ARCHIVES DE LA LEM
n°329 à 334
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Lettre d'Expression médicale n°329

Hebdomadaire francophone de santé
19 janvier 2004

Médicaliser la ménopause
Docteur Iulius Rosner

Le rapport de la conférence de consensus sur la ménopause appelle des remarques de principe.


Retrouver la confiance:
a) “ Le traitement substitutif est particulièrement indiqué ... chez les femmes désireuses d’un traitement substitutif .” Depuis quand le désir d’un patient, dans n’importe quel domaine de la médecine, peut-il être considéré comme une indication ? Le médecin doit-il oeuvrer pour faire plaisir ou pour le bien du patient ?
b) “ Toutes les femmes doivent être informées des bénéfices et risques, ainsi que des incertitudes ... du traitement.” Pour informer correctement, il faut que les risques et les bénéfices soient bien connus, ce qui n’est pas le cas. Informer sur les incertitudes, c’est trop souvent générer de l’anxiété. On ne doit pas, sous prétexte d’information, laisser à la patiente la responsabilité d’une décision. Cette responsabilité est celle du médecin.

Restaurer la conscience
c) L’emploi du conditionnel à maintes reprises est une manière détournée de dire que le consensus n’est pas possible sur des points parfois importants.
d) Est-il “indispensable” de “recommander que la prise en charge de la ménopause et de ses conséquences constitue un élément prioritaire de la politique de santé de notre pays “ ? Si les mots ont un sens, “prioritaire” signifie que l’ont doit s’en occuper avant les autres problèmes. Est-ce acceptable, quand on pense aux toxicomanies légales ou illégales, aux maladies cardio-vasculaires, au cancer, au suicide, etc. ? Combien de priorités peut-on avoir en matière de santé ?

Renforcer la compétence:
e) “ Médicaliser la ménopause” ? Est-ce bien raisonnable ? Depuis quand les états physiologiques sont-ils médicalisés ? N’est-il pas suffisant de médicaliser uniquement ce qui dépasse les limites du physiologique ? Pourquoi alors ne pas médicaliser aussi la puberté, l’adolescence, la sexualité ou la vieillesse ? Où est le bon sens ? Combien la réalisation de ce voeu de la conférence doit-elle coûter ?(bel argument pour ceux qui espèrent que les conférences de consensus peuvent contribuer à la baisse des dépenses de santé !).
En conclusion : la rédaction de la conférence sur la ménopause ressemble à un document diplomatique, bien fait pour masquer les divergences existantes. Les points contestables de détail et de principe sont nombreux. Voilà pourquoi, en tant que généraliste, j’estime ne pas devoir suivre les recommandations de cette conférence, autant pour le bien de mes patients que pour contribuer à la non-dissipation des deniers de la Sécurité sociale.

NDLR : Ce texte, aimablement communiqué à Exmed par son auteur, est paru le 30 avril 1991 dans Impact Médecin Quotidien. L’un des titres de la presse professionnelle médicale dont une grande partie a disparu en France dans les dernières années. Non seulement, il n’a pas pris une ride, mais il vient de recevoir le soutien prestigieux de l’Académie nationale de médecine avec ses recommandations sur le traitement hormonal substitutif hormonal de la ménopause à la lumière des dernières études scientifiques internationales ( QDM du 4 décembre 2003 ). Avoir raison avec douze ans d’avance, oser soutenir un point de vue personnel rigoureux contre l’opinion moutonnière du plus grand nombre, contre des intérêts industriels considérables, voilà un talent et un courage rare qui méritent bien qu’on s’y arrête un instant. Juste pour les saluer à leur juste valeur. FMM
                                   
l'os court :  « Un bon conseil vaut mieux que de le suivre. » Ambrose Bierce


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Lettre d'Expression médicale n°330

Hebdomadaire francophone de santé
26 janvier 2004

L’arbre Chaussoy ne doit pas cacher la forêt
Docteur François-Marie Michaut

Ce qui est devenu l’affaire Chaussoy, comme fut jadis celle dite Dreyfus, fait grand bruit en France. Notre liste d’échanges internes Exmed-1 n’a pas été en reste. Des ouvertures très intéressantes se sont exprimées que nous allons tenter de formuler aussi clairement que possible. Que les Internautes qui en ont été à l’origine pardonnent à l’auteur de ne pas les citer tous ... de peur d’en oublier un seul ! Sans eux tous, ce texte n’aurait pas été écrit.



