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Lettre d'Expression médicale n°295

Hebdomadaire francophone de santé
26 Mai 2003

Consultation, univers théâtral
Dr Jacques Blais

Nous avons encore eu récemment sur la liste Exmed-1 de nombreux échanges sur ce thème décidément bousculant du "théâtre dans la relation entre médecin et patient". S'il est difficile pour certains de comprendre ou d'admettre, y compris et paradoxalement presque plus chez certains soignants que chez nombre de patients, que non seulement la vie est un théâtre mais que la consultation médicale est au plus haut degré possible une illustration de cela, prendre un exemple concret sera peut-être plus susceptible d'illustrer ce genre de notion. En rappelant déjà quelques principes.




Retrouver la confiance:
Dans une consultation à plusieurs, qui est véritablement le patient désigné de cette systémique? Quand un groupe de trois personnes vient en consultation, pour "accompagner le malade" dont, sous prétexte "qu'il ou elle ne saura pas s'exprimer, il ne vous en dira pas la moitié docteur, c'est pour cela que je suis venue" nous sommes instantanément en plein théâtre, qui joue caricaturalement quoi ? La mère envahissante ? L'épouse dominatrice ? Le père despotique ? "L'enfant" fragile, qui a tout de même bien ses 26 ans, entre Papa et Maman qui l'ont traîné ? Théâtre...
Personne ne dispose du texte, pas davantage que du scénario, même pas le médecin, les acteurs vont être exécrables ou excellents, mais il se passera forcément quelque chose dans cette scène, cet "acte". Et en tout premier lieu, sans en être habituellement conscient, chacun jouera un rôle qui est celui prévu ou au contraire différent, voire opposé. "L'enfant" va s'avérer ici être le seul adulte vrai par ses réflexions, et c'est à lui que s'adressera le praticien pour transmettre ses consignes. La mère se montrera infantile dans ses raisonnements, ou bien le père sera dominé complètement par l'un ou l'autre. Ou encore, la coalition des parents "contre" le médecin, pour différentes raisons (ils sont nettement plus âgés, ils connaissent ses propres parents, l'un a été son prof au lycée, ils sont commerçants influents, etc) le placera en position de faiblesse et d'enfant dominé.


Restaurer la conscience
Évoquons maintenant à titre d'exemple une situation de Formation Continue de médecins, déjà largement installés dans leur exercice. Pour une fois, cette séance s'effectue sous forme de jeu de rôles. Et le scénario proposé aux volontaires est le suivant : vous avez envoyé une patiente se faire opérer dans une clinique, il y a eu un accident grave et exceptionnel, elle est décédée de cette intervention. Dix jours plus tard, le mari veuf et le fils viennent vous demander des comptes, ils vous accusent d'avoir mal orienté la femme victime, de plus le mari était chômeur, les revenus disparaissent, et si le père, vous explique le fils, bénéficiait d'une assurance-vie, pas la mère.... Sordide, horrible, mais si réel, si vrai....
Les deux premiers médecins qui acceptent de jouer le rôle du praticien malmené (ce sont deux autres médecins de cette formation qui jouent les hommes accusateurs) jouent "classique" et pourrait-on dire surtout selon les exclusifs critères d'apprentissage qui sont les leurs. Ils se défendent pied à pied : "j'ai regardé le dossier, j'ai appelé l'anesthésiste, tout avait été fait, il n'y a pas eu de faute, j'ai toute confiance en cet établissement, il y a eu une complication exceptionnelle, imprévisible, croyez bien que je suis désolé mais je ne peux rien faire..." 
Un drame. Qui de médical devient celui de l'incompréhension, de l'absence de communication vraie. Tout le monde joue faux, du médecin qui, raide et défensif, ne parvient pas à sortir de son rôle de traitant, aux deux hommes en détresse qui finissent par sembler épouvantables dans leurs revendications de réparation, de haine, de violence et d'accusation.

