retour sommaire                                     La santé est notre affaire à tous
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Lettre d'Expression médicale n°230

Hebdomadaire francophone de santé
26 février 2002

La santé de la pensée politique
Docteur François-Marie Michaut

Nous avons coutume ici de nous interroger sans complaisance sur la santé de la médecine, cette fameuse "métamédecine". La France entre dans la période où elle va renouveler son président de la République et ses députés. Or, hier le quotidien Libération a publié un sondage d'opinion digne d'attention. En effet, 74% des personnes interrogées estiment ne constater aucune différence entre les programmes politiques proposés par les deux candidats représentant la droite et la gauche. Nous n'en sommes qu'au début d'une campagne de deux mois, et des différences fondamentales deviendront peut-être plus perceptibles au cours des débats. Si débats d'idées, et non de personnes ou d'images, il y a. Notre position bien marquée dans le champ de la santé ne fait pas de nous des experts du jeu politique, c'est évident. Cependant les conséquences des options collectives pour l'avenir auront des conséquences sur la santé, notre santé. C'est à ce seul titre que nous pouvons nous exprimer.

Retrouver la confiance
Les catalogues de mesures qui nous sont présentés représentent uniquement des actes d'administration et de gestion des réalités sociales dont nous souffrons. Et en tête l'insécurité sociale. Que les lecteurs pardonnent cet étrange rapprochement des mots, et des maux qui s'ensuivent. Cela montre, les français le ressentent bien, que les hommes politiques ne veulent pas, ou ne peuvent pas, définir clairement des objectifs pour l'avenir de notre collectivité. On n'ose plus se définir comme socialiste ou comme libéral de peur de faire fuir les électeurs.

Restaurer la conscience
Rien n'est plus montrable, pour obtenir les suffrages, qu'un profil de gestionnaire habile et honnête. Est-ce bien un curieux mélange des genres dans un pays dont la majorité de la classe politique a été formée à l'école nationale d'administration ? Celle qui forme aussi tous les hauts fonctionnaires, leurs condisciples, qui règnent sur une armée représentant dans notre pays le quart des salariés. Fonction publique de plus en plus puissante, intervenante et inamovible à vie. Ce qui ne l'empêche pas, par tradition, et peut-être aussi par intérêt corporatiste, de soutenir dans leur action les thèses des partis de gauche plus que des partis conservateurs.

Renforcer la compétence
Alors, au moment où l'usage de l'euro nous a fait basculer dans une autre dimension géographique et culturelle de notre histoire, nos politiques n'ont vraiment rien à nous dire, rien à nous proposer pour en tirer le meilleur parti ? Au moment où l'époque dominée par la nécessité de la répartition des richesses dans nos pays est arrivée à une limite difficilement surpassable, qu'attend-t-on pour le dire clairement au lieu de laisser entendre qu'un jour tout le monde sera aussi intelligent, aussi plein de talents, aussi fort et en aussi bonne santé que les plus nantis. Ce qui nous préoccupe vraiment est de savoir si la terre , et sa fragile biosphère dont nous faisons partie, va résister à tout ce qu'on lui inflige sans nous demander notre avis de citoyens. La seule vraie question pour notre futur est celle des risques au milieu desquels nous sommes condamnés à vivre. Elle est là la vraie et terrible égalité du moment, et nulle part ailleurs. Vivre dans la société du risque, et non dans la recherche infantile d'une protection qui n'est qu'illusion mortelle. Pas électoral ? C'est possible. En tout cas, l'air, l'eau, l'alimentation, le climat, la mer c'est vital.

Os court : L'or noir blanchit l'âme hydrocarburée des magnats du pétrole en les enrichissant . Pierre Dac


Lettre d'Expression médicale n°231
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 6 mars 2002