Retrouver la confiance:
Vincent Humbert a eu un très grave accident, nous a dit la presse. Nous en ignorons presque tout, mais le résultat est là. On peut l’imaginer : un jeune homme en pleine vie se trouve transformé dans un accident de la route en un boulet de canon se fracassant sur un obstacle. La liste des questions que pose ce dramatique point de départ est infinie. Les quand, pourquoi, comment, avec qui, nous assaillent sans fin. C’est bien à la suite d’une chaîne complexe d’ actions humaines, pas d’une malédiction divine, que ce garçon s’est trouvé projeté dans un véritable engrenage que nous allons tenter d’analyser aussi largement que possible. Seule façon d’aller plus loin que nos réactions émotives souvent bien aveuglantes.

Restaurer la conscience
Les services de secours sont probablement intervenus pour faire leur métier : récupérer dans les meilleures conditions possibles les victimes d’accidents, afin de les confier sans perdre de temps aux équipes médico-chirurgicales. Cette mission est donc parfaitement claire, et ne pose aucun problème d’interprétation. Les choses deviennent beaucoup plus compliquées dès que la porte de l’hôpital est franchie. De nombreux intervenants urgentistes, réanimateurs, chirurgiens, infirmiers, aides-soignants, techniciens d’imagerie et de laboratoire etc... sont amenés à faire de leur mieux pour “récupérer” le blessé. Chacun a un rôle précis, souvent hautement technique, qu’il joue en fait de façon solitaire. Dans ce système complexe de soins, les responsabilités sont forcément divisées à l’extrême. Ce qui fait qu’en définitive, personne ne peut se sentir vraiment responsable de la personne du blessé dans sa totalité. Pour ne pas parler des relations avec son entourage. De fil en aiguille, de tuyau en écran, de bilan en dossier, l’homme en miettes est comme dans un bateau ivre, ballotté par les courants et les vagues.

Renforcer la compétence:
Sans capitaine, qui peut encore dire s’il est raisonnable ou non, humain ou sadique, de mettre en oeuvre tous les moyens de survie artificielle, dès lors qu’un espoir de retrouver une vie décente n’est pas, ou n’est plus, au rendez-vous ? Seul un capitaine digne de ce nom ( celui qui est en tête) peut avoir le courage de dire : désormais, il faut laisser faire la nature, en se contentant d’avoir comme objectif une lutte implacable contre la souffrance. Solitude absolue de ce capitaine qui parvient à dire : non, ce que nous faisons est de l’acharnement thérapeutique, non, nous ne sommes pas les maîtres fous de la vie et de la mort. Position systémique, chacun l’aura compris, qui va parfaitement à contre-courant de l’idéologie molle en cours de la suprématie ontologique du groupe sur l’individu isolé. La prétendue décision d’un groupe ne peut aboutir qu’à une non-décision, si elle n’est pas biaisée par un pouvoir pervers. Et les Vincent Humbert se retrouvent en bout de course, faute de courage de dire les choses comme elles sont et d’agir en conséquence, dans la situation ultime que nous connaissons. Le Dr Chaussoy, se trouvant ainsi le dernier acteur dans cette longue chaîne d’indécisions, est celui sur lequel tombe la justice. Alors, si l’on voulait faire un procès vraiment juste de la fin de Vincent Humbert, ce sont tous les gens qui ont participé à ce système de près ou de loin qui devraient se retrouver à ses côtés. Autant dire toute notre société, justice, médecine et politique comprises. Tant que la médecine ne sera pas capable de penser et d’organiser ses interventions - de plus en plus complexes - en prenant sérieusement en compte leur contexte systémique tout autant que leurs exigences techniques, nous assisterons à cet immense gaspillage humain. Serons-nous un jour assez clairvoyants pour remettre enfin à leur juste place les pièces du puzzle totalement anarchique du système de soins que nous voyons ainsi crûment dans son absurdité inhumaine ? Seul l’avenir nous dira si nous aurons le bon sens élémentaire de dire que dans la complexité du fonctionnement des soins de santé, rien de cohérent ne peut exister s’il n’y a pas, au côté de chaque patient, un professionnel chargé de veiller à ce qu’il soit totalement respecté. Et peut-être la terrible affaire Chaussoy en aura été un indispensable détonateur. Notre souhait est que ce débat puisse se poursuivre en profondeur et jusqu’au bout, bien au delà du temps des réactions émotives si périssables de l’histoire Humbert/Chaussoy. Encore un énorme chantier pour cette métamédecine qui a tant de mal à sortir du domaine des seules idées, tant les forces de non-changement sont écrasantes.
                                   
