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 N° 630
 
 
 
      7 décembre 2009  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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La poutre maîtresse de tous les soins

photo de fmm Docteur François-Marie Michaut, lui écrire

xxx   Nous sommes nombreux à chercher à inverser le mouvement vers la fragmentation à l’infini des spécialisations des soins apportés aux hommes malades. Prenons comme porte d’entrée dans ce vaste domaine la médecine. Ce pourrait tout aussi bien, et entre autres, être la kinésithérapie, les soins infirmiers ou la psychologie clinique.
Fragmenter, bien que ce soit un conseil méthodologique que nous donne Descartes pour résoudre un problème complexe, c’est aussi casser et surtout diviser.
Avec nos amis fidèles d’Exmed, nous avons cherché comment simplement nommer ce qui constitue l’âme ( au sens que les luthiers donnent à ce mot ) des soins de santé. Nous avons échoué en tournant autour de concepts pouvant servir de colonne vertébrale commune à toutes les formes d’exercice comme ceux de médecine globale, générale, interne, de famille etc... Nous nous heurtons en fait à des modalités pratiques d’exercice de la médecine, alors qu’il s’agit justement de dépasser ce qui ne peut que se décrire en terme de praxis.

retrouver la confiance

xxxSi nous ne parvenons pas, riches comme nous le sommes collectivement de longs exercices professionnels variés, à définir le coeur de la médecine, ne serait-ce pas parce que nous avons été entraînés dans une direction à sens unique par le courant de nos études longues et exigeantes ?    Byron Good, anthropologue, a étudié les mécanismes de formation médicale à Harvard au début des années 1990. Selon lui, l’étudiant en médecine apprend une manière particulière d’accoutumance du voir, de l’écrire et du parler de ce qui touche au corps malade, lieu du savoir médical. Alors que, durant les premières années, les étudiants montrent un grand intérêt pour les questions sociales et de comportement, un virage complet se produit au moment de l’internat. Le travail devient de << construire le malade en tant que patient, perçu, analysé et présenté comme relevant du traitement médical >>. Le parler devient la présentation du malade au médecin responsable afin qu’une décision thérapeutique adaptée soit prise dans le temps minimum. L’écrit << transforme le patient en document, sur quoi l’on pourra travailler >>.
On le voit bien, il s’agit d’une << tradition d’endurcissement. Comme si le contact avec la souffrance humaine créait un besoin compensatoire de se mettre à distance, voir de plaisanter avec la souffrance >> selon Anne Fagot-Largeault, médecin et philosophe.
Le jeune médecin est confronté à un double langage, celui de la théorie scientifique et morale et celui, si bavard et fort des prouesses spectaculaires de la médecine. Le langage technologique qui oriente et transforme la relation médecin-malade en courbes, chiffres, sigles, protocoles et images. La force d’attraction du second langage est patente, y compris chez les patients bien entendu, donnant lieu à ce que ses critiques dont la philosophe Odile Marcel sur ce site nomment , non sans effroi pour l’avoir subie, la domination technoscientifique.

restaurer la conscience

xxx  La seule ligne conductrice dans cet univers médical complexe est ce que Bruno Blaive dans ses LEM et Simonne Plourde dans un remarquable cours largement utilisé ici avec son accord (1) nomment la médecine clinique. Au sens premier du terme, la clinique c’est la médecine qui est effectuée au pied du lit entre deux personnes, celle du malade et celle du médecin. Avec des patients de moins en moins allongés ( clinein en grec ), nous parlons plus volontiers de la relation médicale.
Mais, nous en parlons d’autant plus que nous prenons conscience qu’elle demeure dans la réalité la plus douloureuse de l’expérience de la maladie une préoccupation de second ordre pour les médecins, une sorte de plus, de bonus charitable, juste pour se donner au moindre prix bonne conscience.
Parce que la formation médicale demeure inachevée pour tout jeune médecin. De sa compassion naturelle initiale, il a été contraint de passer par cet endurcissement que procure la limitation de son champ de conscience à la simple ( façon de parler, bien entendu) technique médicale, qui a été bien décrite plus haut.
Un troisième temps manque de façon cruelle, tant pour les malades que pour les soignants : celui du retour à l’univers humain qui est au coeur même de toute rencontre médicale, ou soignante en général.
Cela oblige le médecin à sortir de sa coquille protectrice, non pas pour oublier tout ce que la technique lui permet de percevoir, mais pour pouvoir être véritablement aux côtés de celui qui lui a confié sa peau.

renforcer la compétence

xxx   Notre formation médicale s’est constituée au fil du temps comme un mille-feuille, chaque époque à la fois éliminant ce qui n’est plus crédible, comme les références à Aristote ou Hippocrate et imposant ses nouveaux champs scientifiques. Le résultat se traduit en un allongement constant des études, sans pour autant en faire un ensemble logique et fonctionnel. Comme si le cursus proposé conduisait automatiquement à la formation de praticiens heureux dans leur travail et fiers d’exercer un des plus beaux métiers du monde au service des autres quand la maladie est là.
Nous pouvons, hélas, répondre à Simonne Plourde, sept ans après sa question que la médecine clinique ne va nulle part. Parce qu’elle est dramatiquement en panne. Parce qu’elle n’est pas jugée assez rentable par nos argentiers âpres aux gains. Parce que personne ne veut, ou ne peut, prendre le temps de la faire connaître, de la partager, de la perfectionner, en un mot, de la développer.
Le défi est gigantesque, les ouvriers capables de s’atteler à ce chantier ne sont pas nombreux. Mais nos techniques de communication sans précédent dans l’histoire humaine peuvent permettre à une poignée d’esprits courageux de commencer à inverser cette tendance.
Alors, on ose finalement dire un << vive la médecine clinique >> qui ne soit pas un simple slogan, mais une démarche volontaire pour que cette médecine clinique, celle dans laquelle l’humain est au centre, VIVE ?

(1) Simonne Plourde. << Où s’en va la médecine clinique ? >>, revue Éthique et théologie morale ( Le supplément ) n° 245,décembre 2000, éditions Cerf
http://infodoc.inserm.fr/ethique/cours.nsf/63ab8071ff4920d5c125685c002b78bf/14912470f0d3c375c12569bd00520bc8?OpenDocument



Déclaration d’intérêt : Cette LEM est inspirée par l’esprit de notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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