La
relation médecin malade , ou mon Serment d'Hippocrate
Madame
le Docteur Jocelyne PINON, psychiatre et psychothérapeute,
Avertissement de la rédaction :
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sur votre Navigateur pour l'imprimer ensuite. Publié
sur ce Site avec l'autorisation écrite de l'auteur
en date du 28 mai 1998, cet article est paru initialement
dans la publication « Médecins de BOURGOGNE/FRANCHE-COMTE
» N°51/19 sous le titre : « Mon Serment d'Hippocrate
». Son caractère exceptionnel ( cf notre
Lettre d'Expression Médicale n°59) justifie
une lecture très attentive et une diffusion aussi large
que possible tant dans le grand public que dans les professions
de santé. L'auteur souhaite que ce travail d'écriture
soit le plus largement repris ou utilisé. Merci et
bonne lecture.
Le 15 juin 1998
Nous
avons appris le décès de l'auteur à l'âge
de 49 ans des suites de sa maladie le 10 décembre 1999.
Que son testament professionnel reste en vie pour aider le
plus grand nombre !
Le 15 décembre 1999
FMM
|
L'évolution
scientifique, quasiment exponentielle, de la médecine, et
le nécessaire effort d'approfondissement des connaissances
scientifiques demandé aux médecins, me paraissent
avoir entraîné, au fil du temps, une sorte de dérive
de la médecine. Le contact avec la patient dans son humanité
a, peu à peu, disparu dans une grande part des services hospitaliers.
Il a laissé place à la technique et aux progrès
de l'informatique tant pour le diagnostic que la conduite des soins
et le suivi à long terme des malades. La relation de confiance
entre deux humains n'est plus le fil conducteur du chemin du traitement
et de la guérison des maladies ; elle a été
remplacée presque entièrement par les progrès
techniques et la rigueur scientifique qui sont cependant deux excellentes
choses. Il s'ensuit d'ailleurs une remise en cause de la compétence
des médecins par ceux de leurs malades qui sont le plus dépossédés
de leur corps sur un plan symbolique. Ainsi on constate l'apparition,
de plus en plus fréquente, de procès à l'encontre
des médecins.
Je
pense qu'il n'y a pas de plus grande dévalorisation pour
un être vivant que de méconnaître ce qu'il vit.
«
Méconnaître » c'est à dire : ignorer ce
qu'il pense, ce qu'il ressent, ce dont il a besoin, et, aussi, le
sens que cette personne donne à sa vie ; ne pas en tenir
compte ; faire comme si ce que sent la personne n'existait pas ;
ne pas en reconnaître la signification ; ne pas en reconnaître
le prima c'est à dire le fait que c'est premier ; ne pas
reconnaître tout à la fois le caractère souffrant
de ce que vit la personne et ce qu'il comporte de positif : ressource
de croissance , visée positive , curative ; c'est une méconnaissance
de l'Etre.
Le
modèle médical moderne est le plus souvent réducteur
de la réalité humaine du malade car il ne prend pas
en compte les trois dimensions physiques, psychologiques et spirituelles
de l'homme. A cet endroit il semble qu'une des améliorations,
au quotidien, de la vie du malade doit partir d'une remise en question
du modèle hospitalier habituel, lequel, se voulant de plus
en plus souvent uniquement scientifique, tend actuellement à
plonger dans un désespoir anonyme et silencieux nombre de
malades hospitalisés mais aussi leurs familles. ( Le
fonctionnement général est tel que même quand
une personne soignante est plus humaine, a des dispositions différentes,
c'est dissout, dans certains services, dans un processus tourné
vers la lutte, quelque chose de guerrier, d'offensif et de défensif,
qui ne tient pas compte de ce que vit le malade ! ).
Cette remise en question doit porter ses efforts dans le domaine
de la communication.
En
effet, l'homme ne doit pas seulement se développer dans son
corps et entretenir celui-ci. Il est aussi un être vivant
doté d'une conscience. Il me parait important, non seulement
de ne pas faire taire celle-ci, mais au contraire, de donner à
l'homme malade, au quotidien, la possibilité de réfléchir,
de s'exprimer et de participer de façon éclairée
au traitement et à la guérison de la maladie dont
il souffre.
A la
lumière d'une double expérience :
-
une expérience de plusieurs années, au chevet d'un
proche, en service hospitalier public d'oncologie d'une part ( expérience
au cours de laquelle j'ai eu à connaître, au plus près,
le retentissement de la maladie sur la totalité de la personne
),
-
et, d'autre part, en tant que psychothérapeute s'intéressant
et se consacrant tout particulièrement à tout ce qui
concerne l'accès, par le malade lui-même, aux symboles
abordé par lui dans sa maladie : symboles utiles aussi pour
lui dans sa guérison,
différents
points d'intervention, dans différents domaines de la communication
concernant le quotidien du malade, et de sa famille, sur le plan
psychologique, me paraissent fondamentaux à souligner.
