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GROENLAND
"La poésie des icebergs"
Jacques Blais |
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D'emblée, un élément
de circonstance a défini ce séjour au Groenland,
qui déterminait une comparaison intéressante
bien que fortuite au départ. Juste avant, une affaire
de quelques semaines, nous avions effectué un voyage
en Guyane, la montée suivie de descente du Maroni en
pirogue, une excitante découverte des carbets, ces
abris de toits de chaume des indigènes tout au long
du fleuve, avec cette plongée non pas dans l'eau, ce
fut évité malgré les sauts nombreux au
rythme des rapides de la rivière tumultueuse, mais
dans un mode de vie si éloigné de nos civilisations.
Le propos étant en fait surtout de constater, à
l'occasion de cette amusante « année des G. »
combien les similitudes entre ces deux territoires d'outremer
sont grandes. Déjà ces deux surfaces sont à
85 % recouvertes de forêt amazonienne pour la Guyane,
de la calotte glaciaire pour le Groenland, rendant non pas
inexploitables ou inutilisables, bien au contraire, mais au
moins non habitables l'immense majorité des lieux.
Ensuite ces deux territoires étant régis par
leurs dépendances administratives durables, de la France
et du Danemark, cette situation crée des absurdités
commerciales de réglementations. Deux exemples en sont
les crevettes du Groenland qui doivent obligatoirement être
transférées vers le Danemark, quand un échange
avec l'Amérique du Nord serait infiniment plus rapide,
logique, et profitable, de la même manière les
ananas de Guyane sont exportés vers la France alors
que leur vente au Brésil, au Surinam ou au Venezuela
simplifierait considérablement la rentabilité.
Enfin dernier point de comparaison, l'origine des peuplements
de ces contrées. Les Guyanais sont des amérindiens
provenant de migrations, depuis très mélangés
à d'autres provenances, comme celles des populations
chinoises. Les groenlandais sont issus de migrations également,
de peuples d'Amérique du Nord aussi, esquimaux dont
le nom signifie qui mange de la viande crue, ou inuits qui
veut dire hommes en langue locale.
Il était donc très intéressant de percevoir,
dans deux territoires situés sous des latitudes éloignées,
une telle parenté dans les destinées et les
situations économiques, politiques, ethniques, sociologiques.
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Le
monde de la glace
Bien que l'inlandsis, cette couche de glace colossale, recouvre
85 % du terrain, la première approche de cette terre,
la deuxième plus grande île au monde après
l'Australie, l'a conduite à être baptisée
Groenland, c'est à dire le pays vert par son découvreur
Erik le Rouge, vers 982 de notre ère. Il est surprenant
et surtout pittoresque de voir bon nombre d'endroits au monde
affublés de noms de verdure alors qu'ils sont dans leur
globalité de la plus absolue aridité, ou comme
ici un glaçon monumental. Généralement,
il s'est trouvé que l'explorateur initial est atterri
sur LA partie un peu herbeuse du territoire, après des
mois de mer.
Le peuple esquimau, lui, vivait sur cette île depuis environ
400 avant Jésus-Christ.
Des siècles plus tard, au XIIème siècle,
les Norvégiens colonisèrent le pays, qui changea
de mains en devenant par la suite Danois. En 1985, le Groenland
décida de quitter la Communauté Economique Européenne,
en demeurant cependant associé, et c'est maintenant un
état autonome, avec son propre parlement.
Naturellement la partie glaciaire de ce territoire demeure le
terrain bien difficile des chasses des inuits, qui vont tenter
de mener à bien le commerce des peaux d'animaux, et leur
pêche nutritive, et la recherche des phoques adultes,
de rares Narvals. On peut estimer que ces activités sont
bien davantage de l'ordre de la pérennisation des traditions
et de la survivance de rituels familiaux que comptabilisables
dans les orientations industrielles du pays.
C'est généralement dans sa
pointe de l'extrême sud que le rare touriste prend connaissance
du pays industriel et de ses habitants. Si la partie basse
de la côte ouest compte quelques villes de plus de 1000
habitants, comme Nuuk, des ports de pêche aussi, au
sud près de l'aéroport sont situées les
petites villes de Narssarsuaq, Narssaq, ou Julianehab. Et
quelques villages, comme celui de Qaqortoq, ajoutent leur
lot de petites maisons proprettes, de bois, peintes de couleurs
vives, en vert, en rouge, en bleu, comme ces villages du Nord
de la Norvège sympathiques et tristes à la fois.
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Quatre climats par jour
Une interrogation, en approchant ce genre de pays, est celle
du climat prévisible. Les Groenlandais eux-mêmes
admettent que chaque journée va rencontrer toutes les
variations. Un épais brouillard au matin, qui va finir
par dégouliner d'un crachin devenu pluie insistante
et froide. Et puis le vent se lève, balayant la campagne,
et un soleil franc permettra de se promener en chemise pendant
quelques heures, avant l'arrivée précoce d'un
froid de glace au soir. Dans notre été d'Europe,
des températures de - 4° à + 14° pourront
aisément se rencontrer dans un même endroit entre
matin et après-midi.
