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 N° 496
 
 
 
    30 avril 2007
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Avant tout, dire la douleur

Photo de l'auteur Docteur Françoise Dencuff lui écrire

C’est un résumé d’articles parus dans le quotidien Parisien et la revue médicale Prescrire sur le Di-Antalvic ® qui est à l’origine de ces quelques réflexions sur la façon dont, médecins ou patients, nous continuons à envisager et à traiter la douleur.
Ce médicament associe le paracétamol et un opiacé proche de la méthadone qui peut entraîner, outre une dépendance, de graves troubles respiratoires, cardiaques et hépatiques. Il est d’ailleurs interdit dans de nombreux pays.
Dans le Parisien Carmen Kreft-Jaïs, de l’Afssaps ( agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ) , remarque que « la majorité des décès imputables à ces antalgiques sont dus à des surdosages volontaires, c’est-à-dire des suicides. Le risque est beaucoup plus grand en Grande-Bretagne que chez nous. Là-bas, c’est en effet le médicament qu’on utilise pour se suicider, pas chez nous ».
Cette remarque laisse sans voix lorsque l’on sait à quel point la douleur peut être insupportable et son automédication fréquente. En France 7 morts sont recensés par les centres antipoison. Et l’Afssaps de rajouter que bien utilisés ces médicaments ne sont pas dangereux. Rien à voir, bien sur, avec le fait que le Di-Antalvic® est fabriqué par notre laboratoire national Sanofi-Aventis. Il me semble pourtant que la toute première règle à respecter face à un traitement … c’est que le risque zéro n’existe pas.
Donc pour le Parisien comme pour Prescrire, mieux vaut utiliser le paracétamol en association avec la codéine et laisser tomber le dextropopoxyphène dont l’efficacité comparée au paracétamol seul n’a pas été démontrée.

retrouver la confiance

Pour les non soignants ce genre de polémique ne peut qu’alimenter une méfiance déjà bien installée face aux thérapeutiques. Mais plus encore se pose la question des traitements de la douleur. Pour travailler depuis de nombreuses années dans des services où la douleur est un problème majeur, il faut bien me rendre à l’évidence, elle est majoritairement encore mal soignée.
C’est que la douleur est un des symptômes les plus complexes que nous ayons à prendre en charge. Éminemment subjective, elle nous échappe, se transforme, se cache derrière de nombreux masques. Difficile de comprendre les dires de la douleurs et plus encore de les évaluer.
Il ne peut être question de traiter une douleur sans l’avoir évaluée et pourtant combien d’entre nous prescrivons (ou prenons) à la va-vite un antalgique, simplement pour « avoir la paix ». Car la douleur use, le malade comme le médecin. Jamais totalement calmée, toujours prête à surgir comme la marque de notre échec dans sa prise en charge.
Et notre société du toujours plus, plus vite s’est emparée de la douleur comme le symptôme inadmissible. Mais le patient et « sa » douleur restent les maîtres.

restaurer la conscience

Évaluer, un gros mot dans ces temps protocolesques et accréditationnants. Évaluer pour comprendre, pour limiter, pour traiter. Mais plus encore pour donner au patient le temps de raconter « sa » douleur. Un peu comme lorsque nos parents nous demandaient de décrire le monstre tapi sous notre lit ou au fond du placard. En la décrivant, la douleur s’apprivoise. Elle sort du statut de l’indicible terrorisant. Elle se montre, se dévoile, peut se dessiner et perd ainsi son pouvoir maléfique.
Évaluer pour savoir quel médicament donner, c’est ce que nous apprenons dans nos cours d’algologie, mais ce n’est pas suffisant. Il n’y a pas de relation automatique entre l’intensité décrite et le traitement donné. Par contre il y a toujours une relation étroite entre le temps donné aux dires sur la douleur et son atténuation.
Du temps, toujours et partout la même constante : le temps. Temps à privilégier pour laisser la place au subjectif, à l’histoire pour gagner du temps sur le traitement des symptômes.
La douleur a la propriété majeure de distordre le temps, lenteur épouvantable des heures nocturnes bercées par les vagues de la douleur, extrême brièveté supposée de la vie qui nous reste. Symbole de mort et pourtant certitude d’être encore suffisamment vivant pour ressentir. Outrage et rédemption.

renforcer la compétence

Alors pour éviter de nous laisser « bluffer » par la douleur, il s’agit, avant d’envisager tout traitement, de prendre le temps d’écouter la douleur. Il est curieux de constater comme elle aime à se dire. Les questionnaires d’évaluation sont riches en expressions : douleur brûlante, en coup de poignard, étouffante… Chez les enfants c’est un bestiaire fantastique : loups, dragons, monstres qui sont autant d’images à combattre.
Étonnantes aussi les incohérences entre les différentes échelles. Une douleur à 9 sur l’échelle verbale, se retrouvera minimisée sur l’analogique.
J’oserai, par expérience, proposer face à la douleur, une sorte de valse : trois temps.
Écouter le patient raconter « sa » douleur, sans jugement, sans à priori, sans l’interrompre.
Puis lui demander à l’aide des questionnaires d’en préciser le « portrait » : heures d’apparition, durée, symptômes d’accompagnement, position antalgique…
Enfin lui proposer de nous indiquer sur l’échelle analogique (tenue verticalement) son intensité.
Je me permets d’insister sur la position verticale de l’échelle. En effet, si nous la proposons horizontalement, nous induisons une confusion psychologique particulièrement néfaste. Lorsque nous déplaçons un curseur de gauche à droite sur une ligne, la représentation commune est celle du temps : du passé vers l’avenir. Si le patient souffre beaucoup, il va amalgamer l’intensité de la douleur avec son avenir.
La douleur s’évalue avant tout en se décrivant, son intensité est un masque qui nous empêche de la cerner, comme l’encre de la seiche. Savoir où, comment, à quelles heures, pendant combien de temps nous permet de traiter au bon moment et surtout avec la bonne mesure. Le combien nous aveugle car il nous entraîne dans des projections et des jugements de valeur.
Que mes confrères daignent me pardonner l’outrecuidance de ces quelques propos.

 


Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html




Os court : «Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui. »
La Rochefoucauld


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