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 N° 649
 
 
       19 avril 2010  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Soumission à l’autorité spectacle

Photo auteur ;;;;;;;;;; Nicole Bétrencourt , lui écrire

xxxL'émission Le Jeu de la Mort, diffusée en mars dernier sur France 2, entendait reprendre le protocole scientifique de l’expérience du psychosociologue Stanley Milgram sur la « soumission à l’autorité » menée dans les années 60 à l’Université de Yale.
Le but initial de l’émission était de démonter l’emprise de la télévision, et la soumission à l’autorité qu’elle représentait, sur le grand public.
S.Milgram a voulu étudier scientifiquement la réflexion d’Hannah Arendt sur la banalité du mal qui avait mené à l’horreur de l’Holocauste. En son temps, S.Milgram pensait qu’il fallait laisser tomber l’analyse de la personnalité des acteurs mais plutôt aller décrypter les conditions auxquelles on pouvait être amené à s’adapter lorsqu’on est face à une figure d’autorité qui vous incite à nuire à autrui.

retrouver la confiance

xxxPour ce faire, Milgram et son équipe de chercheurs du laboratoire de Yale recrute une quarantaine de volontaires pour participer à cette recherche. Le véritable motif de l’expérience n’est pas divulguée aux volontaires. Ils croient qu’il s’agit d’une recherche sur la mémoire liée aux conditions d’apprentissage. L’équipe de Milgram s’arrange pour mettre leurs volontaires aux commandes d’un générateur qui envoie des décharges électriques (simulées) et un comparse qui joue le rôle du mauvais élève. Cette expérience va montrer que des personnes soumises à un stress intense sont capables d’administrer des chocs électriques mortels malgré les supplications de quelqu’un.
Pour refaire l’expérience de Milgram, la production de France 2 a imaginé un faux jeu et s’est faite assistée par une équipe de psychosociologues. Ce jeu s’appelle La Zone Xtrême et reprend au plus près l’expérience des années 60. Un comédien est interrogé par un autre candidat recruté par la production, et doit lui administrer des fausses décharges électriques lorsqu’il se trompe. Comme dans l’expérience des années 60, il ne le sait pas. L’autorité est ici incarnée non pas par un psychosociologue mais par une animatrice de télévision. L’ambiance en plateau recrée les conditions d’un jeu télévisé comme il en existe aujourd’hui.

 


restaurer la conscience

x xxxMais un plateau de télévision est-il un endroit adapté pour reproduire les conditions d’un laboratoire de psychologie sociale à l’instar de celui de Milgram? La présence d’une équipe de psychosociologues est-elle un gage de rigueur scientifique et de caution morale lorsqu’une démonstration scientifique se trouve tributaire d’une chaîne de télévision ?

Dans cette émission, le téléspectateur est manifestement manipulé. De nombreux indices montrent quelque chose de l’ordre du subliminal. Car le subliminal est aussi du ressort de la télévision et le champ d’étude de la psychologie sociale. Cette facette subliminale se retrouve dans le montage du reportage en relation avec la révolution étudiante de Tien Anmem et les camps nazis. Montrer des comportements violents directement renforcés par un processus subliminal peuvent induire sur le plan infra-liminal la banalisation de la violence.

Cette face cachée du jeu de la mort dévoie définitivement l’expérience de Milgram, malgré la bonne volonté des psychosociologues recrutés par France 2. L’illusion a consisté à faire croire que l’on pense que c’est l’équipe scientifique qui mène le jeu. Or, il n’en est rien. C’est la chaîne et le réalisateur qui sont les véritables décideurs.


renforcer la compétence

xxxUne question d’ordre éthique se pose également, et elle fût soulevée au temps de Milgram. Les spécialistes de l’époque s’étaient penchés dessus pour savoir si l’expérience était conforme au code de déontologie des psychologues américains, l’APA (American Association Psychologist). La psychologue Diane Baumrind, en 1964, avait souligné que malgré le consentement éclairé des sujets participants à l’expérience, cela ne les avaient pas empêchés de se sentir piégés par l’expérience et d’en garder un mauvais souvenir. A la même époque, le psychosociologue Léon Festinger parlait de la dissonance cognitive qui se définit comme cette tension interne, ce malaise psychique que l’on éprouve lorsque nos sommes confrontés à de situations contraires à nos valeurs. Dans le jeu de la mort, elle apparaît dan cette étrange dynamique interactive entre les participants. Car les réactions des participants ressemblent fortement à une stratégie de rationalisation collective destinée à réduire la dissonance cognitive.
D’aucuns disaient que Milgram avait profité de l’ignorance de sujets pour satisfaire sa recherche. La question se pose de savoir si un chercheur peut sacrifier la psyché des autres pour satisfaire sa recherche, a le droit de mentir aux sujets, de susciter en eux des émotions négatives ? N’est ce pas de l’abus d’autorité ?
Réalité ou rumeur? Milgram se serait arrangé pour recruter des sujets douillets. Milgram n’était-il pas obnubilé par son expérience pour anticiper le ressenti de ses sujets ?
Le doute plane lorsqu’on lit ce qu’il dit :
« Ils ont considéré que c’était une opportunité d’apprendre quelque chose d’important sur eux, et plus généralement sur le moteur de l’action humaine. »
Toutes ces objections, déjà soulevées à l’époque de Milgram, restent d’actualité avec le jeu de la mort. Elles concernent la chaîne de télévision, faiseurs et défaiseurs des opinions publiques par la manipulation de masse.
Il convient de souligner le décalage frappant avec l’article publié dans la revue Cerveau et Psycho “La soumission à l’autorité” rédigé par l’équipe de psychosociologues qui a participé à l’émission du Jeu de la mort. L’article traite avec éthique de l’expérience de Milgram et des ses variantes.
Bien curieuse émission. Elle a irrité certains représentants de la sphère politique. Deux anciens ministres ont porté plainte contre les auteurs et le réalisateur de l’émission pour « des faits de provocation directe à la commission d’atteintes involontaires à la vie et à l’intégrité de la personne ».

 

- Remerciements à Nicolas Vinci, chercheur en histoire et théoricien du politique, pour son éclairage sur le Jeu de la mort.

Sources
-Laurent Bègue, Jean-Léon Beauvois, Didier Courbet et Dominique Oberté, La soumission à l’autorité.

-Cerveau et Psycho, N°38 mars-avril 2010
http://www.cerveauetpsycho.fr/ewb_pages/f/fiche-article-la-soumission-a-l-autorite-24662.php

http://www.scottsdalecc.edu/ricker/psy101/readings/section_7/7-8.html

http://psycnet.apa.org/index.cfm?fa=buy.optionToBuy&id=1965-00210-001&CFID=7324810&CFTOKEN=98574338

- Propos de Stanley Milgram« They viewed the experience as an opportunity to learn something of importance about themselves, and more generally, about the conditions of human action. »

 


 


Notre Charte d’Hippocrate est consultable à la page
http://www.exmed.org/archives08/circu532.html
Cette lettre en illustre l’article 11
Je refuserai, même sous la contrainte, d’où qu’elle vienne, d’utiliser mes connaissances ou mes compétences dans des actions contraires au respect de la personne humaine.


Os court : << Je considère que l’état normal d’un homme est d’être un original. >>
Anton Tchekhov, médecin et écrivain


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