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Lettre d'Expression médicale n°286

Hebdomadaire francophone de santé
24 Mars 2003

Mais tu sais, mon petit
par Dr Jacques Blais

Mon petit, mon frère, mon ami, ce matin tu as levé les yeux et il n'y avait plus de ciel, que des volutes de fumée, des éclats de métal, après ces lueurs rouges presque belles dans la nuit, et puis ce silence épouvantable après le vacarme. Tu as passé ta nuit les mains sur tes oreilles, pour ne pas entendre ce tonnerre et ces explosions, ces cris et ces hurlements, ce fracas de verre et de fer, sans jamais oser te lever pour aller te soulager au point que tu en as mouillé ton bât-flanc.
Mais tu sais, mon petit, mon frère, très loin de toi dans une partie du monde riche et nantie, du bon côté de la terre, une petite fille de ton âge a également passé une nuit avec les mains sur ses oreilles pour les empêcher d'écouter. D'abord le bruit régulier, lancinant, rythmé, du lit qui tape sur la cloison, ensuite peu à peu les cris de sa mère qui proteste et dit non, enfin ses hurlements déchirants et les coups qui frappent, frappent, frappent....
Tu n'as même pas de larmes, mon petit, tes yeux ne savent plus que s'ouvrir sur l'effroi, le désespoir et l'envie de fuir, de mourir, de maudire les hommes. La petite fille, elle, n'a que des pleurs de silence et de froid, elle aussi a souillé son lit cette nuit et elle grelotte, autant de désespoir que de cette envie impossible de tuer cet homme qu'elle hait, dans le lit de sa mère.

Retrouver la confiance:
Tu n'as plus revu ton père que dans le drap rougi qui enveloppait ses morceaux, et ta mère dans un hôpital. Et la petite fille n'a plus revu son père que dans un cimetière, et sa mère dans une prison. Chez elle il n'y avait eu que deux coups de feu, peut-être trois elle ne veut surtout pas se rappeler, autour de toi il y a eu deux mille déflagrations. Elle a appris la mort comme cela, à domicile, quand celle de la télé lui paraissait lointaine. Toi tu savais la mort réelle, quotidienne, depuis si longtemps, quand les mirages de la télé te paraissaient douceur et rêve.
Mais tu sais, mon petit, mon enfant, mon frère, mon ami, chez cette petite fille cet homme malade du vin et de la violence, entre deux cuites, deux verres, deux accès, il était capable d'aller pleurer dans le fond du jardin, et si la petite fille s'approchait il savait lui montrer la couleur d'une agapanthe semblable à celle de la mer, la teinte bleue si violente d'un delphinium comparable au ciel des jours heureux de l'été, et lui montrer la poussée rieuse des phlox entre les brins d'herbe, en souriant lui entre ses larmes.
Mais tu sais mon petit, il n'y a parfois aucune différence entre un maître du monde qui veut gagner, tuer, régner, pour venger son père, pour être réélu, pour dominer la terre, pour abattre les tenants d'un dieu différent, pour récupérer des bénéfices secondaires marchands ultérieurs, et tes camarades de jeu d'hier. Dans un autre pays riche encore, plus riche même si cela te semble possible, un garçon avait, lors d'une partie de balle au prisonnier, raté sa capture de son ennemi. Ensuite un autre adversaire, qui avait autrefois dit du mal de son père en le traitant d'étranger bizarre avec un dieu qui n'était pas le bon l'a nargué. Blessé, outré, révolté, ce garçon a pris la carabine de son père et a tiré sur ses copains de classe.
Dans un autre endroit encore un vieux bonhomme avait tué des quantités de femmes sans que l'on comprenne. Et si cela se trouve, toi tu avais deviné que sa mère, ou sa grande soeur, ou plusieurs femmes, l'avaient humilié quand il était tout petit, sans défenses et sans capacité à ce moment là d'exprimer sa colère.