        Le sociologique et le passionnel
Docteur Jacques Blais


Partons d'une émission de radio, qui confronte les points de vue des auditeurs en ligne, interrogeant des sociologues en studio. Le thême est "porteur", ou à la mode, ou simplement très actuel, la violence, la sécurité. Les auditeurs projettent des opinions à fleur de peau, où percent peur, angoisse, révolte : "comment peut-on ainsi donner la parole à des sujets aussi malfaisants ?" "pourquoi laissez-vous s'exprimer des jeunes qui détruisent, ne travaillent jamais, avouent en toute impunité "casser du keuf", ou "cramer des bagnoles", ou "caillasser des pompiers" , ne représentent qu'une nuisance ?"  Et les sociologues répondent à l'aide de théorisations : "quelle est l'origine de la situation présente ?", "quel est l'historique de ces émigrations mises en cause ?", quelle a été l'évolution des populations urbaines ?" Le passionnel contre le sociologique.
Retrouver la confiance
Comment imaginer un jour que la peur disparaisse derrière la confiance, que la raison masque la révolte, que l'irruption de la colère soit apaisée par la réflexion ? Sinon en replaçant en permanence l'individu, nécessairement passionnel, fragmentaire, réduit à ses impulsions, blessures, réflexes, apprentissages et critères personnels, en position d'observateur collectif, sociétal, ne basant ses appréciations que sur des considérations systémiques, historiques, anthropologiques, sociologiques, plus objectives. A l'individu légitimement furieux, lèsé, victime, meurtri, heurté dans ses convictions, ses croyances, ses modèles, ses acquis, le sociologue apprendra à regarder l'histoire. Ces migrations ont défini progressivement, depuis plus de 50 ans, des figures de combattants, trahis et oubliés, puis de travailleurs silencieux, abandonnés et largués, enfin de personnes sans vraie citoyenneté, perdus entre des cultures, des statuts, des religions, un passé et un avenir, qui jamais ne parviennent ni à les définir ni à leur convenir. Le grand-père était un héros armé trahi. Le fils a été un travailleur licencié oublié. Le petit-fils évolue dans un monde regroupé d'étrangers sans travail, sans avenir, sans culture. Le gamin de dix ans n'a jamais connu d'adulte au travail, car autour de lui, dans son quartier, "sur sa dalle" se retrouvent 50 % d'hommes d'âge productif sans travail. Son grand frère qui a été au lycée est également sans travail, souvent devenu dealer, ou incarcéré. Et lui-même a un statut de révolté hérité et endémique.


Restaurer la conscience
Avouons que, pour les victimes des casses, du racket, des incendies et des projectiles, des vols, un tel discours sociologique est inadmissible pour les individus passionnels violentés qu'ils représentent. Inacceptable et incompréhensible, puisqu'il met en oeuvre des mécanismes de raisonnement systémique, sociologique, historique, inconnus, ignorés, refoulés. Et pourtant ce mode d'explication n'en est pas moins sensé, réel, inexorable, parce que sociologique, systémique, précisément.
Arrivons en à un parallèle avec des réactions de nos lecteurs, individus passionnels meurtris, face au monde sociétal du système de santé vécu comme agressif ou ignorant, distant. Que vit telle patiente blessée, ignorée dans son être souffrant, négligée dans ses demandes, déçue dans ses attentes ? La même agression, incompréhension, révolte, fureur, parfaitement explicable, recevable, légitime. Et que répond alors le sociologue ? Cherchons l'origine, l'histoire, la genèse, d'un tel phénomène. A partir de quoi, de quand, le système de santé est-il devenu non réceptif, si peu à l'écoute, si peu accueillant, totalement déshumanisé ? A partir du moment où les gouvernements en ont fait un monde secondaire, sans intérêt, parce qu'il dépense sans rapporter, ni voix électorales ni argent pour la Bourse.


Renforcer la compétence

Le médecin, l'infirmière, les soignants d'autrefois possèdaient bien peu de science, de connaissances, mais ils étaient reconnus, titulaires d'une aura de dévouement, de pouvoirs de soulagement, de missions d'aide, et ils étaient valorisés de toutes leurs actions vantées comme nobles. Et l'individu passionnel, entre leurs mains douces, était apaisé, calmé, rassuré, reconnaissant. Les soignants actuels sont méprisés "systématiquement" minutieusement, par les responsables financiers, les gouvernants, les politiques, rejetés et ignorés comme non rentables, dépensiers, irresponsables. Ils réagissent en recroquevillant leur action autour du savoir, du pouvoir de décision, avec le risque majeur d'oublier leurs personnes et les êtres qui se confient à eux.
"Ghettoïser", terme affreux, les populations en difficulté sociale majeure est certainement une aberration. Ignorer, mépriser, ne jamais écouter, humilier, rabaisser les soignants (ne même plus compter sur leur influence électorale, évaluée comme désormais négligeable) est aussi, sociologiquement, une politique lamentable et vouée à la catastrophe pour tous les gouvernements. Un constat : les victimes en sont les mêmes, les usagers, les habitants, les êtres humains. Apprendre la société, serait le résumé d'une politique de la ville, des cités, de la sécurité, comme apprendre l'être humain serait une priorité de l'enseignement du métier de soignant. Reste à s'interroger : lit-on, devine-t-on, perçoit-on ce genre de volonté, ou seulement de souhait, de perspective, chez un quelconque candidat à la Présidence (1) ?  Non, jamais, car il manque alors les mots essentiels : pouvoir, voix électorales, CAC 40 (2), politique européenne, commerce mondial... Vous avez dit HOMME, ETRE HUMAIN ? Je vais chercher dans mon dictionnaire.(1) Présidence de la république française ( ndlr)
(2) Indice boursier de 40 sociétés nationales ( ndlr)        