De sorte qu'au long des balades à pied dans la campagne
entre les villages, jusqu'aux baies calmes des pêcheurs,
ou aux entrées aiguës des fjords, l'herbe est
effectivement très verte, touffue et dense.
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Le
jour hésite, en un débat,
Mais la lumière, têtue, insiste,
Un oiseau lutte, qu'un vent rabat.
De mornes heures dressent leur liste.
Un fin brouillard bientôt s'abat,
Et la pluie fine nettoie les pistes,
Mais les icebergs, en contrebas,
Semblent décidément tristes
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De
cette lande de verdure et de glace se dégage une incontestable
poésie, dès lors que l'on commence à apprivoiser
le pays. C'est en effet un de ces lieux où l'atmosphère
est le constituant le plus important. Au delà, on n'y
visitera pas de lieux historiques, seulement des pêcheries
intéressantes, des ports un peu sombres, on côtoiera
des villages et des prairies où paissent parfois quelques
quadrupèdes, mais progressivement s'impose une humeur,
qui est celle résultant sans jeu de mot excessif du stade
où l'on sera parvenu à casser la glace.
Une approche prudente et respectueuse d'habitants avec lesquels
la communication est très délicate. Nous n'avons
aucune communauté linguistique, puisque le Groenlandais
constitue une des quelques langues au monde dites agglutinantes.
Un mot n'offre pas, comme dans nos idiomes, un élément
de base, une idée, un sujet, un personnage, une action.
Un mot groenlandais agglutine, rassemble tout à la fois,
et surtout à la file. C'est la fameuse histoire de «
l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours ». En groenlandais,
expliquer que l'on a croisé « la fille qui portait
un ciré rouge avant-hier et dont le père est parti
à la pêche dans son bateau à moteur malgré
le gros temps » fabriquera un seul et unique « mot
» de cent lettres, rassemblant l'ensemble des propositions
et idées exprimées. Comme, de surcroît,
les racines de ce vocabulaire appartiennent à des langues
sans rapprochement avec nos racines latines, ou anglo-saxonnes,
il est à peu près impossible de se faire comprendre
de la quasi totalité de la population. L'anglais est
extrêmement peu pratiqué.
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Briser
la glace
Pour demeurer dans cette image, l'approche est complexe, non
pas que les populations soient le moins du monde hostiles. Mais
ces personnes placées comme tant de peuples à
mi-chemin, et encore serait-il intéressant de définir
si une moitié est franchie, ou davantage, entre leurs
traditions perdues ou en voie de l'être, et une civilisation
dont ils perçoivent vaguement, par les médias,
les actualités télévisées, l'approche
déformée par les prismes américains, le
mirage de l'argent et du progrès, ces populations ne
savent comment se définir. Des êtres à l'écart
sur leur glaçon, définitivement condamnés
à espérer, ou des battants décidés
à sortir de leur aire pour entrer dans leur ère
de progrès et de bénéfice ?
Une vision terrifiante : celle des quelques
brasseries des petites villes lors des week-ends, où
les corps allongés, vautrés, empilés
parfois, des hommes ivres morts témoignent d'un si
extrême ennui, d'une effroyable perception de la vie,
d'une vanité de l'existence les amenant à oublier
dans la boisson les heures sans activité, sans travail,
sans avenir, sans joie.
Une statistique très récente, de 2002, des centres
de planning familial, montre que les groenlandaises effectuent
autant d'interruptions volontaires de grossesses qu'elles
mettent d'enfants au monde en un an. Ce qui tendrait également
à traduire une vision de l'avenir pour le moins péjorative,
sans aucune intention d'investir dans l'enfantement, le renouvellement
d'une population qui ne voit rien venir en face d'elle.
Comme il n'existe pas à proprement parler d'hôtel,
et le logement chez l'habitant, s'il est développé
pour les autochtones en déplacement professionnel ou
familial, n'est pas une idée répandue, les quelques
poignées de touristes annuels sont installés
dans les modules métalliques préfabriqués
qui servaient d'équipement à la base de l'armée
destinée à la surveillance de l'atlantique nord
depuis la guerre.
Une « cellule » est constituée d'un volume
métallique isolé préembouti, qui propose
une pièce, comme ces bungalows de chantier sous nos
latitudes, avec lit incorporé, armoire, cabinet de
toilette, chauffage indispensable. Sont alignés ainsi
côte à côte, sur un terrain viabilisé,
quelques dizaines de modules attendant leurs occupants.
La découverte, l'attrait, l'intérêt du
poète s'éveille avec les journées, lorsqu'on
approche les lieux de passage des icebergs, omniprésents
dès qu'il existe un mini fjord, un petit bras de mer.
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A
l'aube fraîche, un air nouveau
Glisse sa lueur entre les planches,
Et les nuages ouvrent un rideau
Sur un soleil de vraie revanche.
La vie s'échauffe, et il fait beau,
Et la vie chante, et c'est dimanche,
Quand les icebergs, au ras de l'eau,
Semblent sourire de leurs dents blanches.
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