Restaurer la conscience
Mais tu sais mon petit, les adultes sont depuis toujours désespérément effrayants dans leurs manières de vivre et d'exister. Ils ne cessent de faire semblant pour tout. Semblant d'être les héros du monde en défendant le faible et l'opprimé, tandis qu'ils cachent ainsi leurs énormes propres détournements et leur besoin de pouvoir, ou d'assurer la fortune monétaire des marchés. Semblant d'abattre des tyrans en appelant leur dieu à la rescousse pour les protéger, alors que comme ces gamins évoqués ils ne font que venger des brimades, des ratés de leur balle au prisonnier, ils veulent régner en patrons du monde, se faire réélire, redresser les finances de leurs pays, et jouer avec ces jeux à tuer terrifiants qu'ils possèdent dans la hotte de leur Père Noël de richissimes...
Mais tu sais mon petit, la mère de cette petite fille, quand elle est sortie de prison parce que cette affaire date de longtemps, elle n'avait plus le droit, comble de tout alors qu'elle en demeurait la mère, de s'occuper de sa fille grandie, elle est allée se réfugier chez une amie. Cette amie est morte et la femme condamnée s'est admirablement chargée de veiller sur l'enfant qu'elle gardait chez elle, handicapée majeure et dépendante, avec un dévouement et une capacité d'amour admirable
Tu vois mon petit, mon frère, mon ami, toi aussi demain, dans huit jours ou huit ans, tu trouveras des coquelicots entre les pierres de ton village, comme il en pousse des champs entiers entre les ruines de Delos que vont visiter les touristes, tu te seras fabriqué un monde à toi, et tu auras appris les hommes. La vie, la mort, l'amour, et toujours, depuis la nuit des temps, cette habitude nauséabonde de chacun de vouloir gagner, abattre, dominer, envahir, tuer, démontrer, casser, briser...
Mais tu sais mon petit il existe aussi d'autres hommes, d'autres êtres, d'autres idées... La petite fille de l'histoire, on lui avait appris au catéchisme que ce dieu là disait d'aimer. Elle ne l'a définitivement plus jamais cru, mais elle a cru qu'elle arriverait à exister en aimant les êtres, et elle a décidé de devenir infirmière.

Renforcer la compétence:
Tu sais petit, il y a un homme qui soigne, qui écoute et qui aide à vivre. Il a eu une enfance terrible, terrifiante comme la tienne. Il raconte dans un livre comment, déporté avec un groupe d'enfants dans les temps affreux de la guerre, il s'était échappé en grimpant à la force de ses petits bras et jambes tout en haut d'une vespasienne, c'est ainsi que l'on appelait les urinoirs. Et bloqué là-haut, coincé, terrorisé mais calme, il avait vu défiler en dessous de lui tous les soldats allemands qui venaient pisser sous lui. Aucun n'a levé la tête. Et ce jour là il a compris son existence. Celle d'un être qui mènerait lui-même sa vie.
Et tu sais mon petit, mon frère, dans les ruines et les bombes tu rencontreras à l'hôpital une femme médecin héroïne de l'ombre qui te regardera dans les yeux, et te dira : "tu veux m'aider ? eh bien viens, tiens porte donc mon appareil pour écouter le coeur et les poumons..."  Ou bien dans une école sans toit dévastée, un professeur t'impressionnera par sa noblesse, son amour des autres et sa passion, et il te demandera si tu as envie de l'imiter un jour...  Ou bien ailleurs, dans un autre endroit, un pays différent, une infirmière qui travaille dans un camp de réfugiés à soulager, soigner, apaiser, écouter, qui tient la main de celui qui souffre et ose ne pas lâcher les yeux de celle qui meurt, te donnera un désir extraordinaire d'aider et d'aimer les êtres humains...
Et tu sais mon petit, mon enfant, mon frère, mon ami, des millions d'adultes éprouvent une telle honte souvent d'appartenir à ce qui ose se nommer le genre humain, jusqu'au moment où ils retournent les cartes, regardent derrière les façades, au delà des miroirs, des apparences et des faux semblant, et tout à coup ils comprennent qu'aucun être vivant, absolument aucun, ne possède son petit recoin inapparent, isolé, où il n'aura entassé depuis son enfance des paquets de linge sale et d'affaires louches, de coups tordus et de vengeances sordides, des trucs de gamin, ou d'abominables affaires de grands vécues et reçues si tôt sur la tête comme tes bombes à toi. Et un jour quelqu'un saura lire ce filigrane, deviner ces mots, comprendre les pleurs demeurés à l'intérieur, extraire ces silences de mort, entendre ces bruits de déflagrations tus, pour laisser exister l'être...
Mais tu sais mon frère, même si cela doit nécessiter la moitié de ta vie, l'essentiel sera toujours que tu parviennes à exister un jour, pour toi, en tant qu'individu unique et reconnu. Et si par surcroît tu parvenais à expliquer à tous les suivants qui se lèveront un matin, dans les années à venir sous des cieux de bombes et de néant, de poussière et de mort, comment on vit, tu serais devenu alors un super grand, mon petit. Merci et pardon.


