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Lettre
d'Expression médicale n°454
Hebdomadaire francophone de santé
26 juin 2006
Ca fait ... maaal
Dr. Gabriel Nahmani
Plan Douleur 2006-2010 15-06-2006
Alain Serrie, Rédacteur en chef
Fédération de Médecine de la Douleur et de
Médecine Palliative, Hôpital Lariboisière, 2,
rue Ambroise Paré, 75475 Paris cedex 10.
Le 3 mars dernier à lHôpital Lariboisière,
le Ministre de la Santé et de la Solidarité Xavier
Bertrand a dévoilé le 3e plan gouvernemental de lutte
contre la douleur pour la période 2006 à 2010.
Retrouver la confiance:
Ce plan sarticule autour de 4 grands axes.
- Améliorer la prise en charge de la douleur des populations
les plus vulnérables. Pour les enfants et les adolescents,
le Gouvernement souhaite améliorer la prise en charge de
la douleur provoquée par les soins, développer les
formes pédiatriques dantalgiques et mieux dépister
et traiter les douleurs chroniques. Pour les personnes handicapées,
âgées et en fin de vie, le plan permettra de diffuser
des outils dévaluation de la douleur et daide
à la prescription, ainsi que de réaliser des formations
de sensibilisation dans les établissements hébergeant
des personnes âgées dépendantes et les services
de soins à domicile. Laccent est mis sur la prise en
charge de la douleur psychologique de ces personnes et sur leur
accompagnement lors de lannonce du diagnostic (cancer, maladie
dAlzheimer...).
- Renforcer la formation pratique initiale et continue des professionnels
de santé. Dans le cadre du plan, le Gouvernement souhaite
créer un diplôme détude spécialisée
complémentaire sur la douleur et les soins palliatifs, mieux
intégrer la douleur au sein du diplôme détudes
spécialisées de médecine générale
et inscrire ce thème dans le cadre de la formation professionnelle
continue des médecins libéraux.
- Améliorer les traitements médicamenteux et les méthodes
non pharmacologiques dans des conditions de sécurité
et de qualité. Il est nécessaire de mieux connaître
la consommation des antalgiques, de simplifier le circuit des substances
exerçant un effet physiologique similaire à celui
de la morphine, de déterminer les conditions de mise en uvre
des traitements à domicile, de prévenir les douleurs
induites par les soins et de développer les traitements physiques
ou les méthodes psycho-corporelles.
- Structurer la filière de soins. Le plan vise à décloisonner
lorganisation régionale de la prise en charge de la
douleur chronique, dans le parcours de soins, les réseaux
de santé, la coopération interhospitalière
et au sein des établissements sociaux et médico-sociaux,
en valorisant et en renforçant les structures de prise en
charge.
Restaurer la conscience
Ces 4 priorités correspondent à 25 mesures.
Le programme sarticule autour du plan cancer, du plan damélioration
de la qualité des personnes atteintes de maladie chronique
et du plan daction en faveur des personnes atteintes de handicap
complexe, de grande dépendance et des personnes poly-handicapées.
Le coût total de ce plan est évalué à
26,74 millions deuros dont 11 millions financés par
lAssurance Maladie.
La personne âgée fait lobjet du plus grand train
de mesures, aussi bien à lhôpital quà
domicile : création doutils de diagnostic pour la médecine
de ville, création dun module daide à
lappréciation médicamenteuse, formation des
membres des CLUD, prise en charge des répercussions psychologiques
des personnes âgées et de la souffrance des patients
atteints de cancer.
La douleur devient thème prioritaire de la formation médicale
continue et de lenseignement post-universitaire. Les recommandations
de bonne pratique pour la prise en charge des douleurs de lenfant,
un guide déducation à la santé vont être
proposées. Un diplôme détudes spécialisées
complémentaires Médecine de la douleur et Médecine
palliative ainsi que le renforcement dun diplôme inter-universitaire
sur la prise en charge des douleurs chroniques rebelles vont être
mis en uvre ou renforcés. Le médicament nest
pas la seule réponse thérapeutique. Plusieurs mesures
portent sur la consommation dantalgiques et déventuels
mésusages. Des recommandations de bonne pratique devraient
permettre de mieux prévenir les douleurs induites par les
axes diagnostique et thérapeutique. Les techniques non médicamenteuses
seront également étudiées quant à leur
intérêt et leur place dans la stratégie thérapeutique.
Cest la première fois quun plan dune telle
envergure est mené dans notre pays. Il comprend en outre
des mesures concrètes : création de
100 postes de médecins attachés,
25 postes de praticien hospitalier,
30 postes de psychologues,
38 postes dIDE (coût chiffré à 8,8 millions
deuros).
Ce plan sera piloté par la Direction de lHospitalisation
et de lOrganisation des Soins (DHOS) en lien avec la Direction
Générale de la Santé (DGS). Un comité
de suivi sera mis en place dès cette année. La Société
Française dÉvaluation et de Traitement de la
Douleur participera à toutes les étapes et à
lensemble de la mise en place des mesures de ce plan.