Renforcer la compétence:
Dans un troisième temps, le formateur de la réunion propose de rejouer lui-même le rôle du médecin. Le scénario se déroule dans son début de la manière prévue, agressif, rude, négatif, mais le praticien prend un biais complètement autre dans sa façon de travailler la situation. Il bouge, se rapproche du père, se penche d'abord vers lui, lui parle doucement, presque...tendrement. plus tard il se lèvera, mettra la main sur l'épaule du fils, tenant celle du père. Et son discours est tout autre : "Monsieur T., vous imaginez une seconde que j'aie pu cesser un instant de penser à vous, à votre femme, depuis cette horreur ? Mais cela me hante autant que vous, Monsieur T. et vous savez j'attendais votre venue avec impatience. Je me posais déjà une question : il y a combien de temps que vous étiez mariés, Monsieur T. ?"
L'intensité de l'émotion est telle alors que le "joueur de rôle" du veuf se met presque réellement à pleurer. Le médecin poursuit dans le même registre : "quand je pense à elle, je pense à cette photo que vous avez dans votre séjour, là vous voyez laquelle ? (il s'adresse au fils en disant cela, et le fils va répondre, spontanément) elle était prise en été non, au bord de la mer c'est ça ? Et vos nuits, Monsieur T. j'imagine cela..." Et le mari veuf, va évoquer cette étendue glacée des draps à côté de lui, là où, normalement, il trouvait la chaleur de la peau de sa femme, il avait l'habitude de la toucher la nuit, de lui prendre la main....
Est-on réellement dans une compétence particulière ? Même pas, simplement en acceptant le théâtre de la vie, les innombrables composantes psychiques de la relation, en acceptant de laisser l'émotion envahir la scène, en laissant de côté le carcan de la science, des raisonnements médicaux, juridiques, sinistrosiques, de la réparation, en laissant pour le médecin apparaître son propre côté vulnérable, sentimental, personnel, humain, en permettant au mari de laisser exploser son chagrin, au fils de vider sa rancoeur et de hurler sa douleur, la perte de sa mère, les acteurs de ce théâtre là, pourtant bien complètement médical, sont passés de la pseudo-science, du raisonnement mathématique, physique, de probabilité, de la rationalité de la vie vers l'imprévu absolu de l'existence, la réalité des êtres, le drame du quotidien, la profondeur de l'être en abandonnant l'avoir....
Et il en va probablement perpétuellement ainsi de si nombreuses consultations "ratées", de communications impossibles, de relations massacrées. Simplement parce que les acteurs de la scène supposée médicale, parce que se déroulant entre soignant et patient, ne sont jamais parvenus à changer de rôle. L'un avait sur sa "feuille de route" son scénario "vous, vous êtes celui qui sait, qui soigne, qui traite, qui a appris, alors restez dans ce rôle là et n'acceptez rien d'autre sinon vous perdez votre pouvoir", l'autre avait sur son propre "rôle à jouer" quelque chose comme "de toute manière vous n'y connaissez rien, et si vous insistez il vous prendra pour un obsédé, un parano, alors laissez tomber".
Alors qu'il aurait suffi, sans doute, d'écrire le scénario autrement. Vous avez chacun vos convictions, vos expériences, vos parcours, vos souffrances, vos antécédents, vos enfances, vos apprentissages, alors acceptez d'écouter ce que l'autre a à vous dire, à vous apprendre, acceptez d'entendre une version qui n'est pas la vôtre, respectez vous, revoyez vous, évoluez, et prenez conscience de la part intérieure qui vous fait parler, que ce théâtre soit l'occasion où jamais de jouer tous les rôles.

l'os court :    « Les articles de fond ne remontent jamais à la surface »  Cath Hoche


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Lettre d'Expression médicale n°296

Hebdomadaire francophone de santé
2 Juin 2003

La malnaissance
Caroline Fel

Par les temps qui courent, toujours de plus en plus vite, la naissance d'un nouvel humain est devenue, dans nos riches pays industrialisés, un événement étrange et stupéfiant. Dès les premiers signes annonciateurs de la venue du bébé, on assiste à une étrange chorégraphie : les futurs parents se précipitent vers le maternité la plus proche (bientôt 50 à 80 km !), rencontrent la sage-femme de service, qui va procéder à un examen en règle de la "parturiente" avant de l'expédier en salle dite de travail. Là, la femme et son compagnon, consciencieusement déguisés en "patients", blouses à l'appui, vont, justement, patienter un moment, le plus souvent seuls, dans un endroit à peu près inconnu, généralement peu chaleureux et encore moins intime. Généralement, à ce moment, intervient le médecin anesthésiste, chargé de faire disparaître ces "douleurs" incommodantes, afin que tout le monde (parents et soignants) puisse, sans se fatiguer, attendre l'arrivée à l'air libre de ce trésor tant espéré : l'enfant.
Lorsque l'enfant à paru, heureusement "accouché" par le professionnel de service, et avant que le cercle de famille s'agrandisse pour lui offrir sa place, on recoud "quelques petits points de rien du tout" à la maman, qui se sentirait à peine mère si elle avait échappé à la trop fameuse épisiotomie.
Ensuite, chacun est content, et les jeunes parents, forcément émerveillés, sont priés dorénavant de s'occuper convenablement de leur progéniture.




