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Mal à dire

    24 août 2015
Docteur François-Marie Michaut

 lui répondre

Citer l'auteur dont les propos éveillent en moi un écho me semble de simple justice intellectuelle et de saine méthode de travail. C'est le nom d'Amélie Nothomb, romancière belge bien connue des médias et du public. Une femme de lettres, à l'allure faussement fantaisiste et volontiers provocatrice, pour guider une réflexion sur un sujet aussi grave que la maladie, est-ce bien raisonnable ? Pour moi, oui.
Parce qu'il y a un bon moment que la question de savoir ce qu'est une maladie me taraude. Il faut d'abord remarquer que, dans la langue française, la notion de malade a précédé celle de maladie. L'homme passant après les choses techniques, nous avons inversé au fil du temps l'importance de ces deux notions. « Male habitus » serait l'origine latine de qui en est frappé selon les dictionnaires. Celui qui a eu une mauvaise chose dans sa vie ( habere, avoir selon mes souvenirs lointains).
Les jeunes médecins du siècle dernier, quand ils rédigeaient les observations hospitalières, remplissaient une rubrique nommée «habitus» destinée à répertorier les façons de vivre, comme la consommation de tabac, d'alcool etc...
Amélie Nothomb écrit (1) : « Plus tard, j'appris l'étymologie du mot « maladie ». C'était « mal à dire ». Le malade, c'était celui qui avait du mal à dire quelque chose. Son corps le disait à sa place sous la forme d'une maladie. Idée fascinante qui supposait que, si l'on réussissait à dire, on ne souffrirait plus».
Onze ans après cette publication, les cerveaux médicaux, si tant est que cela existe, ne font rien de cette trouvaille ? Les Grecs, suivis par les théoriciens de la psychanalyse, dont la remarquable et confidentielle École parisienne de psychosomatique, ne sont pas parvenus, en particulier avec le mécanisme de catharsis, à convaincre une grande partie du corps médical.

   La formulation de madame Nothomb n'est pas scientifique ? Elle est trop générale pour être simplement utilisable en pratique médicale habituelle ? Une telle façon de penser est-elle trop révolutionnaire pour des gens de métier, qui sont persuadés, en toute bonne foi, être capables de parler au nom, et à la place, de leurs patients. Pour une fois si bien nommés, quand ils se font voler par le parler médical ce qu'ils ont de plus intime.

Le cabinet médical est un lieu bien particulier dans la vie de chacun. C'est là, de plus en plus avec la disparition des visites à domicile d'antan, où le médecin fait tout pour comprendre, avec ses outils matériels, intellectuels, psychologiques - mais aussi, ce n'est jamais dit, spirituels - ce qui arrive à la personne qui vient le voir. Mais, c'est aussi l'endroit unique où le patient peut enfin, un jour imprévisible par personne, accoucher d'une partie, ou de la totalité de ce qu'il a tant de mal à dire autrement que par son corps en souffrance. Peu importe que l'expression en soit verbale, élaborée ou sommaire, ou non verbale. Peu importe que le praticien comprenne ou non ce qui se passe, que des noms savants y soient apposés, que des chiffres ou des courbes l'objectivent, le processus de guérison se met en route. Jacques Blais, dont le souvenir anime toujours au fil des années les propos proposés sur ce site, aimait parler de phénomène d'auto-guérison et de la fonction théâtrale indissociable de tout lieu de consultation.
L'expression médicale, que cela plaise ou non à quiconque, n'y peut rien changer, c'est aussi cela.


(1) Amélie Nothomb, Biographie de la faim (page 30), Albin Michel 2004, ISBN 2-226-15394-2


 


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