Xavier Bertrand a confié à la SFETD la mission de
dresser un état des lieux de la douleur en France: M'sieur,
j'ai mal au ventre à Verdun tant j'ai rigolé et ma
femme a mal au dos après avoir jardiné trop penchée
Renforcer la compétence:
Ce plan doit renforcer les structures existantes, lensemble
des initiatives de la communauté médicale et paramédicale,
en somme tout ce qui concourt à lamélioration
de la qualité de prise en charge des patients présentant
des douleurs chroniques.
Cest maintenant que nous devons participer, accompagner, réagir
et faire.
Much do about nothing, avait déjà dit Shakespeare
jadis et les ministres de pérorer et jacter et proposer et
envisager et aligner des chiffres et des promesses qui ne seront
jamais réalisées, et des commissions seront réunies
et des flots de salive et d'écritures gaspillés et
ainsi
de suite. Et, pendant ce temps là, je vous la donne en exergue,
la douleur continuera de se manifester chez toutes les personnes
dites vulnérables, y compris le sportif qui se fracture les
os de la jambe après un tacle malheureux et la jeune femme
mourant d'un cancer hyperalgique et dont l' époux compatissant
et néanmoins hollandais est poursuivi en justice (française
! ) pour avoir hâté sa délivrance.
Xavier Bertrand, faudrait peut-être aller voir comment ça
se passe vraiment dans les petits hôpitaux, dans les innombrables
services dits de gérontologie où croupissent des êtres
misérables plus ou moins suivis ou entretenus par des personnels
fatigués, manquant de moyens et souvent de qualification,
Xavier Bertrand ou tout autre qui vous succédera un jour,
ne commencez à proposer qu'après avoir vécu
l'enfer de ces institutions, leurs odeurs délétères,
l'insalubrité de certains lieux, la pauvreté des moyens
en personnel et en matériel.
Vivons-nous tous sur la même planète, Monsieur le Ministre
?
l'os court : « «
J'ai des douleurs, les reins fonctionnent mal, le coeur flanche
un peu, les poumons sifflent et moi-même, je ne me sens pas
très bien. » La Fourchardière
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Lettre
d'Expression médicale n°455
Hebdomadaire francophone de santé
3 juillet 2006
Systémiquement parlant
(2)
Dr. François -Marie Michaut
La réponse à la LEM 453 Systémiquement
parlant (1) a été foudroyante. En voici un
résumé très grossier, complété
depuis peu par une foule dinterventions très pertinentes
sur la liste Exmed-1 : « Ce que vous racontez là sur
les systèmes ressemble beaucoup trop à un jeu intellectuel
pour que je me sente concerné. Moi, je suis ou un utilisateur
de la médecine, ou un soignant. En quoi un tel mode de vision
des choses peut-il bien mapporter un plus sensible par rapport
à ce que je connais ?». Je ne saurais trop remercier
ceux qui ont ainsi pris la peine détablir une véritable
interaction, car cest ainsi que nous allons pouvoir tenter
daller plus loin. Autrement dit, au lieu, comme dans un cours
magistral, de suivre imperturbablement le plan établi par
lauteur afin de traiter son sujet de la façon la plus
complète possible, et dans les règles strictes de
sa discipline, nous allons pratiquer autrement. A tout propos émis
ici, vous avez la possibilité de faire connaître de
quelle façon vous y réagissez. En dautres termes
à une action, celle de lauteur dexprimer une
idée sur cette lettre, va répondre en retour la ou
les réaction(s) de chaque lecteur. La communication, au lieu
dêtre à sens unique, comme celle, trop fréquente,
du médecin à son patient par exemple, fonctionne ainsi
dans les deux sens pour créer une authentique interaction.
Une vraie communication qui nest ni propagande orchestrée,
ni manipulation prévue à lavance pour obtenir
tel ou tel résultat.
Retrouver la confiance:
Là, nous ne sommes pas dans labstraction intellectuelle,
mais dans le fonctionnement des relations dans le vivant. Quand
un journal traditionnel nous propose un article, le message va dans
un sens unique. De lauteur émetteur actif vers le lecteur
récepteur passif. Dans le déroulement dune consultation,
telle quelle est enseignée aux jeunes médecins,
et quil la voit généralement pratiquer à
lhôpital, il en va de même : celui qui sait (
le docteur) parle, celui qui reçoit est prié dêtre
convaincu ( le bien dit ... patient ). Ce mécanisme est de
la plus haute importance. Le médecin se sent , par lidée
intérieure quil a de sa fonction, et par ce quil
faut bien nommer son dressage, obligé en toute circonstance
de détenir la vérité, le
bon diagnostic, le conseil juste, la réponse
immédiate etc... Dans sa tête, il ne reste alors
plus guère de place, et ce dautant plus quil
est peu expérimenté, pour pouvoir accorder la moindre
confiance, ni même la plus petite importance, à ce
que peut lui dire le patient en face de lui. Comprenons-nous bien
: ici cest au médecin de retrouver la confiance
dans ce que lui communique son malade. Il est évident que
cette communication est loin dêtre toujours verbale
( digitale disent les savants), et quelle est bien plus souvent
gestuelle ou ... en actes, comme des rendez-vous manqués,
des traitements non pris etc ... Autrement dit : analogique. Toute
une interprétation simpose alors, avec tous les risques
de fausse piste et dincertitude que cela comporte. Voilà
qui semble mal aller dans le sens dune EBM ( médecine
fondée sur des évidences) si à la mode.