Retrouver la confiance:
La France est le seul pays européen où la référence en matière d'accouchement est la pathologie (10 %) et non la physiologie (90 %). Ce raisonnement du "qui peut le plus peut le moins" ne l'empêche pas d'avoir parmi les plus mauvais chiffres de mortalité morbidité foeto-maternelle d'Europe (juste avant l'Irlande). Il semble donc important de retrouver la confiance.
Dans les femmes, d'abord : elles sont, jusqu'à preuve du contraire, les plus à même d'amener leurs enfants au monde sans encombres (dans plus de 90 % des cas) et ce, depuis un moment…..
Dans les médecins, ensuite, qui, à force de galvauder leur savoir-faire, hautement technique et extrêmement performant, dans des interventions qui ne sont pas de leur ressort (accouchements eutociques) déprécient leur spécialité aux yeux des parents.



Restaurer la conscience
Comment se plaindre que les parents d'aujourd'hui soient (au choix) : démissionnaires, dépassés, incompétents, démobilisés, laxistes, infantiles, alors même que depuis 25 ans, on les a déclarés ouvertement incompétents à faire naître leurs enfants, devant être obligatoirement assistés pour le temps de la grossesse et de la naissance par des médecins, détenant toute vérité en la matière.
Et qu'ensuite, une fois l'enfant né (et délivré du danger potentiel que représentait manifestement pour lui le corps de sa mère, à qui l'on avait du administrer des ocytociques, pour qu'elle ait des contractions satisfaisantes, une analgésie péridurale, pour qu'elle ne crie pas, et des litres de sérum glucosé, faute de pouvoir s'alimenter) on les prie de s'en charger, sans plus vouloir les aider, les accompagner, dans le difficile apprentissage du métier de parents !


Renforcer la compétence:
J'aime à citer cette phrase du Pr Malinas :
"L'obstétrique traditionnelle consiste à surveiller un phénomène physiologique en se tenant prêt à intervenir à tous les instants. L'obstétrique moderne consiste à perturber le dit phénomène de telle sorte que l'intervention devienne indispensable à l'heure exacte où le personnel est disponible. C'est beaucoup plus difficile." Prof. Malinas, gynécologue-obstétricien. Le Dauphiné Libéré, 8 mai 1994. Les gynécologues obstétriciens sont des alliés extraordinaires, pour les 10 % de femmes qui rentrent dans la pathologie. Leur grande compétence, les progrès de l'obstétrique moderne sauvent des vies chaque année. Qu'ils en soient remerciés. Les sage-femmes sont les alliés parfaits pour les 90 % restant, qui devraient pouvoir bénéficier d'un accompagnement compétent, permettant de s'assurer que tout se passe bien, sans nécessité d'interventions quelles qu'elles soient. Qu'elles soient remises à la place qui leur revient.
Les hommes et les femmes ont, de tous temps, été les plus à même d'accueillir LEUR enfant, qu'on les laisse aussi exprimer cette compétence propre, fortement humaine, qui leur sera hautement nécessaire dans l'avenir.                                   

l'os court :    « Enfant : fruit qu’on fit »  Léo Campion


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Lettre d'Expression médicale n°297

Hebdomadaire francophone de santé
9 Juin 2003

Si on osait le mentorat
Dr François Michaut

Satisfaction rare, pour un médecin, que de souligner le courage politique de l’éditorial du Bulletin de l’Ordre des Médecins n°15 de mai 2003. Il ne s’agit rien de moins que de la prise de position du numéro un de notre vénérable institution sur la question de l’effondrement de la démographie médicale en France.





Retrouver la confiance:
En vérité, l’Ordre n’a pas bonne réputation dans la profession médicale. Il est le plus souvent vécu comme un gendarme tatillon, et un bastion du conservatisme médical le plus poussièreux. Le fait qu’il ponctionne tous les ans une cotisation obligatoire à chaque praticien n’augmente pas sa popularité. Ses origines du temps du gouvernement de Vichy, et sa mission dans l’application des lois anti-juives interdisant l’exercice médical aux “Israëlites” restent dans nos mémoires.