Les
remarques que je vais présenter plus loin sont le plus souvent
le fait d'associations de malades. Il est rare, à ma connaissance,
qu'une analyse de ces éléments soit effectuée
par un médecin.
Le
modèle que je propose est élaboré à
partir de ma formation médicale, de mon expérience
des services hospitaliers et aussi d'une ouverture aux autres qui
relève du modèle psychothérapeutique et de
ma propre sensibilité à tous les êtres en souffrance.
Ce
modèle est fondé sur la responsabilité et l'autonomie
autant que sur le respect de la dignité et des valeurs de
chacun. J'envisagerai donc ici, dans la vie quotidienne du malade,
plusieurs secteurs ayant une incidence sur son psychisme. J'emploie
ici le mot « psychisme » bien au delà ce qu'on
appelle « le moral » , mais plutôt de ce qu'on
appelle la « conscience » et la « croissance »
. Cela peut aussi recouvrir ce qu'on appelle la vie spirituelle
de la personne, c'est à dire, pour une part, ce la façon
dont dont cette personne donne un sens à sa vie et se relie
au monde, à la création, la façon dont cette
personne est sensible à elle-même et aux autres, à
ce qui est beau, à ce qui est grand, à ce qui dépasse
sa conscience d'être humain. Il a été démontré
par d'autres que moi ( et bien avant moi ! ) que ces facteurs psychologiques
font partie des facteurs qui influencent l'évolution de la
maladie et la guérison. Sans mettre en avant les explications
psychanalytiques qui pourraient paraître d'un abord difficile
à des non-psy, sur ce thème il nous suffit de porter
un regard en arrière et de voir comment nos pères,
médecins de proximité, prenaient en compte le malade
et la maladie d'une façon beaucoup plus globale que la plupart
de nos jeunes étudiants en médecine n'apprennent à
le faire.
SUR
LE PLAN DE L'ORGANISATION DE LA VIE DANS LE SERVICE :
Paradoxalement,
et bien qu'il soit l'une des bases même de la confiance du
malade, le secret médical est quelque chose
de tout à fait relatif dans les services hospitaliers. J'insiste
sur le fait que le secret médical, à tous les niveaux,
devrait être le principe de base régissant l'environnement
hospitalier du malade. Parfois même, encore plus paradoxalement,
non seulement on dit des choses sur, et à propos du malade
et de sa maladie, mais encore le malade est la dernière personne
informée de ce qui la concerne pourtant au premier chef.
Ceci est inacceptable.
Le
secret médical doit être absolu.
Le
personnel médical et le personnel administratif
doivent observer la plus grande réserve vis à vis
de toute demande de renseignement concernant qui que ce soit, ou
toute tentative de conversation à propos de qui que ce soit.
Je rappelle que cela signifie non seulement de ne renseigner personne
sur la pathologie d'un malade mais aussi de ne même pas faire
état de la qualité de malade de cette personne. Cela
couvre donc le fait même que la personne reçoive des
soins, ou même simplement, ait consulté dans le service.
De
même tout ce qui doit être dit au malade le sera dans
un lieu intime , à l'abri de la vue et des
oreilles des personnes non directement concernées par les
soins donnés à la personne. Autrement dit : pas de
parole à la cantonade devant les autres malades, même
pour donner un résultat d'analyse. Cela évitera les
commentaires, parfois désastreux, de l'entourage, après
le départ des soignants. Il me parait indispensable de prévoir,
à chaque hospitalisation, un temps et un lieu intimepour
que le malade puisse s'exprimer seul à seul avec le médecin
de son choix ou avec l'infirmière de son choix. Il est tout
aussi évident et indispensable pour moi de respecter l'intimité
du malade dans sa chambre . Même le médecin,
dont la visite est pourtant parfois attendue avec anxiété
et impatience, doit frapper avant d'entrer et se comporter comme
s'il était vraiment chez son patient, ce qui est le cas !
Il
est indispensable que chaque personne qui se pénètre
dans la chambre du malade se présente de façon
suffisamment claire. Combien de malades ignorent nom et prénom
de l'interne ou de l'assistant du service ! Combien de malades émus
par la visite du patron ou de l'un de ses assistants sont incapables,
après coup, de dire qui ils ont vu ! Le vocabulaire
utilisé pour parler au malade sera à la portée
de celui-ci. Ni trop simpliste, ni trop savant.