Restaurer la conscience
Pourtant, létude universitaire de la majorité
des phénomènes du vivant nous familiarise avec la
notion de rétroaction. Par exemple, et très grossièrement,
la glande thyroïde ne se met à sécréter
ses hormones que quand lhypophyse lui envoie son signal de
stimulation. Cette dernière glande est elle même sous
le contrôle hormonal du diencéphale qui reçoit
ses informations de multiples récepteurs périphériques.
Et réciproquement aurait obligatoirement, et judicieusement,
ajouté notre ami Pierre Dac, car nous sommes dans des systèmes
biologiques où se régulent mutuellement une action
et une réaction. Action et rétroaction senchaînent.
Très vite, cependant, le praticien en exercice est bien obligé
de prendre conscience que le patient quil voit, déjà
si difficile à décrypter nest pas
une entité dans le vide séparée de tout son
contexte personnel de vie. Du temps de ses études, lentourage
du malade quil soit social, familial, culturel ou professionnel,
nest resté quune formule très accessoire,
au même titre que le classique les facteurs psychologiques
invoqués dans de multiples pathologies. Autrement dit, on
parle de tout cela, mais sans donner au futur praticien la moindre
clé que sa bonne volonté ou son bon sens
pour naviguer sans faire de dégâts dans ce monde sans
limites de lentourage du malade. Ce qui aggrave la perception
des proches du patient par les membres du corps médical,
cest que les familles et les amis sont traditionnellement
- des exceptions remarquables existent - considérés
comme des gêneurs probables, et non comme des acteurs utiles,
par le milieu hospitalier.
Renforcer la compétence:
Il est indispensable que tout professionnel du champ de la santé
commence par devenir un très bon technicien dans son domaine
daction. On ne simprovise pas du jour au lendemain infirmier,
psychologue, kinési, ou chirurgien cardio-vasculaire sans
se plier à lacquisition de multiples savoirs théoriques
et pratiques. Tous nos systèmes actuels de formation assurent
du mieux quils le peuvent cette mission. Là où
les choses deviennent beaucoup plus difficiles, cest quand
il faut faire coïncider ce bagage initial avec la vie professionnelle
telle quelle est, cest à dire, le plus souvent,
en dehors du cocon protecteur et réducteur de lhôpital
nourricier. Ce sont vraiment dautres compétences quil
faut renforcer. Autrement dit, le stade personnel du bon élève
bien obéissant à tout ce que ses maîtres lui
ont appris doit absolument être franchi. Des dogmes, des habitudes,
des imitations, des certitudes sont alors mises en question. Cest
un état desprit, déjà systémique
dans ses interrogations, qui ne plaît pas du tout, mais alors
pas du tout, à ceux qui sont persuadés dexercer
le monopole de la formation médicale ( ou infirmière
ou psychologique, ou dentaire, vétérinaire etc...
).
Fidèle à la méthode décrite au début
de cette lettre, ce propos naura une suite dans un Systémiquement
parlant (3) que dans la stricte mesure où vous en déciderez
ainsi en donnant votre point de vue personnel. Et le contenu même
du propos sera élaboré en fonction de vos éventuelles
réponses, critiques, suggestions et questions.
l'os court : «
Il
ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les allumettes.
» Jacques Prévert
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Lettre
d'Expression médicale n°456
Hebdomadaire francophone de santé
24 juillet 2006
Douleur et mémoire
Dr. François -Marie Michaut
Comme bien souvent, le sujet de cette LEM a été
inspiré par tout un ensemble de débats très
animés qui ont eu lieu sur notre liste interne de discussion
Exmed-1 à la suite de la LEM 454 de Gabriel Nahmani
du 25 juin : Ca fait ... maal ( accès
) qui était consacré à lorganisation
en France de la lutte contre la douleur. A cette occasion, les différentes
stratégies thérapeutiques pour juguler les phénomènes
douloureux ont été évoquées. Lune
de ces méthodes est lutilisation, principalement à
titre préventif pour des actes médicaux douloureux
de benzodiazépines par voie injectable.
Retrouver la confiance:
Pour nos lecteurs non médecins, la classe pharmacologique
des benzodiazépines correspond presquentièrement
à ce quon nomme les anxiolytiques ou ... tranquillisants.
Vous savez, ces produits qui nont pas toujours bonne presse,
parce quon nous accuse en France den consommer environ
30% plus quailleurs en Europe. Il est vrai que leur prescription
par les médecins traitants est inversement proportionnelle
à leur maîtrise de la dimension psychologique et, ou,
psychiatrique des maladies quils soignent. Au cours des études,
essentiellement ou presque orientées vers ce qui est somatique
( cest à dire qui relève du corps), une sorte
de réflexe conditionné semble depuis fort longtemps
sétablir. Si quelque chose de psy est suspecté,
faute dêtre diagnostiqué de façon claire
par manque de formation psychiatrique quasi généralisé,
le médecin a tendance à prescrire une benzodiazépine.
Insomnies, prévention des crises dépilepsie,
contractures musculaires sont autant dutilisations banales
de ces molécules, dont la tolérance et la faible toxicité
aigüe est assez remarquable.