Restaurer la conscience
Alors quand son Président, le Professeur Jean Langlois écrit sans détour que nous allons payer très cher l’imprévoyance des responsables de la nation depuis sept à huit ans, nous ressentons qu’une conscience s’exprime en toute liberté. La population a besoin pour être soignée correctement en 2012, qu’on admette en Faculté de Médecine 7500 étudiants par an. Or le numerus clausus a été fixé par l’Etat à 5100. Plus grave encore à nos yeux pour l’avenir de la profession médicale est l’information que nous donne le Dr Jacques Blais, généraliste enseignant à la faculté Paris-Ouest. Selon une enquête auprès des étudiants de troisième cycle de médecine générale ( environ 60 % de femmes ), seulement 20 % d’entre eux envisagent de s’installer en cabinet généraliste. Huit sur dix veulent devenir salariés, y compris dans des activités non médicales.


Renforcer la compétence:
Devant ces deux constats bruts, les pleurs et les grincements de dents risquent de ne guère changer le cours des choses. Alors, tant pis , lançons-nous à l’eau, et osons formuler une proposition autre que celle de l’importation envisagée de médecins arrachés à leur propre pays. Les rencontres que nous avons pu avoir avec l’Université Médicale Virtuelle nous ont convaincu que nos confrères universitaires étaient ouverts à de nouvelles méthodes de formation des médecins, en particulier pour surmonter la passivité et le manque de motivation de leurs étudiants. Manque de moyens, manque de personnel ? Et si l’on osait solliciter ceux qui ont raccroché leur stéthoscope ? Une solution en effet serait de demander aux seniors - les plus vieux en latin - ceux qui ont cessé leur activité clinique, de participer à la formation des futurs confrères. Non pas pour concurrencer les professeurs qu’ils ne sont pas, et qu’ils ne prétendent probablement pas devenir, mais pour servir aux carabins, aussi tôt que possible dans leurs études, de mentors. Ce qui signifie selon le dictionnaire : “ guide, conseiller éclairé”. On est ainsi dans une position beaucoup plus souple, infiniment moins contraignante pour chacun que dans un tutorat. Un tuteur, c’est cette tige rigide qui contraint une plante à pousser là où l’on veut. C’est aussi la fonction de celui qui s’occupe de ceux que la loi nomme les incapables. Mettre le plus possible en contact ceux qui ont vécu la profession médicale dans sa réalité avec ceux qui veulent en faire demain leur métier ne serait-il pas une façon intelligente pour la société de recycler ses vieux médecins qui le désirent ? Et d’éviter l’effroyable gaspillage des deniers publics de diplômes inutilisés. Dans des métiers où l’humain devrait toujours être au centre, même quand la technicité la plus développée s’impose, la relation entre deux humains d’âges et d’expériences vécues si différents n’est-elle qu’un accessoire, qu’un gadget ? Est-il normal que jamais avant les toutes dernières années de ses études, un carabin n’ait pu rencontrer directement un praticien non hospitalier ? Que l’image, souvent très négative, pour ne pas dire diffamatoire, qu’il puisse alors avoir des médecins de ville et particulièrement des généralistes, ne soit que celle fournie par nos confrères des services hospitaliers les plus techniques et les plus spécialisés ?
Ecoutons le Pr Maurice Tubiana dans son interwiew du quotidien du Médecin du 22 mai 2003. Pour lui, le savoir-faire et surtout le savoir-être des vieux médecins doit être utilisé pour former des généralistes compétents, ce dont nous manquons, et manquerons, le plus cruellement en France. L’ idée est dans l’air du temps, même si elle va à contre-courant du “jeunisme” ambiant. Ne pas en défigurer la nature en la transformant en une construction technocratique, mais s’appuyer sur le volontariat, la souplesse des nouvelles technologies de communication et les initiatives individuelles semblerait une bonne méthode. Exmed se ferait un devoir de participer activement à une telle initiative, si, naturellement, elle était approuvée par un nombre suffisant d’étudiants volontaires et de candidats mentors. Chiche ?

l'os court :    « Il pense par contagion et attrape une opinion comme un rhume.»  John Ruskin