Il
est important que le médecin prenne le temps de voir
le patient avant que ne soit lancé le fameux bilan standard
habituel dans les services hospitaliers. On évitera
ainsi au malade de se prendre inconsciemment pour un objet; objet
soumis à la seule puissance d'une médecine anonyme
et deshumanisée. Cette pratique, pourtant courante et qui,
dit-on, « fait gagner du temps » , est en fait une dévalorisation
profonde quoique banalisée de la personne malade : celle-ci
n'est plus alors sur le plan symbolique, à ses propres yeux
comme à ceux des soignants du service, qu'un matériel
biologique plus ou moins en panne.
Il
me parait utile aussi de veiller à l'équilibre alimentaire
lors des repas à l'hôpital. L'hospitalisation est,
pour certaines personnes, l'occasion de découvrir d'autres
rites alimentaires que les leurs. Les médecins doivent pouvoir
en profiter pour éduquer leurs patients sur le plan diététique.
Ne laissons pas ce soin aux revues féminines ou dites de
médecine douce : les conseils diététiques sont
une des attributions des médecins.
Je
souligne aussi la nécessité psychologique pour le
malade de trouver une continuité dans le personnel
. Il me parait nuisible que le malade ait, sans cesse, affaire (
comme je l'ai vu faire de façon répétitive
dans plusieurs services différents ) à des personnes
nouvelles, inconnues de lui, à chacune de ses hospitalisations.
C'est complètement deshumanisant d'agir ainsi avec nos patients.
L'être humain a besoin de créer des liens
, surtout lorqu'on se trouve confronté à une maladie
grave, voire à la perspective de sa mort.
De
toute façon, dans un service d'oncologie, il va contacter
profondément, qu'il n soit conscient ou non, sa condition
d'Etre mortel. Hors c'est douloureux de réaliser vraiment
dans sa chair, son esprit, son âme, que l'on n'est pas immortel
! C'est vraiment douloureux de faire le deuil des années
que l'on ne vivra pas, des choses qu'on ne pourra plus faire, des
gens qu'on ne pourra plus rencontrer. Ce peut être, pour un
humain, une occasion de croissance formidable. C'est
dramatique que la plupart des gens soient obligés d'aborder
cette étape de leur développement psychologique et
spirituel dans la plus grande solitude, je dirais même dans
la pénurie psychologique.
Je
rappelle qu'infirmière et médecin doivent se présenter
au malade. Il est indispensable aussi que le patient puisse
choisir un interlocuteur privilégié de sa maladie
dans le service. Dans l'idéal il peut s'agir d'un médecin
à qui il pourra accorder sa confiance. Il;pourra se confier,
c'est à dire non seulement dire ses troubles physiques, mais
aussi le retentissement de ces troubles sur son psychisme, sa vie
sociale, relationnelle, sexuelle, et jusqu'à l'âme
s'il le souhaite : tout son être. Sa maladie est son épreuve.
Cette épreuve sera moins lourde à porter si le patient
partage ce qu'il éprouve avec autrui. J'insiste sur la notion
de soins complets. Il ne s'agit pas seulement de donner, pour une
maladie donnée, le traitement, plus ou moins standard, approprié
scientifiquement à soigner cette maladie. Mais il s'agit
aussi de soigner tout ce dont le malade souffre, la maladie
étant, le plus souvent, l'ultime symptôme présenté
à la face du monde pour recouvrir, et sauver, symboliquement,
d'autres souffrances.
De
plus, certains traitements habituels ont des effets secondaires
désastreux. Nous devons donc entourer le patients de soins
parallèles. Combien de douleurs, de nausées,
de constipations opiniâtres, traitée par nos jeunes
internes avec des drogues diverses, elles-mêmes non dépourvues
d'effets secondaires, peuvent être tout simplement soulagées
par certaines manoeuvres ostéopathiques ou de kinésithérapie
, ou de simples conseils d'hygiène de vie. Le recours à
l'esthéticienne et à des crèmes
hydratantes doit être recommandé à tous les
malades subissant une chimiothérapie. L'aide d'une esthéticienne
devrait être systématique dans les services d'oncologie
pour tous les patients. En effet d'une part, leur peau est rendue
sèche par leur traitement et, d'autre part, il est important
qu'ils aient une image du corps respectueuse d'eux-mêmes.
Il me parait fondamental que le médecin lui-même encourage
son patient au respect de son corps, de l'image qu'il en a, et de
l'image qu'il en donne aux autres.