Restaurer la conscience
Il a fallu des dizaines dannées dusage
intensif pour que les médecins prennent conscience de trois
effets jusque là négligés. Le premier est linstauration
de phénomènes de dépendance dans un certain
nombre de cas chez des utilisateurs habituels. Une telle dépendance
se manifeste par le fait que le sujet se sent très mal, avec
de sévères manifestation danxiété,
des insomnies et des douleurs musculaires quand il na pas
sa dose habituelle. Dans ces conditions, il ne faut guère
setonner du nombre considérable de personnes agées
consommant régulièrement des benzodiazépines
( BDZ) depuis des années, sans aucune indication médicale
actuelle ni ré-évaluation dun éventuel
bnéfice thérapeutique.
Le deuxième est la survenance de chutes, du fait de la baisse
de vigilance et de leffet de relaxation musculaire de ces
substances. Inutile dinsister sur la gravité et les
risques de telles chutes chez des personnes âgées.
Le dernier effet constaté a été celui de latteinte
de la mémoire chez les patients. Là encore, le vieillissement
aggrave logiquement les symptômes.
Renforcer la compétence:
Alors, quand on utilise les BDZ pour limiter la douleur, une question
se pose. Ne serait-ce pas leffet amnésiant qui permettrait
au sujet de ne plus se souvenir clairement et surtout plus tard
de la douleur subie ? La question se complique quand on connait
lincroyable mémoire de notre organisme, comme en témoigne
le phénomène des membres fantômes ? Tous les
médecins ont pu constater, sils ont eu la curiosité
de le rechercher, que les anciens blessés de guerre avaient
régulièrement une recrudescence de leurs séquelles
à la date même de leur blessure. Enfin une question
se pose. Celle du mécanisme même de laction des
BDZ sur lanxiété. Amoindrir la mémoire
ne contribuerait-il pas à rendre moins sensibles des souvenirs
réels ou imaginaires quand ils ont tendance à nous
submerger ? Et cette fameuse anxiété que nos tranquillisants
sont censés juguler, quand elle nous touche, naurait-elle
vraiment rien à voir avec des choses qui se sont stockées
dans notre mémoire, quelle soit consciente ou inconsciente
? Nos difficultés à dormir sont-elles étrangères
à des souvenirs que nous ne pouvons pas chasser ? Les véritables
courts circuits de lactivité électrique cérébrale
que révêlent à lenregistrement électrique
les crises dépilepsie ne seraient-ils pas eux-mêmes
une sorte de bien curieux souvenirs organiques ? Beaucoup de questions,
en vérité, et pas de réponses. Juste une grande
admiration de cette notion de mémoire, qui dépasse
infiniment le domaine de notre petit système nerveux animal
auquel on semble restreindre le champ de nos investigations.
l'os court : «
Jai
une mémoire admirable. Joublie tout. »
Jules Renard
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Lettre
d'Expression médicale n°457
Hebdomadaire francophone de santé
31 juillet 2006
Docteur Esope
Dr. François-Marie Michaut
A vrai dire, nous ne savons pas grand chose sur Esope. Ce personnage
de légende, est surtout connu comme lauteur de fables
animalières que Jean de la Fontaine sut remettre au goût
du jour du Grand Siècle. Dans la Grèce des 7èmes
et 6ème siècle avant JC, on parlait dun esclave,
laid et boiteux comme le dit son nom de « pieds inégaux»,
bègue et bossu de surcroît pour parachever le tableau.
Le plus extraordinaire est que ce célèbre fabuliste
naurait jamais écrit le moindre texte de sa vie !
Retrouver la confiance:
Pourquoi alors linterpeller ici en lui donnant le titre de
médecin, de docteur, cest à dire celui qui sait
ou ... est censé savoir ? Tout simplement parce quil
nous a appris une chose indispensable, à nos yeux, pour mieux
nous aider à nous soigner, de quelque côté du
stéthoscope que les événements de notre vie
nous aient situés. Souvenons-nous de cet adage si souvent
cité du sage Esope, que nous formulons le plus souvent par
: « La langue est la meilleure et la pire des choses ».
La tradition médicale, elle-même héritière
de multiples savoirs ésotériques antiques, a pendant
fort longtemps conservé lusage du latin et du secret.
Molière a suffisamment fait rire les honnêtes hommes
depuis son 17ème siècle avec lusage que nous
faisions de ce jargon incompréhensible pour la plupart des
gens. Ne sourions cependant pas trop vite de ce travers : le langage
technique médical quaffectionnent les médecins
actuels dans leurs échanges dinformation, aussi indispensable
soit-il devenu avec létat actuel des connaissances
et des pratiques médicales, nest guère plus
accessible aux profanes. Vous voyez, le mot profane surgit de lui-même
sous la plume, comme si son contraire était ,de quelque façon
que ce soit, sacré. Quand on constate la façon dont
toutes les religions, des plus grandes aux plus confidentielles,
savent utiliser le mystère pour aiguiser la confiance ( le
fait davoir la foi en leurs croyances) de leurs fidèles,
il est possible de comprendre à quel point la médecine
peut aussi être tentée par une telle recette pour accroître
son pouvoir sur ses patients.
