Valeur, valeur

15 octobre 2012
Docteur François-Marie Michaut
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Lorsque l'on a la chance, francophonie oblige, de disposer d'une langue aussi riche que celle que nous avons reçue en héritage,prêter attention à ce que nos mots peuvent véhiculer en toute discrétion est un exercice fertile. Valeur, par exemple, est un terme qui semble largement confisqué par les instances financières et monétaires. Notre quotidien, prioritairement englués dans le matériel que nous sommes censés être, est rythmé par les cours du dollar, du baril de pétrole ou des indices boursiers.

   Alors, que viennent donc faire ces fameuses valeurs dans une lettre consacrée à la médecine ? Le précieux Dictionnaire étymologique et historique du français (Jean Dubois, Henri Mitterand, Albert Dauzat - Larousse 2011) est formel. La racine provient du verbe latin valere qui veut dire être bien portant. Seul nous le rappelle l'adjectif désuet valétudinaire : celui qui ne va pas bien.

Retrouver la confiance

En parcourant les archives de ce site, je suis tombé sur un texte du 29 mars 201O de Max Dorra, écrivain et professeur de médecine interne à Paris, intitulé La maladie de la valeur. Le diagnostic clinique de ce praticien n'a pas pris une ride, et sa lecture, ou relecture, demeure un exercice intellectuel de haute salubrité personnelle. Le lessivage neuronal quotidien, par des dames aux formes bien retendues venant nous affirmer dans leur publicité commerciale : «Nous le valons bien», montre dans quel flou mou nous considérons notre valeur de nantis occidentaux.
De récents faits divers dramatiques et spectaculaires nous conduisent à pousser encore un peu plus les feux de la réflexion. Des jeunes gens se revendiquent d'une foi religieuse dans un certain Islam brutalement rencontrée dans un univers jusqu'alors marqué par une marginalisation sociale, intellectuelle et culturelle. Pour cela, ils n'hésitent pas à utiliser une violence extrême, digne des pires jeux virtuels, pour tenter d'imposer à tous leurs valeurs comme les seules devant exister sur la planète.
Paradoxalement, des valeurs tranchées à la serpe ressurgissent dans une société en apparence de moins en moins explicite sur les valeurs qui fondent son identité.

Restaurer la conscience

Les prisons de France - c'est maintenant dit ouvertement grâce au travail de quelques pionniers, dont des médecins, longtemps inentendus - sont devenues un haut lieu de prosélytisme pour une forme d'extrémisme se revendiquant de sa lecture du Coran. Des jeunes gens incarcérés pour avoir commis des délits de droit commun, donc possédant une certaine capacité de passage à l'acte, souvent issus de quartiers à la désastreuse image de marque, quelle cible de choix pour des agitateurs et des recruteurs !
   Quand la famille n'a pas su, ou n'a pas pu, transmettre un certain nombre de valeurs issues de sa propre culture, quand le système scolaire, ne parvenant pas à démontrer sa valeur fondatrice, a été rejeté, le terrain est bien préparé. Ces nouveaux convertis, hâtivement initiés, par des codétenus peu certifiés, à un Islam des plus sommaire, trouvent ainsi un sens à leur existence. Pour eux, cette valeur qui transcende leur petite personne est unique, absolue et définitive : leur devoir de nouveau croyant est donc de l'imposer à tout le monde sans hésiter une seconde à employer la violence la plus extrême. Entendons-nous bien. Il ne s'agit aucunement de tenter de trouver une quelconque excuse à des comportements individuels ou collectifs humainement destructeurs.

Renforcer la compétence

Alors, finalement, ces valeurs dont les champions s'étripent souvent entre eux (l'histoire sanglante de l'humanité n'en est qu'une longue litanie) que peuvent-elles avoir de commun entre elles ? C'est du côté du cerveau humain, notre seul et extraordinaire outil, qu'il faut rechercher. Ce système nerveux central doté de la capacité de parler nous est tellement familier que nous n'en admirons pas les virtualités aux limites inconnues.
   Il ne peut exister aucune valeur humainement détectable sans connaissance. Bien souvent, dans ces écrits, je me suis permis d'insister sur la force contenue dans le verbe connaitre. Incroyable processus mental qui permet à un être humain qui se livre à un tel exercice de compréhension et de mémorisation d'acquérir une nouvelle tranche de vie. Un plus de vie. Naitre à, naitre avec.
Combien je regrette que mes maîtres, me voyant renacler devant des apprentissages qui ne m'enthousiasmaient pas, n'aient pas trouvé les mots pour faire passer ce message.
La recherche ininterrompue de la connaissance humaine - sous toutes ses formes et sans en excommunier ou exonérer aucune- est la seule mère possible de toute valeur capable de donner un sens à notre vie.
Rien de bien original dans tout cela, en vérité.

Spinoza, comme beaucoup d'autres, nous l'a déjà démontré. Avons-nous été capables de les écouter ? Il n'est pas trop tard.

(Cliché J-C Deschamps.)

Os court : « Le mot Dieu n'a pas de sens pour moi, mais je le restitue au mystère, pas au néant. »


René Magritte

 


Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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