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Lettre d'Expression médicale n°298

Hebdomadaire francophone de santé
16 Juin 2003

Interrogations écrites(1)
Dr Jacques Blais

Oui, c'était tentant et facile, puisqu'une partie de ces deux LEM successives portera sur des rapprochements entre Education Nationale et Santé. Mais en réalité ce titre voudrait surtout souligner que nous ne nous situerons pas ici dans des affirmations péremptoires, des critiques automatiques, ou une polémique inutile. Chacun peut avoir et exprimer une opinion, mais les situations sociales actuelles diverses sont si complexes qu'elles ont bien davantage tendance à susciter d'innombrables interrogations.
Une de celles-ci partira de l'idée d'explorer ce qui, dans cet imbroglio absolu des quatre ou cinq sujets qui fâchent actuellement le monde social, la classe politique, les usagers, et quelques corporations spécifiques, concerne cette fameuse décentralisation des personnels non enseignants de l'éducation nationale.






Retrouver la confiance:
De quoi s'agit-il de manière simpliste ? De l'idée de transférer des personnels jusqu'ici classés fonctionnaires ministériels de l'éducation nationale, mais qui exercent des métiers non enseignants, vers un statut de fonctionnaires territoriaux. En transférant en même temps les fonds et allocations correspondants à leurs activités.
Qui sont par exemple ces professionnels ? Les médecins et infirmières scolaires, les conseillers d'orientation psychologues, les assistantes sociales... Commençons par nous montrer aussi précis et didactiques que possible. Une école appartient déjà à la mairie, un collège ou un lycée à la région. Le personnel de ménage, de cantine, de surveillance des études le soir, d'entretien, les chauffeurs de bus, toutes ces personnes sont déjà des employées, nous parlons ici des écoles primaires, de la mairie. Et toute autre affirmation répond à un fantasme, ou à une tentative de manipulation. C'est à la Mairie d'effectuer les appels d'offre pour une cantine adaptée, sereine, efficace, sanitairement valable. Les surveillants de cantine lors des repas sont des enseignants volontaires payés pour cela et choisissant souvent d'arrondir ainsi leur salaire. S'il y a un problème sanitaire, ce sera à la région sanitaire d'intervenir. Ceci pour montrer qu'il existe déjà un mélange absolu d'appartenances administratives et de gestion.
En comparant avec la Santé, serait-il logique que le chirurgien chef de service se préoccupe de la nourriture, du ménage, de l'entretien, du transport ? Il est fait pour cela appel, selon les structures, là aussi l'appartenance régionale ou nationale, ou privée, à des services sur appel d'offre, ou bien régionaux, ou nationaux, avec un gestionnaire, un directeur, etc.



Restaurer la conscience
Il est ensuite des postes dont la conscience collective est totalement floue, avec des confusions énormes. Une psychologue scolaire de réseau d'aide (RASED) en école primaire est, tout comme les Maîtres E (langage) et les Maîtres G (expression corporelle) une enseignante spécialisée qui a postulé sur demande, et suivi une formation supplémentaire en IUFM pour effectuer cette tâche. Elle n'est ni clinicienne, ni thérapeute, elle possède une connaissance théorique de la psychologie qui l'amène à faire passer des tests et à adresser vers l'extérieur des enfants en difficultés. En aucun cas elle ne peut ni ne doit ni ne sait appliquer une thérapie d'ordre analytique, comportemental, ou familial. mais comme elle est à la base enseignante, elle ne sera pas décentralisée, elle demeure Education Nationale. A l'inverse, une Conseillère d'orientation psychologue est une personne qui a effectué des études de psychologie universitaire, elle n'est pas non plus, et cela résulte de son choix d'exercice, clinicienne ou thérapeute, mais elle va proposer son savoir pour aider les jeunes à choisir des filières adaptées. Elle n'est pas enseignante, et serait alors décentralisée.
Un médecin scolaire est également une personne non enseignante, non soignante, non thérapeute, qui ne prescrit pas de traitements, mais dépiste, oriente, surveille. Et c'est son choix d'exercice professionnel. Exactement comme un médecin du travail dans une entreprise, avec une population différente, ou un médecin de PMI avec encore une population plus jeune. Aucun n'est enseignant, aucun n'est soignant, et pourtant ces trois médecins ont des statuts d'appartenance différente. Pourquoi ? Et surtout pourquoi, hormis l'incontournable notion de statut de fonctionnaire à vie, se préoccupe-t-on des médecins scolaires et non des autres cités ? Même chose pour l'infirmière, non soignante.