Restaurer la conscience
Combien de fois, dans un cabinet médical, le
médecin sadresse à son patient exactement comme
il parlerait à un de ses confrères ? Sans même
se poser la question : que peut donc bien comprendre la personne
en face de moi, dans ce que je pense être des explications
ou, au moins des informations ? Quel sens le malade donne-t-il à
mes mots qui se veulent scientifiques et précis ? Quel contenu
imaginaire est-il alors amené à créer, même
- peut-être surtout - sil me répond en tentant
dutiliser lui-même le langage médical. Il y a
alors une communication aussi apparente que trompeuse pour les deux
parties. Vous êtes naturellement en droit den douter.
Ouvrons simplement les oreilles à ce que disent nos malades.
Bien souvent, au cours dune visite médicale, le praticien
prend la peine dexpliquer plus ou moins longuement au malade
hospitalisé de quelle pathologie il souffre. Si vous linterrogez
plus tard, il vous affirmera volontiers quil a bien vu le
médecin. Et à votre question sur ce qui lui alors
été dit, la réponse a de fortes chances dêtre
un troublant et laconique : « Il ne ma rien dit . ».
Le praticien a eu le sentiment de faire tout son devoir professionnel.
Il est persuadé davoir donné le plus possible
dinformations à son malade. Or ce dernier na
rien entendu, rien nest parvenu à son entendement à
lui, cest à dire quil na rien compris.
Renforcer la compétence:
Dans un tel système de malentendu bilatéral, de monologue
de fait, les effets les plus bizarres et les plus pervers de la
parole sur létat de santé du malade peuvent,
hélas sobserver. Car, si chacun le sait par expérience
personnelle, des paroles, même très simples, même
très brèves, peuvent nous aider à passer un
mauvais cap de notre vie, dautres expressions, mêmes
très savantes, même très solidement étayées
au point de vue technique, même très logiquement développées
peuvent nous faire souffrir.
Peut-être nous manque-t-il, à nous médecins,
un pan important au cours de notre apprentissage ? Nous qui avons
été formés à pérorer doctoralement,
et à donner obligatoirement une réponse à nimporte
quelle question à propos de la santé, une compétence
na pas été suffisamment renforcée chez
nous. Pour la formuler de la façon la plus simple, je ne
vois rien de mieux que lexpression triviale suivante : Apprendre
à la fermer. Ce qui, je partage totalement votre avis sur
ce point, nest pas une mince affaire du tout !
l'os court : «
Rien
de plus sale que lamour propre. » Marguerite
Yourcenar
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Lettre
d'Expression médicale n°458
Hebdomadaire francophone de santé
7 août 2006
Psycho trop !
Dr. Françoise Dencuff
Selon un rapport de l´office parlementaire de l´évaluation
des politiques de santé (OPEPS), la France détient
le triste record européen de la consommation de médicaments
psychotropes. Un quart des Français a consommé au
moins un médicament psychotrope au cours des douze derniers
mois et un tiers en a déjà consommé au cours
de sa vie. (Egora, vendredi 30 juin).
Retrouver la confiance:
Ce qui est le plus inquiétant cest que la consommation
de ces médicaments nest pas en adéquation avec
les besoins réels. Soit les patients nont pas de raison
de prendre ce type de médication, soit quand ils sont vraiment
déprimés ils ne reçoivent pas les thérapeutiques
ad hoc.
Restaurer la conscience
Plus intéressantes, pour la fouineuse que je suis, sont les
réactions des médecins à cet article. Grosse
colère chez les confrères.
En première ligne, les généralistes se voient
confrontés plusieurs fois par jour à la souffrance
des patients. Et qui peut évaluer la souffrance ? Sujet délicat
que de mesurer la véracité ou limportance dune
souffrance. De notre point de vue nous avons peut-être limpression
que la personne « en rajoute », que « ce nest
pas si grave »
Mais nous avons aussi le devoir de la
soulager.
Renforcer la compétence:
Les arguments des médecins pour riposter à cette attaque
sont divers mais tous parfaitement justes :
1. la majorité des prescriptions sont faites par les généralistes
parce que les patients se tournent essentiellement vers eux (80%),
2. les psychiatres sont en sous effectifs et débordés,
3. la responsabilité des médias tant dans la publicité
qui est faite (via des émissions comme le journal de la santé)
que dans la « communication de la terreur » quils
nous distillent à lenvie,
4. les formations plus quorientées puisque dispensées
par le biais de Big Pharma,
5. la mauvaise foi de lEtat qui encore une fois cherche à
culpabiliser patients et surtout médecins au lieu de faire
le ménage chez lui. (Oserai-je dire que le corps des fonctionnaires
est un des plus gros amateurs de psychotropes !)
6. et enfin le manque de temps du pour une part au tarif plutôt
scandaleux des consultations (il faut croire que réparer
une machine à laver est plus prestigieux que bidouiller le
corps humain) et pour une autre part à la désaffection
des jeunes pour notre profession.
Bref, encore une fois nous sommes les vilains, les dépensiers,
les mauvais élèves de la classe. Sil y a des
patients dans la salle, exprimez-vous pour nous donner les raisons
de ce mal être tellement vilipendé par nos technocrates.