                                                                                                          
Os court : Je crains l'homme accablé du poids de ses loisirs . Voltaire


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 Lettre d'Expression médicale n°232
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 12 mars 2002


Un diagnostic métamédical à ne pas rater.

Docteur François-Marie Michaut


Depuis janvier 1997, nous avons pris ici le parti de faire tout ce que nous pouvions pour que les médecins, et, à travers eux tous ceux qui travaillent dans le secteur de la santé , quel que soit leur domaine d'activité, fassent enfin l'effort de s'exprimer. Expression médicale, avons-nous dit, en souhaitant dès le départ que cette expression ne reste pas confinée à des cercles professionnels restreints, et s'ouvre largement à tous les citoyens. Sans moyens extérieurs, sans délégation de pouvoir, sans statut représentatif, sans grandiose mouvement de masse, nous avons continué à creuser notre sillon de façon méthodique. Nous avons eu nos moments de doute devant le silence quasi général à la suite de nos analyses ou de nos propositions. En tout cas, jamais nous ne sommes fait insulter ou agresser directement. Discrètement, le nombre de nos lecteurs a continué de progresser régulièrement. Et des talents nouveaux se sont fait jour parmi ceux qui nous soutiennent.


Retrouver la confiance
Alors, quand plusieurs dizaines de milliers de professionnels de la santé viennent manifester dans les rues de Paris, comme ce fut le cas hier, tout observateur ne peut qu'être très attentif. Bien sur, et de nombreux journalistes n'ont pu résister à cette analyse facile, on peut ne voir dans cette grève qui dure depuis un mois et demi qu'une question de sous. Une consultation médicale à 20 euros, au lieu des 18,6 "octroyés" par l'assureur maladie obligatoire en France. Nous sommes tellement habitués à voir régler tous les conflits sociaux par l'obtention d'une enveloppe financière âprement négociée. Les soignants crient bien autre chose que cette demande sonnante et trébuchante. Les soignants sont profondément blessés de se faire traiter de façon indigne, comme s'ils étaient dans l'exercice de leurs fonctions des malfaiteurs obsédés par leur seul compte en banque. Comment faire confiance à des gens qui sont censés ne s'intéresser qu'au portefeuille de leurs clients ?


Restaurer la conscience

Et si les soignants en avaient profondément assez d'être implicitement chargés de réparer toutes les misères et tous les dégâts de la vie, et en particulier ceux causés par une conception archaïque de la société et des rapports humains ? Interrogé par le magazine l'Entreprise sur les arrêts de travail prescrits par les médecins, j'ai fait valoir ce point de vue, qui a semblé troubler le journaliste qui m'interwiewait par une telle vision globale de cette question. Comment ne pas être furieux de devoir réparer sans fin, au milieu des pires souffrances, les conséquences pathologiques dramatiques de la gestion par le stress proposées par les spécialistes des ressources humaines ? Comment faire comme si on ne voyait rien, alors que les lois sociales, si généreuses et si protectrices dans leur inspiration, sont bafouées et détournées par des dirigeants pervers qui poussent les salariés indésirables à demander eux-mêmes leur départ, plutôt que de payer les lourdes indemnités légales dont ils devraient s'acquitter pour les licencier ?