l'os court :  « Ce qu’on lui dit par une oreille ressort par la même. » Gaston Bonheur


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Lettre d'Expression médicale n°331

Hebdomadaire francophone de santé
2 février 2004

Médecins ministres de la santé
Docteur Jacques Blais

Nous allons oser une réflexion, toute de respect et tentant de demeurer lucide et objective, sur la notion d'intrusion dans le monde de la politique en France et des gouvernements des quelques représentants de la profession médicale s'étant soit hasardés, soit engagés, soit laissés accaparer par un domaine dans lequel, il faut le reconnaître, les fortunes des titulaires auront été variées, et le regard des usagers partagé.
Pour situer l'affaire sous un jour historique, mettons les femmes à l'honneur, nous avons vu opérer en Secrétariat et Ministère de la Santé Michèle Barzach, et Elisabeth Hubert. Se sont également produits sur le devant de la scène, assez chronologiquement, Bernard Kouchner, Philippe Douste-Blazy, Xavier Emmanuelli, Léon Schwartzenberg, et enfin Jean-François Mattéï.


Retrouver la confiance:
Une constante de ces carrières a été le côté météorique de beaucoup d'entre elles. Le Professeur Schwartzenberg a dû rester huit jours, la généraliste Elisabeth Hubert, amenée sur cette galère par Alain Juppé pour féminiser ses troupes, c'était alors dans l'air du temps, a duré six mois, Xavier Emmanuelli dans un secrétariat mineur partagé à une autre époque par Bernard Kouchner, est demeuré deux ans en poste, les autres guère davantage.
Avec le recul, une caractéristique éminemment intéressante, concernant les parcours de ces différents professionnels de santé projetés dans le monde de la politique aura été d'observer ceux qui sont devenus et demeurés des politiciens, essentiellement B.Kouchner et P.Douste-Blazy, celles qui très vite, après des tentatives d'insertion ou de récupérations partisanes ont pris d'autres tangentes, M.Barzach et E.Hubert, et enfin ceux, vrais médecins en exercice, qui ne sont jamais parvenus, ou y montrent d'extrêmes difficultés, à devenir des hommes politiques : L.Schwartzenberg récemment disparu, X.Emmanuelli et J-F.Mattéï actuellement en poste à la Santé, pour la première fois en tant que vrai Ministre et non Secrétaire d'Etat.

Restaurer la conscience
Une réflexion domine les autres. Si l'on y regarde dans le détail, quelles que soient les initiatives, et dans ce domaine on remarquera que Bernard Kouchner a tenté plusieurs approches intéressantes en santé publique, innovantes, en prévention, en éducation, en politique du médicament, et jamais avant Jean-François Mattéï on n’avait augmenté le numerus clausus à la hausse indispensable des médecins et des infirmières, les budgets des hôpitaux, les postes d'urgentistes, jamais on n’avait pensé aux patients âgés, quelles que soient les initiatives ou les propositions donc, c'est la couleur politique qui est jugée. Ni l'homme ou la femme, ni les propositions et les idées, mais le fait de se situer "du bon côté de la politique du moment" ou de l'autre.
Et, en étant lucide, l'immense désarroi, la gaucherie maladroite, la visible détresse peinée que l'on peut si aisément lire chez des hommes comme Xavier Emmanuelli en son temps, aussi peu fait pour pérorer devant les cameras qu'un acteur pour soigner une grippe, ou comme Jean-François Mattéï d'évidence tellement marri de se trouver mis en pièces simplement pour sa couleur politique par des gens qui n'écoutent, n'entendent, ni ne s'intéressent à ses initiatives, s'en moquent éperdument, cette surprise douloureuse détruit ces êtres soignants, foncièrement tournés vers les autres à la base, mûs par une envie de progrès, d'aide, de soins, de thérapies, qui malheureusement pour eux resteront médecins, mais jamais des politiciens.
Les vrais, comme Philippe Douste-Blazy, ne seront aucunement gênés de passer de la Santé à la Culture, de la Mairie de Lourdes à celle de Toulouse, d'une tranche de droite un peu centrée à une autre un peu plus droitière, du moment qu'ils durent en politique, leur exclusif vrai métier. Les vrais, comme Bernard Kouchner pourtant si différent dans les coulisses à bavarder de ce qu'il montre en tant qu'homme de télévision, se sentira aussi bien en baroudeur, sauveteur, enseignant d'une université américaine, brasseur d'idées, écrivain de tout ce qui portera son nom, du moment qu'il dure et se fait entendre.