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Lettre d'Expression médicale n°287

Hebdomadaire francophone de santé
31 Mars 2003

Perception et conception
par Dr Jacques Blais

Les dix dernières années de la gestion par des gouvernements français successifs de toutes couleurs, rose, bleue, verte, rouge, avec et sans cohabitations, ont eu des caractéristiques spécifiques relatives à la perception du monde de la santé. Différents dirigeants ont tenté de placer aux gouvernes d'abord des politiques, J.Barrot, C.Evin, C.Aymard, ou des personnes issues des affaires, R.Teulade, en leur associant, avec l'idée d'amadouer le corps médical, divers médecins comme P.Douste-Blazy, E.Hubert, B.Kouchner, au profil généralement avant tout politique , et au pouvoir totalement inopérant  sur les orientations du système de santé, puisqu'ils ne possédaient jamais les clefs du budget, travaillant aux ordres et sous la dépendance des ministères de tutelle. Ensuite deux figures féminines du pouvoir rose se sont succèdées pour achever la rupture et l'incompréhension, de nouveau deux personnages à forte personnalité complètement étrangers et au monde de la santé et à la conception réaliste des difficultés des professionnels, M.Aubry et E. Guigou. Résumé cruel, dur, lucide, réaliste.


Retrouver la confiance:
En même temps se développait cette pensée unique, si ancrée dans le monde politique en général : les professionnels de santé sont les  responsables exclusifs des dépenses, (les usagers n'existent donc pas)  par leurs excès de prescription, leur absence de volonté d'implication dans la régulation et l'objectivité, leurs revendications tarifaires exclusives. S'est ensuivie, à partir de cette perception biaisée, une conception minimaliste : pour réduire les dépenses, réduisons le nombre des professionnels, d'abord. Numerus clausus étriqué, en dépit des alertes rapides des statisticiens avertissant d'une pénurie prévisible à l'horizon 2008 alors. Mises en retraite anticipée des vieux praticiens, présumant à l'envers et au mépris de toutes les études également statistiques en provenance des Caisses elles-mêmes qu'ils coûtaient cher. Or au contraire, un praticien chevronné, expérimenté, aguerri, n'ayant plus de souci de rentabilité, et moins d'angoisses diagnostiques et thérapeutiques, est nettement plus économe qu'un jeune formé aux technologies modernes, angoissé et par sa nécessité de gagner sa vie et de ne pas perdre ses patients. Du coup la prévision statistique de pénurie a été revue à l'avance de 2005.
Après le nombre des professionnels, la tendance a été de réduire le nombre des actes. Application déguisée ou non selon les catégories professionnelles de quotas, réels pour les actes infirmiers, et de kinésithérapie par exemple, indirecte pour les médecins par application de coefficients normatifs et coercitifs. Encore un problème de conception et de perception. Les professionnels de santé ont depuis toujours été d'accord pour optimiser une prestation de qualité, médecine par les preuves, application et évaluation de critères de rapport entre coût et utilité, choix pour un même résultat des thérapeutiques les moins onéreuses. Ceci pour la conception.
En dépit des cris d'alarme des professionnels, une autre utopie a été intégralement négligée, celle qui suppose que la gratuité des soins en offre et demande, rigoureusement indispensable pour nombre de personnes, indispensable répétons-le, et qui devait être inventée, a cependant une conséquence parfaitement prévisible, humaine, statistiquement prouvée cette année pour la CMU par exemple, celle de faire croître inexorablement la dépense au delà de la consommation logique. Pour la seule raison que personne n'a décidé de contrôler l'attribution, et ensuite l'utilisation de ces prestations gratuites et nécessaires pour ne pas les laisser transformer en opportunités, en trafics, en circuits, en modes de vie inappropriés. Seulement parce que personne n'aura voulu imaginer la réalité humaine, et prendre sa mesure lucidement. Changer de conception.