Renforcer la compétence
Quand le prestigieux Journal of American Medical Association   ( 6 mars 2002 , Dr Dearry et coll.) , après avoir suivi 500 000 adultes pendant 15 ans, affirme que la pollution de l'air par l'industrie et surtout par la circulation automobile avec l'émission de microparticules est une source d'augmentation considérable du cancer du poumon, des cancers en général et des pathologies cardio-vasculaires, comment les soignants pourraient-ils rester les bras croisés ?
Pourquoi, dans un pays où la moitié des voitures neuves est équipée d'un moteur diesel ne mesure-t-on pas le taux de ces particules ? Oui, l'air que nous respirons, les aliments que nous absorbons, l'eau que nous buvons, les rapports humains que nous vivons en permanence sont des facteurs prioritaires de l'état  de santé de tous. Que des lois prévoient d'inscrire sur les paquets de cigarettes : nuit gravement à la santé, pourquoi pas ? Mais  pourquoi s'arrêter là, et ne prendre aucune mesure sérieuse vis à vis de ces risques environnementaux de mieux en mieux connus, tout en demandant aux médecins de soigner les conséquences de cette dramatique négligence ? Tout en dépensant le moins d'argent possible, cela va de soi.  Voila quelques pistes très simples - parmi beaucoup d'autres - qui pourraient étayer une politique de la santé qui soit, enfin, au service du public. Et pas, comme on le voit trop hélas, le thème électoralement porteur dit de la santé publique récupéré pour mener des actions de propagande politicienne.     

                                                                                       
Os court : Adopter une innovation, c'est l'adapter . Bruno Latour


 

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Lettre d'Expression médicale n°233
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 19 mars 2002


  Les couleurs du spectre
Docteur Jacques Blais


Titre à double sens, naturellement, tant il est aisé d'aller de l'arc-en-ciel au squelette de la médecine, soigneusement massacré par tous nos gouvernants successifs. Mais ressuscitant soudain sous influence électorale, une brutale perfusion qui voudrait faire croire à un quelconque intérêt des candidats pour un monde de la santé qu'ils ont tous ignoré intégralement depuis quinze ans. A double sens aussi ces réponses quelque peu "auto-psy-ques" sur des fragments autobiopsiques d'extraits colorés du monde des généralistes. Mais tant d'interrogations de nos non-médecins ouvrent vers des questions sur un avenir incertain, minant la confiance, exprimées en "que faire pour sauver les professionnels de santé ?"

Retrouver la confiance
Un médecin écrit au fil de son existence plusieurs livres de la vie, qu'il feuillette pages après pages, sa propre vie s'entremêlant dans l'entrelacs de celles des patients qui viennent lui confier les leurs. A la fois trame et chaîne tissant la toile, et mosaïque de couleurs à laquelle chaque intervenant apporte sa pièce de puzzle, les pages défilent. Des pages de Livre d'Or avec les quelques "exploits" du thérapeute fier de quelques diagnostics ou succès, comme des médailles de réconfort. Les mêmes que celles des pompiers, et justement les pages suivantes en ont la couleur rouge, sanguine, une teinte de feuilletons à grand renfort de sirènes deux tons, mais autant de nuances de sanies, de viande, de vinasse sur du carrelage, d'hémorragies et de plaies par balles de la consultation du samedi dans les banlieues... Des pages roses tout à coup, couleur layette, peau de nourrisson, bluettes et mariages gentils, dragées, qui mènent vers des pages jaunes comme le soleil, le sable ou les fleurs d'hibiscus, mais aussi cette nuance affreuse de la rétention biliaire prurigineuse au dernier stade d'un pancréas envahi... Puis des pages bleues comme le foot, la France, la mer, les héros, celles que la République aime, mais encore comme ce terrifiant papier bleu du certificat légal destiné à permettre l'inhumation des corps... Et des pages vertes, couleur d'enseigne de pharmacie, d'eucalyptus et de sirop, et de Carte Vitale,  les seules qui intéressent les médias, à l'aspect de gâchis et de dépenses, et pourtant si faibles parts de l'activité des praticiens. Des pages marron, couleur Sécurité Sociale, et soyons affreux carrément, couleur immigration, celle de ces êtres balancés dans un univers terrible où tant d'entre eux ne trouveront comme interlocuteur exclusif que leur médecin pour les entendre et les aider...

