner aux étudiants les vrais moyens de se former à la clinique, faut-il s’en étonner ? Ce serait tellement plus simple de ne plus faire semblant qu’elle existe encore, cette formation clinique, si on voulait vraiment que les patients soient clairement informés de la réalité de la médecine.
L’homme étant tellement bizarre, ne verra-t-on pas un jour fleurir une organisation militante de sauvegarde des cliniciens perdus ? Après tout, on l’a déjà fait pour les pandas et les baleines bleues. Ce serait quand même savoureux de rencontrer un jour de jeunes et beaux torses arborant fièrement dans tous les lieux publics des maillots portant un slogan du genre : “ Nos cliniciens, on y tient “.
Naturellement, privilège de la jeunesse, sans avoir conscience de la haine destructrice qu’entraîne obligatoirement chez les puissants l’existence de gens qu’il est impossible de faire marcher au pas.

l'os court : « J ‘appelle techniciens ceux qui se trompent selon les règles.» Paul Valéry