Renforcer la compétence:
La réflexion d'aujourd'hui, qui n'engage que l'auteur, est de remarquer que les destinées des uns et des autres n'ont rien à voir. Mesdames Barzach et Hubert se sont très vite réfugiées dans les ONG et apparentées pour l'une, et une Direction dans l'Industrie pharmaceutique pour l'autre.  Adieu travaux, coups vaches, coups bas, coups tordus, adieu la politique et la santé des êtres humains. Repli stratégique. Les véritables monuments politiques ont persisté à se montrer, se faire entendre, occuper des fonctions, et de temps en temps ils lancent une pique et une polémique qui les rappelle au bon souvenir des oreilles et des voix.
Et les vrais médecins, les soignants, ceux qui exercent et ont exercé des vrais fonctions de médecins des êtres, préoccupés des santés, des personnels, des orientations, du bien-être, de l'humanisme, se montrent totalement décontenancés, désorientés, maladroits, bousculés, dès lors qu'ils comprennent que leurs discours de héros de l'humanité souffrante, de préoccupés des plus douloureux, de la souffrance, tant celle des personnels soignants que des patients à traiter, qu'ils s'aperçoivent plus ou moins vite, une semaine a suffi à Léon Schwarzenberg, qu'ils ont été piégés, manipulés, utilisés, et que la classe politique, le peuple avide de télévision, de médias, de sondages, mais ignorant tout de la souffrance, de la mort, de la douleur, les balayera rapidement. Exclusivement pour des raisons de couleur : bleu, rose, rouge, vert, comme les partis, blanc comme les votes.

Ne lire ici ni démonstration, ni prise de parti, ni a priori. La question qui taraude les soignants est perpétuelle : comment parvenir un jour à faire comprendre aux décideurs, aux financiers, que la Santé est humaine, dans l'être, l'existence, la vie, la mort, et non dans le pouvoir, la couleur d'un parti, le nombre de voix, autrement dans l'avoir, la guerre, le combat, la lutte et les marchés?
Et comme il va de soi que tout ce qui touche l'homme est nécessairement politique, la politique étant la décision, l'orientation, le sens matériel à donner à cette philosophie du sens spirituel, psychique, moral, quelle est la solution ? Un professionnel de l'humain, des soins, aux commandes, sans tenir compte de la couleur qui lui a été attribuée, ou un professionnel de la politique, du pouvoir, de la décision, des manoeuvres, mais qui alors ignore jusqu'au sens réel des mots "êtres humains", sauf à traduire voix non plus par discours, expression, parole, mais par bulletin, proportion, pourcentage, abstention ?
Je ne juge aucune et aucun de ces ministres et secrétaires, infiniment plus à plaindre, pour nombre d'entre elles et eux, qu'à envier. Car comment se remettre d'une réaction qui vous aura apporté d'être conspué par tous, médias, partis, population,pour avoir voulu faire mieux contre la souffrance ? Quand les professionnels voient un ministre, acculé et accablé, oublier qu'il est médecin en devenant politicien, cesser de se demander "que pouvons nous faire pour ces êtres ?" en changeant sa question en "à qui la faute si nos soins ont été inopérants ?" ces soignants se disent que la politique est en train de gagner sur la médecine.
                                   
l'os court :  « Il vaut mieux être cocu que ministre. On n’est pas obligé d’assister aux séances. » Léo Campion


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Lettre d'Expression médicale n°332

Hebdomadaire francophone de santé
9 février 2004

Suffisance médicale
Docteur François-Marie Michaut

Quand j’étais un petit garçon, le médecin de la famille ( forcément pour mes parents le meilleur de la ville) était à mes yeux un personnage quasi divin. Son gros ventre, ses cravates bariolées, sa voix travaillée par la cigarette qui ne quittait jamais sa bouche, même en auscultant ses malades à l’oreille nue, ses ordonnances minuscules couvertes de griffouillis indéchiffrables ou ses avis péremptoires et définitifs, je ne sais pas ce qui m’impressionnait le plus.


