Formation économique 5
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D'un caducée à l'autre n°7

Comité éditorial : Jean-Paul Escande, Paul Fabra, Odile Marcel.

Conception & réalisation : Dominique & François-Marie Michaut

Une conception renouvelée de l'économie ...

1. Premières considérations

La définition de l'économie précédemment retenue (Cf n° 5) implique de faire de l'étude de la mécanique des échanges marchands et des transferts de pouvoir d'achat l'objet central de la science économique.Cela étant précisé, la science économique pour faire quoi ?

Ce n'est pas pour rien qu'une tradition internationale, d'origine française, parle d'économie politique pour désigner la science économique. Saluons chapeau bas l'auteur dramatique et manufacturier Antoine de Montchrestien qui lança cet usage heureux par son Traicté de l'oeconomie politique paru en 1615. L'inspiratrice de toute politique économique est une économie politique, fruste ou savante, monolithique ou mélangée. Par experts et conseillers interposés, nos politiciens et syndicalistes tirent d'au moins une économie politique toute une part de leurs propos et de leurs actions.

Quand nous aurons suffisamment mis au jour les bases d'une économie politique renouvelée, nous ferons sur quelques points clés une revue des contributions des grands auteurs. Outre l'incontestable intérêt culturel que cet exercice présente, nous nous en servirons pour éprouver de nouveau ce que nous avons cru bon d'admettre en introduction.

Une économie politique renouvelée, une science économique, c'est d'abord de la théorie. L'observation même du réel économique n'est possible qu'au moyen de distinctions d'abord établies théoriquement. Si ces définitions, et l'usage logique qui en est fait, entrainent des contradictions, ou des prédictions démenties par les faits, c'est l'équivalent d'une expérimentation en laboratoire qui infirme la théorie. Dans ce cas, le retour à la case départ s'impose pour changer la théorie, si nécessaire de fond en comble.

Hélas, un tel retour ne s'impose que... "théoriquement" pour signifier en paroles et pas en acte. Il y faut du temps ainsi que beaucoup de courage intellectuel et politique. Ces obstacles sont si considérables que les théoriciens de l'économie qui ont fait de ce retour une affaire d'honneur ne se sont jamais bousculés au portillon. Du coup, ce ne sont pas en réalité les faits qui ruinent les théories et les politiques économiques insalubres. Pire pour des esprits rigoureux comme ceux des médecins : ce ne sont pas davantage les faits qui, pour l'essentiel, confortent les théories et les politiques les plus saines pour les hommes.

Les échecs économiques sont peu formateurs, car pour en comprendre les causes, il faut une autre théorie que celle qui a été à l'origine de l'échec. Tant que cette autre théorie n'a pas émergé, les impuissances sont presque toujours attribuées à des causes qui, pour l'essentiel, ne sont pas les leurs. Nous le constaterons de façon particulièrement démonstrative quand nous examinerons plus loin la question de l'emploi.

En économie politique, les grands virages se prennent par remplacement du schéma concep-tuel dominant par un autre. Il ne peut pas en être autrement. De plus, en régime démocrati-que, tant que le nouveau schéma n'a pas trouvé l'opinion éclairée qui le soutient, sa mise en euvre politique reste impossible. C'est aussi en cela que la théorie économique même est politique. ( à suivre )

 

... pour une pratique plus saine de la médecine

Soit au pays P et à l'année A la réforme R destinée à rétablir et maintenir l'équilibre entre produits et charges (" compte de résultats ") du régime obligatoire d'assurance maladie. En A+10, supposons prouvé que R génère plus d'effets négatifs que positifs. Partout en P, les médecins et les assurés s'attendent à ce que ces mauvais résultats conduisent à la remise en cause radicale de R. Et ils ont tort ! Tant qu'une autre conception de l'économie des soins médicaux n'aura pas trouvé dans P une masse critique de citoyens qui l'approuvent, les réformes de la réforme de R resteront de même inspiration que la réforme de R, donc voués à l'échec. Les médecins et les blouses blanches ne peuvent obtenir la mise en oeuvre des conceptions de l'économie qui leur paraissent les plus saines qu'en les répétant patiemment, au besoin sur plusieurs générations. ( à suivre)

 

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D'un caducée à l'autre n°8

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Une conception renouvelée de l'économie ...

