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ILES DU MONDE

"En cherchant la mère…"

Jacques Blais

  Salut ! Divinités par la rose et le sel

  Et les premiers jouets de la jeune lumière,

   Iles !


       Paul Valéry
(1871-1945) La jeune Parque


 

Bien au delà d’un simple jeu de mots, qui en trouvant la mer chercherait la mère, c’est une réflexion sur les origines des îles du monde, sur leur gestation, les continents dont elles ont été détachées, les éruptions, les mouvements des plaques tectoniques qui interviendra entre autres ici.
Comme annoncé dans la préparation de ces différents textes, le fait émotionnel est particulièrement patent dans une conversation sur les îles, tant il s’avère, à les explorer, les découvrir, que leur « essence » apporte des parfums de toutes les natures. La symbolique des îles se niche autant dans leur caractère solitaire, le mot « isolé » est bien évidemment synonyme de celui d’île (Isola en Italien, par exemple), que dans l’image fréquente d’un loisir de rêve, ou dans le support d’une Histoire véhiculée par les siècles.
Je me permettrai plusieurs points de préambule, et je tenterai ensuite de m’éloigner rapidement de l’aspect « démonstratif » ou d’enseignement laborieux que la géologie, la géographie, l’histoire, l’apport des civilisations pourraient faire craindre.
Avant tout parce que, personnellement, j’ai vécu nombre d’îles comme un bonheur, tout simplement. Egalement parce que beaucoup m’ont amené une connaissance un tout petit peu plus approfondie de peuples anciens, de migrations, et de la même manière de phénomènes géologiques. Enfin parce que, réfléchissant sur une sorte de méthode de présentation qui ne soit pas rébarbative, c’est par le biais des « représentations » des îles qu’il m’a semblé risquer le moins de probabilités d’ennui. Chercher la mère, c’est tenter de découvrir des origines, mais aussi des ressemblances, des traits de caractère, des images d’autrefois.

 

Les Seychelles (Océan Indien)
 

L’île, avec ses longs doigts de branches,
Ecrit, de ses arbres qui se penchent,
Des vérités crues sur le sable
Qui résumeront l’indispensable,
Et la mer qui vit sur un temps bleu
Essaie chaque matin de dire tant mieux.

L’île croit tous les jours en sa revanche,
Quand les arbres retroussent leurs manches,
Pour agiter des ombres appréciables
Sous des cieux écrus non négociables
Et, tenant des propos insidieux,
Les hommes pensent être ainsi dieux…

 

Les îles demeurent pour moi très souvent associées à la poésie, par le jeu des couleurs, des profondeurs, des vents et d’un environnement général si particulier.
Les choix arbitraires des îles dont il sera ici question correspondent tout banalement à celles que j’ai eu la chance de visiter, de parcourir, ou sur lesquelles j’ai pu séjourner. Je m’autoriserai un seul tableau récapitulatif un peu « livresque » car il aura pour caractéristique de rassembler en résumant diverses analyses que nous effectuerons ensuite, sur des aspects et orientations, objectifs pourrait-on presque affirmer, de certaines îles. Cette présentation trop « carrée », organisée, formaliste, c’est à dire exactement l’opposé d’une île, sera la seule, mais elle introduira une vision future de ces conversations autour des îles.

 
Zones géographiques
Iles concernées Caractéristiques Particularités
Méditerranéennes Baléares, Corse, Sicile, Malte, Chypre, Iles grecques Histoire européenne, monuments et traces Fragmentation du continent, parfois volcanisme habité (Santorin, Sicile)
Atlantiques Açores, Cap Vert, Canaries Histoire de la navigation, esclaves Plaque Europe, Afrique, volcanisme, pêche, agriculture
Pacifiques Loyauté, Fidji, Cook, Tuamotu, Société, Marquises, Pâques, Galapagos, Bora Bora Civilisation maori, explorations routes maritimes, laboratoire de recherche Volcanisme, corail, pêche, coco, tourisme balnéaire, perles
Caraïbes Antilles
Bahamas
Esclavage, migrations Volcanisme, tourisme, rhum
Indiennes Sri-Lanka, Maldives, Seychelles, Bali,
Nosy Be, La Réunion
Maurice
Route des Indes, découvertes, commerce, mélanges
de religions, cultures
Très ancien volcanisme, tourisme, plongée, pêche
Lacustres et fluviales Borromées Histoire europe Tourisme, patrimoine