Retrouver la confiance:
Oserais-je dire que très tôt au cours des mes études de médecine, je fus frappé par l’attitude la plus courante des praticiens, des plus jeunes aux plus vieux, rencontrés à la faculté comme à l’hôpital ? Une sorte de supériorité semblait émaner naturellement de tous les porteurs de blouses blanches. Langage technique omniprésent, affirmations absolues, recours jubilatoire aux noms propres et aux citations pédantes de la littérature médicale du moment, attitudes d’indifférence, de mépris ou d’ironie mordante vis à vis des inférieurs hiérarchiques, et des patients, tel était déjà le pain quotidien. A quelques admirables exceptions près de vraie simplicité, qui, pour moi, se comptèrent sur les doigts des deux mains. Comment survivre pour qui n’accepte pas de jouer le même jeu ? Échapper le plus vite possible à cet univers hospitalier en optant pour un métier déjà fort dévalué avec l’essor des spécialités : celui de médecin généraliste en clientèle. Tout le monde n’a pas le cran de nager ainsi à contre-courant, au milieu de l’indifférence générale et rigolarde de ceux qui veulent rester dans la voie royale de la carrière médicale parce qu’il n’en n'imaginent même pas une autre possible.

Restaurer la conscience
Alors quand un neurologue titré explique dans un livre récent destiné au grand public ( Antoine Sénanque “ Blouse” - Grasset ) qu’il a découvert que nous les médecins étions des gens si facilement dangereux, il est possible de se dire que certaines prises de conscience commencent enfin à devenir exprimables. Ce qui lui semble le plus dangereux est le fait que le médecin ne soit pas capable, souvent, de mettre en doute ce qu’il croit savoir avec certitude. En d’autres termes, le fait que les praticiens demeurent toujours de bons élèves obéissant les yeux fermés aux ordres du maître , même quand ils ont quitté la classe, constitue un vrai problème pour la qualité à la fois scientifique et humaine des soins dispensés. En un mot, nous serions trop disciplinés, trop bien-pensants, formés trop longtemps dans un moule inadapté. Soulignons simplement que depuis plus d’un demi siècle quelques auteurs ont analysé avec courage et lucidité cette “suffisance médicale” dans la pratique des médecins généralistes. Si l’on site volontiers Michaël Balint de façon quasi incantatoire dans les articles médicaux, on le lit peu ou mal. Ce qu’il dit de “ la fonction apostolique du médecin” ou de la catégorie “ des médecins supérieurs” n’a pas pris une ride depuis 1956.


Renforcer la compétence:
Car, en fin de compte pour les patients, c’est bien la question de la meilleure compétence possible du médecin qui se pose, bien avant celle des contraintes financières qui ont été trop mises en avant ces dernières années. Logiquement, le premier chantier serait de déterminer ce qu’on attend des praticiens dans notre société, tant sur le plan technique que sur le plan humain. Tant que cet effort de clarification n’aura pas été consenti, il n’y a , hélas, aucune raison que l’on ne poursuive pas sur la voie actuelle. Recruter comme actuellement des étudiants ayant obtenu des examens de fin d’études secondaires scientifiques avec des mentions bien, sans se soucier un instant de savoir ce qu’ils attendent, quel est leur mode de fonctionnement personnel et leur richesse humaine. Car une hypothèse ne saurait vraiment pas être écartée : la plus grave insuffisance de l’ensemble des médecins n’est-elle justement pas notre si fréquente et aveuglante suffisance ? De grands artistes comme Daumier, comme Molière ou comme Jules Renard nous le montrent depuis si longtemps sans la moindre complaisance, sans que, une fois encore, nous nous sentions concernés par ces descriptions en miroir. A nous de savoir faire comprendre autour de nous : nous sommes des humains, donc des gens qui ne savent pas tout, très très loin s’en faut. Si quelqu’un vous dit qu’il sait sans le moindre doute quelque chose concernant votre santé, fuyez-le comme la peste, il est dangereux. En se trompant lui-même, il vous trompe forcément vous aussi. Laissons à Antoine Sénanque le mot de la fin : “ Même le meilleur médecin est incompétent”.
                                   
l'os court :  « Il est à la fois suffisant et insuffisant. » Talleyrand


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Lettre d'Expression médicale n°333

Hebdomadaire francophone de santé
16 février 2004

Écran total
Docteur Jacques Blais

Divers échanges sur la liste Exmed-1 ont eu lieu sur le thème de l'envahissement absolu du "tout écran" dans la vie des citoyens. Une interrogation qui finit par gagner celles relatives à la culture en général. Non seulement information, mais lieu d'échange de pensée, d'élaboration et d'apprentissage, l'écran protège-t-il de tout éclairage dangereux autre, ou bien est-il devenu l'unique écrin culturel de l'époque ?