Restaurer la conscience
On arrive aux pages blanches, les illisibles, les indicibles. Avec un adjectif qui définit autant l'arme blanche que la poudre, la lividité de l'anémique, la nuit de garde, les blouses affublées... Et surtout la honte de la mutité, qui hantera inlassablement l'esprit du médecin, l'inceste, le viol, la violence, le sordide au bout du couloir et l'effroi dans la cuisine, les yeux noyés dans les cheveux de cette femme pour qui le paquet de kleenex du docteur ne suffira même pas à éponger l'horreur d'une vie. Et pourtant, au fil des pages de ces blancs de l'indicible, elle finira à force de persévérance dans l'écoute, de patience dans cette forme d'amour que son médecin a choisi d'exercer dans son travail de passion, de fourmi, d'enthousiasme douché sous les coups de gouvernants irresponsables et destructeurs, parvenant à supprimer en quinze ans à nos jeunes toute envie d'exercer ce métier de lumière et de stupéfaction, d'ombre et de bonheur, le dernier rempart humaniste sous la domination du CAC 40, cette femme livide et meurtrie, et ses milliers de semblables finiront par non seulement accepter de vivre mais peut-être parvenir à exister un peu. De temps en temps, entre les pages violettes de hématomes de son parcours, et une ou deux pages bleu du ciel, les couleurs mêlées d'un bouquet de renoncules vives, carminées, orangées et jaune pâles, les premières fleurs que quiconque ait offertes à sa vie, elle rêvera en couleurs d'un monde de sable et d'eau turquoise.

Renforcer la compétence
Il reste encore des pages noires bien sûr, bordées comme des faire-part, dont le praticien meuble quelques nuits coupables, ou emplit ses souvenirs de cet évident droit au chagrin et à la peine, car les médecins sont aussi affectivement secoués par la perte de quelques patients qui étaient parfois devenus leurs membres amputés. Même si leur compétence, leurs apprentissages, leur formation continue, ont pour objectif non de blinder, jamais, mais d'apprendre à vivre soi-même en aidant les autres à exister, d'écouter pour entendre et comprendre, de dire et dire et dire encore pour proposer, négocier, jusqu'à un accord ménageant les parties en présence. Et même si tout cela est plus qu'une hypothèse utopique, mais moins qu'une réalité de terrain, tous les praticiens au fil de leurs pages d'exercice auront appris que la couleur dominante est le gris. Personne n'est jamais ni tout noir ni tout blanc, même un politicien, et la plupart des années de labeur obscur et acharné du médecin consistera à tenter de faire évoluer les nuances de gris, ajoutant des couleurs, éclairant pour éclaircir, et dépeignant des situations critiques pour mieux peindre un avenir où se glisse un arc-en-ciel.
Le grand malheur, l'immense malheur politique actuel, est que nos chers gouvernants ne semblent en permanence voir qu'une seule couleur dans le spectre, la leur. On préfèrerait la lueur.....

                                                                                                                                                                                      
Os court : En période électorale, les hommes politiques trahissent des inquiétudes. faute de mieux. Coluche


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Lettre d'Expression médicale n°234
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 24 mars 2002

Des grilles plus hautes , ou pas de grilles ?
Docteur Philippe DEHARVENGT(*)

Pour illustrer la dramatique montée de la violence en milieu scolaire ( encore tout récemment actualisée par l'exécution d'un père de famille ayant défendu son enfant victime d'un racket que ni l'Institution scolaire , ni la Police , ni la Justice ne protégeait ) , les médias nous montrent avec une délectation morbide des hordes d'adolescents braillards escaladant les grilles de leurs lycées ou collèges .
Quel symbole ! L'école sensée être le lieu de tous les apprentissages , y compris celui du civisme et de la citoyenneté responsable , des valeurs laïques et républicaines , qui devient celui de l'incivisme , du refus de l'autorité et de la transgression des interdits. Comment en sortir?

Retrouver la confiance :
Une première solution serait de rendre infranchissables les grilles et enceintes qui sont sensées sécuriser les établissements scolaires , transformant ceux-ci en établissements carcéraux. Excellent pour le développement de la personnalité de nos chères petites têtes blondes ; il suffit pour s'en convaincre de constater la haute valeur éducative de la prison. Ceux qui y entrent délinquants en sortent assassins potentiels . Et pourquoi ne pas restaurer les bons vieux châtiments corporels , tant qu'on y est ?

Restaurer la conscience :
Une seconde solution serait de supprimer toute grille ou enceinte , faisant de nos écoles des lieux ouverts où chacun, élève , enseignant et toute personne étrangère à l'école pourrait aller et venir librement et faire strictement tout ce qu'il voudrait . Ce qui n'est pas tellement éloigné de la situation actuelle , et qui aurait l'avantage non négligeable de réduire sensiblement le risque d'accidents par chutes . Le meilleur moyen d'éradiquer la transgression de l'interdit n'est-il pas de supprimer l'interdit ?