(Sont évoquées dans d’autres chapitres : Açores (Texte 1), Cap Vert (Texte 4), Cook (Texte 7) Galapagos (Texte 9), Marquises (Texte 15) et Ile de Pâques (Texte 19) et de ce fait elles ne seront pas de nouveau commentées spécifiquement dans ce Texte 12 sur les Iles du Monde)

 

Il sera naturel d’évoquer à plusieurs reprises, lors de compléments et de développements, certaines des îles bénéficiant dans l’ensemble des « expression d’ici, impressions d’ailleurs » ces carnets de voyages, car elles entrent dans des illustrations des origines, civilisations, ou exemples géologiques. Mais leur détail tant physique que du souvenir, de l’émotion, des sentiments, restera dans le chapitre propre traitant de ce lieu spécifique, et non dans ce récapitulatif.

 

Des îles aux caractéristiques si variées
Sans entrer dans des développements compliqués, il apparaît à chacun une différence fondamentale entre des îles comme Malte, la Sicile, ou Chypre, pour en regrouper trois géographiquement, ou bien Les Açores et le Cap-Vert, en reprenant ainsi deux chapitres déjà explorés, et puis encore par exemple la Polynésie Française, Bora Bora. Ajoutons y les Antilles et les Maldives, pour le moment.
Bon nombre de différences apparaissent instantanément, en restant dans son fauteuil devant une planisphère, ou une mappemonde, ou en feuilletant un catalogue d’images ou un livre de photographies touristiques.

Les îles méditerranéennes citées sortent aussitôt comme des fragments de continent européen, chargés au possible d’une histoire fondamentale, avec sur ces îles d’importants vestiges, des bâtiments, des forteresses, des traces d’occupations et de conflits.
Le Port de La Valette, à Malte, est une illustration de successions de périodes maritimes, guerrières, d'occupations par des armées, de lieux d'échanges et de positions stratégiques, de passage des navires tant commerciaux que de combat.

Chypre est, encore à l'heure actuelle, le témoin de la scission non résolue entre une partie turque et une partie chypriote, c'est une île située au carrefour du Moyen-Orient et des ouvertures vers des terres à la fois belliqueuses et commerciales, forcément sous tension pour des raisons multiples. Ile très intéressante, variée, accueillante, nourrie d'histoire.

Citons la Sicile pour une autre raison également. Bien qu'Européenne, elle est marquée terriblement par le volcanisme, et par exemple la magnifique Santorin, et son arc de cercle de reliquat d'ancienne explosion, dans les îles grecques, avec son habitat si particulier, les maisons blanches et bleues, les mulets grimpant en file le sentier depuis le débarcadère des bateaux, nous mènent déjà vers un monde si différent.

Nous sommes en Europe, dans des lieux chargés autant que possible d'une histoire fournie, mais nous entrons dans un monde autre, celui du « volcanisme habité » qui conduira vers des lieux totalement différents, comme les Antilles, ou La Réunion, ou Mauritius, avec alors une structure géologique plus récente, plus marquée.

Ce que l'on retrouvera, cela a été vu en détails, aux Açores ou au Cap-Vert, ce dernier archipel nous menant à rejoindre encore une autre histoire, celle de l'esclavage, tout comme aux Antilles. Et d'emblée s'offre la complexité sociale, historique, économique, géologique, de toutes les îles, car on perçoit tout à coup à quel point ces morceaux de territoire, par leur « appartenance » à des fragments d'histoires, de continents, ont représenté une importance considérable dans des combats entre puissances, dans les conquêtes, les ambitions d'exploitation, de commerce, etc.

Nous voici dans un autre registre encore, celui des relais sur les routes maritimes des grands voiliers des découvreurs du globe. Les Canaries sur la route vers l'Afrique Noire, plus tard escales appréciées des lignes aériennes vers l'Amérique du Sud en provenance de l'Europe. Ce qui a représenté l'ambition du Cap Vert en tant que trajet des grands voiliers vers l'Afrique du Sud, et l'Amérique, des Açores pour la traversée de l'Atlantique Nord vers le Canada et les Etats Unis.

