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 N° 534
 
 
 
    4 février 2008
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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La Grande Illusion ( art. 8 de notre charte )

Photo de l'auteur Docteur Françoise Dencuff lui écrire

Grand vent de compassion sur la fin de vie, Mitterrand meurt…accompagné ! Aussitôt nombre de soignants et de bénévoles se sentent investis tout à coup d'une nouvelle mission : accompagner les mourants. Pourtant l'idée n'est pas nouvelle même si sa médiatisation a du attendre une fin de vie présidentielle.
L'idée de mourir seul à l'hôpital n'a rien de réjouissant et même si nous sommes entourés, la société du « tout émotionnel » veut offrir une « bonne mort » à chacun.
Après plusieurs décennies de mise en place des fameux Soins Palliatifs, qu'en est-il de l'idée charitable qui a permis, à la fin du XIXème siècle, la prise en charge de la fin de vie des patients cancéreux rejetés par les hôpitaux ?

retrouver la confiance

Cet extrait d'une réflexion de Jacques Ricot (1) sur l'euthanasie me semble parfait pour ouvrir le débat :

En premier lieu, la sollicitude ne peut pas être coupée sans danger des principes de la raison discursive selon le schéma imprudemment retenu par le CCNE (2). Comme la tradition philosophique le rappelle souvent, et selon des lignes de pensée fort différentes puisque l'on peut convoquer ici aussi bien Sénèque, Thomas d'Aquin, ou Spinoza, une morale fondée sur la seule émotion (en langage classique, on parlera ici de passion) ne garantit pas la justesse éthique du comportement. La sollicitude, quand elle n'est pas éclairée par l'intelligence, provoque des attitudes aisément perverties, tant il se vérifie que l'enfer est pavé de bonnes intentions.

Nous sommes au cœur même des difficultés, pour ne pas dire des incohérences, de notre rapport avec la fin de vie.
L'émotion devient le critère majeur d'appréciation dans notre société. Le sentiment dans ce qu'il a de plus irrationnel prend la place du raisonnement. Il faut être compatissant, dégoulinant de « bonnes intentions » et la culpabilité sert de levier aux actions caritatives. Il ne s'agit plus seulement de faire de « bonnes œuvres » pour gagner notre salut par la charité mais de toucher en plein cœur l'inconscient qui continue d'ignorer qu'il va mourir.
Nous sommes dans le siècle de l'obligation de compassion au risque de perdre de vue les raisons que nous avons d'agir.

restaurer la conscience

Petite précision pour clarifier mes dires, je m'occupe de fins de vie depuis bientôt 20 ans. Pourtant je ne peux que constater quotidiennement mon impuissance à « accompagner » les mourants.
Cette impuissance a plusieurs causes :
Tout d'abord la permission, ou pas, que le patient nous donne de l'accompagner dans son dernier parcours. Vous ne serez pas étonnés d'apprendre que bien peu de personnes sont prêtes à imaginer l'imminence de leur mort. Or accompagner exige obligatoirement la conscience (sans même parler de l'acceptation) de la mort prochaine. Certes la plupart des personnes sentent venir la fin mais ce n'est que dans les tous derniers moments qu'elles osent se l'avouer clairement… et encore...
Ensuite la confusion entre le soulagement et l'accompagnement. Notre principale mission, à nous soignants, en soignant, est de soulager le patient de ses souffrances. Qu'elles soient physiques et il s'agit là de soulager les symptômes de la maladie et la douleur, ou psychiques et nous parlons de soutien.
Evidemment le manque de moyens en personnels car le soulagement physique ou psychique nécessite avant tout une disponibilité de temps et de cœur.
Contrairement au discours ambiant ce n'est pas une question de dignité puisqu'elle est la seule valeur absolue: La dignité, selon le préambule et l'article premier de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 est une valeur absolue accordée à chaque homme en sa singularité, quelle que soit l'idée qu'autrui ou lui-même se fait de cette dignité. C'est une question de respect de notre engagement dans l'exercice de nos métiers.
Enfin et cela est certainement le plus grave, les jeux de pouvoirs sont multiples autour du mourant. Jeux de pouvoirs entre les familles et les soignants, entre les médecins et les infirmières, entre les soignants et les psys, entre les soignants et les bénévoles. Car se targuer d'accompagner la mort est valorisant. Il suffit d'écouter les réactions lorsque nous en parlons : comme c'est généreux, comme vous avez du courage, comment faites vous pour tenir le coup …

