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 N° 470
 
 
 
     30 octobre 2006
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Des sociologues jouent au psy

Docteur Françoise Dencuff lui écrire

C’est dans l’Expansion qu’un article, paru le 06/10/06, m’a réveillée de mon coma dominical. Titre accrocheur : L’ acte d’achat est une forme de thérapie.
Gilles Lipovetsky, sociologue éminent, auteur du Bonheur paradoxal, essai sur la société d'hyperconsommation (Gallimard, 2006), s’emploie à déchiffrer le curieux paradoxe suivant : la consommation des Français croît bien plus vite que leur pouvoir d’achat.
Et de s’étonner : Les inquiétudes relatives à l'avenir sont fortes et pourtant les ménages dépensent comme des cigales, en recourant même massivement à l'endettement. En fait, la dynamique de la consommation est désormais de plus en plus déconnectée de la sphère économique. Plus encore, les aspirations au bien-être compensent les incertitudes de l'avenir. Nous avons définitivement tourné le dos à la société de tradition. Le mieux vivre est devenu une passion de masse, le but suprême des sociétés démocratiques. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase du capitalisme: la société d'hyperconsommation. Et cette spirale est également le moyen de compenser une autre forme d'inquiétude : la solitude sociale. En ce sens, l'acte d'achat est une forme de thérapie.

retrouver la confiance

Je vous avoue que j’ai du relire cette assertion deux fois. L’acte d’achat, une forme de thérapie? Heureusement que les murs n’ont pas d’oreilles, ils eussent été choqués par un chapelet de jurons bien sentis.
Soit il s’agit d’un niveau d’incompétence, ce qui me paraît fort peu probable, soit d’un endoctrinement effarant. Comment comprendre autrement une telle analyse ?
Tout d’abord, il fait une confusion majeure entre compensation et thérapie. En effet dans ce monde qui s’égare, l’achat, la consommation, la bouffe, la drogue sont autant de moyens pour évacuer notre stress, fuir les réalités du quotidien. Si tous ces ersatz du bonheur étaient vraiment thérapeutiques, nous serions tous guéris et heureux.
La suite renforce encore mon impression de malaise : L'hyper-consommateur est sans cesse à la recherche de sensations nouvelles pour se sentir vivre.
Certes, encore une fois la fuite en avant.
Dans les sociétés traditionnelles, le système culturel était profondément incorporé dans une vie quotidienne très souvent difficile. Aujourd'hui, c'est l'inverse : les satisfactions matérielles sont grandes tandis que les insatisfactions culturelles et politiques prolifèrent.
Voilà qui ne démontre en rien la valeur thérapeutique de l’hyperconsommation, mais nous donne du grain à moudre. Nous avons le ventre plein et la tête vide. Pas étonnant quand nous sommes à longueur de temps harcelés par des informations toutes plus catastrophiques les unes que les autres. Et ce ne sont pas les rodomontades pré-électorales qui vont nous remonter le moral.
Nous continuons… L'hyperconsommateur a donc acquis une liberté qui n'existait pas avant. Si notre société est une fabrique d'insécurité et de fragilité, elle offre aussi une multitude de points d'appui pour combattre plus vite les malheurs qui nous affectent. Si les insatisfactions sont nombreuses, les occasions de nous en délivrer le sont également. Et, au final, rien ne réduira la passion consumériste si ce n'est la concurrence d'autres passions.
La démonstration est parfaite. Nous sommes malheureux mais les rayons de nos supermarchés sont là pour nous redonner le moral. Quelques lignes plus haut, G.Lipovetsky nous démontre aussi que les barrières sociales sont tombées puisque tout peut être acheté par n’importe qui. Rendez-vous compte les ouvriers achètent du parfum et des produits de luxe.

restaurer la conscience

Qu'est ce que la conscience : la présence à soi et plus couramment la capacité à revenir sur ses pensées pour les juger (Philagora)
La conscience…peut-on penser un instant que cet article ait été écrit en conscience ? De quelle conscience s’agit-il ? Celle qui fait grandir ou celle qui abaisse.
La conscience d’avoir en lieu et place de la conscience d’être.
Le rôle des médias et des penseurs ne serait-il plus d’être des « éveilleurs ». Pourquoi faire croire aux lecteurs…, parfaitement impliqués dans la grande foire d’empoigne (Expansion à tout crin !), qu’ils ont raison de continuer à endormir les masses laborieuses par une digestion sans fin de produits de grande consommation… ? Pire, que ce sont des bienfaiteurs de l’humanité, ils guérissent !
Il n’est pas question de réfuter les données de cette analyse. Il est évident que la passion de la consommation, orchestrée par les médias, les publicitaires et les industries, vise à compenser le vide de nos existences. Mais en aucun cas elle n’a le pouvoir de guérir nos âmes et nos cœurs.
Plus grave, l’endettement finit par dévorer le plaisir de posséder. Comment l’Expansion analyse-t-il le niveau record des dépressions, de l’usage des psychotropes, l’augmentation du taux de suicide ? Nous devrions tous être les plus heureux dans cette réplique du Meilleur des Mondes. Nous devrions tous, mes chers confrères, être au chômage, puisque l’hyperconsommation est une thérapie.

renforcer la compétence

Hélas ! La folie de la consommation ne fait qu’accroître le désarroi. Nous remplissons nos caddies et nos étagères pour ne pas voir nos vides affectifs, les harcèlements au travail, les pressions sociales, les incohérences scolaires, les politiques grandguignolesques. Autant de raisons pour compenser avec frénésie, pour oublier les lendemains qui déchantent. Notre sociologue aurait-il oublié qu’il ne sert à rien de se transformer en fourmi quand on pressent que l’avenir sera gelé dans la vanité de quelques uns ?
Il est de notre responsabilité, à nous soignants, de dévoiler sans cesse, les charlatans des soins. Peut-on un seul instant imaginer que le dernier gadget à la mode nous permettra de guérir cette indicible langueur qui nous envahit dans notre impuissance face au déferlement des hordes barbares, le samedi, dans les zones commerciales?
Oseriez-vous prescrire devant les larmes de vos patients, leur épuisement, d'aller chercher le dernier écran plat ou le si joli petit sac L...? Peut-être serait-ce une judicieuse réponse aux errements de nos tutelles. Je demande à voir la tête des contrôleurs de la sécu.
Notre compétence est dans l'accueil de la souffrance, certainement pas dans sa compensation. La consommation n'est pas, ne sera jamais une thérapie. Tout juste un instant de satisfaction vaniteuse, vite culpabilisée par les reproches de nos banquiers.
Honte à vous, médias, de faire croire que la passion ne peut et ne doit être que consommatrice. Même si la sociologie nous affirme que le consommateur est exigeant, informé, critique. Il reste malgré tout enfermé dans un esclavage morbide où à force de consommer, il se consumera.
Je laisserai le mot de la fin à Saint Augustin: « Il ne peut donc jamais être trompé ni mentir celui qui dit qu'il sait qu'il vit »

 


Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html




Os court :«Tout le monde a des idées. La preuve, c’est qu’il y en a de mauvaises. > »
Coluche


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