Retrouver la confiance:
Une interpellation, cette fois, toute récente, m'a mené vers d'autres réflexions encore. Un groupe de 8 à 10 de nos descendants adultes, traduire enfants et beaux-enfants et leurs conjoints, tous entre 25 et 33 ans, et tous entre Bac + 3 et majoritairement Bac + 5, cette note uniquement destinée à éviter une généralisation hâtive, tout en remarquant que cette évolution est dans l'air du temps, comme on dit. Il est frappant de noter, par exemple, qu'une très grande majorité des filles de cette génération sont nettement plus diplômées que leurs mères. Mais la question est tout autre. Discutant de divers sujets à tendance plutôt culturelle, trois de ces jeunes en même temps ont émis la même remarque à l'égard ou à l'encontre, au choix, des parents, en disant : "ne nous jugez pas, et condamnez encore moins, car vous à notre âge vous n'aviez pas la télévision. Alors vous, vous avez lu..."
Cette lucidité d'observation est tout à l'honneur de ces jeunes. Car il est certain que la génération des seniors actuels a effectivement lu, c'est une évidence. Et là où nos jeunes ont ingurgité des milliers d'heures d'écran, nous avons accumulé des milliers de livres sur nos rayons et dans nos apprentissages, nos expériences, nos cultures.

Restaurer la conscience
Il ne saurait aucunement être question effectivement de jugement. Nous observons, nous constatons, nous écoutons et nous entendons. Et la génération des jeunes trentenaires est entièrement fabriquée en fonction des écrans. Magnétoscopes, DVD, télévision, jeux vidéo, il est patent que la plus considérable répartition de l'occupation de leur temps de loisir est reliée à des écrans. Ce qui n'empêche pas aussi des écouteurs, en complément ou dans les épisodes rares où un écran n'est pas disponible. Regardez et observez ces jeunes en groupe dans un restaurant. Même alors, plusieurs d'entre eux vont allumer un écran, celui de leur portable, pour lire des messages, regarder les résultats des matches de football, ou bien jouer sur un autre appareil.
Écoutez ainsi 10 jeunes ensemble au cours d'un repas amical. Ils se récitent, il n'y a pas d'autre terme, les répliques des dernières émissions vues en direct, ou enregistrées et regardées en décalage. Huit à dix animateurs clefs, Ruquier, Giordano, Dumas, Thomas, Arthur, Delarue, Ardisson, Dechavanne, Fogiel, Aliagas, dont ils savent par coeur les thèmes, les bons mots, les trucs et tics. Ajoutez les trois ou quatre télés dites vérités ou réalités, et vous avez ainsi l'ensemble culturel du pays.
Un des drames évolutifs est de constater alors que Drucker ou Sébastien sont retirés des programmes jeunes, classés définitivement émissions ringardes et cérébrales pour vieux.  Et les quelques jeux avec questions et réponses, Champions, et Millions, sont carrément tournés en dérision. Comme le serait le théâtre, ou la littérature, les livres. Des domaines où l'on emploie des mots, des phrases, et par conséquent à éviter, à rejeter. La seule "culture" accessible, est celle des émissions à thèmes, du genre Delarue, Fogiel, Dumas, qui reprennent inlassablement les mêmes expositions d'artifice avec pointe de scandale.