1. Premières considérations ( fin )

- Une théorie économique, c'est avant tout une théorie de la pratique des échanges mar-chands, constituée d'une suite de propositions conformes aux faits, exemptes de contradic-tions internes et groupées en théories partielles. Où commencer dans le fouillis des faits ? Et par où poursuivre ?

- Notre point de départ a déjà été défini. C'est celui de l'échange marchand ( cession d'une marchandise en contrepartie d'une somme d'argent ou d'une autre marchandise ) . Nous devons donc commencer par une théorie de la marchandise, ce qui est parfaitement inhabituel dans les formations traditionnelles. Dans quel ordre poursuivre ? Les observations que la théorie de la marchandise conduit à faire laissent peu de choix entre la théorie du salaire et la théorie du profit. Une théorie du salaire conforme aux faits se révèle, à l'usage, impossible à bien articuler sans avoir au préalable étudié assez attentivement le phénomène du profit.

- Cette étude est d'autant plus importante que la théorie du profit inclut la si fondamentale théorie de l'emploi, et même, notion dont on n'ose même plus parler, du plein-emploi. Il y a là l'une des deux régulations majeures qui font, dans un pays où on aurait l'intelligence de ne pas les entraver, l'essentiel de la dynamique sociale d'une économie libre. La théorie du salaire ne se réduit surtout pas au simplisme de l'offre et de la demande, largement démenti par les faits, et nous fera découvrir ensemble la seconde de ces régulations majeures.

- Les profits et les salaires sont, nous le démontrerons, des prix. Il y a aussi les autres prix, dont d'abord ceux des produits vendus par les entreprises. Nous en examinerons ensemble la théorie dans ses grandes lignes. Là encore, nous constaterons que le simplisme de l'offre et de la demande déforme grossièrement la réalité économique et conduit à minorer beaucoup de ses responsabilités et de ce qu'il faut nommer ouvertement ses obligations éthiques.

- L'avant-dernier chapitre portera sur la théorie de l'impôt et des autres prélèvements obligatoires. Le dernier chapitre récapitulera l'ensemble du propos et posera les jalons d'un projet de politique économique de longue période.

- A ce point de notre itinéraire, nous confronterons ce que nous avons cru bon d'admettre avec les derniers états de la pensée économique qui règne dans les milieux politiques et syndicaux comme dans ceux de l'enseignement et de la recherche.

 

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- La Lettre d'Expression médicale a déjà publié, sous la forme d'une épure en dix mesures, les grandes lignes d'un projet d'économie des soins médicaux. C'est une application de la conception renouvelée de l'économie au cas de l'économie des soins médicaux. C'est donc une conception renouvelée de l'économie des soins médicaux, qui va s'éclairer ici.

- Cette conception ne deviendra politiquement viable qu'à condition d'être promue et assez bien connue par un nombre suffisant de médecins et de blouses blanches. C'est dans cette connaissance que réside la plus grande difficulté . Il ne suffira pas de trouver les moyens de faire connaître l'existence et la teneur de ce projet à tous les membres du corps médical français. Il faudra que ces membres soient assez nombreux à comprendre en profondeur son intérêt général pour toute la société. La santé publique est un ensemble. Il n'y a pas d'un côté la santé de l'économie et de l'autre, relevant d'une hygiène différente, l'économie de la santé. La promotion d'un projet d'économie des soins médicaux ne sera assez intelligente que si elle utilise des arguments qui valent tout aussi bien pour l'économie en général. C'est aussi sur l'emploi en général, l'entreprise en général, les salaires et les profits en général, l'éthique économique en général, etc. que des médecins doivent posséder les conceptions qui fondent leurs propositions économiques dans leur domaine professionnel.

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Théorie de la marchandise ( début )

- La théorie de la marchandise contient en germe, nous le constaterons après coup, toute la théorie économique, aspects monétaires inclus. Le capital, le salaire et le profit sont, notamment, les termes d'échanges marchands, presque toujours par monnaie interposée. Un des constats auxquels notre initiation nous conduira est que les réalités élémentaires que nous aurons étudiées continuent à faire tourner la machine économique. Mais avec de nettement moins bons résultats que si ces réalités étaient mieux reconnues. D'où les dérives qui passent pour des achèvements indépassables.

Encore faut-il que nous procédions avec méthode. Après différents essais, il est apparu que le mode d'exposition le plus approprié est celui des propositions commentées, elles-mêmes complétées en fin de chaque chapitre par des tableaux synoptiques.

