POESIE
Dr.Jacques Blais

retour sommaire                                     La santé est notre affaire à tous
 

RITUEL ETRANGE

C'est un jour d'inquiètude et d'effroi,
Un soir de solitude et de froid,
Qui quelquefois fige la mer sous le gel,
Ou bien parfois met des larmes de sel
Aux joues d'humains saisis par le doute,
Qui tendront les mains au long de la route...

C'est un temps d'hébétude et d'histoire,
Qui emplit d'habitude les mémoires,
Et qui va en creusant pour les pleurs des sillons
Où la peur en pesant coule à gros bouillons,
Mais des êtres se soutiennent côte à côte,
Ils chantent des antiennes et ils sautent.

C'est un soir d'attente et d'espérance,
Et puis d'heures dilettantes et d'absence,
C'est un jour d'illusion sous les paillettes,
De brûlures, de contusions et d'allumettes,
C'est un temps d'autrefois et de présents,
Souvenir de foi, d'espoir et de brisants...

24 Décembre 2002


Une simple observation me vient, à lire et relire ces écrits innombrables, étalés dans leurs vers sur des décennies, comme une absolue nécessité de dire, d'exprimer, de crier, entre sanglots et hurlements, clameurs et émerveillements, musique et rythme. Cette remarque a trait à l'usage inévitablement répété de mots identiques, parce qu'ils constituent alors une trame, une sorte de ligne de conduite ou de cadre pour cette expression au fil des années. Je pense à effroi, qui tout comme sa rime froid revient souvent, hébétude et habitude également un peu comme si progressivement le monde se coagulait entre ces positions frigorifiées, figées entre routine et incapacité de réagir. A l'opposé, tout un vocabulaire de couleurs, de nuances, un descriptif floral, le vent, les nuages, tant d'éléments apportant leur teinte et leur douceur. Et puis, je l'ai déjà évoqué, le regard, les yeux. Finalement tous les sens, tant celui sigifiant que celui de la perception et de la réception, tout ce qui maintient l'être aux aguets...

 

TREMBLE

Il resterait cette photo qui tremble,
Où vous étiez ensemble,
Au bord du temps, au bord d'une table,
Le souvenir n'est plus que sable...

Tu peines à empêcher tes membres
De frissonner comme en décembre,
Sous un soleil qui pourtant crible
Ces canisses qu'il prit pour cible.

Et tu trouves encore qu'elle ressemble
A la gazelle courant à l'amble,
Dont la beauté si impensable
Te manquera indispensable.

Tu rêveras de sa peau d'ambre,
Toujours tu haïras septembre,
Qui reste un mois inadmissible,
L'automne est si imprévisible.

Et tu vas t'asseoir sous le tremble,
Dont la fraîcheur souvent te semble
Un refuge assez acceptable
Pour ton impertinence coupable.

Tu n'oublieras pas le gingembre
Que sent son dos lorsqu'elle se cambre,
Et la chaînette presque invisible
Qui rendait sa cheville sensible...

Il existera toujours des exceptions et des prétextes, pour constituer des sortes d'échappatoires aux règles et aux carcans, et l'ultime poème qui va suivre représentera ici l'anomalie au delà du titre général. Car ce poème a été rédigé peu avant les années 2000, et donc reste un rappel du 20ème siècle. Mais il possède ces caractéristiques développées des mots de froid, de douleur et de grisaille, des yeux et un regard, et depuis quelques temps me taraudait l'envie de le glisser ici. Prétexte. Parce que l'ambiance, le contexte, les éléments du vocabulaire cités, l'amenaient peu à peu à ma conscience. Derrière les yeux, nul voyeurisme, il m'est depuis toujours apparu évident que, dès lors que l'on écrit, on place les lecteurs au delà de cette glace sans tain qui autorise à voir sans être vu, en même temps que l'on entrouve quelques portes de placards, et jusque dans le texte le plus anodin et neutre en apparence se lira naturellement un filigrane d'existence. Exactement comme le praticien saura s'il le souhaite débusquer sous les symptômes érigés en barrière, les descriptifs soigneux et protecteurs, les signes dérivatifs et les illustrations et schémas des résultats d'imagerie et de laboratoire la réalité primordiale des existences qui constituent perpétuellement la vraie motivation des échanges avec le professionnel de santé. Même s'il arrive, parfois ou souvent, que ni l'un ni l'autre des protagonistes de l'acte médical n'aient perçu ou admis ce phénomène.

DES YEUX GRIS

Tu m'attendais dehors, avec des yeux gris,
Comme un ciel qui s'endort sous un soleil détruit,
Comme le froid, la peur ou la pluie,
Ou l'envers d'une histoire, dont l'espoir s'est dépris

Tu m'attendais dehors, avec tes yeux si gris,
Comme un dernier effort sous un manteau de nuit,
Un reflet d'eau perdue au plus profond d'un puits,
L'espérance d'un soir dont l'élan s'est mépris

Tu m'attendais dehors et tes yeux étaient gris,
Comme un trop mauvais sort à l'illusion enfuie,
Un impossible port où n'existerait bruit,
Ou l'évadé d'un fort dont l'envol est repris.

J'ai vu tes yeux clairs, ton regard si gris,
Comme un jour de faire-part sous un bas ciel de suie,
Et j'ai revu la larme qu'un doigt furtif essuie,
Dans un jour de galère à parure de débris

Fais revenir le vert en ton beau regard gris,
Merveilleuse lumière que ton amour produit,
Appelle encore le bleu qui danse et qui reluit,
Un morceau de mer sous un oiseau qui crie.

Tu m'attendais dehors et tes yeux étaient gris,
Je n'avais jamais vu ce bonheur éconduit,
Remplacé comme meurt le soleil à minuit,
Par la douleur qui mord le regard amaigri... (Ecrit à Zurich)

  Récapitulatif