Renforcer la compétence:
C'est un tableau qui peut être lu comme tragique. Mais qui en réalité est un reflet parfait et lucide d'une société. Une société de l'écran. L'écran qui montre, et ne propose, ne présente alors que ce qui est rentable en audimat, en publicité intercalée, en outrances et en effarements payants, en vulgarité, en atteinte aux plus bas sentiments et aux réactions prévisibles. Un écran calculé, mesuré, ciblé, ne laissant passer que ce qui va bouleverser, choquer, traumatiser, dans deux buts uniques : rapporter encore davantage, plus cela saigne et plus cela brûle, et plus cela meurt, et plus cela tue, inonde, flambe, saute, explose, dévore, ravage, tremble, s'écroule, et meilleure est la fréquentation, et puis organiser la pensée majoritaire selon l'idée dominante. Si le sécuritaire est à l'ordre du jour, montrons son contraire, le danger, la peur, la mort. Si l'assurance, les programmes ambitieux anti tout, protection maximale, zéro risque, sont les objectifs, accumulons les images de désastres en cherchant en permanence à débusquer des responsabilités. Si le but final est de construire des prisons, de condamner, d'incarcérer, proposons sans cesse des coupables, des criminels, des responsables, des affaires à élucider.
Plus perverse encore, cette "compétence" des écrans à orienter la pensée. Citoyens, ce que vous voyez, subissez, craignez, c'est la faute de.... Suivez nos caméras, nos regards, nos enquêtes, nos démonstrations. Et ensuite vous saurez que penser, pour qui voter, que choisir, vers où vous diriger, comment vous comporter. La dénonciation des écrans, après le voyeurisme.
L'autre écran est l'écran qui, bien au contraire, cache. Faire écran. Détourner du réel pour cacher la vérité. Faire croire, faire penser que.... Jean Maisondieu, psychiatre, dans son livre La fabrique des exclus, explique ce mécanisme. L'état doit à tout prix conserver 10 à 15 % d'exclus, de marginalisés, de pauvres, pour pouvoir les montrer sans cesse sur les écrans, comme une menace, attention à vous si vous ne suivez pas nos indications, vous allez aboutir là. Ce qui permet alors de masquer intégralement tout le reste. Les inadéquations, l'absence de politique positive, les anomalies, la corruption, les affaires, l'exclusif souci du profit à travers la Bourse. Noël est merveilleux pour cela, on montre et "le bonheur" étincelant, et "l'ignoble malheur des délaissés".
Le résultat est atterrant. Nos jeunes, et ils ne sont pas les seuls, ont pris dès l'enfance l'habitude passive d'avaler de l'écran du matin au soir, et d'enregistrer ce qui n'a pas été vu en direct. S'il reste des trous, y placer DVD et jeux. Mais ce n'est de nouveau qu'une illustration probable de ces deux manières de fonctionner de l'écran : ils n'y regardent que ce qui, passivement, leur conviendra, 10 animateurs idoles, sans un soupçon de critique, et 4 ou 5 spectacles du monde falsifié des stars. Et pour le reste, ils cachent ainsi tout ce qu'ils refusent. Information, éclairage, culture, apprentissages, qui s'ils ont besoin d'être cherchés spécifiquement, doivent exister sur l'écran également, quelque part.
Nous avions, nous, appris quelques trucs de vieux. La lenteur, la progression, l'effort, le mérite, le gain actif, l'accession volontaire. La lecture comporte et contient tout cela, plus l'envie d'apprendre, de comprendre, de savoir. Il est évident, complètement, qu'une généralisation aux jeunes serait parfaitement abusive, de cette passivité sans tri des apports de l'écran. Mais cette remarque nous met face à une remarquable lucidité qui fait réfléchir : "ne nous condamnez pas, vous vous n'aviez pas la télé". Éminemment véridique. Une leçon et une réflexion. Qui, assez souvent, aura tourné le bouton, et dit alors à ses descendants "non, prenez plutôt un livre".  Qui, actuellement, choisit l'actif impliquant contre le passif si aisé ?
                                   
l'os court :  « Je trouve que la télévision est très favorable à la culture. Chaque fois que quelqu’un l’allume chez moi, je vais dans la pièce à côté et je lis. » Groucho Marx


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Lettre d'Expression médicale n°334

Hebdomadaire francophone de santé
23 février 2004

« Le Harcèlement dans l'enseignement »
Philippe Arquès ( site http://parq2003.free.fr )

Aujourd'hui, trois salariés sur dix estiment avoir subi un harcèlement moral sur leur lieu de travail, c'est-à-dire avoir été l'objet de conduites abusives. Elles se sont manifestées notamment par des comportements, des paroles, des actes, des gestes ou des écrits répétés, pouvant nuire à leur personnalité, à leur dignité ou à leur intégrité physique et psychologique. Chez chacun d'entre nous, la violence est naturelle, elle est contrariée par l'éducation familiale et scolaire et pourtant c'est dans la famille, parfois,et à l'école, souvent, que se développent actuellement des formes de brutalités incontrôlées. La violence scolaire concerne tous les usagers: personnels administratifs et techniques, enseignants, élèves dans tous les cycles: de la maternelle à l'université, dans tous les pays, développés ou non.


Retrouver la confiance:
Dans cet ouvrage, nous présentons comment, et pour quelles raisons, la violence se développe dans ce lieu destiné à l'apprentissage des connaissances et des méthodes, ainsi qu'à l'acquisition des moyens propres à l'autonomie et à la citoyenneté par réduction de la brutalité innée. En particulier, nous analysons les causes, le développement et les conséquences de ce qui est maintenant appelé communément: "le harcèlement moral sur le lieu de travail". Dans l'enseignement, c'est une pratique aberrante, vexatoire et particulièrement inutile, dont, finalement, les étudiants sont les seuls pénalisés.
Le harcèlement a toujours été hors la loi dans certains de ses actes: injures, menace, menace de mort, voie de fait, etc. Dans la législation, il est devenu maintenant une relation illégale. Cette illégalité ne semble gêner personne et, en tout cas, pas ceux qui sont chargés de faire respecter la loi dans l'application de l'article 40 du code pénal.
Il semble que l'agression chronique n'est que l'expression d'une relation sociale imposée par l'un et refusée par l'autre plus autonome. C'est dans ce refus qu'émerge la notion de harcèlement. C'est dans le renforcement de l'autonomie et de la citoyenneté que se situe l'aggravation de la perception que nous avons des phénomènes de tourment.
Etudier le harcèlement, c'est en redécouvrir l'historique, et comprendre ses relations étroites avec le travail, évaluer l'école comme un lieu privilégié où toutes les formes de brutalité peuvent se développer entre tous les acteurs. L'avenir de la victime est la conséquence d'une sortie réussie de cette situation maléfique.