Chaque proposition sera l'énoncé d'un principe d'économie politique que ses commentaires expliqueront, illustreront, discuteront. Les propositions seront imprimées en caractères gras et accompagnées en marge gauche de la mention Proposition. Les commentaires ne comprendront pas, eux, de passages en caractères gras. La forme et l'utilisation des tableaux synoptiques seront présentés quand nous y aurons recours pour la première fois.

 

Le mot " salaire " est utilisé, en économie politique, pour désigner n'importe quelle rémunération du travail, quelque soit le nom par ailleurs donné à cette rémunération : paie, appointements, émolument, traitement, solde, cachet, gage, vacation, guelte, jeton de présence, pourboire, commission, etc. Le lien de subordination à un employeur, notion juridique sans fondement à proprement parler économique, n'est pas présent dans toutes les formes de rémunération du travail. En tout état de cause, les honoraires sont presque toujours du chiffre d'affaires dont une partie seulement alimente au moins un salaire, que ce dernier donne ou non lieu à l'établissement d'un bulletin de paie.

 

Le revenu personnel tiré de son activité par un professionnel dit libéral est économiquement parlant un salaire au même titre que les appointements de celui qui exerce le même métier en étant lié par contrat avec un employeur tiers. Un médecin en position dite libérale a pour employeur son propre cabinet. Cet employeur et ce salarié se doivent et se rendent des comptes qui, en bonne gestion, peuvent et doivent être établis aussi rigoureusement que si le cabinet était la propriété d'un tiers.

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- Je suis médecin. Je tire la totalité de mes revenus de l'exercice de ma profession. Suis-je producteur d'une marchandise ? Ma production contribue-t-elle autant que celle des agriculteurs, minotiers, boulangers, etc. à la prospérité de mon pays ? N'est-il pas évident que je suis productif indirectement et non pas directement ? Que vaut, au demeurant, l'opinion, que j'admets sans trop me l'avouer, selon laquelle le fait même de soigner un être humain n'est pas un acte directement créateur de richesse alors que celui d'élever des porcs et de fabriquer des voitures est, lui, créateur de richesse ?

Pourquoi un hôtel et un cabinet d'assurance sont-ils unanimement considérés comme étant des entreprises ayant fondamentalement le même statut économique et la même légitimité sociale que toute autre entreprise licite alors que c'est beaucoup moins le cas de l'hôpital et du cabinet médical ? Est-ce un produit de nos jugements de valeur sur ce que les entreprises sont et ne sont pas ? Ou bien est-ce vraiment une limite que des considérations non économiques doivent imposer à nos pratiques économiques ?

Impossible de répondre justement à ces questions sans prendre appui sur une théorie de la marchandise. Impossible d'oeuvrer au consensus sur lequel fonder un projet d'économie des soins médicaux sans remettre en culture, dans notre société, des principes d'économie politique que les cours et les discours n'exploitent presque plus ou n'ont jamais exploité. Retroussons les manches. La santé publique est évidemment en jeu.

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2. Théorie de la marchandise ( suite )

Proposition 2.1. Toute contrepartie qui a été fournie en échange d'une somme d'argent, et qui n'est pas elle-même une somme d'argent ou une créance, a été une marchandise.

Sans cette convention, le sous-ensemble des échanges marchands, ou échanges à proprement parler économiques, reste indéfini . Dans la réalité ce sous-ensemble est circonscrit. En pratique jamais l'argent n'a permis et ne permettra de tout acheter. Ne pas l'admettre en théorie expose à une conception inexacte de ce qui est défini dans les faits, .

Dans les contreparties que l'argent permet de se procurer, il en est que la loi interdit et que la morale réprouve. La nécessité de reconnaître que ces contreparties sont toutes des marchandises n'en restent pas moins entière. Ce n'est évidemment pas parce qu'un esclave est un homme qui a eu le grand malheur d'être réduit à l'état de marchandise, et parce qu'une péripatéticienne est une femme qui fait commerce lucratif de ses appâts, qu'il y a forcément une obligation immorale ou amorale dès qu'il y a marchandise, commerce, argent, entreprise, économie.