Dailleurs, dans notre société de « parapluies
», il est évident que de telles mesures servent surtout
à sabriter au cas où, un jour, enfin, nous remettrions
en cause lincurie de nos gouvernants ou plutôt de leurs
conseillers. Quoique
avec toutes ces pilules, cest à
se demander si finalement ils ne devraient pas laisser faire.
l'os court : «
Qui
avale son parapluie marche forcèment droit. »
Albert Villemetz
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Lettre
d'Expression médicale n°459
Hebdomadaire francophone de santé
14 août 2006
Cent ans, est-ce souhaitable
?
Dr. Gabriel Nahmani
Lu par lauteur dans le Journal de la Santé de ce
11/8/06 le titre suivant ::
Avoir la foi, bien manger, travailler dur pour être un jour
centenaire
( Paris, le 11/08/06. LJS.com)
Retrouver la confiance:
Messieurs, mesdames, approchez ! LJS.com vous propose aujourdhui
en (quasi) exclusivité la recette pour vivre jusquà
100 ans ! 100 centenaires âgés de 100 à 104
ans ont en effet accepté de livrer tous leurs petits secrets
de longévité. Alors, prêts à noter ?
On y va
Pour vivre jusquà 100 ans, il faut dabord : avoir
la foi. Et si possible une vie spirituelle active ! Pour 23% des
centenaires, cest même plus important que la qualité
des gènes ou celle des soins médicaux.
Restaurer la conscience
Ensuite, il faut travailler dur, manger équilibré
et avoir une vie honnête et rangée.
Après : navoir ni regrets, ni remords ! 61 % des centenaires
assument complètement de navoir pas pu tout faire et
78% ne regrettent rien de ce quils ont pu faire par le passé.
Une minorité aurait malgré tout aimé voyager
plus (13%), travailler moins (9%) ou passer plus de temps avec leur
famille (6%).
Enfin : être satisfait davoir fondé une famille
(50%) ou être fier de sa carrière professionnelle (20%).
78% ne regrettent rien de ce quils ont pu faire par le passé
? Pourrait-on, à l'aide d'une table tournante et de solides
compagnons exmédiens, obtenir le contact avec les mânes
de défunts célèbres morts avant d'être
centenaires, Staline, PolPot, Mao, Franco, etc, et d'autres qui
disparaîtront sous peu ( Pinochet par exemple
): ils
avaient tous foi en leur idéal, ils croyaient ou faisaient
semblant d'y croire, à leurs idées et principes; c'est
bien peut-être parce qu'ils n'en ont pas fait assez qu'ils
n'ont pas atteint l'âge canonique en question ?
Plus sérieusement, où est l' intérêt
de parvenir à cet âge avancé ? affaibli
de corps et d'esprit, se trouvant surveillé de près
par les médecins ou les services sociaux,gêné
aux entournures, ON GËNE les autres, on est pesant, ralenti,
les toilettes corporelles sont minimes, les odeurs corporelles souvent
majeures, on est dépendant, situation pénible, d'infirmières
ou aides-soignantes, on est constamment en partance mais on est
toujours là ( et las, hélas ).
Renforcer la compétence:
Amis exmédiens, posez un miroir à plat sur une table
et inclinez-vous pour vous " admirer": vous verrez, horreur
glauque, certains traits qui s'affaissent, les rides qui ravinent
la physionomie, les paupières ptosées, le blanc (
jadis) de l'il terne et bientôt vitreux, vous aurez
un hideux aperçu de ce que vous donnera cet âge avancé:
j'avoue ne pas comprendre ce désir de vieillesse prolongée
et, ce pseudo-souhait d'immortalité, tout comme je n'ai jamais
compris le besoin forcené de se droguer ( allusion au Coup
d0eil dExmed du 11-1 août de Nicole Bétrencourt
à propos de lIBOGA Le LSD dAfrique a tué
) et je dirai, comme il fut dit à Gilgamesh, le héros
mésopotamien:
"
" Gilgamesh, où donc cours-tu ?
La vie que tu poursuis, tu ne la trouveras pas.
Quand les dieux ont créé l'humanité,
C'est la mort qu'ils ont réservée à l'humanité
;
La vie, ils l'ont retenue pour eux entre leurs mains.
Toi, Gilgamesh, que ton ventre soit repu,
Jour et nuit, réjouis-toi, Chaque jour, fais la fête
Jour et nuit, danse et joue de la musique ;
que tes vêtements soient immaculés,
La tête bien lavée, baigne-toi à grande eau
;
Contemple bien le petit qui te tient par la main,
Que la bien-aimée se réjouisse en ton sein !
Cela, c'est l'occupation de l'humanité. "
Gabriel de Verdun
l'os court : «
Cest
dur de vivre jusquà cent ans ? - Je nen suis
pas mort ! » Robert Rocca
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un autre numéro de la LEM
Lettre
d'Expression médicale n°460
Hebdomadaire francophone de santé
21 août 2006
Débredinoir
Dr. François-Marie Michaut
Votre dictionnaire favori risque de vous faire faux bond si vous
avez le curiosité bien légitime de lui demander ce
que peut bien être un débredinoir. Si vous avez la
chance de connaître un habitant de la belle province française
du Bourbonnais, il vous dira que cest tout simplement un système
pour débrediner les bredins.