Restaurer la conscience
L'histoire. Le premier chapitre définit ce supplice. Il présente des situations qui ont réellement existé sur le plan historique ou qui ont été imaginées avec pour objectif l'apprentissage de l'autonomie ou la distraction. Le travail de chacun des acteurs est analysé en explicitant les dysfonctionnements dans lesquels les sévices peuvent s'insérer.
Le lieu. Les structures d'apprentissage des connaissances et des méthodes, structures qui sont semblables dans tous les systèmes, sont examinées dans le deuxième chapitre. Le harcèlement ne peut naître et subsister que dans un contexte où la médiocrité est tolérée. L'excellence suppose des méthodes sans compromis, elles sont recherchées dans ce chapitre.
Le harcèlement. Troisième chapitre, les différentes formes de violence chronique: houspillage, bizutage, acharnement, intimidation, etc. sont décrites et disséquées. Tourmenter par de fréquentes attaques est un jeu pervers et la théorie des jeux s'applique. Qui gagne finalement ? Comment ? Pourquoi ? La réponse à ces questions permettra de tenter une sortie.
Les acteurs. Bien se connaître, comprendre et deviner son adversaire, sont les clés de la réussite. Les conduites humaines et inhumaines des acteurs de cette conjoncture cruelle: le harceleur pervers et narcissique, le harcelé autonome et lucide ou dépendant et perdu à jamais, l'arbitre potentiel et couard ou courageux et efficace, le spectateur curieux ou émergeant, toutes sont répertoriées et analysées
dans le chapitre quatre.
La sortie. Comment sortir de ce contexte malfaisant, si possible sans dégât ? Partir pour faire plaisir ou rester pour lutter ? Construire sa propre sortie, est-ce la meilleure solution ? Les stratégies de résolution de ces types de conflits sont jugées. Des guides pratiques sont présentés dans le cinquième chapitre.
L'avenir. Ensuite: comment reprendre une vie normale ? Les réconciliations sont encore rares. Comment concevoir une autre structure des établissements d'apprentissage pour que de telles situations puissent se résoudre rapidement ou même n'apparaissent plus ? A quoi sert une association ? Tous ces thèmes sont développés dans le dernier chapitre.


Renforcer la compétence:
Les différentes parties de cet ouvrage sont agrémentées d'exemples imaginés à partir de notre vécu ou de l'expérience de nos collègues tant français qu'étrangers dans les rôles d'harcelé, d'harceleur, d'arbitre et de spectateur du harcèlement.
Avec cet ouvrage, nous espérons montrer combien ces pratiques illégales et archaïques sont inutiles et coûteuses pour la collectivité et, par conséquent, les faire évoluer dans le cadre d'une gestion plus humaine des usagers de tous les centres d'apprentissage.
L'auteur a été : un harcelé insupportable car toujours rebelle, un harceleur incompétent par respect des droits de la personne, un spectateur désagréable dans sa volonté d'arbitrer, un arbitre déplaisant car efficace. Avec son vécu et ses observations dans les différentes situations, enseignant, il analyse les rapports de pouvoir qui émergent dans ce dysfonctionnement et conclut par un bilan des différentes stratégies qui s'offrent à la victime pour sortir de cette situation maléfique.

NDLR : Philippe Arquès est normalien ( Cachan), professeur des Universités enseignant à l’Ecole Centrale de Lyon. Son livre présenté ici est Harcèlement dans l’enseignement, causes, conséquences, solutions. Editeur : L’Harmattan, 5-7 rue de l'Ecole Polytechnique - 75005 Paris mail :diffusion.harmattan@wanadoo.fr . L’auteur est également colistier de la liste Exmed-1.
                                   
l'os court :  « Personnellement, je suis toujours disposé à m’instruire, mais je déteste qu’on m’enseigne. » Winston Churchill