Renforcer la compétence:
Terminons sur des compétences professionnelles encore différentes. L'assistante sociale en milieu scolaire n'a un statut Education National que parce qu'elle opère dans un milieu scolaire. Mais existe-t-il la plus petite différence entre son suivi et celui de l'assistance sociale de secteur, qui visite les familles à domicile et les connaît globalement et non sous l'angle de ses seuls élèves scolarisés ? Allons plus loin. Il nous est tous arrivés, médecins de familles, heurtés et bousculés par des constats de la vie, des enfants mal ou non nourris, ne mangeant que les jours d'école et par conséquent de cantine, avec un père en prison, une mère malade, et tous autres avatars de l'existence, de nous battre comme des lions pour obtenir de la mairie des bons de cantine gratuits, des services sociaux des aides. A qui faisions nous appel alors ? A l'assistante sociale de secteur, pas à celle de l'école. De même que les Conseillères en économie sociale et familiale, de statut régional, vont gérer les difficultés financières en réseau.
Une autre approche : quand un enfant ou un jeune est en difficulté d'ordre mental, psychique, familial, social, soit nous le faisons prendre en charge par des structures publiques, centre hospitalier, unité de thérapie familiale, antenne extérieures d'un service de psychiatrie, soit des structures régionales, CMP (Centre Médico Psychologique) où il sera suivi par des spécialistes, psychiatres, psychologues, orthophonistes. Ou enfin par des intervenants privés, orthophonistes, psychologues, etc. Donc notons ici un point fondamental, dès lors qu'il s'agit d'une situation d'ordre clinique, thérapeutique, diagnostique, les intervenants sont extérieurs à l'école. Et généralement de statut territorial, ou privé, en tout cas pas du tout Education nationale.

Ces réflexions de départ servent déjà à illustrer la complexité annoncée. Et à éclairer l'idée que, depuis très longtemps, et avec une relative efficacité, des intervenants d'ordre et de statuts complètement différents, scolaires enseignants (enseignants, psychologues, maîtres spécialisés en aide de réseau) scolaires non enseignants (santé, orientation, social), territoriaux et municipaux (CMP, assistantes, conseillères), privés (médecins, orthophonistes, psychologues, structures, etc) associent leurs efforts, se réunissent, oeuvrent pour le bienfait, la thérapie, l'amélioration des enfants et des jeunes à partir de l'enseignement et en dehors de celui-ci. Sans que, le moins du monde, le statut de chacun soit un frein, ou interroge qui que ce soit.
Nous tenterons dans la LEM suivante de démonter les mécanismes qui mènent les professionnels de ces différents statuts à s'estimer menacés, ou de comprendre quels intérêts, quelles confusions, quels arguments, servent à apporter une telle résistance au changement de la part d'une partie enseignante d'un univers au sein et en dehors duquel exercent un très grand nombre de non enseignants.

l'os court :    « Écoles : établissements où l’on apprend aux enfants ce qu’il faut savoir pour devenir professeurs.»  Sacha Guitry


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Lettre d'Expression médicale n°299

Hebdomadaire francophone de santé
23 Juin 2003

Interrogations écrites (2)
Dr Jacques Blais

Retrouvons ici nos différents intervenants en milieu scolaire, et la confusion qui ajoute terriblement à l'atmosphère tendue et lourde des conflits actuels. De quoi s'agit-il en résumé en ce qui concerne la décentralisation ? D'attribuer à des personnels non enseignants un statut de fonctionnaire territorial, en transférant du même coup sur les régions, ou les municipalités, des budgets actuellement gérés par l'Education Nationale. De nouveau recevons l'interrogation, la crainte, la peur des populations et des professionnels. Que craignent-ils sinon que de cette modification de statut, leur avenir dépende non plus nationalement d'un ministère mais d'une région, avec ses aléas de couleur politique changeante.





