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 N° 546
 
 
 
    28 avril 2008
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Pouvoir et savoir

Photo de l'auteur Docteur François-Marie Michaut lui écrire

Une question récurrente se fait jour au cours de nos échanges exmédiens, souvent passionnés. Celle de la relation entre le savoir et le pouvoir. Notre vieux diction " si jeunesse savait, si vieillesse pouvait", aussi bien observé soit-il, semble quelque peu réducteur. Quoique ...

retrouver la confiance

Que faisons-nous depuis des siècles avec notre jeunesse ( ou, hélas, une fraction limitée de cette classe d'âge dans les pays les plus pauvres ), si ce n'est de les mettre sur les bancs des écoles ? Et, dans notre propos, peu importe le contenu des enseignements, littéraires, artistiques ou scientifiques, religieux ou laïques. L'objectif est de permettre aux élèves de pouvoir s'approprier en quelques mois ou années l'essentiel des connaissances que notre humanité est parvenue, au prix de mille efforts et de multiples vies, à engranger. Il s'agit bien, et, étrangement les adultes oublient de le rappeler à leurs enfants, d'avoir le privilège incroyable de ne pas avoir la peine de tout redécouvrir par soi-même.
Mépriser le savoir, c'est se mettre soi-même en marge de l'humanité en constante construction dont nous ne sommes chacun qu'un microscopique maillon. Que ne le dit-on pas clairement, sans oublier de rappeler qu'il n'y a aucune hiérarchie des savoirs dans la vraie vie qui viendra après le temps des écoles. Et que nous avons besoin de tous les savoirs, même ceux qui ne rapportent rien, qui ne sont pas considérés comme sérieux ou même utiles. Oui, nous avons collectivement largement perdu la confiance dans le savoir. Pourquoi et comment la retrouver, cette confiance, voilà ce que nous allons examiner maintenant ensemble. Une fois encore, que le lecteur veuille bien ne pas y voir un cours magistral prononcé par une quelconque autorité ( qui serait ici auto proclamée ) mais un simple stimulant à sa réflexion personnelle, et, rêvons un peu sur le pouvoir magique de l'Internet, un déclencheur d'échanges personnels.

restaurer la conscience

Comment avons-nous perdu le sens de la valeur profonde de la connaissance ? L'obligation scolaire n'y est peut être pas pour rien. On ne demande pas aux parents, et encore moins aux enfants, si la fréquentation des lieux d'enseignement les intéresse ou non. La loi les y contraint au même titre que le respect des limitations de vitesse sur les routes. Que ce soit nécessaire est probable, que ce soit une façon stimulante d'entrer dans les arcanes des savoirs est on ne peut plus douteuse. Pour résumer, c'est quand même une pilule amère à avaler pour beaucoup d'enfants que d'entrer dans les contraintes scolaires, aussi édulcorées qu'on réussisse à les rendre. Heureusement, il y a les copains, les ennemis et les récréations pour donner une dimension humaine vivable, voir agréable, à tout cela ! A moins que déjà les petits tyrans de service ne tentent de détruire psychologiquement leurs souffre-douleur avec la complicité d'adultes aveugles.
Mais, la sucette promise est encore plus pernicieuse. Si tu travailles bien à l'école ( ce qui veut dire si tu obtiens de bonnes notes en imitant au mieux ce que tes maîtres t'ont dit ), tu pourras obtenir un bon métier. Tout le monde te considérera alors comme quelqu'un de puissant et de riche : tu auras réussi., tu seras au dessus des autres. Vous savez, ce qu'on nomme souvent dans les discours ( pour en regretter le risque de disparition) l'école ascenseur social.
Et c'est fait : l'amalgame entre savoir et pouvoir est accompli dans nos têtes obéissantes.

renforcer la compétence

Nos professions de santé ne sont pas le moins du monde épargnées. En médecine, on accumule de plus en plus de savoir. En 1715, lors de la création de l'École de Santé Navale de Rochefort, son directeur le Dr Cochon-Dupuy impose aux futurs chirurgiens de la marine trois ans d'études. Pour entrer à cette école, il suffisait d'avoir quinze ans, de ne pas présenter d'infirmité et de réussir un entretien avec le médecin-chef. Actuellement, c'est une dizaine d'années d'accumulation de connaissances, souvent fort théoriques, après le bac qu'il faut compter.
Tout semble se passer comme si plus les études étaient longues, plus grand en résultait le pouvoir de soigner, et parfois de guérir, les hommes malades.
Or entre le savoir, simple trace mnésique ou gestuelle acquise par imitation, et le pouvoir qui se manifeste par un savoir faire en résultant, la route n'est pas automatique. C'est toujours chaque homme, avec sa mystérieuse alchimie personnelle aux multiples facettes, qui transforme ou non le savoir en pouvoir.
Quand nous utilisons comme seul critère de sélection aux postes disposant des plus grands pouvoirs les performances académiques, nous faisons un bien dangereux pari, sous couvert d'impartialité et d'équité. Celui de la transformation des savoirs acquis en pouvoirs sur les autres humains.
La croyance qu'en multipliant comme on le fait les formations au cours de la vie professionnelle, la compétence de chacun s'en trouve mathématiquement renforcée, est un leurre.
Sans réflexion constante et sans concession sur les relations que chacun établit entre ses savoirs et ses pouvoirs, on demeure dans un terrifiant univers incapable d'autre chose que de sanctifier l'efficacité et les prétendus résultats. Université, toi pourtant si prodigue en contenus d'enseignement, pourquoi ne dis-tu rien à tes étudiants sur les pouvoirs auxquels ils accéderont après leurs études ? Aurais-tu de graves problèmes personnels à résoudre avec le pouvoir dans ton propre fonctionnement ? Pourquoi sembles-tu t'accommoder si facilement avec de prétendues formations qui ne sont que la livraison au moindre effort de recettes toutes faites ou de routines professionnelles prédigérées ? Pourquoi jamais on ne t'entend parler de savoir sans pouvoir ?

 


Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html




Os court :<< Ceux qui croient que le pouvoir est amusant confondent "pouvoir" et "abus de pouvoir". >>
André Malraux


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