|
CHILI
(SUITE 2)
|
|
Le Nord Chili représente un puzzle d'étendues
salines, avec de fantômatiques vestiges de l'exploitation
du salpêtre, témoignage de l'existence
inoubliable de cités minières, à
l'image de l'exploitation abandonnée d' Humberstone.
C'est également un assemblage intriqué
de creux liquidiens et de reliefs granitiques, un
ensemble de plages glacées de salars sertis
dans les croûtes sableuses piquetées
de lagunas au bleu soutenu, ou des flamants roses
figés par l'hiver attendent le cours lent des
heures et l'appel des migrations. Des sommets orangés
sont habités par le soleil du soir qui les
peint avec calme, tandis que les gringos peinent simplement,
hors de souffle, à délacer leurs chaussures
au delà de 4700 mètres d'altitude.
Mon grand-père s'excitait aussi à propos
de ces géoglyphes, cette écriture offerte
au ciel que j'ai pu finalement découvrir quelques
décennies plus tard, au cours de mon récent
parcours en autocar vers le nord côtier. Quels
messages ces êtres des siècles anciens
voulaient-ils faire passer à travers ces incrustations
et ces grattages de pierres sombres formant motifs
sur les flancs montagneux ? Plus haut au Pérou,
les lignes de Nasca interrogent de la même lancinante
manière. Quelle signification donner à
ces symboles, des plans, des représentations
animalières, des images humaines ? Quel siècle
enfin imprima-t-il ainsi ses stigmates ?
Tout là-haut, vers Pica la ville fleurie dans
le désert, et Matilla à la curieuse
église espagnole, il paraît que les dinosaures
ont laissé des traces. Mais les traces de ma
mule me préoccupent à peu près
autant. Si proches et si inaccessibles pour moi, ces
territoires que parcourut et me décrivit l'aïeul
érudit, ces environs du Salar d'Atacama si
blanc, ces paysages doux près de Peine, d'autres
clochers comme celui de Socaire, au milieu des cultures
étagées. Ou ces incroyables et gigantesques
talus de lithium, exploitations minières encore
actives, tels des traits de craie sur le tableau noir
bleuté des basaltes à contre-jour.
Et cette mine, LA MINE, visitée aussi au passage,
Chuquicamata. Inimaginable, une excavation à
ciel ouvert, la plus grande mine de cuivre du monde.
On m'a annoncé des chiffres à tourner
la tête, avec tant de zéros, j'ai tout
oublié de ces tonnes de minerai. Pour n'en
retenir que l'immensité. Cuivre surtout, mais
aussi or, argent, fer, molybdène accessoirement,
manganèse. Des métaux si utiles à
l'économie du pays, au monde technologique
moderne, qui les dévore dans les piles, les
puces, les transistors et matériels du monde
de la communication. En altitude, ce sont les métaux
qui affleurent, quand au niveau de la mer se trouvera
le diamant, les pierres semi-précieuses, dans
d'autres déserts côtiers comme celui
de Namibie.
|
|
|
|
|
J'ai souvenir de ces camions insensés, transportant
des charges de 190 tonnes par voyage, des véhicules
de la taille d'un immeuble, dont un seul pneu coûte
l'équivalent de plusieurs années de
salaire d'un ingénieur de la mine. Lorsqu'au
bord de l'excavation on observe, incrédule
et émerveillé, un gros véhicule
4X4 japonais croisant un de ces camions monstrueux,
c'est une coccinelle parmi les hannetons géants,
une souris entre les pattes d'un chat, un noyau d'olive
échappé d'une empanada confortable,
à proportion...
Mais les hommes semblent bien traités au sein
de cette entreprise, une véritable ville avec
ses 9000 habitants, et ceux de la cité proche,
Calama, travaillant pour la majorité dans les
services annexes complémentaires à la
mine. Les employés trouvent sur place un hôpital
ultra-moderne, leurs écoles, leurs centres
de loisirs, ils peuvent accèder à la
propriété de leurs logements, et ressentent
une certaine sécurité dans leur emploi.
|
|
|
Je suis une vieille femme.
Quitora, la fille Inca, ou Chilena l'Indienne Atacamène,
Maria ou Isabel, qui cela pourrait-il préoccuper
?