Restaurer la conscience
Dans le cadre de la perception, comment imaginer qu'un praticien dont tous les coefficients du RIAP (rapports individuels d'activité du praticien) sont situés "dans la bonne zone" : il ne coûte pas cher en prescriptions pharmaceutiques, en arrêt de travail, en soins infirmiers et de kinésithérapie, en examens de laboratoire, soit averti par sa Caisse de ce qu'il travaille nettement plus que ses collègues du même secteur, et montré du doigt. Alors que tout simplement il se lève plus tôt le matin, termine plus tard le soir, travaille par exemple le samedi, ne prend qu'une courte pause à midi ? Et quand son coefficient de nombre d'actes pour un même patient n'est pas supérieur à celui de ses confrères, que donc il ne provoque pas de retour inutile des patients vers sa consultation ? Pourquoi vouloir perpétuellement normaliser tout par le bas, sans laisser à chacun sa propre manière, son rythme, sa disponibilité, du moment que le critère qualité est respecté ?
Il est visible qu'au fil des années, des réformes, des politiques décideurs gouvernementaux exclusivement à l'affût des critères et indices financiers du CAC 40, c'est à dire en permanence ignorant du quotidien des professionnels, qui consiste à aider, soigner, écouter, traiter, accompagner, faire vivre et exister des êtres humains, les professionnels de santé se sont totalement découragés, parfois tragiquement désinvestis. A force de voir traduire sa conception à lui et sa perception de vocation dans des directions aussi incompréhensibles qu'inadmissibles, le soignant se lasse. Je suis un humain à vocation d'aide et d'écoute aux autres, de soins et d'amour, conscient de ce que l'être face à moi est en attente des meilleurs soins au meilleur coût pour le respecter et me respecter dans ma fonction. Traduire je suis un irresponsable dépensier capable de faire n'importe quoi pour obéir à un usager consommateur lui-même désireux des soins et de la prévention la plus irréfléchie véhiculée par des médias poussant à dépenser.