Retrouver la confiance:
Alors prenons notre bâton de pèlerin et mettons le
cap vers un village situé à 14 kilomètres de
Moulins dans lAllier et répondant au doux nom de Saint
Menoux. Ne me demandez pas de détails sur ce monsieur Menoux,
ni comment il a été canonisé. Toujours est-il
quil existe une charmante église du 11ème siècle
qui abrite le fameux débredinoir. De quoi sagit-il
donc ? Et bien dune sorte de sarcophage de pierre, légèrement
surélevé, et contenant, dit-on, les reliques du saint.
Sa caractéristique est dêtre perforé sur
ses quatre faces douvertures cruciformes pouvant livrer le
passage à une tête humaine. Rite a priori assez inhabituel
dans nos églises chrétiennes.
Restaurer la conscience
La légende locale veut que le fait dentrer
ainsi en contact avec les restes du saint soit doué de vertus
thérapeutiques. Et voilà que nos bredins entrent en
scène. Car ces bredins se sont ceux qui ailleurs sont nommés
les ravis, les sifflés, les barjots ou les fadas. Autrement
dit les fous. Le grand mot est lâché : la folie. Celle
qui fut longtemps considérée comme un signe de possession
démoniaque, comme en témoigne encore la dénomination
de grand mal ou de haut mal pour désigner
une crise généralisée dépilepsie.
Épilepsie que nos modernes neurologues estiment depuis les
enregistrements électro-encéphaliques sans relation
avec une pathologie mentale. On le voit, on est là sur un
terrain mouvant. Appelons à notre secours un certain Erasmus
Roterdami, fils naturel dun prêtre, et génial
vagabond dune Europe qui navait pas encore sombré
dans les guerres de religion. En 1509 ( cétait pas
hier ) , cet esprit libre et indépendant de tous pouvoir,
tout ecclésiastique quil fût, osa écrire
un brûlot dont les échos parviennent jusquà
nous. Son titre ? Éloge de la folie. Comme le latin était
la seule langue possible de ceux quon a nommé les humanistes,
cest le mot sustentia qui fut employé. Rien à
voir avec notre moderne psychiatrie. Comme dans le langage courant,
cest de ceux qui ont la folie des voitures puissantes, qui
sont fous de leur corps ou qui sont disposés à faire
des folies pour telle ou telle chose ou personne quil est
question. Recueil de toutes nos folies, petites ou grandes, qui,
dit-on, constituèrent des mines dinspiration pour Molière,
La Bruyère ou La Fontaine, voilà ce quest cet
éloge de la folie, seul texte encore lisible pour des contemporains
du très illustre Erasme.
Renforcer la compétence:
Soudain, notre débredinoir prend un tout autre relief. Un
système qui nous oblige tous, que nous soyons ou non délirants
ou atteints de troubles plus ou moins graves de lhumeur ou
de la personnalité à nous retrouver immobiles, seuls
et sans lumière ni contact extérieur quelconque dans
un face à face avec ce quon nous dit être les
restes du saint, mais qui est surtout nous-mêmes, nest-ce
pas une expérience aussi rare que riche ? Notre chère
Toile est, à lévidence, un lieu où tous
les bredins, quils soient ou non des gredins, peuvent sen
donner à coeur joie. Ils ny manquent pas, dailleurs.
Mais Internet, du moins dans certains endroits, peut aussi constituer
un puissant contre-poison à ces éloges constants et
bruyants de toutes les folies du siècle. Alors, les amis,
nayons pas peur de faire la promotion dun étrange,
et à mes yeux, salutaire commandement, qui pourrait se formuler
ainsi. Utilisons à fond lInternet et débredinons-nous
ainsi les uns les autres. Et tant pis si les embredineurs y perdent
leur latin, eux qui pensaient bêtement pouvoir nous embrediner
en toute tranquillité durant toute notre courte vie!
l'os court : «
Les
Français enferment quelques fous dans une maison pour persuader
ceux qui sont dehors quils ne le sont pas. »
Montesquieu
Consulter
un autre numéro de la LEM
Lettre
d'Expression médicale n°461
Hebdomadaire francophone de santé
28 août 2006
Systémiquement parlant
(3)
Dr. François-Marie Michaut
Dans les deux premières LEM
n° 453 et 455
consacrées à une tentative dintroduction à
ce que nous avons nommé une systémique médicale,
quelques notions théoriques élémentaires ont
été fournies. Certes, elles ont été
accueillies sans entraîner une avalanche de propos hostiles
ou indignés. Mais, le silence qui sen est suivi est
particulièrement digne dintérêt et de
réflexion. Tout se passe comme si nos confrères se
sentaient particulièrement mal à laise, et même
avaient franchement peur délargir leur horizon professionnel
bien au delà de ce que leurs études leur avaient enseigné.
Quest-ce qui fait donc tellement obstacle à ladoption
par les médecins du corps dune analyse systémique
des situations pathologiques bien classiques quils soignent
à longueur de journée dans leurs cabinets ? Laspect
purement théorique ? Certainement pas, nos lecteurs nous
lont démontré ici, tout comme je lai vécu
il y a déjà de nombreuses années quand javais
organisé et animé un stage de formation continue avec
une quinzaine de médecins de la région. Lorsque javais
répondu à lappel doffres dactions
conventionnelles rémunérées ( et oui) par lAssurance
Maladie, mon projet de formation systémique avait été
accueilli avec le plus grand intérêt par le Fond dAction
Formation.
