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MADAGASCAR
La beauté et la misère
Jacques Blais |
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Une des caractéristiques appréciables du voyage réside dans sa subjectivité, qui est retraduite dans les choix de sujets de textes, par exemple. Les critères menant à élire un pays, un endroit, plutôt qu’un autre, sont multiples, émotion, sentiments, beauté, couleurs, ambiance, de même que l’envie de s’y rendre a été magnifiée par une curiosité, ou la rareté, l’inconnu absolu, ou bien parfois sous tendue par une autre découverte précédente.
Heureusement, il reste aussi le hasard, les circonstances, des conditions profitables, et puis l’inverse, une impatience soutenue par un choix de longue date, des reports et des retards à la réalisation en raison d’obstacles de toutes sortes. L’idée, le projet, le désir de Madagascar existait dès le départ, compensatoire et en forme de revanche, expliqué à propos du séjour fabuleux en Centrafrique, et n’aura abouti à sa réalisation que quelques… 31 ou 32 ans plus tard. Et, à une telle distance, l’envie a tenu toutes ses promesses !
En demeurant dans cette subjectivité évoquée et appliquée ici, Madagascar est un des plus beaux endroits du monde, en dépit d’un niveau de vie objectivement catastrophique, d’où ce titre allusif, entre beauté et misère, les deux qualificatifs étant difficiles à porter…
Les événements politiques récents survenus dans ce pays illustrent une des évidences de la découverte : cette immense île est occupée d’une multitude d’ethnies, de populations d’origines très variées, et la division des dirigeants n’est que le reflet des séparations internes entre populations si différentes.
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La dérive des continents
Une grande théorie de la dérive des continents survenue il y a des millions d’années soutient plus aisément le constat ultérieur des origines des populations. En se montrant assez imaginatif, il devient logique d’imaginer au départ Madagascar comme étant reliée au continent africain à l’ouest, à la zone australe à l’est, la plus grosse dérive, et à ce qui est devenu l’Indonésie, la Malaisie, au nord-est. Ces mouvements originels, associés plus tardivement aux migrations, aux déplacements des populations liés au développement de la voile, du commerce, ont ajouté ultérieurement leurs apports au brassage des peuples.
La séparation de l’île de son voisinage remonterait à l’ère tertiaire, bien des mystères sur l’origine réelle de l’île ne sont pas résolus, et il semble bien que l’homme ait atteint l’île secondairement, sans y naître, mais à l’issue de migrations par voie maritime.
Deux grands courants se partagent la population, les asiatiques et les africains, un malgache est toujours le résultat d’une mixité. Les castes les plus pures, andrianas, et hovas, présentent un type indonésien marqué, dans l’ensemble les malgaches opteraient davantage pour cette origine, mais les baras qui demeurent essentiellement des éleveurs des Hauts Plateaux sont caractéristiques d’un type africain bantou. Et il existe 18 tribus à Madagascar, réparties entre six provinces.
Les arabes semblent bien avoir atteint l’île dès le XII ème siècle, et de très nombreuses caractéristiques et subsistances de civilisation arabe sont retrouvées dans le Nord de l’île . Les Européens, avec comme dans d’innombrables lieux les navigateurs Portugais, n’arrivèrent qu’au XVI ème siècle. L’Histoire s’étale ensuite de 1642 à 1960 entre des colonisations successives, une implantation Française très durable, une indépendance enfin proclamée en 1960 c’est à dire relativement récemment. Dans l’intervalle, la piraterie vivra de beaux jours sur place, la Royauté occupera le XIX ème siècle en marquant à jamais les lieux, de nombreuses escarmouches franco-anglaises imprimeront des épisodes tendus. Et, depuis 1975 et l’avènement de Didier Ratsiraka après un long pouvoir présidentiel de Philibert Tsiranana, le pays demeure agité de permanentes luttes internes de pouvoir, traduisant perpétuellement ces divisions ethniques de castes et de tribus, d’origines et de suprématie régionale.
Le parcours tourmenté dans cette terre superbe découvrira très vite des évidences : les éleveurs du sud poussent devant eux des bœufs si semblables aux bagharas africains, avec des méthodes et des habitudes toutes issues de la civilisation du gigantesque continent le plus voisin, des populations aux allures africaines marquées. Tandis que l’on retrouve, chez les cultivateurs du centre, les andrianas, cette aptitude aux cultures variées, et cette spécialité du riz si typiquement indonésiennes, que même leurs instruments de musique à fines cordes multiples sur des corps de bambou évoquent. Enfin, au Nord, la présence par exemple de tombes si nettement islamiques, par leur taille, leur aspect, leurs décorations, l’existence de nombreux commerces, sont des illustrations de ce monde arabe installé depuis longtemps.