Une
consultation de gynécologie pourra aussi aider,
chez la femme, à rétablir un climat hormonal défavorisé
par les chimiothérapies. Le port de bas à varices
soulagera aussi les jambes lourdes d'après chimio. Les soins
infirmiers apportés aux veines après chaque
séance d chimiothérapiee aideront à lutter
contre les douleurs résiduelles et conserveront plus longtemps
un bon tonus veineux. Enfin aidons et encourageons nos patients
à conserver leur dignité en toutes circonstances et
à soigner leur image corporelle. Le port de
la perruque après chimiothérapie doit
être encouragé. Il faut insister aussi auprès
de nos malades pour qu'ils, ou elles, acquièrent une perruque
de bonne qualité aux reflets et à la coupe aussi naturels
que possible. Une personne qui se laisse aller au point de montrer
aux autres, et à elle-même, une image de sa déchéance
et sa décrépitude physique a-t-elle vraiment le respect
d'elle-même en tant qu'être humain ? Je doute du désir
de vivre des gens qui ont abandonné tout respect de leur
image et toute idée de séduction. Ne nous faisons
pas complices de cela. Le respect de son image fait partie
du désir de vivre et de guérir.
(
L'image de soi n'a pas qu'une fonction narcissique. Cette fonction
d'amour de soi n'est pas « qu'un petit quelque chose »
de futile ni de gratuit. Réellement, il s'agit là
d'une des productions mentales les plus importantes de l'être
humain. Elle ne peut être traitée seulement comme une
« représentation » mais comme « l'identification
» : elle identifie l'Etre dans toutes ses composantes physiques,
psychologiques et spirituelles. Cette image peut être élaborée
en symbole).
SUR
LE PLAN PSYCHOLOGIQUE :
Je
pense indispensable que le médecin prenne en compte l'importance
de la relation médecin-malade et tout particulièrement
son influence dans la guérison : le médecin est le
premier outil thérapeutique ! Si nous sommes impuissants
à guérir l'autre, qui en fait est seul à pouvoir
se guérir, notre véritable privilège de médecin
c'est de jouir de la confiance que nous fait cette personne et de
pouvoir éclairer les choix qu'elle va être amenée
à faire pour se guérir, et, ou, grandir.
Il
est indispensable de laisser au malade la possibilité
de choisir l'infirmière et le médecin qui
pourront être les interlocuteurs privilégiés
indispensables à sa guérison ou à son cheminement
psychologique et, (ou) spirituel ! Il n'y a pas de plus grande dévalorisation
que d'empêcher quelqu'un de s'exprimer, ou de ne pas lui en
donner la possibilité, lorsqu'il vit des moments difficiles,
douloureux ou même simplement des temps forts de son existence
d'humain en souffrance. Cela implique la nécessité
de donner au malade temps et espace pour une réelle
intimité dans la relation. De cette relation peut
naître la confiance qui est certainement un facteur de réussite
du traitement envisagé. Nous devons choisir de parler au
malade, à chaque malade, dans un lieu calme, tranquille,
hors de la foule des autres soignants et des autres malades, ou
même de toute personne étrangère. Nous devons
lui donner, aussi, la possibilité de vivre et d'exprimer
ses sentiments dans le service s'il en éprouve le
besoin : colère, chagrin, peur, joie, mais aussi sa
douleur. L'énergie qui circule ainsi dans le malade
doit pouvoir s'exprimer sans être réprimée et
sans que nous découragions son expression parce qu'elle nous
paraîtrait « inconvenante » ou « dérangeante
». J'invite, personnellement, les gens à s'exprimer
autant que cela leur parait utile. Interdire au malade, par un oeil
ou des paroles désapprobatrices, de s'exprimer, augmente
sa situation de dépendance et son sentiment que le milieu
médical est tout puissant vis à vis de lui. Alors
le malade se sent seul, sans utilité et incompris et il se
dévalorise, ce qui aggrave sûrement la problématique
qui a favorisé sa maladie. De là à la dépression,
qui nous fera rejeter certaines personnes sur une consultation de
psychiatrie pure et dure, il n'y a qu'un pas qu'il n'est pas à
notre honneur de franchir. Quand on accepte de traiter certaines
maladies avec certains traitements, on doit en assumer jusqu'au
bout les conséquences psychologiques, que nous appellerons
ici, tout simplement, les conséquences humaines. Ces fameuses
conséquences psychologiques ne peuvent pas ne pas être
désagréables,et, parfois douloureuses pour le médecin
lui-même.