Retrouver la confiance:
Il est aisé de percevoir, sous-jacente, cette énorme question de confiance, qui est alors un constat étonnant. Chacun sous-entend, en préférant conserver un statut ministériel et non un régional que, nationalement, la politique ne changerait donc jamais, quelle que soit la couleur du gouvernement l'éducation nationale demeurerait immuable, souhait, constat, ou fantasme ? Et que par ailleurs un changement politique régional ne peut automatiquement qu'être préjudiciable, péjoratif, quel qu'il soit ?
Reprenons notre comparaison par analogie. Quelle différence entre un médecin ou une infirmière scolaire, du travail, ou de PMI ? A part le statut, aucune. Mêmes missions, mêmes tâches. Doit on alors subodorer que la pérennité du poste dans le monde du travail est plus aléatoire parce que sous contrôle privé, que la caractéristique régionale de la PMI apportera une répartition du travail sous forme de vacations ici et là, moins de confort et donc la crainte chez le médecin scolaire?
En quoi aussi la mission et la tâche de l'assistante sociale, de la conseillère en orientation, différeront-elles si elles travaillent sous statut régional, et non plus ministériel ? Les locaux où elles opèrent sont déjà ceux de la région, les populations à suivre et aider sont les mêmes, la demande est rigoureusement identique. C'est bien leur statut qui change, et non leur profession.
Et pourquoi ne jamais lire ou entendre, nulle part, qu'après tout un statut régional peut être un progrès, un plus, un bénéfice de stimulation politique, voire même de surenchère, le résultat d'une action bien plus proche et réelle d'électeurs non dilués et d'une action personnalisée guidée par une ambition d'élus moins bridés qu'au niveau national ? Pourquoi pas ?
Au passage, un rappel de précaution, toutes ces interrogations écrites sont bien des questions, ouvertes et ne se prétendent en aucune façon bouclées avec la réponse incluse.


Restaurer la conscience
Passons à des arguments souvent opposés. Par exemple celui, habituel, du démantèlement des "équipes pédagogiques". En insistant sur une première idée : en quoi des partenaires enseignants et non enseignants, amenés à travailler dans les mêmes endroits, une fois de plus rappelons "l'appartenance" municipale ou régionale des structures, verraient-ils le plus petit changement dans leurs actions sous prétexte qu'ils ne portent plus la même étiquette statutaire ? Leur métier demeure identique.
Nous allons illustrer de deux exemples très précis. Quand un enfant de scolarité primaire est en difficulté, qu'une décision doit être prise quant à son orientation pour l'année suivante, une Commission de concertation pédagogique et d'évaluation va être réunie selon la loi scolaire. Cette CCPE se forme dans les locaux de l'Inspection Académique. S'y retrouvent l'Inspecteur, la directrice, la psychologue scolaire, l'enseignante, le maître E d'aide à l'intégration, tous issus du monde scolaire enseignant, également l'infirmière scolaire et le médecin, non enseignants de l'éducation nationale, ainsi que les psychologues ou psychiatres du Centre Médico-Pédagogique, de statut territorial, l'orthophoniste privée de l'enfant et le médecin traitant s'ils en font la demande. Une remarquable "équipe pédagogique" au sein de laquelle personne, absolument personne n'est gêné ou perturbé de l'appartenance dans le détail des participants à un minimum de trois statuts différents, dans un lieu institutionnel décentralisé. Parce que tout le monde ici ne se préoccupe que de l'enfant, de son avenir, et non de son statut.


Renforcer la compétence:
Un autre exemple dont vous excuserez le caractère personnel. Durant quatre années, avec un psychiatre hospitalier de secteur, nous avons réuni tous les deux mois ce que nous avions baptisé un "Réseau de prévention en santé mentale" Pour y parler d'adolescents, de drogue, de danger, d'éducation, d'enseignement, d'avenir, de maladie, de psychiatrie, etc. Nous y recevions tous les intervenants intéressés, et nous avons vu venir des personnes de tous horizons. Enseignants, directeurs d'établissements, orthophonistes, médecins et infirmières scolaires, enseignants spécialisés et psychologues scolaires, psychiatres, médecins généralistes, travailleurs sociaux, conseillères en économie sociale et familiale, éducateurs de rue, personnel de justice, commissaire de police, représentants associatifs, personnels des CMP, etc etc. Ces rassemblements de partenaires de milieux, d'origines, de statuts, de professions, totalement différents, ont souvent été animés, passionnés, instructifs au possible, et très intéressants. Et jamais les intervenants ne semblaient préoccupés de nos statuts respectifs, qui allaient du privé au public, du territorial au national, au municipal. Parce que tous ne s'intéressaient qu'à nos rôles, nos missions, et aux jeunes auxquels nous avions affaire. Un détail, nous nous réunissions tantôt dans des locaux prêtés par la mairie, municipaux, tantôt dans un collège, alors régional. Deux fois seulement, des intervenants qui ne sont jamais revenus ensuite, ont émis des réserves quant au fait de partager dans un cadre non institutionnel des propos qui seraient alors issus de l'institution : un inspecteur d'académie, et une psychologue scolaire. Les seuls et exclusifs à avoir été dérangés par un problème d'apparence ou de statut. Pas par celui du secret partagé, nous y avions consacré plusieurs séances, et jamais aucune situation évoquée n'était bien sûr nominative ou personnalisée. Ceci sans en tirer de conclusion ou de généralisation, simple remarque.