Renforcer la compétence:
Actuellement hélas, usagers et professionnels touchent du doigt une situation devenant critique, avant de toucher un fond imité des anglais nos voisins, ou d'à peu près tous les systèmes de santé environnants, allemand, italien, espagnol, portugais à titre d'exemple. Pénurie gravissime de médecins, d'infirmières, de soignants, de lits, de matériel, de crédits. Solutions extrêmes de repli menant des infirmières à ne plus pouvoir assurer des soins coûteux parce que paradoxalement sanctionnées alors par la Sécurité Sociale. Kinésithérapeutes obligés de choisir pour limiter leurs actes, avec les risques que cela comporte en période d'épidémies de bronchiolite. N'importe quel examen spécialisé, rendez-vous technique, intervention particulière, en gynécologie, maternité, ophtalmologie, urologie, etc, repoussé à des délais à compter en mois comme au Royaume Uni. Évacuation des patients pour ne pas dire éjection de leur lit à peine chauffé de leur présence, pour raisons d'économies.
Fuites de nombreuses compétences à l'étranger. Depuis très longtemps nos confrères britanniques exercent au Canada et aux USA, remplacés chez eux par des médecins Pakistanais. Les praticiens Français sont en train d'effectuer la même démarche, ce qui en ajoutant à la pénurie totalement prévisible et négligée depuis 10 ans par toutes les autorités, mène peu à peu tous les patients à des probabilités de rencontrer pour tous soins des praticiens Libanais, Syriens, Espagnols, Maghrébins. Certes compétents, mais probablement si nettement plus utiles dans leurs propres pays
Une nouvelle compétence approche, celle du patient. A lui d'apprendre la patience, la débrouillardise, les moyens du bord. A lui d'apprendre encore plus le caractère collectif du système de santé, la courtoisie, la hiérarchie des pathologies, le partage, l'importance et la qualité de l'existence, au delà de la vie. A cet appelant téléphonique pour un rendez-vous hospitalier, qui va insister dix minutes, pour obtenir une date qui ne tombe ni durant les congés de ses petits-enfants dont il ou elle doit s'occuper, ce qui est louable, ni pendant sa cure de thalasso, ou sa croisière aux Caraïbes, et pas le matin car il a horreur de se lever tôt, et pas tard l'après-midi, parce qu'avec les embouteillages, la nuit qui arrive, et Questions pour un Champion à ne pas rater à la télé, et puis surtout jamais un vendredi, non, c'est son jour de cartes avec les amis.... à cet appelant inconscient de sa chance, de son égocentrisme, de l'invraisemblable capacité de soins de son pays en dépit des difficultés croissantes, il va être nécessaire de donner quasiment un cours de morale collective. "Voyez-vous, Monsieur ou Madame, depuis ce matin vous avez été 74 à demander la même chose, avec les mêmes exigences correspondant à votre logique à vous, mais dans la même période 13 personnes ont appelé pour des problèmes de cancer. Et ces patients là, eux, ont accepté les délais, les horaires, les jours proposés parce que leur priorité était à leur santé, à leur vie, à leur avenir. Alors n'oubliez s'il vous plaît jamais, derrière vos privilèges d'usagers bénéficiaires, même dans l'optique des énormes difficultés qui nous attendent tous en logistique de santé, que chaque jour des êtres sont en vraie souffrance, silencieuse et sans exigences irrecevables. Et eux ne diront pas "cela fait trois heures que j'essaie de vous joindre", eux diront "merci de m'avoir écouté et guidé"
Une autre compétence. Monsieur J-F Mattéï a été trente ans un médecin en exercice vrai, hautement responsable et respecté, il semble bien être un homme d'écoute et de dialogue, et pour la toute première fois depuis vingt ans un ministre médecin, également chargé du budget de son ministère, tente de rassembler, de proposer, de réunir. Il paraît avoir compris le désespoir et la détresse des professionnels, entendu la nécessité d'élargir, de renforcer, de réformer, de modifier, d'écouter. Reste à attendre pour évaluer sa capacité à durer même s'il persuade (ou surtout s'il y parvient ?) soudain les gouvernants, financiers, décideurs, que si la vie a forcément un prix la santé a nécessairement un coût, que les patients sont des êtres humains nécessitant des soins et une approche globale, les professionnels de santé des humains nécessitant un respect, une écoute et une approche responsable, et qu'une vision humaniste de notre monde devrait nécessairement placer avant le CAC 40 la Santé, l'Education, et la Justice, valeurs susceptibles de rendre un pays fier de son image. Infiniment plus qu'un porte-avions à 5 milliards (?), ou le CAC 40 à 5000 points.
Notre perception à nous de la Santé, un monde d'humanisme et d'échange pour un soin optimal égalitaire, notre conception de votre rôle, Monsieur Mattéi, confiance, conscience et compétence, pour répondre aux attentes et entreprendre.

l'os court :    « J’ai été persécuté fort au delà de mon mérite »  


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Lettre d'Expression médicale n°288

Hebdomadaire francophone de santé
7 Avril 2003

Tout bénéfice
par Dr Jacques Blais

Abordons ensemble selon l'angle qui nous est habituel, celui qui permet "d'aller voir derrière" une notion classique mais que nous tenterons d'éclairer des éléments de l'inconscient, celle de bénéfice. Faire le bien, étymologiquement, comme tous ces mots latins à suffixe dérivé de facere, faire. Comme sacrifice, "faire du sacré", ou orifice, "faire une bouche" .
Il est courant de distinguer un bénéfice "primaire" immédiat, monétaire par exemple, un avantage acquis grâce à une manoeuvre, un échange, une vente, une opération commerciale, et un bénéfice dit "secondaire" celui qui nous intéressera le plus, car s'il est décalé dans le temps éventuellement, il le sera plus encore dans la représentation, dans la conscience, dans sa signification psychique, systémique, humaine.