Il
n'est pas propre de faire porter le poids d'une souffrance qui nous
est personnelle à nos patients : soit en les évitant,
soit en les bousculant, soit en niant ou dévalorisant ce
qu'ils nous disent vivre. C'est pourquoi je dis que le type de relation
d'intimité qui sera une aide pour le patient nécessite
une aide psychologique extérieure pour le soignant.
Il s'agira d'un lieu de recours thérapeutique pour élaborer
les situations parfois douloureuses auxquelles le médecin
est confronté. Confronté, soit parce que cela touche
un point douloureux de sa vie ( problématique) personnelle
resté douloureux, soit parce que les choses vécues
par le malade sont terribles à observer pour un autre humain
et que, même si le médecin n'a jamais appris à
résoudre ces difficultés pour n'y avoir pas été
lui-même confronté, il doit tout de même y faire
face avec son malade.
Je
remarque, non sans honte pour ma profession, que, si les infirmières
font des stages dans le domaine de la relation avec le patient et
avec la maladie, ou font un travail sur elles-mêmes en psychothérapie,
les médecins le font très exceptionnellement, comme
si leur diplôme médical les mettait à l'abri
d'être des humains et d'avoir des zones de méconnaissance
de certains problèmes humains ! Je
souhaite vraiment à chaque patient atteint d'une maladie
grave de pouvoir rencontrer un médecin ayant travaillé
sur lui-même pour se développer au niveau psychologique. Ainsi ce médecin pourra rendre compte, extérieurement
à son malade, de sa propre souffrance et de ses propres difficultés
psychologiques concernant ce malade et sa maladie. Ce médecin
sera au clair aussi avec sa condition d'être mortel. Ce médecin
saura aussi respecter, sans les brusquer, mais en les désamorçant
peu à peu si c'est utile, celles des croyances de son client
qui sont nuisibles pour sa guérison. Il est dommageable,
pour les malades que nous soignons, que nous projetions sur eux
nos propres visions du monde et nos propres peurs par rapport à
la mort ou la maladie.
J'insiste
sur le fait que le médecin doit employer un vocabulaire
clair et ne doit pas hésiter, lorsqu'il dit des choses
importantes à son malade, à vérifier
ce que le malade a compris que le médecin lui disait.
En cas de nécessité renouveler l'explication. Je rappelle
qu'idéalement le médecin doit obtenir la participation
éclairée du malade à son traitement.
En effet, même si nous, médecins, n'y pensons pas vraiment
à chaque instant, c'est le malade qui décide de sa
vie et de son traitement, même si nous avons parfois l'illusion
d'y être pour beaucoup plus. Les informations que l'on choisit
de dire alors que le malade, diminué par une phase de s maladie
ou de son traitement, n'est plus en état de participer à
une communication avec le soignant, ou à assimiler correctement
ce qui est dit, ne servent à rien, et sont une injure faite
à la conscience et à la responsabilité de la
personne qui souffre. Nous devons donner au patient de véritables
informations sur les soins et examens pratiqués et
sur leurs effets secondaires ou sur les précautions à
prendre. Nous devons faire cela après nous être assuré
que le malade est disponible physiquement et psychiquement
à entendre et ce rappeler ce que nous avons à lui
dire.
Il
est du devoir du médecin d'aborder les effets sexuels
de la maladie ou de son traitement. La plupart des malades en souffrent
sans rien dire, sans savoir qu'une solution existe, et sans oser
se confier au médecin qu'ils ont choisi, ou qui leur est
désigné dans le service comme s'occupant de soigner
leur maladie. C'est le rôle du médecin d'informer et
de rassurer, lorsque c'est possible, au sujet des effets sexuels
d'une maladie ou de son traitement.
Je
revendique, enfin, l'accès véritable et direct
du malade à son dossier à chaque fois qu'il
s'agit d'une personne autonome et consciente et qu'elle le demande.
Cette démarche doit pouvoir se faire directement sans l'intermédiaire
du médecin de famille. La symbolique de la maladie et le
chemin de la guérison sont inscrits dans les symptômes,
mais aussi dans les traces observables au niveau des examens complémentaires.
Cela appartient au malade. Laissons nos malades être les propriétaires
de leur symbolique même si nous ignorons, pour la plupart
d'entre nous, comment les guider au mieux à travers cette
symbolique que nous percevons tous cependant comme existante. Le
médecin ne doit pas perdre de vue que, la plupart du temps,
le malade en sait presque aussi long que lui sur sa maladie grâce
aux médias et à la vulgarisation des connaissances
scientifiques, de nombreux malades ont dans leur famille ou leurs
amis un médecin ! Notre plus grand privilège, ce n'est
donc pas seulement notre connaissance scientifique mais surtout
la reconnaissance de notre humanité, de notre savoir faire,
et de notre savoir être et communiquer, par nos malades. Ne
nous départissons pas de cela !