 

Malgré tout, il y a bel et bien un manque de sincérité de la part des " libéraux ", des membres du personnel des entreprises et des fonctionnaires qui refusent d'admettre qu'eux aussi font personnellement commerce libre de leur industrie pour en tirer un revenu de leur travail. Ce manque de sincérité est loin d'être sans importance politique . Il permet à ceux qui le pratiquent de prêter à l'économie libre des vices qu'elle n'a pas, tout en tirant avantageusement et légitimement parti de ses vertus. Ce manque dommageable de lucidité sera moins répandu quand il fera explicitement partie de notre culture que toute contrepartie fournie en échange d'une rémunération est une marchandise.

Est-ce que seule une contrepartie fournie en échange d'une somme d'argent, qui n'est pas elle-même une somme d'argent ou une créance, a forcément été une marchandise ? Non. Alors que le paiement en nature (troc) d'un certificat médical d'aptitude par une bonne bouteille ne rend pas ce certificat forcément complaisant, il fait bien que la bouteille et l'examen médical auront été nécessairement des marchandises échangées sans passer par l'intermédiaire d'une quantité de monnaie.

 

Proposition 2.2. Une marchandise comprend toujours la fourniture d'un service.

Nous avons tous tendance à voir plus un prototype de la marchandise dans un sac de blé que dans les services fournis par les travailleurs en échanges de salaires. Pourtant il n'est pas possible de soutenir que tout ou partie d'une marchandise est toujours un bien. La garantie procurée par un contrat d'assurance n'est pas un bien aussi visible qu'une récolte de blé, une maison, un meuble, une machine, etc. Les exemples de ce genre sont innombrables, en voici un à titre d'illustration.

Une ouvrière participe à la fabrication de parapluies. Est-ce que les parapluies vendus par cette fabrique sont plus manifestement des marchandises que le service vendu par l'ouvrière à la fabrique ? Non. Parce qu'il faut qu'il y ait d'abord l'achat à l'ouvrière du service qu'elle fournit pour qu'il y ait ensuite des parapluies mis en vente. Il convient de considérer que, d'une façon générale, les services fournis en contrepartie de salaires sont des marchandises plus primitives que les objets tangibles qu'un vendeur expose à l'envie des chalands. Nous introduisons dès le départ dans notre observation de la vie économique une différence qui n'existe pas dans la réalité si nous voyons dans le service fourni en échange d'un salaire un objet qui n'est pas de la même nature que les produits élaborés au moyen de ce service et commercialisés par les entreprises. Penser et dire de ce service qu'il est une marchandise évite tout simplement cette erreur.

 

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La seule circonstance qui fait qu'un soin médical n'est pas aussi une marchandise est la décision de celui qui le fournit de ne pas le faire payer, en argent ou en nature.

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D'un caducée à l'autre n°11

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2. Théorie de la marchandise ( suite )

Proposition 2.3. Une marchandise comprend toujours la fourniture d'un service procurant un résultat appréciable, que cette fourniture comporte ou non la cession d'un bien et, quand elle le comporte, que ce soit à titre principal ou auxiliaire.

L'usage courant consiste à parler des biens et des services marchands, plutôt que des services et des biens. Cela indique notre tendance à faire plus de l'automobile une marchandise que les services fournis par ceux qui l'ont conçue, fabriquée et commercialisée. Cette tendance présente incite à une catégorisation qui n'existe pas telle que nous l'exprimons.

 

La profusion moderne de biens nous cache la profusion encore plus grande de services, ainsi que les imbrications des uns et des autres. Les services nous procurent des résultats pourtant facilement appréciables : plus de proximités, disponibilités, propretés, sécurités, facilités, etc. sans oublier, bien entendu, plus de biens tous produits au moyen de services. En fait, nous vivons en économie de service depuis la préhistoire.

 

La garde d'un troupeau contre un toit et une table ne date pas d'hier. C'est l'échange marchand d'un service contre un autre service. Le soin prodigué au berger malade en échange d'argent ou de denrées que lui ou son patron cède au dispensateur des soins également. Peut-être plus anciennement encore, le gibier et la cueillette ramenés à la communauté contre l'entretien des feux et de l'habitat étaient des trocs dont les deux termes étaient des services.

La sacralisation probablement systématique des soins des blessures des chasseurs et des cueilleurs fournis en échange de victuailles données au soignant n'empêchait pas que l'apparent don était en réalité bel et bien un échange marchand.

Dans le prix du pain que j'achète chez le boulanger et du médicament que je me procure chez le pharmacien, il y a le coût du pur service de la vente de ces biens. Même le vendeur d'un bien immobilier commence par fournir le pur service de sa mise en vente.