Retrouver la confiance:
Nous pourrions déjà tenter une différenciation, plaçant dans les avoirs ce bénéfice primaire consistant à gagner matériellement, en tout cas de manière mesurable, quelque chose à une transaction. De l'argent, du temps, des degrés de flexion dans une rééducation d'un membre, des dioptries dans une correction d'un trouble visuel, des points de retraite, un bonus quelconque. Des éléments que l'on pourra chiffrer, évaluer en terme d'appréciation en degrés, en grades, en unités.
Et retrouver alors le bénéfice secondaire dans l'être, ce qui serait simpliste. Mais certainement dans des éléments appréciables, valorisants, flatteurs, mais rarement mesurables. Comment mesurer en effet un pouvoir, une autorité, une influence, ou encore un rôle, une fonction ? Autant de "valeurs" touchant à l'être, au paraître, au sentiment. A l'aura également, simple exemple, et à cette sorte de plus-value sur la parole qu'apportera un bénéfice secondaire lié à des sondages, une victoire électorale, de brillants résultats scolaires, un record de France, un passage médiatique sur les antennes.
Nous allons volontairement puiser plusieurs exemples dans des situations en apparence paradoxales, au risque en surprenant de troubler ou de heurter, avec une part médicale éventuelle, car c'est le cadre de nos interventions ici, et en allant jusqu'au bout des constats les plus aigus et poussés, et dans l'inconscient personnel et collectif des acteurs.

Restaurer la conscience
Une situation que nous qualifierons de "banale" : le petit Sébastien, 8 ans, fait une crise de douleur abdominale. Ses parents redoutent une appendicite, l'emmènent chez leur médecin, expriment leurs craintes, qui ont été renforcées par les commentaires des voisins, des proches, de l'institutrice. En résumé faites-le opérer, vous serez tranquilles. Or des centaines de milliers d'appendicectomies sont statistiquement inutiles et injustifiées chaque année en France, c'est à dire que l'examen anatomo-pathologique de l'appendice adressé ensuite au laboratoire montre qu'il n'était pas "malade", la cause se trouvait ailleurs...
Qui, dans ce tableau classique a "intérêt" un mot très instructif, rapproché de "bénéfice" à voir cet enfant se faire opérer ? En demeurant quelque peu sordide et réducteur sans cautionner, les professionnels de chirurgie y verront un bénéfice primaire. Restons dans le bénéfice secondaire, avec la lucidité la plus absolue : l'enfant, après un épisode court de désagrément (on les voit galoper dans les couloirs 48 heures après l'intervention) y gagnera des cadeaux, l'attention extrême et inquiète de ses parents, sur lesquels il aura mesuré une fois de plus un pouvoir étonnant et agréable, celui de la peur, de la menace grâce à sa santé, auprès de ses copains il gagne une nouvelle aura de héros qui fera des émules, dès son retour en classe des "syndromes appendiculaires en série" verront le jour. Éventuellement encore, il parviendra à se faire dispenser de ce qui l'ennuie, gymnastique, catéchisme, solfège, pendant quelques semaines, et y gagnera des séances de vidéo, de jeux... Tout bénéfice
Les parents, et on entre dans le paradoxal, y gagneront une sorte de respect admiratif de l'entourage et des proches ou collègues, avec des commentaires "cela n'a pas dû être facile, comme vous avez dû être inquiets, vous vous en êtes admirablement tirés, vous avez vraiment la tête sur les épaules" et ils y auront peut-être gagné aussi l'aide de leurs parents et familles, un nouveau lien social. Allons plus loin, ils auront assis une sorte d'autorité sur leur médecin, auquel ils affirmaient depuis des mois "je suis sûr qu'il nous fait une appendicite" alors que le praticien était certain du contraire. Avec juste raison, l'anatomo-pathologie s'est avérée négative... La systémique parents/enfants/proches/entourage/médecin a été modifiée considérablement les pouvoirs ont changé de porteurs, le symbole de la peur a pris un poids considérable, celui du chantage inconscient également, la confiance a été ébranlée.