Il
est cruel de provoquer chez le malade toute interrogation
inutile source d'angoisse : - tenons le au courant de ce
qu'on va lui faire suffisamment longtemps à l'avance. Comme
tout humain, une personne malade a besoin de structurer son avenir,
de savoir ce qui va se passer, d'y réfléchir et de
s'y préparer. - ne prononçons pas de formules vagues
du genre : « hospitalisation pour une durée indéterminée
», fixons une fourchette, laquelle même approximative,
aidera le patient à se projeter dans le possible. Si on hésite
dans une option thérapeutique, disons le au malade, et vérifions
si le malade lui-même ne peut fixer le choix. Après
tout c'est son droit d'être suffisamment informé au
sujet de sa maladie pour pouvoir participer, à parité,
à chaque fois que son psychisme le permet, aux grandes décisions
le concernant. Toute décision concernant la santé
d'un patient doit être prise avec son accord suffisamment
éclairé. En réalité, même
si le médecin, comme le malade, pensent qu'il en est autrement,
c'est le malade qui décide passivement, ou activement, de
ce qui va lui arriver et de ce qu'on va lui faire ou pas à
l'hôpital. C'est permis que le malade choisisse la façon
dont il préfère gérer telle ou telle étape
de sa maladie. C'est lui qui vit ce qu'il est en train de vivre,
c'est « sa
peau
» qui est en jeu. Le malade n'est pas la propriété
du médecin et il n'est pas juste que nous agissions comme
si cet individu n'existait pas en tant que tel à nos propres
yeux. Ce serait le condamner au désespoir dans la passivité
obligée.
Pensons
à prévenir suffisamment à l'avance
le patient des changements survenant dans le traitement de sa maladie
: de l'annulation de son traitement, ou d'une journée d'hospitalisation
prévue de longue date, par exemple. Le malade aussi a une
vie personnelle. Avant d'être « un
malade
» il s'agit d'un homme ou d'une femme comme vous ou moi qui
vit, agit, pense, éprouve des émotions, tombe amoureux
ou divorce, fait ou renonce à des projets. Nous ne pouvons
disposer de son temps comme s'il devait être à notre
entière disposition, même et surtout si le pronostic
de sa maladie est sombre. Il le sera, soyons en assurés,
lorsque sa maladie ne lui laissera parfois hélas plus la
possibilité de vivre normalement. En attendant, notre rôle
c'est de l'aider à vivre, aussi bien que possible, ce qu'il
a à vivre aujourd'hui. Et, avant tout, de respecter la créature
vivante en lui.
Enfin,
parce que nous ne sommes pas tout puissants, nous devons respecter
les choix et les valeurs du malade . Tout ce qui va lui
arriver, concernant par exemple les choix de traitement et d'examens
complémentaires, doit recevoir son accord. Nous devons respecter
l'aide que peuvent lui apporter des médecines dites douces
dont la simple évocation nous irrite parfois. Ce type de
médecine reprend en fait pour une part nos échecs
psychologiques. La plupart des praticiens dans ce domaine savent
écouter, respecter, laissent s'exprimer, font un chemin au
dialogue et de là à l'espoir, et ouvrent pour le malade
la voie de l'Espérance.
Je
suis opposée à ce qu'on fasse des cocktails
lytiques sans l'avis du malade . Ce n'est pas la même
chose qu'un bien portant décide que c'est insupportable de
vivre ainsi ou que le malade décide lui-même de cela.
Il me paraît indigne de priver quelqu'un de sa conscience
et de la richesse infinie de de ses derniers instants sans son accord.
La
sortie du service hospitalier sur décharge a lieu,
généralement, quand naît un différent
entre le médecin et le patient. le médecin est en
colère et, pour de bonnes raisons, voudrait imposer au patient
sa manière d'obtenir la guérison. Quand on en arrive
là c'est en général que le dialogue médecin
malade s'est mal instauré ou pas du tout ! On ne peut que
trouver cela bien regrettable ... pour le patient surtout.