Le nom en langue malgache de Madagasikara date du XVIème siècle. Et la grande période coloniale, située principalement autour de l’année, 1900, nous mène à trouver sur l’île tant de noms liés dans notre pays aux rues et places, tels que ceux de Lyautey, Joffre, Foch. Quelques noms de pirates, de gouverneurs, d’autres militaires, ponctuent l’histoire locale, comme ceux de Misson, un intellectuel révolté, North le pirate anglais, Flacourt l’aventurier scientifique et politicien, ou Colbert.
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Le règne de Ranavalona
Le XIX ème siècle est marqué essentiellement par une longue période de royauté. Radama I reçoit le pouvoir en 1810, mais quand il décède en 1828, sa succession est assurée, un peu curieusement, par son épouse la Reine Ranavalona. Elle sera la plus terrible des quatre reines successives qui s’établiront sur l’île. Elle veut revenir aux valeurs traditionnelles, et s’attaque aux religions, chasse les missionnaires.
En réalité si cette Reine règne véritablement, dès son décès le pouvoir réel sera entre les mains du premier ministre, qui épousera à la suite trois autres reines assurant ainsi trente ans de direction au pays.
De toute cette époque subsiste, sur les hauteurs de Tananarive (Antananarivo en version malgache) un ancien Palais récemment détruit par un incendie mal élucidé, et le vieux Palais de bois conservé, dit du Premier Ministre, transformé en musée, avec ses cours, ses bâtiments au mobilier de prix, et cette vue magnifique sur la ville en contrebas. La grande Cathédrale catholique domine la Ville Haute. Dans la Ville Basse subsistent d’anciens quartiers protégés montrant encore quelques maisons « missionnaires » à balcons et colonnades.
D’une histoire tribale très complexe, chargée de luttes entre tribus, et illustrant parfaitement la nature multiple des populations émerge un nom fondamental, celui du Roi Andrianampoïnimerina, celui qui, avant 1800, prit le pouvoir sur tous les autres, imposa un ordre, et dont le nom contient la trame de tant d’autres traces pour Madagascar. De cette racine Andriana est issue une caste pure, et autant en nom de famille qu’en prénom cette origine est trouvée dans de très fréquents patronymes locaux. Imerina est aussi le signe d’une appartenance aux racines, aux tribus plutôt asiatiques, et par extension à toute une région malgache importante et fertile. Le seigneur au cœur de l’Imerina a régné jusqu’en 1810, et donné l’impulsion à ces lignées d’autres souverains marquant le XIX ème siècle.
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Un pays de contrastes
Éloignons nous, selon notre habitude, de trop d’histoire, pour revenir aux impressions, aux émotions, aux découvertes avec leur part subjective.
Madagascar est essentiellement une terre de très grands contrastes, de grands spectacles de beauté naturelle, et apporte ces mélanges et ces fractions particulières de peuplades aux coutumes différentes, habitats modulés, mœurs et types de vie adaptés à leurs origines et au terrain, et puis en toute objectivité la vision évidente d’une misère marquée, lourde, mais digne. Si cette terre se situe dans les plus bas revenus du monde, la population donne l’impression de se battre pour survivre, de s’adapter pour conserver une image d’elle-même qui ne doive rien à la mendicité ou à la pitié.