Retrouver la confiance:
Pourquoi donc, nous les médecins avons-nous tant de mal à
passer à lacte de lanalyse systémique
au cours de nos pratiques ? Il me semble, chacun a parfaitement
le droit de ne pas partager cette idée, que la raison est
la suivante. Sil veut placer sa façon de voir les choses
de la maladie sur le plan des systèmes en oeuvre, le praticien
doit effectuer une double gymnastique personnelle. Selon la formule
bien classique de Balint, en parlant de tout autre chose, le thérapeute
doit procéder à un changement limité mais considérable
de sa personnalité professionnelle. En fait, le médecin
doit prendre clairement conscience quil lui faut renoncer
à sériger en juge. Certes, le serment dHippocrate,
tout comme la tradition psychiatrique nous disent bien que nous
navons pas à juger, à dire où est le
bien et le mal. Mais ... la pression sociale est tellement forte,
on attend tellement des médecins quon ne cesse de nous
demander de dire ce qui est droit, comme ce qui est tordu, si on
veut bien me pardonner ce jeu sur le sens des mots. Alors, quand
nous sommes immergés - pas moyen dy échapper
- dans le jeu des interactions entre les différentes personnes,
nous laisser aller à parler, et même à penser,
comme un juge du sain et du malsain, quand il ne sagit
pas même du bien et du mal dune relation humaine, cest
nous priver de toute possibilité de compréhension
des différentes forces en jeu dans la relation. Jusque là,
il me semble quun nombre non négligeable de soignants,
du moins ceux qui ont eu la possibilité de bénéficier
dune formation approfondie, peut comprendre cette façon
de voir les choses.
Restaurer la conscience
Là où cela se corse, cest
quand on va plus loin. La neutralité bienveillante
dans la relation de soins, même si elle demeure de fait un
idéal, est, hélas, encore insuffisante. Car le médecin,
pour tout ce qui concerne sa relation avec les patients et leur
entourage doit encore se tenir soigneusement à lécart
dun autre rôle dans lequel tout le monde veut le faire
aller, celui de conseiller. Attendez, ne sautez pas au plafond trop
vite, sil vous plaît. Nous sommes bien daccord
que la formation des thérapeutes, et toute leur expérience
personnelle leur permet, et même leur impose souvent de donner
des conseils dans le domaine bien limité de leurs connaissances
professionnelles. Il ny a pas si longtemps que cela, au temps
où le médecin composait lui-même ses remèdes,
sous forme de prescription magistrale, que le pharmacien était
chargé de préparer dans son officine, une formule
rituelle figurait en tête de lordonnance. Cétait
la suivante : Je conseille. Le médecin nest pas en
position dimposer quoi que ce soit à qui que ce soit,
et heureusement.
Renforcer la compétence:
Il doit parvenir à convaincre le malade que ce quil
propose pour améliorer sa santé, comme au non malade
pour éviter de le devenir est pertinent et conforme aux connaissances
médicales reconnues du moment. Que la tentation de la manipulation,
soit pour le bien du patient, soit pour le bénéfice
personnel du soignant, demeure toujours présente ne peut
surprendre personne. Là où la position de conseiller
devient anti-thérapeutique, nayons pas peur de le dire,
cest quand le professionnel se laisse aller à donner
des avis sur des choses qui sont hors de sa compétence médicale
( ou psychologique, cela va de soi). Quand, par exemple, un soignant
se permet de recommander à telle ou telle personne de prendre
ou ne pas prendre telle décision dans sa vie ( par exemple
adopter un enfant, partir en vacances ou divorcer), il se disqualifie
définitivement pour comprendre comment fonctionne le système
des interactions de son patient. Il sest fait aspirer et est
devenu un acteur comme les autres du système.
La formulation de ces deux écueils courants de la pratique
médicale est déjà complexe, peut-être
même incompréhensible, voir scandaleuse pour un grand
nombre. Parvenir à ce que les jeunes médecins puissent
éviter de tomber dans ces pièges, dangereux avant
tout pour les patients, et la qualité de la relation thérapeutique,
donc des soins, ne semble, hélas, pas encore envisageable.
Il y a tellement à apprendre dans nos métiers que
la façon dont nous mettons en oeuvre ces connaissances ne
semble pas prise en compte par nos systèmes universitaire
et hospitalier. La compétence médicale technique,
certes, cest indispensable, cest nécessaire mais
... cest très insuffisant.
Toutes les tentatives de standardisation, de guides de bonnes pratiques,
darbres de décision, de contrôle sont des illusions
de planificateurs en chambres. Elles sont vouées à
léchec parce quelles passent à côté
de lessentiel. Ce sont de véritables enseignants de
médecine clinique - en particulier de médecine générale-
dont nous avons besoin. Des hommes qui puissent aider au cas par
cas, pas de façon globale, leurs confrères à
se poser les questions les plus importantes sur la pertinence de
leur attitude relationnelle avec leurs patients et ... leur entourage.
Personne nentend actuellement ce point de vue ? Cest
possible, mais nous le répéterons aussi longtemps
que nous, et bien dautres, le pourront.
l'os court : «
Grattez
le juge, vous trouverez le bourreau. » Victor Hugo
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