SUR
LE PLAN DU DÉVELOPPEMENT DE LA PERSONNE MALADE EN TANT
QU'ETRE VIVANT :
Nous
devons inviter chaque malade qui est conscient de ce qu'il vit à
entreprendre, pour lui-même, un travail psychothérapeutique
à chaque fois que nous percevons que cette personne en a
la possibilité physique et psychologique. En effet il est
capital que le patient s'approprie de sa responsabilité dans
sa guérison et qu'il saisisse l'opportunité
de sa maladie comme une occasion de croissance. Un malade
est avant tout un être humain c'est à dire un être
vivant conscient doté d'une âme. Le médecin
doit penser à inviter la personne malade à développer
tous les aspects de sa personnalité afin que la maladie ne
soit pas l'occasion, pour la personne malade, de se racornir, de
se faire passive en s'en remettant, les yeux fermés, à
un médecin qu'elle imagine tout puissant jusqu'à ce
qu'elle constate, avant le médecin lui-même parfois,
l'impuissance de ce dernier à la sauver.
Nous
pouvons et devons, pour peu que nous en soyons nous-mêmes,
médecins, conscients, donner à connaître
au malade que sa maladie a une place dans sa vie puis le guider
pour rechercher laquelle.
Il
faudra travailler sur l'ensemble de la personne : corps, psychisme,
âme, corps social. Ce travail pourra être fait
sous la forme d'une visualisation mais, bien au delà, il
nous faudra envisager avec le malade la symbolique de sa maladie.
Il nous faut, nous médecins, accepter de travailler en collaboration
de plus en plus fréquente et étendue avec des psychothérapeutes.
Un psychothérapeute compétent guidera le malade afin
qu'il s'approprie consciemment de la symbolique de la maladie,
dans sa propre conscience. Il n'y a pas de symbolique générale
applicable à tous ! Nous devons envisager avec cette personne
quelle a pu être, à son avis, la porte d'entrée
de la maladie, (
corps, psychisme, ou âme ?
). Quelle sens cette maladie a-t-elle dans son existence ? Quels
besoins fondamentaux, au sens des besoins fondamentaux décrits
par Marlow, frappent à la porte ?
Le
malade recevra alors protection, permissions et modèle
pour développer sa puissance et élaborer
et mettre en place les changements utiles dans son existence. L'important
c'est que le malade ne se considère pas lui-même comme
un objet, ainsi que l'y invite le modèle médical qui
tend à l'heure actuelle à se répandre dans
nos hôpitaux. Il ne doit pas s'y soumettre passivement.
Au
contraire il doit rester conscient que c'est lui qui dirige
sa vie, qu'il doit prendre lui-même les décisions
qui le concernent. Il doit savoir qu'il peut, dans le sens où
c'est permis, et où il en a l'opportunité, se développer
psychologiquement et spirituellement, à l'occasion de sa
maladie. La personne gravement malade peut aussi développer
en elle l'espoir et l'Espérance qui sont des facteurs de
bien être sinon, très certainement nous montrent des
études sérieuses ( études faîtes plutôt
outre Atlantique que dans notre merveilleux et beau pays), des facteurs
de guérison.
Si
le malade ne trouve pas d'écoute, de dialogue, s'il n'est
pas réellement respecté par ce médecin même
qui doit être en première intention son interlocuteur
privilégié, dans ses trois dimensions physique, mais
aussi psychologique et spirituelle : il se détourne vers
des médecines dites parallèles, avec, au fil de ce
parcours, la plupart du temps, perte de l'espoir, perte de confiance
dans le médecin et la médecine, mais, plus grave encore,
perte de la confiance dans son propre pouvoir à se soigner
et à se guérir qu'on l'aura presque « obligé
» socialement et culturellement à situer en dehors de
lui. Les croyances magiques naissent alors pour lutter contre le
désespoir. Le malade et sa famille s'en remettront aux guérisseurs.
SUR
LE PLAN SOCIAL :
L'arrêt
de travail fait, le médecin doit en rester conscient,
partie intégrante du traitement dans les maladies graves.
Je mets en garde sur les prétendues vertus du maintien du
travail dans les maladies graves. L'activité principale du
malade, à apprendre ou à réapprendre, doit
être de prendre soin de lui. ( L'impossibilité, pour
certains, d toucher ce bénéfice secondaire de la maladie
est d'ailleurs responsable de bien des rechutes spectaculaires et
parfois mortelles). Le malade autonome, qui se situe psychologiquement
dans une position de responsabilité, actif à se guérir
d'une maladie grave, a besoin de remplir cette activité à
plein temps. Il doit être socialement déchargé
de toute tâche autre que se soigner et réformer ce
qui, dans sa vie, a pu l'amener à produire, ou développer,
en lui, une maladie grave, symboliquement résolutive d'un
autre conflit plus grave à ses yeux. Il lui appartient de
réformer et de réorganiser sa vie. Cela demande du
temps. C'est une des parties les plus importantes des soins à
se donner proprement dit.