Renforcer la compétence:
Réfléchissons en termes de compétence. Qui est compétent ? Le médecin qui sera parvenu à résister, convaincre, éviter l'intervention inutile, trouver un terrain d'attente, d'entente et de persuasion ? Ou celui qui aura cédé à sa propre peur de "passer à côté", qui aura privilégié son bénéfice secondaire à lui, bonne collaboration avec la clinique du coin, rapports confraternels excellents, famille conservée dans sa clientèle qui dira un immense bien de lui ou d'elle ? Le chirurgien qui se sera dit "de toute manière ils veulent que ce soit une appendicite alors pourquoi se battre inutilement, allons y" ou celui qui aura expliqué, patiemment longuement "je comprends et je perçois votre inquiétude parfaitement légitime, mais donnons nous du temps pour des repères diagnostics précis, qui seront les suivants, et décidons ce soir, ou demain" ?
Brièvement, une autre interrogation qui est perpétuellement celle des médecins quant à cette notion de bénéfice secondaire : cette femme courageuse qui, en dépit de la violence, de l'alcoolisme de son époux, du danger, des effets désastreux sur la famille, s'accroche et reste, quel est son bénéfice secondaire ? Car oui, aussi atroce, inique, effroyable que cela paraisse, il peut aussi exister un bénéfice secondaire à rester, pour devenir "une sainte dévouée jusqu'au bout" une femme parfaite, une mère exemplaire, ou tout simplement, tragiquement, une femme qui a encore besoin de l'argent de l'invalidité de cet homme perdu....
Ceci pour terminer en disant que d'une part les professionnels des soins définissent un rapport bénéfice/risques/coût qui semble le plus objectif en matière de choix d'une solution thérapeutique. Que gagne-t-on à traiter ainsi ? Que risque-t-on ? Quel est le coût relatif en fonction des deux autres paramètres ?
Et un autre aboutissement est également une question récurrente : qui gagne quoi, dans l'affaire qui nous occupe ? Autant dans le cas d'un homme politique se montrant en position de donneur de leçons, de moraliste, d'opposant, de décideur, que gagne-t-il en bénéfice secondaire, de pouvoir, de voix, d'autorité, d'aura, d'image ? Et autant dans tous les comportements en société systémique des intervenants multiples du domaine de la santé : que gagnent l'infirmière scolaire, le médecin, les parents, l'enfant, les enseignants, les services de soins, les prestataires, à accorder, à refuser, à céder, à résister, à se montrer compétents mais en position de récuser, ou l'inverse ? Ce simple certificat de dispense d'éducation physique, à qui son refus ou son accord rapportera-t-il ? A l'élève, aux parents, au prof de gym, au médecin, à l'infirmière, à la conseillère pédagogique, à l'administration...?
La seule issue serait-elle alors de placer l'individu, l'être souffrant, celui qui a besoin des soins et de l'attention, en position d'exclusif bénéficiaire des soins les plus adaptés et évalués en rapport bénéfices (primaire et secondaire) risques (thérapeutiques et autres, psychologiques, sociaux, systémiques etc) et coûts (y compris ceux en confiance ou compétence) ?

l'os court :    « Notre casus belli se transforma, grosso modo, en modus vivendi»  C.Zar


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Lettre d'Expression médicale n°289

Hebdomadaire francophone de santé
14 Avril 2003

Vivre au milieu des risques
Dr François Michaut

Au lendemain du mémorable accident nucléaire de Tchernobyl, un sociologue allemand osa une hypothèse qui mérite qu’on s’y arrête. Le moteur qui nous avait actionnés collectivement jusqu’alors aurait été, depuis le 19ème siècle, celui de la répartition des richesses. Dans nos sociétés industrielles deux visions du monde s’affrontent. Capitalisme contre marxisme. En fait tout tourne alors, y compris les systèmes politiques et sanitaires, autour de la seule économie, du seul marché des biens. Notre séparation du monde en deux blocs opposés dans une guerre froide de cinquante ans en fut le symbole. Et puis, un jour, et sans prévenir les experts, le mur de Berlin tomba. Bien peu de choses à voir avec les questions de santé, ces grands évènements politiques mondiaux, direz-vous ? Et pourtant, c’est de la vie des hommes dont il s’agit avant tout : des paradis annoncés, des disparitions programmées par la théorie, qui se sont révélés à l’usage pour le plus grand nombre, d’une part comme de l’autre, des cauchemars sans espoir. Comment cela peut-il ne pas avoir de répercutions sur notre santé, cette soumission de l’humain au “tout économique” ?