Subjectivement, je voudrais développer des points qui ont constitué l’essentiel des émotions, de toutes natures, par tous les sens dont nous disposons : les gens d’abord, toujours et dans tous les voyages, ces populations mêlées et accueillantes, et puis la rareté, la caractéristique animale de la grande île, ses lémuriens étonnants, qui se cachent et se cherchent, avec leur cri surprenant. Les sites splendides, comme le Parc Isalo, la zone fertile des Hauts Plateaux, le cirque magnifique des parois de basalte de Tsara, des villes comme Fianarantsoa, ou Diego-Suarez, et puis encore les arbres du Nord, ces baobabs merveilleux, la région de l’Ankarana, un résidu concassé hérissé de pics calcaires, la vue du sommet de l’île de Nosy Be et ses champs d’Ylang-Ylang, enfin ces curiosités des tombes malgaches et des coutumes qui s’y rapportent. Autant de supports de sensations et de sentiments…
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Le Sud des éleveurs
Les villages des Baras, ces éleveurs de grands troupeaux de bovins, sont très caractéristiques. En zones de pâturages, entrecoupés de monts assez doux, les villages sont resserrés en maisonnettes autour de placettes et de surfaces où laisser sécher les grains de café, ou les céréales pour l’usage de la maison proche. Des enclos pour rentrer les bœufs sont hérissés de barrières de bois pointus disposés de manière très spécifique, la simple vision d’un tel lot de clôtures en rectangle suffit à repérer un village Bara. Les troupeaux migrent au long des routes, en immenses cortèges visibles de loin, traits sombres sur la bordure des voies. Ils possèdent cette langueur des troupes résignées mais une sorte de noblesse des destinées fières. Troupeaux de cornes, de bosses et de museaux, voleurs de bornes, de sable et de boue, traqueurs de vent, useurs de temps, ils vont sur les dunes en tendant le cou, flanqués de bergers et de bâtons, de chiens et d’enfants.
Ces enfants présents partout, avec cette sorte de douleur sourde sous le sourire flou.
Difficile, de dire ce qui se voit le mieux, de cet entrain définissant l’enfance ou du sourire qui occupe les yeux… Plus délicat encore de jauger l’existence, entre l’impression vague qu’espère quelque dieu, et l’opiniâtreté qui nourrit l’espérance…L’envie mêlée de crainte qui mène à devenir vieux, et ce regard d’enfant qui garde l’insouciance.
Difficile, de voir où peut être ce lieu où les êtres vivants ne portent pas qu’absence, où les êtres qui meurent ne remercient pas les cieux… De nouveau s’étoilent ces paupières d’enfance, quand toujours s’étiolent sous les coups des pieux ces douleurs miroirs des blessures de confiance.
Un étonnement, de saisir combien certains pays poussent à placer une réflexion poétique sur les blessures par trop visibles, comme pour les apaiser d’un baume, que l’endroit, souvent, sait déjà seul parer de couleurs et de beauté pour atténuer les meurtrissures.
Le peuple Bara est polygame. Il partage avec d’autres éleveurs, les Betsileo, ces régions de coutumes anciennes. Le village central est celui d’ Ihosy. Le seul logement disponible est un ancien dispensaire de religieuses infirmières délaissé, qui offre ses petites pièces transformées en chambrettes, avec un filet d’eau froide pour la toilette. Mais les lieux ont conservé ce côté propret et net, une cour bien balayée sous les arbres, et des bâtiments aux bordures bleues seyantes.
Un Parc naturel préservé est situé à Isalo, un ensemble de roches érodées si semblables à d’autres sites possédant le même sol, dont les caprices du temps érodent en monts, en pics, en falaises et en strates de couleurs différentes les matériaux selon leur résistance. Certains sites ou recoins offrent des plaques de minerai ferrugineux visible, ou d’autres terrains très colorés, puis une surface de prairie se termine sur une haie de granit dur et brun, taillé en ombres chinoises dans le soir à contre-jour. Des effets de fenêtres dans la roche, une entaille occupée de quelques arbres, c’est un lieu tout simplement beau, naturel et expressif dans sa diversité, comparable à quelques souvenirs de ces monts Purnululu d’Australie du Nord-Ouest. Vérification géologique ou géographique habituelle, les deux endroits sont situés rigoureusement à la même latitude, explication suffisante.
Un coucher de soleil pourpre ajoute le miracle à cette vision.
J’aime l’instant où le ciel couvre
D’un lé somptueux de papier peint
Les parois de ses parures,
Ce moment où la nuit s’ouvre,
Elle attend et à la fois craint
D’altérer soudain ses rayures.
J’aime l’aspect qui se découvre
D’un univers perçu lointain
Mais aux intentions si pures.
On est au loin, on est au Louvre,
Un fond de temps, un fond de teint,
La nuit printemps, la nuit peinture…
Dans le souvenir, photographié de surcroît, le sentiment d’assister effectivement à la peinture progressive à l’aide de bâtons de pastels et de craie d’un pan de ciel délimité par un sol brun, deux rochers noirs, un arbre d’encre, et les rayures de couleurs du coucher…
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