 

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Il est scandaleux que fasse encore scandale le fait que l'acte médical est une marchandise, tout comme le médicament et le pain quotidien. Dès qu'il y a marchandise et marché, ne peut-il donc pas y avoir rencontre de la confiance du demandeur de soins avec la conscience du fournisseur de ces soins ? Faut-il donc protéger la conscience du fournisseur d'une épidémie d'âpreté au gain ?

Il y a des conceptions du commerce et de l'économie qui sont inconciliables avec un exercice déontologique et de qualité de la médecine. Ces conceptions tout sont aussi préjudiciables dans les autres secteurs d'activité. Les pratiques publicitaires, financières, protectionnistes, etc. dommageables en économie de la santé sont dommageables à la santé de l'économie. Le mauvais fonctionnement du marché de l'emploi médical est une contribution directe au mauvais fonctionnement de l'emploi tout court. Soigner efficacement l'un ne se peut pas sans soigner efficacement l'autre. Même remarque pour le fonctionnement, encore plus défectueux, du marché du capital indispensable au financement sain des équipements et des emplois médicaux. Les réformes qui ont pour effet de rendre ces fonctionnements plus opaques, plus compliqués et plus rigides dans le secteur dit de la santé poussent l'ensemble de nos pratiques économiques vers moins de clarté, de simplicité et de souplesse. Quant à croire que l'électronique à tous les étages va pousser à clarifier, simplifier, assouplir, c'est dérisoire et dangereux.

Le corps médical qui s'enferme dans une mentalité où est passé sous silence ce qu'il y a de marchand dans ses métiers prend un risque et se dispense de l'un de ses devoirs. Il prend le risque de passer pour hypocrite. Il se dispense du devoir de chercher la conciliation exemplaire du moral et du marchand - de l'éthique et de l'économique. Une telle conciliation est en fait attendue par le corps social, avec l'espoir qu'elle fasse tâche d'huile dans d'autres activités. Ne pas la voir venir du côté où elle est attendue entraîne une déconsidération dont les médecins eux-mêmes deviennent les premières victimes.

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D'un caducée à l'autre n°12

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Il est économiquement justifié de dire que la santé n'a pas de prix. La santé elle-même n'est pas une marchandise. Pas plus que la vie elle-même, ou l'homme non réduit à l'état animal de l'esclavage. Mais il est un sophisme lourd d'effets pervers : « La santé n'a pas de prix donc les coûts des soins médicaux doivent échapper aux contraintes économiques » . Justement fondée la proposition : « Il faut que les prix ( valeur d'échange) des actes médicaux soient assez élevés pour que ceux qui les dispensent n'aient pas à en abaisser la qualité ( valeur d'usage) pour bien gagner leur vie » . Une telle position n'est viable et honnête qu'accompagnée du désir affiché de soumettre les dépenses de soins médicaux aux régulations économiques. Les médecins qui, en redressant et complétant leurs notions d'économie, le comprendront et le feront comprendre à la profession rendront un service qui dépasse largement leurs seuls intérêts catégoriels.

2. Théorie de la marchandise ( suite )

Proposition 2.4. Une marchandise est une fourniture qui a une autre utilité que celle d'avoir une valeur d'échange, que son propriétaire peut céder et qui a été mis en vente.

Toutes les marchandises ont en commun de posseder une valeur d'échange, ou prix. Cette propriété est indispensable pour définir l'ensemble des marchandises au moyen d'un critère exclusif d'appartenance. Seules les marchandises ont, en effet, à la fois une valeur d'usage et une valeur d'échange.

 

Les valeurs d'usage, ou utilités, sont des appréciations qualitatives non mesurables. L'eau est vendue au robinet et l'essence à la pompe à cause de leurs utilités respectives. Les valeurs d'échange, ou prix, sont elles, par définition, mesurables. Un prix quantifie un rapport d'échange. Un litre d'essence à cette pompe vaut tant de litres d'eau à ce robinet.

 

L'air que nous respirons a une très grande valeur d'usage, ou utilité. Il n'a pas de valeur d'échange quand nous ne le payons pas. L'air n'est pas habituellement une marchandise. A l'inverse, il ne suffit pas qu'un objet ait un prix ou soit mis à prix pour que son offre en échange en fasse une marchandise. Tout marchand est bien un spéculateur mais par une offre d'utilité. Mieux il parvient à faire croître le rapport non quantifiable entre la valeur d'usage et la valeur d'échange de ce qu'il vend, plus il fait de bonnes affaires. La concurrence le contraint à travailler dans l'intérêt général et il est en droit d'en tirer un aussi légitime motif de fierté qu'un fonctionnaire oeuvrant lui aussi au bien public. Admirons au passage.