Renforcer la compétence :
Ces deux options sont évidemment caricaturales à l'extrème . In medio stat virtus disent les latinistes distingués que vous êtes , amis lecteurs .
C'est notre devoir de citoyens d'exiger que nos enseignants
puissent retrouver leur rôle , qui est d'enseigner à leurs élèves une double discipline : celle qui relève de la spécialité enseignée , et celle qui relève du civisme , fondement de toute civilisation et de toute vie sociale , discipline sans laquelle deviendrait inéluctable le retour à la barbarie . C'est notre rôle de soignants d'exiger de pouvoir soigner , en toute sérénité , donc en toute sécurité , condition sine qua non d'une relation médecin-malade de qualité comme celle évoquée sur ce site par les récents échanges d'Exmed1 .Nous n'avons jamais eu à la LEM, me semble-t-il, l'outrecuidance de prétendre pouvoir résoudre , ou même d'apporter des éléments de réponse , à des problèmes de société aussi graves et préoccupants que celui-ci . Mais aborder le problème , n'est-ce pas déjà apporter modestement sa pierre à ce vaste chantier ?

(*) médecin généraliste libéral retraité , ancien médecin de la Pénitentiaire et de santé scolaire .

l'os court : << Quand je bois à ta santé , c'est la mienne qui déguste >> . le Père Igor . . . hic !


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Lettre d'Expression médicale n°235
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 3 Avril 2002

Evidence
Dr Jacques Blais


Une sorte de vision rationnelle de l'exercice thérapeutique actuel du si difficile métier de médecin fait appel à cette très intéressante notion de la Médecine fondée sur la Preuve, que les anglophones nomment Evidence based Medicine. A la fois une règle du jeu dans le domaine du matériel à utiliser, le traitement, des signes à décrypter et des examens nécessaires et utiles pour porter un diagnostic adapté, et à la fois une sorte de manuel de bonne conduite, tant sur un plan du risque minimal que du coût le plus faible. Un résumé de la manière d'exercer proche d'un idéal situé entre le juste prix et les meilleurs choix du moment.

Retrouver la confiance:
Cette manière de fonctionner, associée à une méthode de réflexion, à des règles à respecter pour mieux observer, et à un guide du comportement le plus proche de la meilleure logique et logistique, est une avancée évidente, une façon rationnelle de procéder, un encouragement, et une perspective d'avenir instructive. Si l'on devait soulever une interrogation, elle serait celle de l'intervention de facteurs humains. Illustrons d'une situation
réelle, issue du développement de la méthode des ECOS, ou Examen Clinique Objectif Structuré qui est celle, dérivée des enseignements issus du Canada, que nous appliquons maintenant dans un certain nombre d'universités Françaises pour tester les apprentissages, mais encore bien plus les comportements des étudiants en médecine générale à l'issue de leur troisième cycle. Un énorme travail préparatoire, d'écriture, de réflexion, de mise au point, aboutit à la rédaction de saynètes jouées par des acteurs non médecins, qui proposent des situations standardisées aux étudiants en vue d'une évaluation de leurs capacités autant relationnelles que diagnostiques, stratégiques, cliniques, au cours d'une séquence de 20 minutes qui se
déroule comme une consultation réelle. Bien entendu de nombreuses répétitions avec les acteurs, les évaluateurs, les rédacteurs, ont abouti à une mise au point fiable dans sa constance et sa perennisation.