Retrouver la confiance:
Quand le nuage radioactif soviétique se promena au gré des vents dans une grande partie de l’Europe, la situation devint évidente pour ceux qui ne se laissèrent pas berner par les annonces fallacieuses des gouvernements destinées à nous rassurer comme des enfants peureux. Nous étions entrés dans une nouvelle époque : celle du partage des risques. Risques industriels, risques écologiques, risques terroristes aussi qui menacent un jour ou l’autre tous les hommes, riches comme pauvres, voisins comme lointains. Nul besoin de le détailler ici. Plus personne, aussi nanti soit-il, ne peut raisonnablement s’imaginer à l’abri de tous ces risques. Perte de confiance définitive dans la sécurité absolue à laquelle nous pouvions encore croire, si nous avions la chance de vivre confortablement dans un pays riche. La mode du “cocooning”, de repli sur son petit intérieur douillet, son cocon , qui marqua les années 1970, est bien dépassée à tout jamais. La mort vaincue par la science, plus personne n’y croit. L’homme se retrouve tel qu’il est et a toujours été malgré son orgueil : nu comme un ver, comme au premier jour de sa vie.

Restaurer la conscience
Faut-il alors se cogner la tête contre les murs ? Renoncer à l’espace imaginaire de protection absolue que peuvent connaître les enfants avec le giron maternel est-il possible ? S’éloigner de l’idée reposante d’une divinité paternelle, et bienveillante aux fidèles, réglant , sans que nous ayons rien de particulier à faire, nos histoires humaines ? Et, en particulier, la somme des atteintes à l’environnement dont seuls nos activités sont responsables ? En vérité, nous n’avons guère de choix, la société du risque est une réalité que les médias nous rappellent de façon incessante. Même s’ils n’en ont pas encore clairement pris conscience. Les virus se promènent partout, les marées noires souillent inlassablement nos mers, les réserves d’eau potable diminuent, les déchets nucléaires s’accumulent, la pollution de l’air et des terres est omniprésente. Cette conscience du monde de risques qui est le notre, nul ne peut plus y échapper. Comment ne pas sombrer dans une sorte de dépression collective, dont les médecins ont souvent l’occasion de mesurer, et de soigner, les manifestations chez leurs malades ? Sentiment général d’une planète malade de nos industries humaines qui partent dans tous les sens, sans la moindre ligne directrice perceptible, autre que celle de la recherche du maximum de profit financier pour une minorité de puissants.

Renforcer la compétence:
Alors, un immense défi s’ouvre à nous, quel que soit notre pays, quelle que soit notre fonction sociale, professionnelle, industrielle, administrative, scientifique ou politique. Non pas celui de pourchasser le stupide “risque zéro” dans quelque domaine que ce soit. Encore une infantilisation qui nous empêche d’ouvrir les yeux. Il s’agit au contraire d’apprendre à maîtriser peu à peu, grâce à toutes nos activités humaines ayant enfin retrouvé un sens, notre coexistence avec tous ces risques qui sont notre environnement, qui sont notre planète Terre. Vaste programme, c’est évident. Notre survie de terriens, tout simplement, en dépend. Ce n’est pas une vraie question de santé, la seule vraie question d’avenir, cela ? Au fait, curieux que cet ouvrage qui fut un best-seller dans plusieurs pays germanophones et anglophones n’ait été traduit qu’au lendemain du 11 septembre, et bien peu commenté par nos intellectuels en France. Une nouvelle façon de concevoir notre monde comme un lieu d’échanges et de partage obligatoires, non plus seulement de biens de type industriels, marchands ou culturels, mais avant tout de risques. Vous voulez en savoir un peu plus ? La lecture du gros livre fort bien documenté “ La société du risque” d’Ulrich Beck, publié par Alto-Aubier en France, s’impose alors pour qui souhaite renforcer sa compétence. Et, paradoxalement, cela n’a rien d’un scénario catastrophe. C’est bien plus une incitation à des actions intelligentes. C’est si rare de ne pas être considérés comme de simples pions irresponsables !

l'os court :    « Je vous offrirais bien un parachute, si j’étais sûr qu’il ne s’ouvre pas »  Groucho Marx