 

L'eau est plus utile que le vin et moins chère que lui. La distinction entre la valeur d'usage et la valeur d'échange implique de ne pas fonder la théorie économique sur l'idée que le prix de n'importe quelle marchandise est lié à son utilité. Elle ne permet pas, cependant, de rejeter l'hypothèse que certaines marchandises peuvent avoir des prix fortement liés aux appréciations plus ou moins collectives de leur utilité. Rien n'autorise à postuler que tous les prix se forment de la même façon.

 

Proposition 2.5. L'argent n'est pas une marchandise.

Les monnaies ayant cours ne sont pas des marchandises parce qu'elle n'ont pas d'autre utilité que celle d'avoir une valeur d'échange. Mettre sur le même plan le moyen intermédiaire indispensable pour éviter les difficultés du troc et les marchandises mises en vente par ce moyen conduit obligatoirement à une double théorie : celle des échanges économiques et celle de la monnaie. Il y a là une contradiction interne qui les rend toutes les deux défaillantes. Le bon sens ne s'y retrouve pas tant il est évident que la raison d'être de l'argent ne peut pas être de se substituer à ce qu'il permet d'acheter. En bonne logique, il est impossible de faire un ensemble homogène avec des éléments qui ont une autre utilité que d'avoir un prix et des éléments qui sont privés de cette autre utilité.

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En biologie, comme dans les autres champs de connaissance, la recherche alimente la mise au point de nouveaux procédés. Que ces nouveaux procédés soient brevetables comme produits des connaissances et du travail exploités commercialement paraît légitime et nécessaire. Mais, outre la durée limitée du brevet, deux autres conditions sont indispensables.

La brevetabilité de produits de la connaissance ne doit pas être étendue à la brevetabilité de la connaissance elle-même. Brevet à Watt pour son régulateur, oui. Brevet à Newton sur la gravité, non. Il y a certes des problèmes d'application du principe mais sans la référence au principe on va tout droit au désastre de la brevetabilité du vivant.

Autre condition tout aussi importante : volonté consciente du maximum d'utilité (sous contrainte vitale de profit ) et non au maximum de profit ( sous contrainte d'utilité ).

 

2. Théorie de la marchandise ( suite )

Proposition 2.6. Comme l'argent, la connaissance, le travail et les ressources naturelles ne sont pas des marchandises

La connaissance est transmise tout en étant conservée par celui qui la transmet. Une marchandise transmise est, elle, cédée. La connaissance n'est pas en elle-même une marchandise. Sa valeur d'usage est immense, sa valeur d'échange est nulle.

Par ailleurs, il est incontestable que toute marchandise est le produit de connaissances. Ce fait n'est pas contredit par l'exclusion de la connaissance du sous-ensemble des marchandises. Tout au contraire ce fait et cette exclusion doivent être pris en considération ensemble pour observer exactement les causes ultimes de certaines valeurs d'échange. Ce n'est pas facile à rendre évident mais essayons. Les quantités et les qualités des connaissances respectivement utilisées pour produire les marchandises M1 et M2 peuvent faire partie des causes ultimes de la valeur d'échange de M1 contre M2 parce que les connaissances sont elles-mêmes dénuées de valeur d'échange. Nous verrons ultérieurement pour quelle sorte de marchandises cette dépendance existe, conjointement à la dépendance à des quantités et des qualités de travail.

 

Le mot « travail » a deux sens. Le plus souvent, il veut dire « dépense d'énergie humaine ». Ou bien, il signifie « produit d'une dépense d'énergie humaine ». Mon travail, c'est ou bien la peine que j'ai prise (le temps passé, l'énergie consommée, la fatigue accumulée) ou bien l'ouvrage ainsi produit.

Toute marchandise est, d'une façon ou d'une autre, un produit d'une dépense d'énergie humaine. Toute marchandise est un produit du travail humain. Mais aussi sans aucune exception, toute dépense d'énergie humaine est dénuée de valeur d'échange. Aucun travail humain, en tant que peine, n'est une marchandise. C'est, en effet, ce que je produis et non pas le mal que je me donne qui seul peut avoir une double valeur, d'usage et d'échange. C'est ce que je produis et non pas le mal que je me donne qui peut seul être une marchandise. L'expression " contrat de travail " n'a de sens que si elle veut dire " contrat d'Ïuvre ".