renforcer la compétence

Alors nous pouvons parler de grande illusion. Ce qui a rendu la mort plus « facile » ce sont les antidouleurs. Souvent aussi les anxiolytiques. Là nous avons réellement les moyens d'apaiser les souffrances. Mais l'accompagnement est un mot usurpé, tout juste pourrait-on parler de soutien et parfois de médiation pour adoucir les relations entre le patient et les autres : famille, corps médical, soignants. Accompagner nécessite un véritable partenariat…et une transparence des savoirs et des émotions. Accompagner nécessite un engagement réciproque inconditionnel.
Cette grande illusion se double de celle de la spécialité en soins palliatifs. Pourquoi faire une spécialité de ce qui est l'essence de notre métier : soigner du premier au dernier jour. Serait-ce pour nous déculpabiliser de rendre la mort plus difficile par des traitements de plus en plus agressifs. Pourquoi faire une différence entre curatif et palliatif. Sommes-nous certains de maitriser totalement la frontière ? Empêcher la douleur n'est-ce pas soigner activement ?
Les études médicales n'apprennent pas à être en relation avec la souffrance et l'angoisse du patient. Elles ne donnent aucun repère quant à l'attitude efficace face à la mort. Elle la nie tout simplement comme si les interventions d'un médecin s'arrêtaient avec l'échec de ses thérapeutiques. Pourtant la plupart des médecins sont bien obligés de se confronter à la disparition de leurs patients. Ils apprennent sur le « tas ». Et il est légitime de se demander si finalement cet apprentissage n'est pas plus sain que les cours dispensés dans les DU de soins palliatifs où le psychologique tout azimut, les « il faut faire comme ceci ou comme cela » reflètent les mêmes dérives que dans le reste des savoirs dispensés par la faculté : un enseignement à des années lumière de la réalité du terrain qui donne à certains l'illusion que grâce à eux la mort est enfin maîtrisée. Bref nous restons encore dans la toute puissance.
Alors à l'instar de Jacques Ricot : devant la souffrance ou le dégoût de la vie, la compassion ne dicte pas de réponse concrète évidente, nous pouvons dire qu'il n'existe pas de fiches, aucun protocole pour soutenir l'incompréhensible, l'injuste, l'inacceptable de la mort.
Nous avons délaissé l'essentiel pour nous rassurer sur nos capacités d'agir. L'essentiel pour un soignant n'est-ce pas justement de savoir discerner le moment où il doit se retirer ? Cette conscience indispensable de nos limites ne doit pas nous pousser à vouloir continuer à tout prix y compris jusqu'à l'euthanasie mais encore moins à tourner les talons vexés par l'affront à nos compétences que représente la mort.
Soutenir un mourant ou sa famille peut s'apprendre… mais cet apprentissage repose sur une valeur majeure : l'humilité. Existe-t-il un protocole pour cela ?
NDLR : Cette LEM nous semble une illustration de valeur de l'article suivant de notre Charte d'Hippocrate (3):
- 8°) Je ne renoncerai pas à protéger les personnes affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou dans leur dignité.

Références :
(1) Jacques Ricot  http://www.ac-nantes.fr:8080/peda/disc/philo/philosophie_et_euthanasie.htm
(2) Comité national consultatif d'éthique   http://www.ccne-ethique.fr/
(3) Charte d'Hippocrate d'Exmed   http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

 


Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html




Os court :« Il parait que l'on apprend pas à mourir en tuant les autres. »
Chateaubriand


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