Mon père, né en 1898, inaugurait le
XX ème siècle , pour mon compte j'attaque
le suivant. Nous aurons traversé l'intermédiaire
avec pour richesse les mots du grand-père et
ses images, ses contes. Le sol de notre pays aura
livré toutes ses richesses, du blanc salin
au rouge cuivré, et la nation aura rougi longtemps
de ses dirigeants, face au yeux du reste du monde.
A Santiago la Place d'Armes a réussi à
entremêler les reflets modernes de la planète
Terre et ses façades de verre et d'aluminium,
avec les vieux bâtiments de la conquête
et de l'enracinement espagnol, que défie encore
quelque valeureux cavalier à l'éternel
bronze conquérant.
Je suis une vieille femme, prête à disparaître.
Et si le vent de sable était parvenu à
m'emporter, je n'aurais laissé derrière
moi qu'une mule fatiguée et un chien borgne,
un poncho de lama brodé par ma mère,
et un antique chapeau de paille...
Gracias a la vida.
|
|
|
Laissons Quitora la vieille Chilienne et
ses souvenirs magnifiques, ses paysages et son histoire, ses
évocations et sa vision de l'existence, et revenons
sous le regard du voyageur éberlué, devant tant
de beauté minérale d'un pays étonnant.
Je reprends la parole, pour terminer sur un souvenir presque
cinématographique. Sur le site de la Vallée
de la Lune évoquée, un épisode m'avait
particulièrement intrigué, et plu. Une longue
crête oblique, au sommet d'une colline, séparait
l'écran du spectacle du paysage entre l'encre bleu
marine du ciel en voie de s'obscurcir, et l'encre de Chine
de la terre en train de s'assoupir. Un petit homme avait entrepris
de dévaler en courant la pente, paraissant dans son
parcours écrire son histoire sur la ligne de partage
entre nuit et jour. Et j'ai alors, à mon habitude,
pris ma plume pour la tremper dans ces encres, et tracer ainsi
comme une signature au bas d'un récit qui aurait intégré
tous les éléments de ce spectacle.
|
|
C'est un petit homme blanc qui
traverse en courant la moitié d'un grand ciel
bleu. Ou peut-être un petit ciel bonasse qui
tente d'aspirer un grand bonhomme en bleu, qui sait
?
Le coureur paraît avoir la nuit au dessous de
lui, et il avance sous le jour déclinant qui
luit, il reste un lambeau de soir bleu-violet, qui
va finir en panneau de noir et feu follet, mais il
essaie d'abord de capturer le petit homme lutin par
des bandes blanches, des draps rouges, des rayures
jaunes et des zébrures oranges et mauves.
Mais le petit homme mutin poursuit sa route sur la
crête. Il est conscient de parvenir au bout
avant que le ciel ait fini de s'assombrir, et le petit
homme habile jubile, il va comme un Pierrot sur un
fil de funambule. Ou comme un tailleur qui s'acharnerait
à séparer juste sur la bordure qui les
joint la couverture et le drap bleuté du lit
où s'éveilleront au matin les étoiles,
dont certaines, en s'étirant, deviennent filantes.
Sur son sommet, sur la pointe des pieds, le petit
homme tout fier et exultant sent bien qu'il domine
le firmament. Jamais l'encre de la nuit qui vient
ne saura le décrire, et la suie du sable de
la dune ne parviendra à le coincer sur son
interligne, comme une note sur une portée,
ou un mot muet ou sourd qui refuserait d'avouer son
nom.
Mettons qu'il s'appelle Pedro, lui qui roule hors
de portée dans la vallée lunaire. Il
a couru jusqu'au bout comme une pluie sur un toit,
ou comme on boit d'un trait, et d'un trait il a rayé
le ciel géant comme on efface tout quand on
recommence. Il y semble toujours prêt. Et pour
débuter, l'éponge d'un nuage roussi
a gommé ce qui demeurait de feu sur les escarpements,
le ciel a enfilé ses habits d'ombre et la dune
s'est vêtue de deuil.
On a su alors que Pedro était rentré.
Et il a tout soudain fait nuit.
Et froid.
Jacques Blais
|
|
|
Tous droits réservés.
© François-Marie Michaut 1997-2004
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|