 

Les quantités et les qualités de travail, en tant que dépense d'énergie humaine, respectivement employées pour produire les marchandises M1 et M2, peuvent faire partie des causes ultimes de la valeur d'échange de M1 contre M2 parce que le travail en tant que dépense d'énergie humaine est dénué de valeur d'échange.

L'utilité, ou valeur d'usage, des ressources naturelles ne suffit pas à en faire des marchandises. Leur éventuelle rareté pas davantage. Même quand il suffit de se pencher pour ramasser des champignons et les porter au marché, encore faut-il le faire. Les ressources naturelles, espace foncier compris, doivent faire l'objet de dépenses d'énergie humaine pour que les produits obtenus par l'application de cette dépense à ces ressources acquièrent la nouvelle valeur d'usage et la valeur d'échange qui en font des marchandises.

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Un cabinet médical est-il, comme une pharmacie, aussi une entreprise ? Le médecin qui, seul ou associé à des confrères, crée ou rachète un cabinet le fait par des échanges marchands et pour des échanges marchands. Il crée ou il rachète une entreprise. Cette entreprise emploie une ou plusieurs personnes - un médecin dit libéral est, d'un point de vue économique, le salarié d'une entreprise dont il est aussi le propriétaire. Cette entreprise produit de l'utilité (valeur d'usage) et du pouvoir d'achat (valeur d'échange).

Aux responsabilités et à l'honneur du médecin exerçant en position dite libérale s'ajoutent les responsabilités et l'honneur de l'entrepreneur, ce qui implique des connaissances économiques appliquées que nous avons entrepris de passer en revue.

2. Théorie de la marchandise ( suite )

2.7. Les entreprises sont les seules organisations qui n'existent que par et pour la pratique des échanges marchands

Contrairement aux familles, aux collectivités publiques, aux syndicats, aux fondations et aux associations financées par cotisations et dons, les entreprises sont les seules organisations qui n'existent que par et pour la pratique des échanges marchands. C'est la position spécifique de l'entreprise dans le champ social.

 

Ce n'est pas parce que je constate que tous les travailleurs souhaitent une rémunération plus élevée que j'ai le droit d'affirmer que leur raison d'agir est, en toute circonstance, le maximum de gains. Pareillement, ce n'est pas parce que je sais d'expérience que la prospérité d'une entreprise implique nécessairement le résultat appelé « profit » que j'ai le droit d'affirmer que l'entreprise n'existe que pour faire gagner le plus d'argent possible à ses propriétaires et ses dirigeants. Même si toutes les entreprises étaient dirigées par des archanges dénués de toute âpreté au gain, la mécanique des échanges marchands ferait que la rentabilité des entreprises resterait une contrainte.

L'entreprise est cependant plus que jamais réputée « avoir pour but » le profit maximum, que ce soit dit aussi directement ou d'une manière plus contournée qui revient au même. C'est la clé de voûte de la conception de l'économie la plus répandue.

Erreur funeste, en tout premier lieu, d'attribuer à la chose « entreprise » un but. Seules des personnes ont le pouvoir de se fixer un but. Les discussions sur « le but de l'entreprise » ne renvoient à rien de réel et celle sur les buts des entrepreneurs à une réalité non réductrice au seul profit proprement dit. Quand bien même, ce qui n'est pas le cas, tous les propriétaires et tous les dirigeants de toutes les entreprises diraient depuis toujours que leur but unique, ou suprême, est de gagner le plus d'argent possible, cela n'autoriserait en rien à établir qu'il est dans la nature d'une économie libre de vouer mécaniquement l'entreprise à la férule du maximum de gains.

 

Postuler la vocation de l'entreprise au maximum de profit, c'est juger avant d'avoir instruit la cause. C'est donc littéralement parlant un préjugé, en premier acte d'une vaste pétition de principe menant à la conclusion que l'économie libre est bien ce qu'on a commencé par supposer qu'elle était.