 

Moorea
( Tahiti - Océan Pacifique)

 

Des destinées et des ambitions différentes
Le constat s'établit progressivement. De nombreuses îles ont trouvé des implications équivalentes dans le commerce, le relais des routes maritimes, la colonisation avec une main d'œuvre déportée par l'esclavage, ou encore l'implantation de populations européennes quelque peu « déclassées » ces humains bannis, envoyés dans des bagnes lointains, à la fois dans un esprit de punition, et avec tant d'arrières-pensées de « reproduction » à terme de ces européens en terres coloniales, fixant de cette manière des annexes de nations au loin.
Si les îles « indiennes » de l'Océan du même nom présentent une telle mixité de populations, le commerce vers les Indes y aura été pour une très grande part, les conquêtes successives les plus fréquentes, entre Britanniques, Hollandais, avec des échanges dans lesquels la France prenait sa part, menant à des mélanges de populations d'origines européennes, indonésiennes, malaysiennes, africaines, indochinoises. Ou, pour les îles Maldives plus nordiques, des populations indiennes du sud, de Colombo, et musulmanes.
Le Pacifique a connu une évolution un peu différente. Car les découvreurs avaient pour mission d'y implanter des bases commerciales, d'y développer des cultures et d'exploiter celles, particulières et si exotiques pour les Européens, qui y existaient.
Mais la très grande force de la civilisation
maori, développée depuis la Nouvelle-Zélande à l'ouest jusqu'à l'île de Pâques complètement à l'Est, a totalement résisté, grâce à ses rituels, ses coutumes, ses chants, ses danses, ses organisations tribales puissantes, et même ses constructions figuratives de statuaire, de tenues de fête, et il ne saurait être question, à travers le défilé d'innombrables îles de toutes étiquettes nationales, et de toutes appellations en archipels, de parler de « colonisation » dans des lieux où l'âme a survécu à toute influence.
Il serait réducteur, mais imagé, de dire finalement que, dans les territoires situés aisément, tout est relatif, à portée des grands navires des explorateurs et conquérants européens, dans l'Atlantique, les Caraïbes, l'Océan Indien, l'influence de la colonisation et les ravages de l'esclavage ont laissé des traces cruelles, douloureuses, et marquées, quand les territoires vraiment lointains, ceux du Pacifique, sont parvenus à préserver identité et culture propre, même en devenant des dépendances relatives, essentiellement financières, des nations « mères ».

Si l'on tente de résumer le plus grand nombre des influences sur le devenir des îles du monde, plusieurs « axes » de réflexion se feront jour.
Une approche géographique : proximité des pays d'origine, détachement par fragmentation du vieux continent, possibilité d'implantation, de colonisation, de transport.

Une approche stratégique : la distinction entre territoires utiles militairement, commercialement, en tant que relais sur les voies maritimes, puis aériennes, et territoires lointains sur lesquels envisager et programmer alors une implantation par déportation et esclavage, en vue d'exploitation future et peuplement mixte.

Une approche géologique : de la difficulté de certaines cultures en quelques endroits, de l'avantage d'autres adaptées, des risques du volcanisme et des séismes, de développements prévisibles, etc…

Une approche commerciale : qui, comme d'autres ensuite, recoupe la vision stratégique, géographique, et géologique. Pourquoi développer le coprah ici, le riz ailleurs, le café, la canne à sucre, le thé, les fruits tropicaux! Où et comment promouvoir la pêche, et laquelle, quel tourisme prévoir, programmer, développer ?

Une approche historique : qui, elle aussi, est liée aux autres, puisque les circonstances de lieux, de décisions humaines, de nécessités commerciales, de conflits de pouvoirs, marquent ensuite de leurs empreintes indélébiles les endroits concernés selon la latitude, les conditions de vie, les intérêts financiers, politiques, militaires!

Une approche anthropologique : tant d'îles sont devenues, heureusement, des laboratoires de recherche concernant les patrimoines, les civilisations, les ethnies, et pas seulement puisque certaines se consacrent aussi au règne animal.

Une approche touristique : qui regroupe tant d'autres approches citées, entre le commerce et la géographie, les stratégies de développement, heureusement l'histoire et l'anthropologie, et davantage encore l'émotion, le sens du beau, les sentiments, l'âme humaine.

Nous allons bien vite nous diriger vers un abord moins austère, moins « mécanique », et simplement plus poétique, émotionnel. En commençant par reprendre nos strophes, comme pour repartir au plus vite vers le subjectif, l'impact assez spécifique à ces mottes de terre dans ces espaces de mer, qui modifient le regard et les sentiments, par la seule idée d'île.

 


Tahiti (Phare)