Restaurer la conscience:
Supposons une séance centrée sur la découverte, au travers d'une consultation banale à propos d'une fatigue, d'un mal-être indéfini, autrement dit d'une situation quotidienne de médecine générale, d'un état d'anxiété accompagnée de signes dépressifs repérables. On aura juste demandé à l'actrice qui joue le rôle de la patiente de s'affairer, à un moment, à chercher un kleenex dans son sac à main. Le scenario de son interprêtation est le même pour tous les étudiants, qui ont tous reçu le même enseignement issu de la même Faculté, jusque dans les considérations cliniques et thérapeutiques de la médecine fondée sur les preuves. Imaginons 25 étudiants en lice. Et pour simplifier définissons les résultats des constatations
des évaluateurs, reprises en discussion finale à l'issue de la totalité du passage des étudiants. 5 étudiants n'auront pas même remarqué que la "patiente" avait cherché un mouchoir. Cinq ont noté, et en ont déduit qu'elle était enrhumée. 5 en ont été agacés, et commenteront en disant "en plus elle ne m'écoutait pas, elle bricolait je ne sais quoi en pensant à autre chose". Il en reste 10 sur 25 qui ont bien noté l'action, ont compris que la patiente manifestait quelque chose, et même perçu que cette recherche d'un soutien, d'un support, de ce kleenex n'était certainement pas anodine ni dépourvue de signification. Mais 5, hésitant parfois, tentés mais inhibés ou trop peu sûrs d'eux, se sentant intrusifs, ou anxieux eux-mêmes n'auront tiré aucun parti de ce constat. Enfin 5 auront saisi une si belle occasion. L'un aura pu lancer "la vie est difficile pour vous, en ce moment ?", un autre aura tenté "excusez-moi, vous ne me sembliez pas enrhumée, il y a un autre problème ?" pour l'étudiant suivant cela aura été "je vous sens troublée, ne vous gênez pas si vous avez envie de pleurer, mais si je peux me permettre, qu'est-ce qui vous bouleverse ainsi ?", ou bien encore une question ouverte plus directe "vous... vous êtes préoccupée par quelque chose ? vos enfants ? votre travail ? et chez vous cela va en ce moment, ou justement...?" Imagination libre pour les interrogations, dès lors qu'elles peuvent se formuler...

Renforcer la compétence:
Que tentent d'évoquer ces propos ? Tous ces médecins sont compétents, ils puisent leurs sources dans la médecine par les preuves, ont suivi un enseignement moderne, ils vont tous repérer les signes dépressifs, et appliquer le traitement adapté et appris, pour sans doute 80 % d'entre eux. Et pourtant il existera une différence extrême entre ces professionnels, tous nourris des mêmes bases. Certains ne sauront donner, vendre ou vanter, que leur science acquise, ce qui est déjà considérable, en appliquant une thérapeutique adaptée sur un diagnostic étayé. D'autres seront au bord de percevoir qu'ils auraient pu, s'ils avaient osé, s'ils avaient diront-ils peut-être eu le temps, s'ils s'étaient sentis sûrs, aller plus loin, aider davantage en entrant dans l'existence dite privée de cette femme pour lui proposer plus, plus loin, plus efficace, autrement. Et chez cinq de ces praticiens la femme en détresse aura trouvé une écoute, une empathie, une oreille, un réconfort, et bien au delà de cette seule médecine par les preuves, elle aura reçu un don non mesurable en statistiques, en études, en graphiques, en pourcentage, le don d'une envie d'aider, d'un amour des êtres, d'un besoin d'ouverture, de cette capacité plus forte que d'autres à susciter la confidence, à gagner et offrir la confiance, à parler enfin, parfois pour la première fois de sa vie, de l'existence, du couple, de sa vision du monde, de ses angoisses, de la mort, de ses doutes, de ses craintes d'incapacité à être, à élever des enfants, à aimer un mari, à
affronter le quotidien, ou bien encore de son enfance, de parents disparus, éventuellement jamais connus, d'un frère demeuré le frère mort enfant... De dire, d'être, de pouvoir se laisser écouter pour entendre et comprendre.

La "morale de l'histoire" ? Quand deux êtres humains se rencontrent, si l'un des deux est porteur d'une présumée science éventuellement issue de sources validées de la médecine fondée sur la preuve, c'est une compétence indéniable supplémentaire, si de surcroît une capacité humaine relationnelle qui rend celui des deux placé en position de praticien en mesure de devenir lui-même traitement par son savoir-être existe, la plus-value thérapeutique est indéniable. Un rêve ? Non, un objectif. Et terminons sur deux notes brèves : d'une part les enseignants espèrent un jour que 15 des étudiants sur 25 et non 5 auront appris que la recherche en apparence anodine d'un mouchoir est un signe non verbal d'un langage qui dit "docteur je vais mal, aidez moi", les futurs médecins auront alors ajouté à la science des preuves la perception de l'être global. Et d'autre part si n'importe quel politicien, candidat, gouvernant, pouvait un jour imaginer dans son programme qu'au delà de la science du CAC 40 existe la connaissance des êtres, pour fabriquer et maintenir un système de soins correct, que l'on nous fasse signe.

l'os court : << Des preuves, des preuves ... Eh bien qu'est-ce que ça prouve ? >> .Alphonse Karr