Pour terminer je voudrais tenter de sérier les interrogations qui me viennent par écrit.
1/ En dehors de cette position statutaire, et des craintes protectionnistes qui peuvent s'y attacher, à la lumière de toutes ces réflexions, en quoi cette décentralisation de personnels par définition non enseignants, donc sans justification d'un statut éducation nationale, pourrait-elle changer quoi que ce soit à leur travail, leur mission, leur rôle, leur envie de s'occuper de leurs jeunes ?
2/ Pour quelles raisons non explicites les enseignants se sentent-ils si agressés par cette proposition qui ne les concerne pas, eux enseignants, ne les privera jamais de ces collaborations fructueuses, ne changera rien aux méthodes et aux habitudes de prises en charge collective de leurs jeunes, et encore moins à l'usage de locaux qui appartiennent déjà au territoire et non à l'éducation nationale ?
3/ Quelles motivations assez obscures ou peu nettes poussent-elles des personnels non enseignants aussi divers à tenter par tous les moyens de se faire des alliés impliqués du monde enseignant, non concerné, des parents, non informés ou terrorisés (on entend partout évoquer la cantine, les ordinateurs, les surveillants, toutes questions d'ordre municipal ou régional depuis longtemps) au lieu d'annoncer clairement et d'assumer leurs préoccupations d'ordre statutaire en en discutant pour leur compte les avantages et inconvénients sans entretenir une telle confusion ?
4/ Une interrogation générale : quelle tragique évolution de notre nation, pourtant nantie, privilégiée, éduquée, démocratique en apparence, a amené une impossibilité visible et audible désormais de mettre en évidence la moindre demande de toute nature autrement que par la grève, la manifestation, la cacophonie, les vociférations et la paralysie ? Quelles carences sont en cause ? Manque absolu de confiance (représentativité des élus professionnels, syndicaux, politiques, locaux) manque criant de conscience (honnêteté, notion de statut, pouvoir, autonomie, manipulation, etc), manque de compétence (professionnelle, politique, sociale, vocations, formation, adaptation, intelligence, etc)....?

Ensuite des questions bien davantage éthiques qu'économiques ou seulement politiques :
A/ Quel sens éthique, de responsabilité, parvient à justifier de convaincre un jeune de ce que les enseignants qui l'empêchent de se rendre à ses examens, nécessaires pour la suite de son parcours, oeuvrent "pour son bien et son avenir" .
B/ Quelle terrifiante tragédie peut-elle bien mener un jeune de 24 ans, qui n'a pas encore formé de projets, pas vraiment travaillé, pas rêvé, pas échafaudé d'avenir, à se préoccuper comme priorité d'existence de la retraite qu'il atteindra dans 37 ans ?
C/ Quelle démonstration pédagogique, quel modèle de vie d'envergure, quel sens éthique et de respect, des enseignants, chargés d'instruire, d'enseigner, d'apporter une idée du beau, du progrès, de la culture, peuvent-t-ils donc proposer aux jeunes qu'ils ont en charge en bloquant un dépôt d'autobus de force, en pratiquant le coup de poing, en montrant une brutalité et une violence péjoratives, et en utilisant des arguments par contamination alors qu'ils doivent représenter l'élite intellectuelle ?
D/ Quelle théorie pourront proposer n'importe quelles fractions citoyennes pour justifier la casse, la destruction, le saccage, fût-ce au nom de n'importe quelle idéologie ?


l'os court :    « C’est quand le cigare éclate qu’on sait que c’est un pétard. »  Laurence J. Peter