Cela dit, ne nions surtout pas que la question se pose bel et bien de déterminer ce qu'il est dans la nature de la pratique des échanges marchands libres d'imposer à l'entreprise. C'est politiquement capital parce que ce sont les idées que nous nous faisons des faits économiques et non pas ces faits eux-mêmes qui façonnent nos moeurs. À l'économie politique d'élucider par ses investigations la réponse à donner à la question et non pas, en manifeste contrefaçon scientifique, d'admettre la réponse en axiome.

 

Proposition 2.8 Toutes les entreprises ne sont pas juridiquement constituées.

Je suis propriétaire d'un bien dont je tire un revenu en le louant. Est-ce que cette location est l'activité d'une entreprise ? Oui, d'une entreprise de fait. Aux côtés des entreprises juridiquement constituées, il existe une multitude d'entreprises de fait.

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D'un caducée à l'autre n°15

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Conception & réalisation : Dominique & François-Marie Michaut

 

Une conception renouvelée de l'économie ...

... pour une pratique plus saine de la médecine

La loi de l'offre et de la demande, selon la vision néolibérale habituelle, est l'établissement des prix au niveau qui égalise les quantités offertes et les quantités demandées. En quoi cela concerne-t-il la médecine et les médecins ?

La formation de tous les prix libres par cette « loi universelle » fait partie des idées courantes qui menacent l'indépendance du médecin. Ceux qui croient à l'universalité de ce phénomène estiment, en effet, que laisser se réguler d'eux-mêmes les prix des actes médicaux équivaudrait à octroyer aux médecins une hausse de leurs revenus nettement supérieure à celle des autres catégories socio-professionnelles. Il y aurait alors une augmentation insupportable des prélèvements obligatoires d'où proviennent, par l'intermédiaire de la Sécurité sociale, les revenus des médecins.

La conséquence de cette croyance est qu'il faut exclure l'exercice de la médecine de la sphère des activités marchandes. Celle-ci est de toute façon réputée congénitalement contaminée d'insalubrités ... incompatibles avec les soins de la santé. C'est pourquoi il nous faut ici faire l'effort de nous interroger sur la façon dont se forment les prix.

Ainsi seulement, il devient possible de définir une économie des soins médicaux fondée sur une explication conforme à la réalité , en n'oubliant pas , nous l'avons vu, que les rémunérations du travail et les profits sont eux-mêmes des prix. En conséquence, cette explication plus conforme à la réalité permet une appréciation plus juste et surtout plus humaine des compatibilités éthiques et des pouvoirs sociaux des activités économiques. A la condition que l'économie des soins médicaux soient gérée en fonction de ces compatibilités et de ces pouvoirs , car, ici comme ailleurs, les effets rétroactifs de la théorie sur la pratique sont absolument inévitables.

 

2. Théorie de la marchandise ( suite )

Proposition 2.9. On ne peut pas affirmer que tous les prix se forment de la même façon

Parvenir à la conclusion que les prix de toutes les marchandises se forment de la même façon est scientifiquement légitime si c'est conforme aux faits. Mais, il n'est pas scientifique de poser a priori cette unicité. Tous les prix ne doivent avoir en commun que ... d'être des prix. L'idée d'une théorie de la valeur (sous-entendu d'échange), au singulier, procède d'une épistémologie simplificatrice.

Pour déterminer rigoureusement si tous les prix se forment de la même manière, la seule méthode est de diviser l'ensemble des marchandises en sous-ensembles homogènes puis d'examiner comment se forment les prix pour chaque sous-ensemble. Ce procédé, c'est à noter, est inconciliable avec les axiomes de l'économie politique actuelle .

Profession 2.10. Les entreprises achètent des marchandises élémentaires et ne vendent que des marchandises composées

Cette proposition définit la propriété spécifique des marchandises composées. Ces marchandises ne sont vendues que par des entreprises de droit ou de fait. Si je cultive des légumes et des fruits que je vends de particulier à particulier, il y a entreprise de fait écoulant des marchandises composées. Les outils et les fournitures que j'utilise à cette fin sont eux-mêmes, au moment où je les achète, des marchandises composées. Dans cette optique, l'acte médical contre rémunération est une marchandise composée, tout comme le médicament acheté chez le pharmacien.

Les ventes des entreprises aux entreprises ne portant que sur des marchandises composées, les entreprises achètent non seulement des marchandises élémentaires mais aussi, comme les ménages, des marchandises composées.

Nous allons définir maintenant la propriété spécifique des marchandises élémentaires. Nous diviserons ensuite en sous-ensembles les marchandises élémentaires puis composées.

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