Il
y a de la part du malade, comme du médecin, quelque chose
de l'ordre du déni dans la persistance d'une activité
professionnelle, « contre vents et marées »,
en cas de maladie grave. La reprise d'un travail, dans des conditions
protégées, c'est à dire en aménageant
des temps et des modalités de travail très spécifiques,
ne se fera qu'à la condition d'un rythme adapté à
celui du malade lui-même, ce qui n'est pas sans être
parfois difficilement compatible avec la structure du travail.
Il
me parait important, aussi, d'apporter à la famille du malade
tout ce dont elle va, elle-même, avoir besoin pour passer
l'épreuve que représente la maladie grave d'un proche.
L'écoute vraie par le médecin, les informations claires,
et le respect des valeurs avec la permission d'exprimer ce qui a
besoin de l'être sont d'une importance primordiale.
EN
CONCLUSION :
L'aide
que nous pouvons apporter, au quotidien, au malade, comme à
sa famille, dans le domaine psychologique, n'est jamais prise véritablement
en compte dans le modèle médical scientifique actuel?
Elle l'était, me semble-t-il, dans un modèle médical
plus ancien dont le prototype est, pour moi, celui du médecin
de campagne d'autrefois. Une humanisation, dans le sens d'un retour
à l'humanisme, de la médecine me parait souhaitable.
Est-ce possible ? Le médecin très, voire trop, sollicité
par les nouvelles découvertes scientifiques, et les médias,
et parfois même la justice, a vraiment beaucoup à faire
!
Une
aide minimale serait d'informer les médecins, dès
leurs études, qu'il leur sera utile de se former dans le
domaine psychologique et qu'une aide psychologique leur est nécessaire
et permise. Que cette aide leur sera utile, pour eux-mêmes,
afin de faire face à certaines pathologies et à certains
problèmes humains. Il faudrait les informer qu'il ne s'agit
pas là d'un reproche sur leur fonctionnement actuel ni d'une
critique sur ce qu'ils devraient connaître sans l'avoir appris,
mais d'une nécessité de connaissance de certains problèmes,
et d'hygiène de leur propre vie. Comment un médecin
qui souffre d'un problème psychologique non résolu
car réellement non traité pour lui-même pourrait-il
aider son patient à cet endroit ? Comment peut-il même
ne pas être nuisible à son patient à ce même
endroit ? Comment quelqu'un qui ignore un problème ou une
souffrance humaine, qui les méconnaît, peut-il la prendre
en compte ? C'est impossible ! Le premier pas pour traiter une douleur
c'est de la reconnaître en tant que telle.
La
formation des nouveaux médecins, de plus en plus scientifique
et mathématique, ne les prépare plus vraiment à
se trouver confrontés aux simples réalités
humaines. Hors, nul ne peut connaître ce qu'il n'a jamais
appris, à moins qu'il ne l'ait vécu. Nous devons de
plus acquérir, par la formation, la connaissance sur les
problèmes psychologiques que nous n'avons pas eu à
résoudre, pour nous-mêmes, dans le cadre de notre psychothérapie.
Au
quotidien nous devons apporter à ceux des humains qui nous
choisissent pour les aider sur le chemin de leur guérison
davantage d'humanité encore. Malgré ce que certains
médecins pourraient en penser ça ne serait pas une
perte de temps. J'ai été personnellement disponible,
pendant de nombreuses années, à aider ceux des soignants
qui souhaitent se former car je pense qu'une formation spécifique
doit être organisée sur le plan psychologique afin
d'aider les médecins à accomplir au mieux la noble
tâche d'aider leurs malades à se guérir. Mais
il nous faut faire d'avantage encore ! Je
crois importante la méconnaissance qu'ont la plupart d'entre
nous, les médecins, de notre pouvoir et de l'ascendant sur
ceux qui se confient à nous. Très peu d'entre nous
se rendent compte de leur puissance symbolique et sociale dans la
vie des malades. La plupart d'entre nous ignorent, parce qu'on ne
leur en a jamais véritablement parlé, qu'ils ont le
pouvoir de changer, de se changer et de se comporter autrement vis
à vis des malades : ils disent qu'ils n'ont pas le temps
!
Enfin,
il y a des endroits de par le monde où cela se passe autrement,
où on est à l'écoute, où on collabore
de façon régulière avec des psychothérapeutes,
comme par exemple aux États Unis. Je souhaite que notre médecine
française, admirée de par le monde sur le plan scientifique,
ne reste pas à la traîne, comme je constate trop souvent,
et avec tristesse, qu'elle le fait, sur le plan humain.
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